L’horreur identitaire est plus que jamais à l’œuvre en Bretagne.
À Garzonval, depuis près de 70 ans la population d’un village, toutes tendances politiques confondues, se rassemble autour d’un hommage aux jeunes résistants assassinés le 16 juillet 1944 par les miliciens du Bezen Perrot, nationalistes bretons sous uniforme SS, auxiliaires des nazis.
C’est autour de cet épisode que s’est construite l’enquête que j’ai menée aux archives et que j’ai publiée sous le titre Miliciens contre maquisards (une enquête que j’ai menée, à l’origine, simplement car mon père avait échappé à la rafle qui devait amener à l’assassinat de ces résistants).
À partir d’une photo volée sur un site qui évoquait cette cérémonie, Breiz Atao a produit un specimen de prose nationaliste caractéristique. Si c’est la vulgarité haineuse du ton qui frappe dans un premier temps (car on est, malgré tout, en Bretagne, encore habitué au respect dû aux morts), elle résulte, on le voit ici, du fait que les valeurs nationalistes sont l’expression des valeurs petites-bourgeoises les plus vulgaires : seul l’appât du gain peut animer un auteur, seul le lucre fait foi et l’âge détermine la valeur de la cause — le tout au nom d’une petite propriété ethnique à garder névrotiquement propre, comme la ménagère garde son petit chez-soi.
Le côté grotesque de la chose n’a pourtant rien de drôle : le responsable du site Breiz Atao vient d’être lourdement condamné pour ses propos racistes et se trouve sous le coup d’une triple assignation pour « apologie de crimes contre l’humanité, provocation à la haine raciale et contestation de crimes contre l’humanité » sur dossier de la section de Rennes de la Ligue des Droits de l’Homme.
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Dans le même registre, le même site fait la promotion d’un essai intitulé Joli mois de mai 1944, la face cachée de la Résistance en Bretagne. Son auteur, un nommé Mervin, acharné à dénoncer la Résistance pour absoudre les nationalistes collaborateurs des nazis (notamment l’abbé Perrot), s’est déjà signalé par la publication d’un essai scandaleux intitulé Arthur et David (diffusé, lui aussi, par la Coop Breizh).
Le confusionnisme pratiqué avec constance par le mouvement nationaliste breton s’appuie ici sur une méthode drastique de réécriture de l’histoire : les faits qui dérangent sont falsifiés ou occultés de telle sorte que seules les personnes qui en ont une connaissance précise soient à même de les rectifier — mais à quoi bon les rectifier puisque tout se perd dans un fatras de faits orientés ?
Un exemple de fait falsifié : Marcel Menou, le menuisier dont je donne le témoignage dans Miliciens contre maquisards, explique que Guillaume Le Bris n’était pas enfermé dans la cave du notaire de Bourbriac comme les autres prisonniers mais allait et venait librement dans la journée. Version Mervin : Marcel Menou atteste que Guillaume Le Bris est resté du 11 au 16 dans la cave — manière chafouine de lui faire dire exactement le contraire de ce qu’il a dit…
Un exemple de fait occulté : la dernière action de la « compagnie Tito », à savoir l’attaque à main armée du marchand de tissus de Bourbriac, est passée à la trappe.
En effet, la thèse du livre, à savoir que les gaullistes étaient des incapables et les résistants communistes des malfrats, souffre une exception : un bon résistant, Georges Ollitrault, membre puis chef de la « compagnie Tito », montre ce qu’il fallait faire et expose tout au long du livre sa version des faits — version forcément tendancieuse puisque orientée par le souci d’héroïser ou de légitimer les actions de la « compagnie Tito » (dont j’ai dû montrer les conséquences désastreuses et rappeler que la Gestapo de Saint-Brieuc y avait des « indicateurs à sa solde » (Milciens contre maquisards, réédition, p. 399).
L’épilogue du livre en résume la teneur : Georges Ollitrault et le milicien Miniou du Bezen Perrot, dont j’évoque le rôle dans Miliciens cotnre maquisards, se retrouvent chez l’auteur et se congratulent en raison de leur « capacité de s’engager pour une cause ». Quelle cause ? Quelle importance ? « Les deux anciens promettent de se revoir ». Le résistant serre la main du SS (que Mervin ne nomme pas mais désigne, en grand héros secret, sous un nom de code, BP3.).
Un livre dangereux car des personnes qui, de bonne foi, s’intéressent à la Résistance peuvent se laisser abuser.
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Suite à la publication de ce texte, Boris Le Lay devait se déchaîner à nouveau et avec une recrudescence de violence, avant d’être condamné à huit mois de prison avec sursis et 5000 euros d’amende pour « apologie de crimes contre l’humanité, provocation à la haine raciale et contestation de crimes contre l’humanité » (cette condamnation s’ajoutant aux condamnations pour lors prononcées par le tribunal de Quimper et qui devaient être confirmées à Rennes).
La cérémonie du souvenir à Garzonval est une manière de résister encore…