On pourrait croire que c’est de la poésie mais non : ce sont juste des relevés de situation, aussi précis que possible mais d’une précision qui ne vise qu’à restituer la présence de moments isolés dans l’immensité du temps – des moments qui forment une trame trouée, avec ses zones de flou, ses liens qui s’effilochent et ses images qui reviennent, plus stables et plus lumineuses d’être portées par le cours d’un fleuve invisible.
Plutôt que de fabriquer des récits d’enfance et de les développer à partir d’un sujet ainsi mis en scène et facilement identifiable (ce à quoi appelait si facilement la poésie), en composant ce que Rousseau appelait une « charlatanerie de transitions », j’ai préféré partir de ces images qui se gravent dans la mémoire lorsqu’on est enfant et qui reviennent tout au long de la vie – un condensé de couleurs, d’odeurs et de bruits comme entouré d’une aura qui en révèle et en dissimule les contours. Le sens caché, qui a fait que ce précipité de mémoire est resté si durable, s’inscrit dans une perception du non-dit, de l’indicible, et c’est souvent ce non-dit parce qu’indicible qui fait que l’instant s’est gravé dans la mémoire – et tout donne l’impression d’être immergé dans le cours immense du temps. Le dieu caché est ce qui lève de ce fleuve et donne leur présence aux images… et ces images peuvent être celles de n’importe qui.
L’Assomption était naguère encore un moment qui condensait la force des images puisque chacun l’attendait comme le sommet de l’année, placé sous le signe du feu : le brasier lancé dans la nuit depuis le haut de la plus haute colline était plus qu’un feu et la fête foraine miroitant dans les rues du bourg, en bas, autour de l’église et de sa fontaine, en était le reflet. Après ce qui pouvait bien passer pour une assomption appelée à révéler la réalité, tout descendait vers l’automne, et la déchéance du temps menant vers le départ, la rentrée, l’école et les prisons diverses, prenait une force d’autant plus violente que toute imprégnée du sentiment de l’irrémédiable – un sentiment plus angoissant encore en ces derniers étés d’enfance où tout semblait au bord de se déchirer.
Il ne reste à peu près plus rien de ce monde et il est étrange qu’Assomption paraisse au moment où nous pouvons le voir disparaître… C’est d’ailleurs pour en avoir pris conscience, après la représentation du spectacle écrit pour l’Assomption à partir de ces textes, que j’ai commencé à penser les publier avant qu’ils ne disparaissent, eux aussi.
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On trouvera un article à ce propos sur Poezibao
et une magnifique note de lecture d’Hugues Robert spécialement consacrée à Assomption.