Réécriture de l’histoire : la « déportation » de Polig Monjarret

 

Lorsque le conseil municipal de Guingamp s’est prononcé contre l’attribution du nom de Monjarret à une rue, il s’est trouvé une historienne locale (et, par ailleurs, élue autonomiste, ce qui n’était pas précisé par les journalistes) pour proclamer dans la presse que « non seulement il n’a pas collaboré mais il a été poursuivi par la Gestapo, arrêté et envoyé en Allemagne ».

C’est aussi ce qu’on peut lire sur Wikipédia (l’article Monjarret ne faisant que reprendre les allégations des historiens nationalistes chargés de le réhabiliter).

 En effet, Monjarret a réussi — non sans cynisme, car la vérité était bien connue de tout le mouvement breton, et notamment de ses amis enrôlés sous uniforme SS au Bezen Perrot — à se faire passer pour déporté. C’était l’une de ces bonnes vieilles plaisanteries qui soudent une secte : de l’art d’abuser le pékin.

Après sa mort, il s’est trouvé des historiens nationalistes pour relayer sa version des faits et lui donner statut de vérité officielle. Ainsi s’est créée en 2004, sous la présidence de Jean-Yves Le Drian, une Société des amis de Polig Monjarret : une statue a été érigée à Lorient, et les hommages ont commencé à se multiplier.

Pourquoi est-il si important de faire de la pseudo-déportation de Monjarret un passage obligé de sa biographie ? Parce qu’il est nécessaire lui donner une image de gauche. Or, le rôle qu’a joué Monjarret est essentiel : il a mis la musique bretonne au service du nationalisme breton, un nationalisme apparemment dilué dans le folklore mais qui obéit à l’un des fondamentaux de l’idéologie nationaliste bretonne, à savoir la croyance à la race celtique unissant des peuples frères. C’est sur cette base raciste, d’ailleurs revendiquée par Monjarret lui-même bien après-guerre, qu’a été créé le Festival interceltique.

Il s’agit, grâce à la réécriture de l’histoire, de rendre ce passé acceptable pour donner à cette idéologie une vague couleur de gauche. C’est la raison pour laquelle le personnage occupe une telle place.

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I. ITINÉRAIRE D’UN JEUNE FASCISTE

C’est, bien sûr, aussi pour cette raison que le mouvement nationaliste a mobilisé ses historiens pour mettre au point une biographie édifiante.

L’historien autonomiste K. Hamon s’est chargé de faire de Monjarret un jeune scout, inoffensif collaborateur de L’Heure bretonne, engagé dans les brigades de combat du PNB, les Bagadou Stourm, et membre du PNB nazi, mais pas longtemps, arrêté par la Gestapo et mystérieusement envoyé en Allemagne avec sa femme peu avant la Libération puis, à son retour, recherché, jugé et acquitté. K. Hamon s’est servi, selon sa pratique habituelle, de pièces à décharge du procès Monjarret pour le blanchir[1].

Né en 1920, Monjarret était adulte au début de l’Occupation, et c’est en pleine connaissance de cause qu’il a occupé des fonctions officielles dans les organisations de jeunesse mises en place par Pétain. C’est en pleine connaissance de cause qu’il les a quittées en 1942 parce qu’elles n’étaient pas dignes des « jeunesses organisées, donc fortes, de pays comme l’Allemagne, l’Italie, le Roumanie, la Finlande », autrement dit du nazisme et du fascisme par lui donnés pour modèles (comme il l’a expliqué dans L’Heure bretonne, organe du PNB nazi, le 2 mai 1943).

Il a adhéré au PNB sur les conseils d’un autre Guingampais, Jean Guiomar, avec lequel il distribuait L’Heure bretonne (Guiomar et son frère firent partie des SS du Bezen Perrot, formation militaire créée sous la direction de Célestin Lainé, à compter de décembre 1943).

Il a fondé BAS (Bodadeg ar Sonerion) en mai 1943 lors du Congrès de l’Institut celtique de Bretagne (ICB) présidé par Roparz Hemon et qui rassemblait la fine fleur de la collaboration. L’article 2 des statuts de BAS stipule que « BAS n’accepte comme membres actifs que des Bretons de race. »

Après s’être battu en plusieurs occasions à la tête des Bagadou Stourm (Brigades de combat du PNB), en février 1944, Monjarret, recherché par la Résistance, part se cacher dans le Morbihan chez son ami l’autonomiste Isidore, dit Dorig, Le Voyer. Lors de son procès, Le Voyer avouera : « Lorsque je me présentais à la poste de Ploërmel, je demandais : “Priorité allemande” pour communiquer avec Rennes-Bretagne » (Rennes-Bretagne était la station de radio dirigée par Roparz Hemon, agent de la Gestapo SR 780).

Loin d’être clandestins, Monjarret et Le Voyer participent en juin 44 aux fêtes organisées par le cercle celtique de Vannes, connu pour être une officine du PNB le plus extrémiste. Il s’agissait de fêtes officielles soutenues par les services de propagande allemands. Monjarret et Le Voyer y présidaient à l’Hôtel de Ville l’assemblée générale de BAS qui avait lieu en présence de Yann Fouéré (agent de la Gestapo SR 715).

En juillet, Monjarret et Le Voyer épousent deux sœurs, la troisième épousant Paul Perrin, membre du Bezen Perrot. Comme l’indique l’historien Sébastien Carney (confirmant le rapport des RG à ce propos) Monjarret et Le Voyer arrangent leur « arrestation avec le SD de Saint-Brieuc pour échapper à la Résistance » (Breiz Atao, p. 531) Au retour du repas de mariage, des Allemands viennent les chercher pour les conduire à Rennes où Péresse, l’un des chefs du Bezen, vient en personne les inviter à s’enrôler au Bezen. Vu les circonstances, la prudence est de mise : ils refusent et, d’après Monjarret, les policiers allemands leur remettent un formulaire qu’il assure avoir signé sans le lire, pensant que c’était un « contrat d’embauche ». À les en croire, Le Voyer et Monjarret retrouvent dans le train pour Innsbruck leurs jeunes femmes, qui, elles aussi, ont  signé un « formulaire d’engagement en allemand » sans chercher à savoir à quoi elles s’engageaient (diront-elles lors de leur procès). En réalité, tous prennent place dans un convoi où ils retrouvent un autre membre du PNB, agent de la Gestapo et trafiquant de marché noir qui s’enfuit, lui aussi, avec sa compagne, laquelle évoque le voyage jusqu’à Tours :

« Le 13 juillet, à ce que je crois, [Arthur Coquemont] et moi avons pris place dans un convoi ferroviaire en direction de Paris. Le convoi comprenait principalement des wagons de marchandise chargés de bestiaux et deux ou trois wagons de voyageurs dans lesquels se trouvaient surtout des femmes de mœurs légères qui partaient volontairement pour l’Allemagne. […] Arrivés à Thouars après deux ou trois jours de voyage, [Arthur Coquemont] me dit que la voie avait été bombardée et que le train ne pouvait aller plus loin. Nous descendîmes donc et nous prîmes le car pour nous rendre à Tours. »

En Autriche, tout se passe très bien : Monjarret, qui était menuisier, devient photographe, sa femme aussi, et Le Voyer qui était luthier se met à faire des vitraux… Le pays est bombardé, s’ensuivent quelques tribulations. Arthur Coquemont et sa compagne, Blandine Thomas, viennent rejoindre Monjarret à Innsbruck. Coquemont est affecté à la poste et Blandine Thomas à « un service photographique chargé de la reproduction de plans, chez M. Zottl ». Plus tard, ayant été licencié, Monjarret fait appel aux services de Coquemont pour « se faire embaucher comme opérateur de cinéma » ! Il vient pourtant (à en croire Y. Mervin, qui rapporte l’épisode) de le dénoncer comme agent de la Gestapo et délateur. Coquemont, «  ravi de la démarche, lui promet de faire le nécessaire » et, une semaine après, Monjarret « se voit proposer un poste d’opérateur de cinéma près de la frontière suisse à Dornbirn dans le Voralberg ».  Comme il ne connaît « pratiquement rien du métier d’opérateur », il n’est pas embauché en dépit des bons services de son ami gestapiste (Viens rejoindre notre armée, p. 454) mais les deux beaux-frères et leurs épouses ne tardent pas à rejoindre le Bezen Perrot à Tübingen…

Au terme de deux mois passés avec le Bezen, Polig « assiste en particulier à la cérémonie de remise des médailles du 5 mars 1945 au cours de laquelle Célestin Lainé prononce un discours ». Ce discours est connu, Sébastien Carney le cite longuement. Lainé, qui se félicite de faire partie de la glorieuse armée allemande, déclare : « Je suis particulièrement heureux de pouvoir remercier aujourd’hui notre chef et camarade Unterstumführer W. pour les médailles des blessés qu’il vient de conférer à deux d’entre vous… Nous avons touché l’uniforme allemand sans additions ni corrections… Nous avons toujours été traités en soldats… »

S. Carney précise : « Il semble que c’est à l’occasion de cette cérémonie que Lainé annonça à ses hommes qu’il espérait pour la Bretagne un statut de protectorat allemand du style de la Bohème-Moravie. Polig Monjarret, qui vécut deux mois avec l’Unité, après avoir arrangé son arrestation avec le SD de Saint-Brieuc pour échapper à la Résistance, a témoigné de la stupéfaction des auditeurs. » En effet, comme ses amis du Bezen, Monjarret s’étonne : quoi, seulement un statut de protectorat ? Nous combattions pour l’autonomie de la Bretagne dans le cadre du Reich, au nom de la « race bretonne », et certains auraient pu se satisfaire d’un statut de protectorat ? Au moment où les jours de l’Allemagne nazie sont comptés, Monjarret et les siens s’indignent encore du sort subalterne prévu pour leur nation, la nation bretonne, par celui qu’ils considéraient comme leur chef.

Et c’est, ne l’oublions pas, dans une lettre à son ami Mordrel, un autre des chefs du mouvement nationaliste breton, alors en fuite en Argentine suite à sa condamnation à mort par contumace, que Monjarret rapporte cet épisode. Il écrit en juillet 1955, alors qu’il a poursuivi ses activités sous alibi culturel, ayant fondé le festival des cornemuses, tout en s’apprêtant à retrouver son ami Fouéré à la tête du MOB, premier parti nationaliste breton de l’après-guerre. Il publie d’ailleurs Mordrel dans sa revue Ar Soner.

Se faire passer pour déporté lui a permis de s’assurer le soutien de résistants, qui l’ont aidé à relancer son association de sonneurs, Bodadeg Ar Sonerion, toujours en activité ; c’est aussi ce qui, à son retour, lui a permis d’abuser les juges — sans doute peu enclins à tenter d’en savoir plus long, nous pourrons peut-être mieux comprendre pourquoi en lisant une lettre de Monjarret conservée aux archives départementales des Côtes d’Armor.

Monjarret lettre

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II. DU NATIONAL-SOCIALISME AU SOCIALISME

Le 5 août 1945, Monjarret, qui se trouve alors incarcéré à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc, écrit au préfet. C’était une méthode manifestement conseillée par les avocats (j’ai pu constater qu’elle était employée par bon nombre d’inculpés catholiques et bourgeois, soucieux de circonvenir les autorités). Rédigée sur le ton de la confession, comme on s’adresse à un bon prêtre capable de comprendre quelques menus égarements et de pardonner au nom de l’indulgence due à la jeunesse, la lettre est, bien sûr, un tissu de mensonges. Mais pas n’importe lesquels.

Comme à lire les lettres d’un autre bon catholique et collaborateur fanatique, l’adjudant Flambard qui sévissait aussi à Guingamp (j’en ai publié un extrait dans Miliciens contre maquisards), on perçoit ce qui donne son aplomb à l’auteur de la lettre, à savoir l’appel à ce qu’il faut bien appeler la solidarité de classe : catholicisme, référence à la vertu, soumission, scoutisme, promesses de bonne conduite, et, en la moindre phrase, inspirant l’ensemble, cette ineffable complicité de l’entre-nous, ce parfum discret de la bourgeoisie.

Monjarret commence par faire état de ses relations.

« Monsieur le Préfet,

 Mon nom ne doit pas vous être totalement inconnu. Je suis le gendre de Monsieur Jean-Marie Le Foll, notaire… Je crois aussi savoir que Monsieur le docteur Gustave Brient vous a déjà entretenu de mon affaire… »

Passage obligé de toutes les lettres (mais la prose de certains marque tout de même une sorte de réserve), il fait appel aux bons sentiments de son lecteur :

« Si j’étais seul, monsieur le Préfet, je n’aurais pas tenté moi-même, de mon côté, démarche semblable, mais ma femme pleure, ma belle-mère, Madame Le Foll, a failli succomber par deux fois à une crise cardiaque et moi-même je désespère de pouvoir me guérir un jour de la maladie d’estomac contractée en Allemagne. »

Un garçon capable de demander au préfet de le tirer de prison pour ménager le cœur de sa belle-mère mérite assurément d’être traité avec délicatesse, d’autant qu’il ne mentionne qu’en dernier lieu sa maladie d’estomac, effet néfaste de son séjour en Allemagne — sans préciser toutefois que la cantine de l’armée allemande n’était pas à la hauteur de ses attentes.

Enfin, ce à quoi ne s’abaissent que de rares correspondants, il ne craint pas de s’adresser au préfet comme à un confesseur et, tout en lui demandant d’intervenir pour lui, de rappeler qu’il a la réputation d’être juste (l’oreille du fourbe point néanmoins sous le lapsus : juste mais intègre) :

« Permettez-moi de vous conter brièvement ma triste histoire. Vous avez la réputation d’un homme juste et bon, mais intègre… Vous tirerez les conclusions vous-même et jugerez si je n’ai pas suffisamment souffert jusqu’à ce jour. »

Suit une accumulation de mensonges au terme desquels Monjarret, qui, trois mois jour pour jour auparavant, écoutait le glorieux discours de Lainé et le trouvait trop mou en regard de son rêve d’indépendance de la nation bretonne, écrit :

« Monsieur le Préfet, je vous en donne ma parole d’Éclaireur de France, je n’ai jamais été séparatiste ni autonomiste. Je n’ai pas été élevé dans un tel milieu, et mon père même m’avait mis à la porte de chez lui au moment de mon activité P.N.B. »

En effet, il vient d’une famille qui compte des résistants, et il n’hésite pas à s’en servir…

« Lorsque j’avais reçu une deuxième convocation pour le STO, j’ai du (sic) partir me cacher plusieurs mois chez mon beau-frère à Ploermel. J’étais donc réfractaire ah ! comme j’ai regretté depuis de n’avoir pas pris partie dans un maquis. Mais étant pacifiste je ne me sentais pas capable de tenir une arme. »

Pacifiste, lui qui combattait en tête des Bagadou Stourm, brigades de combat du PNB, et qui accompagnait les SS bretons dans leur ultime combat ! Réfractaire au STO, lui qui s’était réfugié chez son beau-frère Le Voyer pour échapper, non au STO puisqu’il en avait été dispensé, comme tous les militants du PNB, mais à la Résistance… Un rapport des Renseignements généraux est parfaitement clair à ce sujet, et figure dans le dossier, mais les magistrats n’en tiendront pas compte et les mensonges impudents de Monjarret, reprises par les historiens nationalistes, passeront jusqu’à nos jours pour vérité.

Son argumentation tient en cinq points :

— Il n’est, en somme, qu’un bon petit scout, qui a fondé un groupe de scouts « spécialisés dans le folklore régional ».

— En 1940, il s’est « consacré uniquement à la jeunesse » et, en septembre 42, après avoir donné sa démission de chef de la Délégation régionale du Secrétariat général à la Jeunesse, a fait du « scoutisme clandestin » « derrière les cercles celtiques de Lannion ». « La Gestapo eut vent de l’affaire et c’est sur l’intervention de M. de Quélen que j’ai évité le pire. Par reconnaissance et aussi dans l’espoir de ne pas être touché par le STO… j’ai adhéré au P.N.B. en novembre 42 (j’ai milité le moins possible). » Échapper en 1942 au STO (qui fut instauré en février 43) est un exploit que l’on peut dire prémonitoire.

— « J’ai donné ma démission le 1er août 1943… Depuis cette date, je ne me suis pas occupé de politique, d’aucune sorte. Je me suis entièrement consacré à Bodadeg ar Sonerion, la société de Biniouistes, fondée par moi. » Mais BAS était conçue comme une formation politique, et L’Heure bretonne permet de suivre les activités de Monjarret et le Voyer bien après août 43.

— « À la suite d’un discours prononcé par moi le 4 juin à Vannes, où je prenais ouvertement parti (sic) contre toute idée politique bretonne… j’ai été l’objet de recherches de la part de la Gestapo. Prévenu à temps, je me suis caché pendant un mois dans le grenier chez Madame Le Foll. Le lendemain de mon mariage, la Gestapo est venue m’arrêter. Je suis absolument certain que les Breiz Atao ne sont pas étrangers à cette arrestation. » Il est certain que « les Breiz Atao » (autrement dit les nationalistes bretons, dont lui-même) n’étaient pas étrangers à son départ pour l’Allemagne puisqu’il l’avait organisé avec ce qu’il appelle la Gestapo — mais il se garde bien de préciser qu’il est parti en famille, et dans quel but.

— Suit le couplet attendu sur les souffrances subies par les pauvres déportés : « Mon interrogatoire assez douloureux à la Gestapo de Rennes en est une preuve pour moi. Vous imaginez sans peine les souffrances endurées pendant 10 mois en Allemagne, et notre joie le jour de l’arrivée des troupes Françaises. » Françaises avec majuscule à l’adjectif pour marquer la grandeur de la France — que Monjarret avait combattue jusqu’alors au nom de la nation bretonne.

Reste la plus belle partie de la lettre :

« Le jour de mon arrivée à Paris, de retour de l’enfer Boche, j’ai promis à ma femme de suivre les traces de son père et d’embrasser l’Idéal Socialiste pour lequel il a combattu toute sa vie. Je comptais ainsi prouver à ma femme toute l’admiration posthume que j’ai pour mon beau-père, et toute l’affection qu’il était en droit d’attendre d’un gendre. Ma femme me disait encore mercredi au parloir : “Si papa était là, il y a longtemps que cette injustice aurait pris fin.” »

Si le beau-père avait été de ce monde, il aurait su intervenir, mieux encore que le bon docteur Briend, mais tout n’est pas perdu, il suffit d’oser :

« Hélas, monsieur le Préfet, je n’ai pas eu le temps de me documenter et de prendre rang sous la bannière de ceux qui combattent pour une plus grande justice, une plus grande égalité, pour un plus grand bien-être en ce monde. C’est à vous que je demande cette grâce, cette autorisation.

Permettez-moi, au moins de jouir de la liberté provisoire en attendant la cour civique, puisque mon avocat m’assure que j’évite la Cour de Justice.

Avec mes remerciements anticipés, je vous prie d’agréer l’assurance de mon éternelle reconnaissance. ainsi que mes plus sincères sentiments socialistes. »

Monjarret a rajouté au dernier moment une phrase sur ses (bien sûr, très sincères) sentiments socialistes mais il a omis la majuscule en début de phrase. Cette ultime phrase raboutée a pourtant été cochée en marge et soulignée, probablement par le préfet, le mot « socialistes » étant souligné d’un épais trait bleu.

Plus tard, bien plus tard, dans une interview donnée à la revue ArMen soucieuse de bien établir sa renommée, et notamment sa renommée de résistant, réfractaire au STO, déporté en Allemagne, Monjarret avouera sans bien se rendre compte de ce que signifie un tel aveu : « Le préfet ne voulait pas me relâcher de peur qu’on me tue ».

Ainsi cette lettre du prétendu déporté a-t-elle atteint son but.

Elle contient une phrase que j’ai voulu garder pour la fin :

« Depuis plus d’un mois mon avocat me laisse espérer le non-lieu et la semaine dernière mon père m’a laissé entendre que je ne l’obtiendrais que le jour où le Front National me l’accordera. »

Depuis le mois de juin, le préfet est Henri Avril, succédant au sulfureux Gabriel Gamblin (avocat, peu auparavant défenseur de collaborateurs du PNB), et qui incarne bien, lui aussi, la Résistance bourgeoise, dorénavant surtout soucieuse de résister au PC et à la frange bouillonnante des FTP, issus de la paysannerie pauvre et du prolétariat, qu’a rassemblé le Front national. L’appel à la solidarité de classe, appuyé par un avocat, permet à Monjarret de bénéficier d’une indulgence appuyée sur le désir de prendre ses pieux mensonges pour parole d’évangile.

Reste que sa lettre continue de parler pour lui et de tracer le portrait de l’un de ces collaborateurs comme la France en a tant connus : veule, chafouin et lâche, arriviste et menteur, aussi dénué de scrupules que de remords. Passé du national-socialisme au socialisme en trois mois, il est tout prêt à poursuivre son combat sous habillage au goût du jour et à faire du biniou l’instrument de la revanche, au nom de la race bretonne et de la foi catholique.

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© Françoise Morvan

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[1] Il est d’ailleurs totalement stupéfiant de trouver au comité directeur de l’ANACR 35 — qui faisait partie des associations regroupées pour protester contre l’attribution du nom de Monjarret à un collège — K. Hamon, l’historien le plus engagé dans la réhabilitation de ce même Monjarret.