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Je compte ici offrir une petite place aux auteurs pour enfants qui m’ont accompagnée et m’ont donné le plaisir de les faire mettre en musique, de les traduire ou de les illustrer.
D’abord, le merveilleux Robert Desnos dont j’ai mis quelques poèmes en musique. À mon avis, Robert Desnos attend toujours son illustrateur et gagnerait à être enfin mis à la place qu’il mérite parmi tant d’auteurs de poésies pour enfants qui ne lui arrivent pas à la cheville.
Ensuite, bien sûr, Edward Lear mais, là, je passe car je lui ai déjà consacré ici une rubrique.
Et puis Mikhaïl Iasnov, à qui j’ai un peu donné la parole ici…
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SAMUEL MARCHAK
J’ai traduit sept livres de ce merveilleux Marchak — et surtout, j’ai traduit son premier livre, absolument inconnu en France, que j’ai intitulé Enfants sauvages, enfants en cage, évocation du stalinisme par le zoo. Hélas, sans pouvoir les éditer…
J’ai tout de même publié quatre de ses livres, Le cirque, La glace, Le rabot, Hier et aujourd’hui. Ce sont des histoires rimées, très allègres, et qui font un portrait féroce du régime soviétique — des chefs d’œuvre qui assurent le passage des nursery rhymes (une autre de mes marottes) et de la poésie pour enfants écrite (et magnifiquement illustrée par le complice de Marchak, Vladimir Lébédev).
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Un
Un livre magnifique mais épuisé (à moins d’être acheté à prix d’or chez des libraires d’ancien).
Un Un livre *
MANI LEIB
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Juif ukrainien, Mani Leib (1883-1953) a émigré en 1905 aux États-Unis pour fuir les pogroms. Cordonnier le jour, poète la nuit, il a continué d’écrire en yiddish. C’est sous le titre de Yingl Tsingl Khvat qu’en 1914 il publie un conte virevoltant où la légèreté des strophes (des quatrains de vers de sept syllabes), le ton allègre et l’optimisme ne donnent que plus de gravité à la fable.
Le héros du conte, Yingl (le gamin), Tsingl (à la langue bien pendue) Khvat (dégourdi) échappe au village plongé dans la boue : il n’a peur de rien, il se joue du sort et lorsqu’on lui propose un cheval ou un anneau magique, tant qu’à faire, il choisit les deux. Quand tout le monde reste à se plaindre et attendre la neige, il s’amuse, il jubile et c’est lui qui fera neiger… Fable ou parabole prophétique, le livre a connu un succès immédiat, qui lui a valu d’être illustré en 1919 par le peintre d’avant-garde El Lissitsky (1890-1941), collaborateur de Chagall puis de Malevitch.
La rigueur anguleuse de la typographie hébraïque et le noir profond des gravures donnent au conte une gravité rayonnante qui n’en rend l’alacrité que plus vive.
Plutôt que de remplacer le texte yiddish par un texte français en respectant (ou en respectant pas) la calligraphie, l’éditeur a pris le parti de conserver la page originale telle quelle et de placer à droite la traduction, avec des lettrines calligraphiées, le livre se lisant de droite à gauche, comme l’hébreu — magnifique manière de faire entrer le lecteur dans un monde mystérieux à découvrir pas à pas. Le même respect a été apporté au choix du papier, aux teintes de la couverture (il faut ici remercier Caroline Drouault qui a mené ce travail pour les éditions du Sorbier).
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Il n’était bien sûr pas possible de traduire ce conte en prose ou en vers libres selon la tradition habituelle en France. Odile Belkeddar, qui a découvert ce classique de la littérature yiddish pour enfants, m’a remis une traduction commentée et un enregistrement d’Henri Lewi, ce qui m’a permis de transposer le texte, le plus difficile étant de trouver un équivalent pour Yingl Tsingl khvat. Le nom du héros revient dans la poème comme un leit-motiv, souvent à la rime, et avec des jeux de mots aussi fins, rapides et plaisants que le nom lui-même : il ne m’est pas venu un seul instant à l’esprit d’adopter la solution du traducteur anglais et du traducteur russe, à savoir de garder le nom tel quel… Il fallait quelque chose de rapide qui fasse image tout de suite, qu’on ait plaisir à dire et qui rebondisse à l’intérieur. Soudain, je me suis souvenue d’un personnage de conte, Filourdi. Yingl est devenu Filourdi et Tsingl le dégourdi — la langue bien pendue a disparu mais le dégourdi est supposé avoir la langue aussi agile que l’esprit. Et comme je me suis déjà expliquée là-dessus, je ne m’appesantis pas.
Le livre est paru en 2008 et je n’en ai plus entendu parler mais je me suis rendue compte en écrivant cette note qu’il avait fait l’objet de quelques articles élogieux et se trouvait dans un nombre étonnant de bibliothèques.
J’ai noté que cette année-là, le pays invité pour le Salon du Livre était Israël et que des auteurs avaient protesté car seuls les livres en hébreu avaient droit de cité — le seul livre traduit du yiddish, c’était… eh mais oui, Filourdi !
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À suivre…
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