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B rumaire est le livre le plus sombre de Sur champ de sable, et, présentant le spectacle qui a été donné à partir de ces textes le 1erseptembre 2019, j’ai pu dire, au risque de décourager par avance tous ceux qui comptaient y assister, qu’il s’agissait d’un spectacle sur la mort, donné dans un cimetière et, au total, intégralement lugubre.
C’est vrai aussi pour le livre puisqu’il évoque le retour pour la Toussaint d’une personne solitaire qui retrouve les personnages de son enfance dans les tombes du cimetière, y compris le compagnon de jeux, les ami et la grand-mère dont le fantôme passe sans fin dans la maison d’enfance.
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« La chambre empoussiérée de soleil gris
Le lit comme une épave et le fauteuil de paille
C’est peu de possession et pour finir
Plus de torpeur que de souffrance
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L’estampe usée défie le voyageur à son retour
Tes yeux sont roux tes façons te dénoncent
Et jusqu’au geste avec lequel tu prends le cadre
En le faisant glisser sur ses profondeurs vides
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Où la buée de ton haleine éteint le verre
Le renard veille un feu d’ombres chinoises
Un peu de cendre au fond du coffret sombre
S’incruste en trace maigre et l’or s’écaille
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Tu n’es plus toi et plus rien n’est de toi
Chercher ici ton souffle ou vouloir remonter
Jusqu’au soupir de ta naissance est sacrilège
Et tu ne sais qu’assembler des fétiches
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Mais rien à faire il faut vouloir revivre
Où rien ne veut de toi et te repousse
Chassé à tout instant par la mémoire
Et la brutalité du bourg aux lourdeurs sourdes
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Insoucieux de l’outrage un dieu d’argent
Maintient le souvenir d’anciens présages
L’Imitation de Jésus-Christ à dos de cuir
Le vieil Horace et le recueil de poésie baroque
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Tous ces doux outils de couture et les chansons
Les objets de légende où passe un peu d’espoir
Les voix les souffles les façons de fuir
La forêt noire et le bois de la nuit
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Des pas qui ont marqué les parquets d’encaustique
Pourraient craquer encore au bord des escaliers
Et les paliers gardés par les lourds rideaux mauves
Pourraient comme autrefois s’ouvrir sur les voleurs
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Happant d’une main lente un ruban de fumée
Les grands voleurs venus du fond profond de l’Arabie
Pour vous montrer sans bruit la voie de l’ombre
Et la façon discrète d’affronter la peur
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Mais ils se sont enfuis fondus dans la poussière
Avec les jeux les sorts les espoirs de révolution
Et si l’on sent parfois leur souffle dans le cou
C’est que la lucarne est ouverte
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La pluie trébuche aux carreaux poussiéreux
Tu peux revoir les encres de l’estampe
Toucher les murs et chercher tes vestiges
Tout a passé comme un reflet sur l’eau. »
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C’est vrai aussi parce que la traversée du bourg et la descente dans les villages alentour sont l’occasion de découvrir des campagnes ravagées, un monde qui se referme sur sa violence et sa misère.
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« Friches où s’échevèlent des blancheurs de clématites
Jaunies comme le sont les cheveux des vieilles
Au retour du coiffeur qui crêpe mèche à mèche
Leurs cheveux desséchés par le feu des teintures
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Sous le crachin d’hiver l’herbe aux gueux s’accroche
Et s’enchevêtre au fil de fer qui rouille à la lisière
Exhibant ces cheveux de fées décrépites
Comme autant de trophées arrachés à la mort
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Tout n’a pas disparu tout n’est pas que vestige
Il reste ces haillons légers de blancheurs grises
Et les vieux morts pensifs hochant la tête
Face aux chemins perdus sous les ronciers
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Ici passait la femme en coiffe ici passait sa chèvre
Haillonneuse aussi dans sa blancheur grise
Et l’enfant qui courait pieds nus tenant sa longe
Et la vieillarde en velours noir et les vachers
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Ils n’ont laissé qu’un fouillis de broussaille
Des murs de suie des pierres qui s’effondrent
Un puits un four à pain pour trace de partage
Avant le grand enfer promis de la richesse
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Une odeur de fumée s’attache aux brumes
Pareille à la fumée venue du fond des pierres
Et pareille à ces voix que l’air disperse
Sur les rochers excoriés de lichens. »
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C’est vrai parce que le livre est placé sous le signe du noir et de l’enfermement dans la dépression – avec en arrière-fond la présence d’une religion noire, venue du passé (la silhouette du père Maunoir venu au XVIIe siècle évangéliser les Bretons par la terreur en est le symbole). Ces vestiges de croyances la confrontation de la culture paysanne avec un monde qui l’exploite pour mieux la détruire donnent l’impression d’un monde en train de disparaître et ce chaos des temps disjoints est le thème essentiel du livre.
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« Ce n’est pas que l’on soit chassé de soi comme un enfant par une voix parlant à sa place mais que la vie s’absente, et tombe une blancheur de brume à travers laquelle se discerne un soleil noir.
Au bas de la tourbière, passe la femme que l’on dit sorcière et la mince musicienne attend d’elle des chansons qu’elle note comme on vole un secret pour en faire à sa façon furtive une chose d’où s’est enfuie la liberté ; le prêtre à profil d’épervier se plaît à lire les grimoires rongés d’humidité trouvés au fond de la sacristie ; vieux souvenir du prêtre noir rôdant avec ses maléfices ; promesses de solitudes échangées, promesses éludées, trahisons d’où se lève la rage d’y survivre cependant que le vieux pays sauvage se retire. »
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…Mais, pour finir, ce n’est pas entièrement vrai car tout va vers un jour de Toussaint « qui commence par l’odeur du pain chaud dans le fenil, le feu bien pris qui troue la braise à l’abri sous la cendre et le bleu du ciel plus brillant que le bleu de l’été, bleu comme le sont les miniatures du Moyen-Âge, d’un bleu d’émail que les pommes d’orange rendent au conte». Le passage par ces images de mort est aussi une manière d’aller vers la lumière et vers une forme légère de détachement.
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« Fumées de fanes
Jour pensif
Soleil voilé sur les herbages
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Un renard enfouit sa fourrure
Dans le roux des fougères
Et fuit en feu léger
Enfin fiancé à sa puissance
Vers l’orée embuée de bleu
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Saison de chasse
Saison matoise
Avoir payé si cher pour le passage
Et rester là
Floué mais souriant
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Comme Ulysse au retour d’exil
S’il avait pu savoir son sort joué
Sa gloire offerte au sel et sa fortune
Enfuie en fumée de sélage
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Mais jouir de ne plus savoir feindre. »
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Une belle note de lecture d’Hugues Robert au sujet de Brumaire a été mise en ligne sur le site de la librairie Charybde
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