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La première fois que je l’ai vu, enfin, vraiment vu, il était piqué dans le pruneau d’un far. Coincé par tribord arrière dans un carré de pâte jaune pâle flottant au fond d’un plat de terre vernissée, il avait l’air vaguement comestible. Ça m’a rappelé le repas de mariage de Madame Bovary… les « grands plats de crème jaune qui tremblaient... » On étudiait ça en classe de terminale par ces jours froids de mars qui semblaient se creuser en fin de matinée. C’est ce souvenir qui m’a donné faim plutôt que l’infâme flan à relent de vanilline qu’on m’a servi avec drapeau breton piqué dans le pruneau. Le drapeau, j’avais d’abord pensé que c’était le genre hostie ou pâte d’amande, comme on en trouve sur les bûches de Noël, mais non, c’était juste un drapeau de papier monté sur pique-saucisse. Un drapeau qui voulait dire quoi ? Je me suis penchée sur l’étal. À droite, se voyaient deux lignes parallèles de flans et de rondelles boursouflées sous une sorte de caramel, avec drapeaux. À gauche, des tartes et brioches diverses, sans drapeaux. Tandis que, tout en poursuivant mes observations, je m’efforçais de dégager un pruneau de sa pâte mal cuite à l’aide de ma hampe, « c’est quoi, ça ? » a demandé un client, montrant du doigt une rondelle boursouflée.
— Une couine à manne.
— À quoi ?
— À manne. C’est un gâteau breton.
— Et c’est bon ?
— C’est bon mais c’est riche. Pur beurre 100%.
J’ai posé mon drapeau sur le comptoir et la serveuse l’a aussitôt rapté d’un geste vif. Ni comestible ni donné en prime. Un drapeau voué à resservir, aller se planter sans fin sur des bataillons de fars, des régiments de kouign amann défilant à perte de vue.
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Sur cette image martiale s’ouvre pour moi l’ère du drapeau breton — et du drapeau tout court, puisque ce qui était jusqu’alors objet tout au plus d’un ricanement distrait, symbole de nations en bagarre pour des intérêts généralement semblables, et qui auraient d’abord exigé la paix chez soi — s’est soudain changé en objet d’attention, puis de stupeur. À quoi servaient-ils, ces drapeaux de papier montés sur pique-saucisse ? Il ne s’agissait pas de faire découvrir les vertus du far à des étrangers poussés là par la main des destinées — ça se passait à Rennes, dans une rue sans touriste et les vertus éminemment bourratives du far avaient sombré dans l’aigreur grelottante du flan. Non, le drapeau distinguait les gâteaux bretons, qui n’avaient d’autre qualité que d’être bretons, des gâteaux ordinaires, qui se devaient peut-être d’avoir tout de même quelque qualité gustative. En désignant le far, le drapeau le dispensait d’en être : par un effet que j’ai depuis observé en maints domaines, l’identité proclamée servait d’abord à émousser les traits distinctifs de la réalité qu’elle prétendait incarner. J’ai laissé le pionnier du kouign amann, les yeux mi-clos et le menton rentré dans ses fanons, comme mes grand-tantes au retour de la table de communion, mais, Seigneur, mes tantes attendaient d’autres vertus de la pâtisserie dominicale promise après leurs oraisons et l’art d’expédier son christ d’un coup de glotte n’est pas à la portée du premier venu.
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J’en serais peut-être restée là de mes réflexions sur le sujet du drapeau si, me rendant à la FNAC pour acquérir quelques disquettes, je ne m’étais trouvée devant un groupe de badauds plantés devant une télévision grand écran, elle-même entourée de multiples postes montrant dans une simultanéité hallucinatoire l’enterrement de Glenmor avec drapeaux, floraison de drapeaux, arborescences, efflorescences de drapeaux, accompagnant à flots les exhalaisons d’hymnes nationalistes. Ce n’était plus le petit drapeau de papier piqué dans son pruneau, rappelant encore l’ère du « souvenir breton » contre lequel on se défend mal d’une certaine tendresse ; cette fois-ci, c’était le gwenn-ha-du proliférant sur fond de mort. Le chanteur, si oublié de son vivant, prisonnier de son personnage de barde voué à l’emphase, revenait sous forme de porte-enseigne, brandi en signe d’appel au combat. Le kitch du Bro goz, on s’y était fait, comme aux petits binious des « souvenirs bretons » mais, le Kan bale an ARB, tel que je l’entendais, ce n’était pas même l’indigence de ses paroles qui me frappait, pas même la transformation de ces obsèques en cérémonie martiale — il y avait là une sorte de jubilation mortifère, difficile à définir, mais qui me rappelait d’autres meetings : ce patriotisme, ces marches militaires et cette exhibition de drapeaux… Quand la « Croix noire », le drapeau de la milice bretonne sous uniforme SS, est apparue, je suis restée frappée de stupeur. Ce qui rendait la chose plus étonnante encore, c’était la sympathie amusée qu’elle provoquait. Autour de moi, les clients de la FNAC ne semblaient ni choqués ni même intéressés. Les commentaires portaient surtout sur la qualité de l’image et la taille de l’écran. Enfin, j’ai acheté ma boîte de disquettes. « Dinec’h ha krenn, Bretoned, ‘vo tenn ar stourmer »… « tranquille et fort, Bretons, il sera ferme, le combattant »… Inutile de se laisser abattre, même si les paroles du « Kan bale » avaient l’air menaçantes… « en noz ‘tarzho kastellioù, gweleoù ar gwasker »… « dans la nuit exploseront les châteaux, les lits de l’oppresseur »… En fait, le seul de nous tous qui habitait un manoir, c’était Glenmor, et si son lit avait sauté, ça aurait fait du foin.
En rentrant, je me suis plongée dans les mémoires d’Olivier Mordrelle (dit Olier Mordrel), auteur dont j’avais ignoré les vertus jusqu’à découvrir qu’étant certain d’avoir au mieux accompli sa mission, il avait le rare mérite de dire ce que les autres auraient voulu cacher. Ainsi son essai, Breiz Atao, histoire et actualité du nationalisme breton, paru en 1973, raconte-t-il avec enthousiasme son entrevue avec Doriot le 16 février 1945 : en cas de victoire de l’Allemagne nazie, « si, par une grâce inattendue, nous revenons chez nous en vainqueurs », écrit-il, Doriot « s’engagerait, en tant que chef éventuel de l’État français, à reconnaître l’existence de la nation bretonne distincte de la nation française ». Il aurait donc été nommé gouverneur de cette Bretagne nationale-socialiste, avec Roparz Hemon pour responsable des affaires culturelles. Je me demandais ce qu’il avait pu dire sur l’invention du drapeau breton, dont je ne savais rien, sinon qu’il avait été dessiné par un nommé Morvan Marchal, en ces années où le Parti national breton se lançait sous leur direction conjointe. En fait, il n’en disait pas grand-chose : « Un parti national s’est fondé à Rosporden. Il a adopté un drapeau noir et blanc, inspiré du blason de nos anciens ducs, arborant un champ d’hermines sans nombre et neuf bandes, cinq noires pour les cinq évêchés de la Haute-Bretagne et quatre blanches pour ceux de la Basse. Il a choisi un insigne parmi les symboles magiques des vieux Celtes, le hévoud, qui n’est pas autre chose qu’une croix gammée, mais qui, au lieu de tourner dans le sens maléfique, tourne à droite, dans le sens bénéfique ». Je ne voyais pas trop en quoi la croix gammée des vieux Celtes avait tourné dans un sens bénéfique mais, druidiques ou pas, les croyances n’obéissent qu’au règne de la foi. Pour ce qui concerne le drapeau, ce qui m’intriguait était la manière dont Mordrelle passait sous silence le rôle de Morvan Marchal, un ami des premières heures, dont il souligne par ailleurs le rôle essentiel au début de Breiz atao, « définissant l’opposition Bretagne-France comme celle des cultures nordique et latine », thématique inlassablement reprise par la suite dans toute la presse militante bretonne.
Je n’avais pas d’opinion sur Morvan Marchal avant de m’intéresser au drapeau breton, mais, amenée par les silences de Mordrelle même à essayer de lire ce qu’il avait écrit, je devais me trouver à nouveau frappée de stupeur : ce néo-druidisme raciste, était-il possible qu’il ait inspiré la création de ce drapeau noir et blanc sans qu’il y ait eu là autre chose que le souhait de doter une région d’une bannière agréable aux yeux ? Était-ce en raison des opinions nazies exhibées en toute occasion par sa revue Nemeton qu’on avait fait passer à la trappe ce Marchal acharné à se parer du noble nom de Morvan ? La lecture du périodique Breiz atao, dirigé par Francis Debauvais avant guerre, allait m’éclairer : question racisme, Nemeton n’avait fait que suivre la ligne de Breiz atao ; question nazisme, comme, dès 1932, Hitler était encouragé par Breiz atao à faire mieux, il était difficile de se prononcer ; question drapeau, l’affaire était claire : le gwenn-ha-du avait été conçu par les autonomistes comme « le drapeau du réveil breton », le symbole de la nation à reconquérir contre les Français, or, écrit Mordrelle le 11 décembre 1932, « jacobin rime avec youpin » (« youppin », écrit-il, accentuant son mépris par un redoublement lippu du p) et les Juifs, peu nombreux en Bretagne, sont l’incarnation même du péril français, à éloigner par diverses mesures prophylactiques, le drapeau, l’hymne national et l’orthographe surunifiée comptant au nombre des mesures préliminaires à prendre de toute urgence. Le journal Breiz atao résout les tergiversations par un article du 17 octobre 1937 :
« Nous ne pouvons pas plus avoir deux (ou trois ou quatre) drapeaux que plusieurs orthographes ». Et de préciser : « On a proposé le drapeau noir des premiers émigrants, avec adjonction d’une tête de mort jaune ; — le drapeau vert et rouge, parce que ce sont les couleurs essentiellement celtiques ; — le drapeau vert avec une harpe d’or, parce que le vert et la harpe sont aussi bien de Bretagne que d’Irlande ; — le bleu, le blanc et le vert, qui sont les couleurs des bardes ; — la croix celtique sur fond blanc, ou noir, ou vert, ou rouge ; — on a proposé cent formules pour rajeunir le champ d’hermines, soit en le barrant par une croix celtique, une croix latine ou une croix de Saint-André ; soit en modifiant les couleurs, hermines noires sur champ vert ; soit en le décorant par quelque animal symbolique des Celtes : cheval, sanglier ou alouette des Gaulois, double hippocampe des anciens Armoricains. Mais on n’en est pas sorti : dernièrement encore, ne proposait-on pas le Triskell d’or sur fond mi-rouge mi-vert ?… »
Le « gwenn-ha-du, » n’est sans doute pas irréprochable mais à son principal détracteur, le barde Abalor, de son vrai nom Léon Le Berre, l’auteur de l’article oppose le Bro goz, hymne qui pour être national n’en est pas moins suspect, tant d’origine que de teneur :
« Le drapeau à bandes est né dans les parages de Breiz atao ? La belle affaire ! Le « Bro goz » aussi est bien né dans les parages d’Abalor, ce qui ne nous empêche pas de le chanter. On n’ira pourtant pas dire que la poésie en est impeccable. Comme vers bretons, il y a mieux et plus musical que le « Douar ar Varzed » et autres trouvailles de mirliton. Mais le « Bro goz » existe, c’est un signe de ralliement. Il n’est pas question de l’aimer ou de le rejeter parce que son air est d’origine étrangère et son texte contestable : il est sacré parce qu’une valeur nationale s’est attachée à lui… »
Il y aurait eu beaucoup encore à retenir de cet article mais l’idée même de ce combat de bardes brandissant des bannières et se braillant au nez des péans cabossés provoque à chaque fois mon hilarité et je déclare forfait.
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Peut-être m’en serais-je d’ailleurs à tout jamais tenue là si, parcourant une étude économique locale, je n’avais appris que l’industrie du drapeau breton comptait au nombre de celles qui, au cours de ces dernières années, avaient connu la plus forte progression. L’auteur de l’article se réjouissait de cette progression, qu’il plaçait, graphiques à l’appui, sur le même plan que celle du reclassement des invalides psycho-moteurs d’Ille-et-Vilaine et des promoteurs du remplacement express du pot d’échappement. Mais peut-être aussi l’entreprise qui vivait du drapeau méritait-elle une autre approche que celle strictement mathématique de ses rendements ?
Quoi qu’il en soit, c’est ce qui m’a incité à prendre des notes sur le drapeau breton. Et, prenant des notes sur un sujet qui me semblait de plus en plus captivant, voilà qu’un samedi, au retour de la gare de Rennes, j’allais me trouver moi-même prise dans une expansion du drapeau breton. Le phénomène m’avait frappée au sortir de la gare : des jeunes gens brandissant des drapeaux bretons se regroupaient, prenant un air bravache, mais bravache comme on en a quand on sait avoir l’appui de la maréchaussée. Arrivée place de la mairie, ce qui m’attendait, ce n’était plus le drapeau de far piqué dans son pruneau, c’était l’apothéose du drapeau breton, un drapeau fait pour couvrir toute une place, tout un pays. Un nouveau seuil avait été franchi : la culture bretonne était devenu un enjeu politique – quelle culture, j’allais l’apprendre peu après en compulsant le Livre blanc de la culture bretonne, sous couverture glacée figurant justement l’immense drapeau de la place.
Pour l’heure, je m’étais arrêtée devant une librairie, imaginant ce que l’Irlande nationaliste avait pu être pour Joyce et méditant sur les vertus de l’exil. Deux vexillologues bretonnants se sont arrêtés pour commenter avec acrimonie un ouvrage en vitrine. J’ignorais alors, mais je devais l’apprendre par la suite, que la vexillologie, ou science du drapeau, connaissait en Bretagne une croissance en rapport avec celle du commerce vexillaire. Aussi étrange que cela puisse paraître, ces deux vexillologues étaient fort critiques à l’égard du déploiement de drapeaux par expansion textile et multiplication numérique auquel il leur était donné d’assister. C’était, à les en croire, un nouveau piège jacobin. Le seul drapeau à défendre, selon eux, c’était celui qui flottait en divers endroits, qu’ils énuméraient comme un pêcheur de brochet ses plus belles prises, à savoir la « Croix noire », mais, attention, centrée, ils étaient bien d’accord là-dessus, centrée ! Tous les matins, dans leur jardin, il procédaient au lever des couleurs — si l’on peut dire en un tel cas — et les enfants commençaient la journée par le salut au drapeau ; du reste, les scouts Bleimor, rattachés aux scouts d’Europe, vénéraient la « Kroaz du » depuis près d’un demi-siècle, annonçait l’un des vexillologues, soulignant la nécessité de revenir à son drapeau pour être fidèle à son identité.
Ce tandem de vexillologues n’était pas un simple duo de cinglés mais l’avant-garde d’un bataillon bien rangé, j’ai pu le constater quelques mois plus tard en lisant le traité du Docteur Rault, Les Drapeaux bretons de 1180 à nos jours, publié par la Coop Breizh dont le président préside aussi l’Institut culturel de Bretagne. En voici la conclusion :
« Le vrai drapeau national breton est blanc, chargé d’une croix noire pleine et centrée, dont la largeur est 1/5 de celle du drapeau… Le Gwenn-ha-du date de 1923, le drapeau allemand de 1832, le drapeau français de 1794… le drapeau danois de 1249. La croix noire date de 1188. Les Bretons doivent être fiers de posséder le plus ancien drapeau national du monde ! Sortons-le de l’oubli ! Retournons au drapeau de nos pères ! DISTRO DA VANIEL HON TADOU-KOZH ! »
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Je ne peux résister à citer encore quelques phrases de la préface. « Rares sont ceux qui peuvent rester insensibles aux emblèmes que sont, pour un peuple, drapeau et hymne national, à part quelques sceptiques et cyniques et, pire encore, ceux qui redoutent l’éveil d’une conscience nationale, qui est à un peuple ce que l’âme est à un individu », écrit le préfacier, après s’être placé sous le patronage de Glenmor. « En effet », ajoute-t-il, « entre un peuple et une masse, il y a la même différence qu’entre une troupe organisée d’animaux libres et le bétail élevé contre nature, entre la lutte pour la vie et l’existence sans but… »
L’évocation de ces vastes troupeaux menant sans but leur vie contre nature me rappelle d’autres discours dont on ne s’attendrait pas à retrouver l’écho sous la plume d’une personne qui se dit en préface « historien, membre de la « commission Histoire » de Skol Vreizh ». Skol Vreizh passant alors pour la face démocratique du mouvement breton, il reste à se demander si l’on peut à la fois se dire de gauche et introduire avec enthousiasme un essai évoquant sans le moindre état d’âme les milices bretonnes et autres groupes fascistes. Mais le propre de la revendication identitaire est d’être tautologique — ni droite ni gauche, « na ruz na gwenn, Breizad hepken », comme l’indiquait dès les années 30 le journal Breiz atao. Défiler derrière un bouquet de drapeaux bleu blanc rouge en braillant « La blanche hermine », c’est être jacobin, c’est mal. Défiler derrière un bouquet de gwenn-ha-du en braillant « La blanche hermine », c’est être démocrate, c’est bien. On vous expliquera sans désemparer qu’entonnée gaillardement, à l’ombre du drapeau breton, « La blanche hermine » a des vertus dépuratives qui expliquent la faiblesse du Front national en Bretagne.
Et pour parachever ce tableau édifiant, il nous reste à attendre l’an 2000 pour voir l’apothéose du drapeau : « À la fin de 1999 on change de siècle et de… millénaire », nous signale le communiqué officiel de l’Appel breton. Au cas où l’on penserait que ce n’est pas une découverte, l’Appel breton précise qu’« un grand tournant s’annonce pour la Bretagne » et qu’il propose « pour fêter cet événement la réalisation d’un Gwenn ha du de 80 m x 60 m qui en ferait le plus grand drapeau du monde ». Il s’agirait d’abord d’établir le « centre géographique parfait de la Bretagne », puis d’y « ériger un bloc de granit sculpté en forme d’hermine sur un socle triskellisé » pour y piquer le drapeau « et c’est sur ce point symbolique que serait déployé notre grand Gwen-ha-du le 1er janvier de l’an 2000 ». La recherche du centre parfait, de l’unité, de la pureté, cela me ramène encore à des préoccupations trop actuelles pour que je m’appesantisse.
Je voudrais bien terminer ma modeste contribution à l’étude du drapeau breton par une conclusion aussi frappante que celle du docteur Rault. Malheureusement, quoi que je fasse, je ne vois rien d’autre que le flan, avec, derrière lui, ces « grands plats de crème jaune qui tremblaient, et présentaient, dessinés sur leur surface unie, les chiffres des nouveaux époux en arabesques de nonpareille ». Pour moi, le drapeau breton, c’est toujours d’abord ça : le chic petit-bourgeois des arabesques de nonpareille promettant des lendemains qui chantent à des paysans confondus. Que les paysans soient peu à peu voués à disparaître, que les pêcheurs soient expédiés vers les banlieues, et que la langue bretonne telle qu’ils pouvaient la transmettre, cède place à un néobreton, calque parfait du français des écoles, on s’en affecte peu : l’un des responsables des publications linguistiques en langue bretonne expliquait d’ailleurs qu’on parlerait un bon breton quand le dernier bretonnant de naissance aurait disparu. Indemnités compensatoires, primes à l’identité, bannières et étendards, celtitude et bretonnité, bécassinades mises au goût du jour, botrelisme new wave, in hoc signo vinces. Les perdants s’en vont, Homais ramasse la mise. Reste alors l’enquête triste de Bouvard et Pécuchet, le sottisier ou la fuite, et c’est encore une solution, un moyen de s’en tirer, un luxe.
© Françoise Morvan
Hopala n° 1, juin-août 1999
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Cet article, qui m’avait été demandé par une revue bretonne qui devait s’intituler Noir sur blanc et se voulait « de débat », a été publié à la suite de six articles faisant l’apologie du drapeau breton et a été suivi par des courriers des lecteurs qui m’ont forcée à exercer mon droit de réponse, le tout formant un ensemble instructif, me semble-t-il, et j’en ai donc fait un petit dossier qu’on pourra trouver ici sous le titre « Le Crime contre le drapeau ».
Pour en savoir plus sur le sujet, voir aussi « Le gwenn-ha-du » avec fiche pédagogique en prime.