Vigile de décembre est le dernier livre de Sur Champ de sable. Le personnage sans nom et sans visage qui traverse les trois premiers livres revient une dernière fois en Bretagne pour, on le suppose, fermer à jamais sa maison d’enfance. Les fragments passent de l’Avent au Nouvel An : fin du cycle qui parcourt les quatre saisons de l’âge.
J’ai construit le spectacle à partir de fragments de ce livre (toujours inédit). Il s’agissait de clore l’ensemble que nous avons inauguré avec Annie Ebrel en ayant l’intention de construire un cycle calqué sur celui de Sur Champ de sable : les quatre saisons de la vie, les quatre temps, le rouge de l’enfance avec Incandescence et cette journée magique de l’Assomption ; la transparence brouillée de l’adolescence avec Avril et une journée de lessive par un jour de printemps froid ; le noir de l’âge adulte avec Toussaint ; la blancheur de la neige et de la vieillesse au moment de dire adieu à la maison et au village.
Peut-être pourrons-nous donner un jour ces quatre spectacles, avec, qui sait, l’introduction (Enfance) et la conclusion (Enchères). Nous avons déjà pu donner Enfance l’an passé… Après Incandescence, Avril et Vigile de décembre, il ne reste plus que Toussaint.
Pour Vigile de décembre comme pour les autres spectacles, je suis partie du répertoire chanté de haute Cornouaille (qui compte certaines merveilles comme « Le vieux merle » mais aussi des chants de quête, et j’ai même traduit et adapté un chant transmis par La Villemarqué qui l’avait lui-même adapté sous une forme longue et lourde). André Markowicz a dit et traduit un sublime poème de Pasternak sur Noël et Hélène Labarrière nous a accompagnés à la contrebasse, comme pour Incandescence et Avril.
À partir de l’enregistrement du spectacle donné à Rennes, Annie a composé un bref extrait du spectacle qui permet d’en avoir une petite idée mais encore faudrait-il pouvoir le mettre en ligne…
En tout cas, voici le premier texte, qui est aussi l’un des premiers du recueil.
Silenciaires
Ciel bleu d’après la neige et chambre silencieuse
Par un jour de décembre enseveli d’absence
On entrouvre l’armoire en retenant son souffle
À peine happée comme un serment furtif
L’odeur du linge blanc gardé là dans ses plis
Se diffuse en douceur de berce un peu laiteuse
Ombre de la mémoire ondée légère
Laissant flotter soudain sur un vertige de blancheur
L’ancienne odeur de cire et de lavande
Draps finement brodés conservés sans usage
Nappes frappées aux chiffres des mariés
Fleurs en relief qu’effleure un doigt fantôme
Échappés du missel aux images furtives
Les ors et les ciboires se déversent
Et flamboient un instant sur la poussière
Trésors éteints entre les taies serties d’ajours
Les gants de résille et les aumônières
Les rubans les soieries les robes de baptême
Menue fierté des draps si bien pliés
Des fleurs si bien brodées sur le lin dur
Espoir et joie des jours fugaces
La jeune fille au front penché sur son ouvrage
Avance au fil des journées silencieuses
Vers l’inconnu qui lui sera promis
Les minces jeunes gens des gravures grises
Portant espoirs d’offrandes délicates
S’inclinent sur des mains qui s’abandonnent
On porte aux bals du tulle et de la mousseline
Les robes à corsage incrusté de dentelles
Ont des plis bien cousus qui soulignent la taille
Élégance et souplesse élan de lévrier
Les longs messieurs en noir et qui ont fait la guerre
Supplient en liant leurs serments aux évangiles
Valse et mazurka glace au marasquin
Espoirs nonpareils des bals de province
Des immensités s’ouvrent sous le ciel
L’âme comme un coffret qui se referme
Après le sang brutal l’homme aux mains rudes
Aux lèvres gardant une odeur de vin
Le viol admis pour règle et les travaux du jour
La soumission portant sa joie diffuse
Aux serments de la vie si mal tenus
Un menu de baptême à lettres d’or
Une guimpe d’enfant brodée de roses
Des robes d’organdi à rubans miroitants
Le jour bleuâtre éclaire ces trésors discrets
Glissés dans une boîte de carton glacé
Sous les torchons raidis d’empois
Torchons de chanvre ourlés à points serrés
Montrant dans l’angle inscrits en rouge vif
Les chiffres des mariés brodés au point de croix
Legs d’un siècle de temps gardé intact
Semblable à soi délivrant sa sentence
Indemne et probe à travers la rumeur des âges.