Mervin : retour en pire

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Lire Mervin quand je devrais être en train de rédiger l’essai sur Tchekhov que m’ont demandé les éditions Actes Sud relève de la pure abnégation — abnégation d’autant plus grande que la dernière production mervinesque est encore pire que les précédentes. La méthode est toujours la même : fouiller, farfouiller, trifouiller, exploiter les archives de manière à salir la Résistance et sauver la mise des bons nationalistes bretons combattant aux côtés des nazis pour sauver leur patrie, je veux dire leur vraie patrie d’après Mervin, à savoir la Bretagne de race celte opprimée par la France républicaine.

Tout est bon pour servir la cause, et cet indépendantiste, fondateur du Cercle Pierre Landais, en relation avec l’Institut de Locarn, produit l’histoire dont la Bretagne voulue par le lobby breton a besoin : haine de la Révolution française, haine de la République, haine du communisme et du gaullisme, haine de la Résistance qui, d’après Mervin, a fait plus de mal à la Bretagne que les Allemands.

Mervin n’est pas historien, il est, d’après ce qu’il indique, ingénieur dans le domaine de la défense. Néanmoins, il l’expose dans sa préface, les chercheurs qui ont travaillé avant lui sur le sujet — le Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, Bougeard, Hamon, Frélaut, Fréville, moi-même qui ai d’ailleurs droit à une place d’honneur puisqu’il reproduit à la fin de son volume le fac similé d’une ridicule page de son site intitulée « Le cas Françoise »  —, bref, tous se sont tous égarés, en dehors de quelques nationalistes comme Fournis et Monnier, Mordrel et Caerléon, mais qui, bien sûr, attendaient que justice soit pleinement rendue aux militants engagés dans le « combat breton » sous l’Occupation. Enfin, survint Mervin et la vérité fut.

Il a eu accès à toutes les archives, notamment les archives militaires du Blanc, dont l’accès est refusé à tant de chercheurs, et lorsqu’il n’a pas eu l’autorisation de consulter les archives, ça ne fait rien, il les cite quand même en se moquant ouvertement de l’État. Ainsi pour le dossier de l’affaire Alice Le Guillou se vante-t-il de s’être heurté au refus de la CADA, ce qui ne l’empêche pas de citer abondamment… le dossier de l’affaire Alice Le Guillou, avec pour référence « archives publiques » (Joli mois de mai, p. 242-3).

Pourquoi s’est-il lancé dans cette recherche à laquelle il consacre tant d’heures qui seraient certainement mieux employées ailleurs ? C’est qu’il sert, ce faisant, l’indépendance de la Bretagne qu’il appelle de ses vœux (sur son site, on peut voir qu’il a déjà commencé à répartir les ministères). Tel le grand inquisiteur, il gratte, fouille, mène enquête et traque le péché, la faute ultime étant, bien sûr, la Résistance en soi, inutile et nuisible, puisque acquise au bolchevisme et à la France laïque.

S’étant assuré le concours d’un FTP qui lui sert de faire-valoir, il a pris soin de lui faire rencontrer un Waffen SS du Bezen Perrot pour une cérémonie œcuménique prouvant que, tout étant bon dans le Breton, le SS Miniou et le FTP Ollitrault peuvent se congratuler allègrement. Telle était la conclusion de son dernier essai, intitulé Joli moi de mai 1944 — pourquoi le mois de mai quand les mois suivants ont été plus dramatiques encore, inutile de chercher : Mervin a l’art du titre goguenardement racoleur. Si je consacre mon dimanche à ce Viens rejoindre notre armée ! autoédité et diffusé par la Coop Breizh et l’IDBE, autrement dit la fondation Fouéré (car ce fasciste a sa fondation), c’est pour éviter aux lecteurs de perdre leur temps à se plonger dans cette lecture rebutante.

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I. UN FATRAS ORIENTÉ ET DESTINÉ À ÉGARER

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Mervin dédie son livre à son oncle Gérard qui, appelé en Kabylie, déclara qu’il (je cite) « n’était pas venu pour çà ». Une faute d’orthographe dès la première phrase… ce n’est qu’un début. L’orthographe et le style sont aussi négligés que la démonstration, totalement impossible à suivre, je le précise, car les épisodes de la Résistance évoqués à partir de pièces d’archives citées de manière tendancieuse, sont accumulés de manière à mélanger histoire des réseaux et des maquis, actions des SS du Bezen Perrot, parachutages, exactions de miliciens, le tout destiné à montrer qu’il faut savoir en prendre et en laisser et qu’en fin de compte les nazis étaient bien obligés de réagir face aux actions incontrôlées des stupides résistants.

Par exemple, les membres de la Milice qui ont assassiné Hélène et Victor Basch n’étaient pas foncièrement mauvais : « Sans les agressions dont elle a été victime, cette Milice en serait-elle venue à commettre ces crimes ? ». D’après Mervin, bien sûr que non : ce qu’il faut dénoncer, plus que ces pauvres miliciens inutilement harcelés, ce sont « les agressions d’inspiration gaulliste et celles organisées par les communistes » (p. 473). Au lieu de « mettre en exergue des victimes emblématiques » comme Jean Zay, Georges Mandel et les époux Basch, il faut cesser de minimiser les souffrances de la Milice. D’ailleurs, la Milice qui n’a compté que « quelques milliers d’hommes » « pouvait difficilement représenter un danger » et il aurait suffi à de Gaulle de la « coopter » pour qu’elle participe utilement à la Libération : de Gaulle a commis encore une « erreur d’appréciation » en n’enrôlant pas la Milice (p. 474).

Face aux gaullistes qui étaient des usurpateurs car le gouvernement légal était celui de Vichy, tout prêt à travailler avec les alliés (vieille lune de l’historiographie d’extrême droite) et face aux communistes qui, en fait, étaient responsables du triomphe du nazisme en raison du pacte germano-soviétique et auraient mieux fait de rester chez eux, les bons nationalistes bretons n’avaient, quant à eux, d’autre choix que de se mobiliser, voire de s’enrôler sous uniforme de Waffen SS, ce qui peut avoir l’air est un peu excessif, mais ne l’est pas trop car il faut comprendre à quel point ils souffraient de l’oppression de leur patrie par la France.

Ils ont, bien sûr, arrêté, dénoncé, torturé, assassiné, mais pas tellement, le moins possible, et juste parce qu’il fallait. C’est une règle : « Quand bien même le mouvement breton insurrectionnel préserve intrinsèquement les personnes, dans les circonstances de la guerre, des nationalistes commettent autant qu’ils en subissent des violences à l’égard de leurs compatriotes et exercent sur eux des sévices ». C’est comme ça : si le « mouvement breton insurrectionnel » prend le pouvoir en Bretagne, il faudra bien s’y faire, ceux qui tenteront de résister devront subir des sévices. Tortures et assassinats pratiqués par des Waffen SS : sévices appelés par les circonstances…

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II. MERVIN ET LA TORTURE

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Ce n’est assurément pas pour rien que la question de la torture occupe la fin de son livre : elle constitue l’aboutissement de sa démonstration. Pour donner son point de vue sur les actions des tortionnaires bretons du Bezen Perrot ou du groupe Vissault, actions qu’il ne peut pas totalement nier, Mervin s’y prend en quatre étapes :

—  Tout d’abord, une simple constatation pratique : la torture est efficace. « Indépendamment de questions éthiques ou morales (sic), la torture de résistants prisonniers s’est révélée d’une redoutable efficacité pour extirper les renseignements sur les organisations de résistance. » (p. 482). Ensuite, la manière d’extirper n’est pas forcément très violente : « Occasionnellement, la victime parle avant même d’avoir reçu un coup ». Ça facilite les choses. Hélas, « si la victime s’enferme dans le mutisme, elle peut susciter la rage du bourreau qui ne parvient pas à ses fins, jusqu’à une issue fatale ». La colère est mauvaise conseillère, mais si la victime ne s’était pas enfermée dans son mutisme, ça se serait mieux passé…

—  Ensuite et surtout, la torture était pratiquée durant la guerre d’Algérie, alors pourquoi la critiquer ? Ici commence l’équivalence avancée depuis la dédicace à l’oncle Marcel, à savoir l’assimilation de la torture à une pratique spécifiquement française, légitimée par le pouvoir et pratiquée impunément.

D’après Mervin, la Gestapo était bien plus humaine et ses méthodes étaient d’une indulgence qui n’a pas été assez louée : « Plus étonnant, contrairement aux pratiques de certaines unités françaises en Algérie, les tortionnaires allemands du SD se sont arrêtés assez souvent pour relâcher des personnes dont ils n’obtenaient pas de confidences prouvant leurs soupçons d’appartenance à la Résistance ». On imagine le tortionnaire attendant les douces confidences qui ne viennent pas et se décidant soudain, sur un coup de cœur, à relâcher comme un moineau le terroriste récalcitrant…

Hélas, pour illustrer son propos, Mervin se sert de l’exemple de Guillaume Le Bris : « Même par erreur, Guillaume Le Bris est relâché de la cave Souriman (sic) de Bourbriac et a pu ainsi témoigner. » C’était vraiment gentil de la part du SD, à en croire Mervin, et l’on devrait penser à lui être reconnaissant d’avoir permis à le Bris de témoigner. Mais Le Bris, comme je l’ai démontré lorsque j’ai écrit Miliciens contre maquisards, n’était pas enfermé dans la cave du notaire Sourimant. Il allait et venait librement dans la journée, et venait y dormir la nuit, jouant le rôle de « mouton » comme son ami Le Nénan, le chef de la compagnie Tito (que l’on retrouvera en train de se battre sous uniforme allemand, ce qui lui vaudra d’ailleurs d’être condamné à cinq ans de bagne par le Tribunal militaire de Paris)… L’exemple a été particulièrement mal choisi mais il a le mérite de mettre en lumière la manière dont Mervin écrit l’histoire : le « même par erreur » suffit à rendre la démonstration inepte et pourtant, l’essentiel demeure, à savoir le cynisme avec lequel un fait, falsifié ou non, est mis au service d’une minimisation des crimes nazis.

— Poursuivant sur sa lancée, Mervin nous explique qu’en fin de compte, ce que les tortionnaires de la Gestapo avaient de bien, c’est que, toujours au contraire de l’armée française, ils ne violaient pas. « Il ne semble pas que les Allemands aient violé des résistantes bretonnes lors des interrogatoires. Particulièrement torturées, Mireille Chrisostome ou Yvonne Jégaden paraissent au moins avoir été respectées dans leur féminité. »  On pourrait observer que les résistantes assassinées n’étaient pas là pour venir se plaindre d’atteintes indélicates à leur « féminité » mais Mervin place la chose sur le plan statistique : « Le viol des femmes n’a pas été une pratique systématique de la part des Allemands en Bretagne. » On vous le dit, ils étaient corrects.

­— La conclusion, si stupéfiante soit-elle, se déduit logiquement de ce qui précède : ce n’est pas aux SS allemands ou bretons de se justifier, mais aux résistants qui se sont engagés dans l’armée et ont combattu en Algérie de « préciser ce en quoi (sic) la qualité de Français autoriserait… la répression des insurrections nationales et les sévices sur des populations civiles, le recours à la torture et les exécutions sommaires. Et ce en quoi la qualité d’Allemand ou de Breton l’interdirait » (p. 486).

En résumé, tout bien pesé, on ne voit pas pourquoi on blâmerait les nationalistes bretons d’avoir agi aux côtés des nazis qui se comportaient plutôt bien, en tout cas mieux que les Français. CQFD.

Mervin, qui travaille pour l’armée française, omet de préciser que le général Aussaresse a été condamné pour avoir défendu la torture au motif que, écrivait-il, « les circonstances voulaient ça ». C’est un tribunal français qui a condamné ses propos.

Les explications de Mervin sur les « circonstances » qui rendent compréhensibles les tortures et assassinats des SS du Bezen Perrot en compagnie du SD présenté comme si correct sont rendues plus ignobles encore par les exergues du chapitre consacré à la rafle du 11 juillet 1944.

En effet, il place en tête de ce chapitre une citation du général Aussaresse indiquant que « les exécutions sommaires faisaient partie intégrante des tâches inévitables de maintien de l’ordre » (sans indiquer qu’Aussaresse a été condamné en justice pour ces propos) et il fait suivre cette phrase d’une citation de la mère d’Albert Torquéau, assassiné par le Bezen Perrot après avoir été atrocement torturé… « Je me souviens de ce dimanche, c’était aussi la fête locale. Comme tous, je voyais de jeunes gens rire et s’amuser. Comment le pouvaient-ils, quand, à côté, d’autres jeunes gens, enfermés dans une cave, souffraient le martyre, pour seulement avoir trop aimé leur pays ? » C’est cette citation qui m’a décidée à écrire Miliciens contre maquisards, comme je l’explique dans ce livre.

Ce rapprochement est à vomir. La réécriture de l’histoire de la rafle du 11 juillet 1944 au cours de laquelle Albert Torquéau a été arrêté ne l’est pas moins, et ce d’autant que Mervin n’hésite pas à le salir, lui aussi.

 

III. FALSIFICATION : UN EXEMPLE

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L’histoire de cette rafle, qui constitue le sujet de Miliciens contre maquisards, est reprise par Mervin sous le titre, lui aussi grassement goguenard, de « Pardon Vourc’h à Bourbriac » car les séances de torture dans la cave du notaire Sourimant de Bourbriac avaient lieu pendant ce que Madame Torquéau appelle la « fête locale », et, cherchant à quoi correspondait la date de cette fête, la célébration du 14 juillet étant interdite par l’occupant, j’ai découvert qu’il s’agissait du pardon de Bourbriac dit Pardon Vourc’h.

« Pardon Vourc’h à Bourbriac », titre guilleret pour un chapitre de 17 pages formant un condensé de faits falsifiés selon une méthode qui se trouve pratiquée tout au long du livre : on prend des pièces d’archives, des documents, des témoignages, toujours bien référencés pour donner apparence de sérieux, on en extrait ce qui sert la démonstration en coupant ce qui dérange. On change un prénom : un maquisard devient un malfrat. On change une date : on résistant se change en truand. On traficote une déposition : on lui fait dire ce qu’on veut.

Du fait que j’ai travaillé pendant quelques années à écrire l’histoire de cette rafle du 11 juillet, il se trouve que je connais les dossiers à partir desquels Mervin procède pour récrire l’histoire à sa manière.

Pour être claire, je vais résumer les faits :

Le 11 juillet 1944 au matin, des Allemands assistés de « russes blancs » encerclent le maquis de Berzoc’h où sont rassemblés des jeunes gens qui attendent un parachutage. Albert Torquéau, un jeune instituteur, capitaine de l’équipe de football de Rostrenen, se trouve là. Il proteste contre des malversations. Le maquis a été placé sous la responsabilité de Théodore Le Nénan, l’un des chefs de la « compagnie Tito ». L’ordre de dispersion est donné trop tard et Albert Torquéau est envoyé vers le nord, comme Marcel Sanguy, qui sera, lui aussi, arrêté et emprisonné dans la cave de la maison du notaire de Bourbriac, maître Sourimant, réquisitionnée par les Allemands.

Les jeunes gens raflés sont rassemblés dans cette cave où se trouve déjà un maquisard, François Le Berre, qui a été affreusement torturé.

Au nombre des jeunes gens arrêtés se trouvent Guillaume Le Bris, qui rédigera ensuite un livre sur cette rafle, et Théodore Le Nénan — qui ne semble pas avoir été emprisonné. Comme je l’ai dit plus haut, Le Nénan passe au service des Allemands et ira jusqu’à combattre à leurs côtés. Quant à Guillaume Le Bris, il rapporte lui-même dans son témoignage qu’il circule dans la maison du notaire, assistant aux séances de torture, et, de fait, l’un des résistants emprisonnés attestera qu’il n’était pas emprisonné comme les autres mais venait dormir le soir… Le SD avait coutume de relâcher des prisonniers dont il se servait pour espionner, leur laissant la vie sauve en échange de leurs services.

Assistant ce que l’on a coutume d’appeler la Gestapo, il y avait, à Bourbriac comme en bien d’autres endroits, des supplétifs français, miliciens ou SS de la Formation Perrot (nationalistes bretons enrôlés sous uniforme de Waffen SS pour combattre contre la France au nom de la Bretagne).

La présence des miliciens et des membres du Bezen Perrot à Bourbriac est attestée par le notaire qui distingue très bien les miliciens de la SSP en uniforme bleu et ceux du Bezen en uniforme allemand : « Les miliciens qui occupaient ma maison », déclare-t-il, « étaient habillés, certains en uniforme de l’armée allemande et d’autres en bleu marine avec comme insigne une tête de mort sur leur calot. »

Le rapport de l’inspecteur de police judiciaire en charge du dossier est parfaitement clair sur les causes de la rafle et les tortionnaires présents :

             « Le 6 juillet 1944, vers 15 heures, un groupe de patriotes cerna le bourg de Bourbriac et attaqua une petite formation allemande qui y était cantonnée et composée d’un officier et de douze soldats. L’officier réussit à forcer les barrages et à se rendre à motocyclette jusque Guingamp où il donna l’alerte. Vers 18 heures, plusieurs camions venant de la direction de Guingamp sont arrivés à Bourbriac. Une opération de nettoyage fut effectuée et des coups de feu furent tirés sur toutes les personnes qui circulaient dans les rues. […]

             Il est à noter que c’est après cet incident qu’une vaste opération fut effectuée à Bourbriac et dans la région avec la participation du S.D. de Rennes, de la Milice Perrot et des Groupes de Combat, opération qui a fait l’objet de l’ordre d’informer n° 638 du 28 juin 1946 [1]. »

L’attaque manquée du cantonnement allemand de Bourbriac est l’une des nombreuses actions désastreuses de la « compagnie Tito »  placée sous la direction de Georges Ollitrault dit « Jojo » et de Théodore Le Nénan, dit « Étienne », lesquels seront emprisonnés après-guerre pour une attaque à main armée commise à Bourbriac.

Alors que Le Nénan suit les Allemands, les miliciens de la SSP et du Bezen Perrot à Scrignac, où ils reprennent leurs exactions, et que Guillaume Le Bris parcourt la campagne en expliquant qu’il a été relâché par erreur, les sept prisonniers restant dans la cave du notaire sont conduits au bord d’un bas-fond, à Garzonval, sur la route de Plougonver et assassinés d’une balle dans la nuque.

Le maire de Plougonver essaie de faire identifier les corps et la commune se rassemble pour une messe au cours de laquelle la « Marseillaise » (interdite) est jouée à l’harmonium.

Une cérémonie commémorative a lieu tous les ans à Garzonval.

Ce qui m’a amenée à écrire l’histoire de cette rafle, c’est, entre autres, l’étrange silence des historiens sur la présence du Bezen à Bourbriac, alors même que Guillaume Le Bris l’évoquait clairement.

De fait, les archives le montraient, le Bezen Perrot était bien à Bourbriac et, force m’était de le constater, son histoire était rapportée par l’historien autonomiste Kristian Hamon de manière totalement biaisée, l’épisode de Bourbriac étant dissimulé, de même que le nom de la plupart de membres du Bezen pour ne pas nuire à leurs descendants, eux-mêmes engagés dans le « combat breton ». Attaquée de toutes parts, la Résistance était aussi trahie de l’intérieur, tant par des indicateurs que par des malfrats prêts à profiter des circonstances pour piller.

J’ai tenu à préciser ces faits car Mervin consacre 17 pages à récrire Miliciens contre maquisards (et Garzonval en mémoire, livre constitué de témoignages recueillis à Plougonver) de manière à tout brouiller pour mieux souiller.

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LE BEZEN N’ÉTAIT PAS À BOURBRIAC 

Tout d’abord, cela va de soi, il nie la présence du Bezen à Bourbriac — chose essentielle pour lui puisque son bon ami le SS Miniou par lui présenté au FTP Georges Ollitrault faisait partie des cinq membres du Bezen que l’on peut suivre jusqu’à Scrignac.

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— FRANÇOIS LE BERRE

J’avais réussi à reconstituer l’itinéraire de François Le Berre, le jeune homme qui était déjà présent dans la cave du notaire lorsque Guillaume Le Bris et les autres résistants raflés y ont été enfermés : chargé d’exécuter le collaborateur et trafiquant Trémel, il avait été si bouleversé qu’il avait dû être pris en charge par le maquis de Callac, à la suite de quoi il avait été arrêté le 2 juillet par une patrouille du Bezen Perrot et avait été affreusement torturé à Bourbriac. On peut lire son histoire dans Garzonval en mémoire et aussi bien dans la rubrique « Compléments et rectificatifs » de mon site.

Pour salir François Le Berre, la méthode de Mervin est simple : il le sort de prison et le met le 11 juillet à attendre un parachutage dans un groupe de malfrats — car, tel est bien le but de Mervin en falsifiant les faits : salir François Le Berre sert à salir ceux que la population appelle « les martyrs de Garzonval » et la Résistance avec eux.

Voici ce que j’écris au sujet de François Le Berre (de Penvénan) :

« François Le Berre est accueilli dans la compagnie de Callac dirigée par Auguste Fercoq, un jeune sabotier. Or, le meurtre de Joseph Trémel lui a laissé une telle impression d’horreur qu’il revit sans fin la scène : pour endormir la méfiance de Trémel, il s’est présenté comme un agent d’assurances cherchant à lui faire souscrire un contrat, puis il s’est levé et a tiré. Mais Trémel, un homme sanguin et vigoureux, au lieu de s’abattre, s’est dressé et dirigé droit sur lui en titubant. Des témoins rapportent aussi que Trémel avait pris soin de garder près de lui sa petite fille. François Le Berre a dû vider son chargeur sur lui avant de s’enfuir. Il vit depuis lors dans une sorte de dépression. Comprenant qu’il n’est pas fait pour les actions violentes et qu’il faut lui laisser le temps de se remettre, ses camarades le ménagent. C’est malheureusement ce qui provoquera son arrestation. »

Il n’y a rien là que d’objectif : je dois à un membre du maquis de Callac, Valentin Bertrand, qui a recueilli ce récit de la bouche de François Le Berre en personne, d’avoir pu reconstituer l’itinéraire de ce résistant de la première heure.

Le chef de son groupe avait chargé ses hommes d’abattre des collaborateurs particulièrement dangereux, Marcel Cozic à Rostrenen (trafiquant et collaborateur notoire, figurant sur la liste des agents de la Gestapo en Bretagne) et Joseph Trémel à Plougonver.

Mais, d’après Mervin, Trémel était quelqu’un de très bien, pas collabo, pas délateur, pas trafiquant : un homme tout à fait honorable. Quelles preuves apporte-t-il ? Aucune.

Bien au contraire, tous les témoignages recueillis à Plougonver concordent. Mervin les cite partiellement, et en les truffant, selon son habitude, d’interrogations de son cru. Il en ressort que ce qui a frappé la mémoire populaire, et surtout celle des personnes qui ont assisté à l’exécution de Trémel, était la présence de sa petite fille : « Lui était sur ses gardes, il savait qu’on le surveillait, il amenait sa fille avec lui tout le temps », dit l’un des témoins, qui confirme ainsi le récit de Valentin Bertrand.

Ça ne plaît pas à Mervin, qui ne connaît rien à l’affaire mais définit ce que j’ai écrit comme « un répugnant racontar pris pour témoignage » et « le choix de l’option la plus putride dans un ramassis de ragots selon laquelle (sic) un père se protégerait derrière sa petite fille ».

Ces propos injurieux appuient une démonstration aussi incohérente que le style de Mervin car je n’ai fait que croiser deux témoignages parfaitement concordants avec le reste et seul Mervin a vu Trémel se protéger derrière sa fille.

Pour aggraver l’incohérence de son récit, il cite, comme il le fait chaque fois que le document peut aggraver les accusations portées contre les résistants, le dossier déposé après la Libération pour homologation des services dans la Résistance, dossier souvent criblé d’erreurs destiné à valoir au mort un grade aussi honorifique que possible.

Face à ce fatras, la vérité est simple : François Le Berre ne pouvait pas faire partie des prétendus malfrats du « groupe Bara » qui attendaient un parachutage à Sainte-Tréphine le 11 juillet 1944 pour la bonne raison qu’il gisait depuis dix jours, atrocement torturé, dans la cave du notaire.

C’est d’ailleurs ce que rapporte Guillaume Le Bris, que Mervin cite quand ça l’arrange.

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— JEAN-LOUIS CORBEL

Pour salir les jeunes gens assassinés à Garzonval, et par eux la Résistance, puisque leur mémoire reste encore vivante, Mervin avait, voilà quelque temps, imaginé, jouant sur la parenté des noms, d’assimiler Jean-Louis Corbel, l’un des « martyrs de Garzonval », à un pillard du « groupe Bara », Yves Corbel.

J’avais passé du temps à démontrer comment la falsification avait pu s’opérer. Je ne vais pas reprendre la démonstration : on peut la lire en ligne.

Mervin sait parfaitement que le chef du « groupe Bara » était un marin de la compagnie Tito, dit « Mataff » qui avait pour acolyte un nommé Masson, dit « Coco », lequel s’était adjoint Yves Corbel dit « Frédo ».

Lorsqu’il écrit que « Jean-Louis Corbel dit Coco » faisait partie du « groupe Bara », il ment.

Lorsqu’il nie le fait que le « groupe Bara » faisait partie de la compagnie Tito, il ment.

Lorsqu’il écrit que « Jean-Louis Corbel a assassiné le maire de Glomel le 22 mai 1944 », il ment.

Je me contenterai donc de citer la conclusion de l’enquête :

« Le Préfet des Côtes-du-Nord, après enquête par le Comité Départemental de Libération, certifie que le dénommé Le Croizer, ex-maire de Glomel, figurait bien sur la liste des suspects établie par le Comité clandestin de la Résistance.

Son dévouement au régime de Vichy, les relations qu’il entretenait avec les troupes d’occupation le faisaient considérer comme dangereux pour la sécurité des patriotes, et pour la résistance qu’ils organisaient dans la région de Rostrenen.

Son exécution fut ordonnée, et ce fut Mataff, le chef du maquis Bara, qui s’en chargea. Masson Joseph ne fut que le témoin de ce drame ; et le Comité départemental des Côtes-du-Nord s’explique mal qu’il soit actuellement inquiété pour le rôle purement passif qu’il y joua.»

Le maire de Glomel a été abattu par Mataff, en présence de Masson dit « Coco » dont le procès est connu de Mervin — qui se garde bien ici de mettre la moindre cote d’archive, lui qui pour donner à ses dires une apparence de sérieux ne manque jamais de donner ses références.

Pour apporter la preuve qu’il ment, rien de plus simple : il suffit de le citer lui-même. À la page 156 de son Joli mois de mai, Mervin écrit : « Selon Georges Le Cun, qui a connu Mataff, ce dernier faisait partie du maquis Tito, ce que confirmera Théodore Le Nénan[2] : Le nommé Masson dit « Coco » était incorporé sous les ordres d’un nommé Mataff. » 

À la page suivante, il cite les conclusion du commissaire du gouvernement : « Masson a reconnu, lors de l’enquête préliminaire, avoir participé à l’assassinat de Croizer avec l’aide du nommé Mataff, chef du groupe de résistance Bara auquel il appartenait… Mataff aurait réclamé au maire quatre mille francs. Ce dernier aurait refusé de les donner, et voyant cela, Mataff aurait tiré sur lui, car il avait reçu des ordres et devait le descendre. »

Lorsqu’il accuse Jean-Louis Corbel d’avoir tué le maire de Glomel, il ment et sait qu’il ment. Son unique but est de salir sa mémoire.

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ALBERT TORQUÉAU, MARCEL SANGUY, FRANÇOIS LE BERRE (DE PLOUGUERNÉVEL), PIERRE MAILLARD

De même, dans le but de discréditer ces résistants, Mervin se sert-il des dossiers posthumes déposés pour homologation des faits de résistance et procède sur cette base qu’il sait peu fiable à un amalgame grossier  : le fait d’avoir été pris dans la rafle change les résistants en criminels potentiels appartenant au « groupe Bara ».

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GARZONVAL : PAS VU, PAS PRIS ! 

Lorsque le témoignage de Guillaume Le Bris lui convient, Mervin l’exploite abondamment. Pour ce qui concerne les exécutions de Garzonval, le milicien d’Ambert de Sérillac de la SSP déclare que « Georg Roeder et Max Jacob sont partis à Garzonval et ont été suivis par une conduite intérieure… avec des membres de la Formation Perrot et le Feldwebel Beckmann ».

On peut dire que c’est précis. Il  va de soi qu’ils venaient de Bourbriac, en sorte que Mervin apporte une preuve de plus de la présence du Bezen à Bourbriac, et à Garzonval.

Il reproduit mot pour mot la déposition de la cultivatrice que j’ai publiée dans Miliciens contre maquisards mais considère comme un « ragot » le témoignage de mon oncle rapportant la stupéfaction d’un cultivateur de Garzonval à s’entendre invectiver en breton par un SS au soir du 16 juillet.

Il aurait fallu, à en croire Mervin, mener à ce propos une enquête policière : qui était ce cultivateur, où et quand a-t-il entendu brailler ces Allemands qui parlaient breton, dans quel convoi étaient-ils, et se dirigeant vers où, s’agissait-il de soldats de la Wehrmacht ou de SS et si oui, leur uniforme portait-il des runes ? Et ce n’est pas fini, pour que ce témoignage soit valable, il aurait fallu préciser à quelle heure et dans quelles circonstances il a été recueilli, sur le bord de la route ou dans un café (car, bien sûr, à Garzonval, les cafés pullulent).

Et  le perfide cultivateur qui avait entendu des SS parler breton était certainement animé du désir de nuire au Bezen Perrot. Le questionnaire n’ayant pas été rempli selon les règles, exit la présence du Bezen à Garzonval.

Reste la conclusion mervinienne au sujet du crime de Garzonval :

« Les victimes sont des résistants passés par le groupe Bara du maquis de Rostrenen, bataillon Guy Môquet, dont les exploits peuvent difficilement illustrer l’action d’une résistance à un occupant étranger. François-Louis Le Berre a assassiné un de ses compatriotes désigné comme délateur ou trafiquant au marché noir en présence de sa petite fille qui restera choquée toute sa vie suite à cet acte imbécile. Sur un autre ordre du Parti communiste, pour un motif politique et sans aucun intérêt pour la libération du territoire, Jean-Louis Corbel a assassiné le maire de Glomel Jean Croizer le 22 mai 1944. Ce panel (sic) de victimes illustre toute l’ambiguïté de ce que fut la Résistance bretonne, qui a contribué à la montée de l’insécurité, de la violence et de la criminalité dans les derniers mois de l’Occupation, et qui fut bien plus dangereuse pour les Bretons que pour l’occupant allemand » (p. 322).

Ainsi s’achève la démonstration.

On peut le constater, tout est faux : les faits sont trafiqués de manière à en arriver à la conclusion attendue, à savoir que la Résistance a causé plus de tort aux Bretons que les nazis.

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IV. L’AFFAIRE MONJARRET

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Je pense que cet exemple suffit à montrer la méthode de Mervin. Cependant, je ne voudrais pas terminer sans évoquer l’affaire Monjarret, qui éclaire cette méthode sous un jour un peu différent.

En 2011, lorsque la municipalité de Plescop a décidé de donner le nom de Polig Monjarret à son collège, de nombreuses associations se sont regroupées pour protester, notamment l’ANACR, la LP, la LDH… Nous avons rencontré le responsable du conseil régional et obtenu l’assurance que ce nom ne serait pas attribué au collège. J’avais dû pour cela rédiger une brochure qui a été remise à toutes les personnes concernées afin qu’elles disposent d’informations objectives. C’est ce travail qui a permis de d’obtenir gain de cause. L’essai Ethnorégionalisme et réécriture de l’histoire : le cas Monjarret peut être lu en PDF : inutile donc d’épiloguer.

Ce qui rendait particulièrement scandaleux le cas de Monjarret, collaborateur des nazis jamais repenti, ce n’était pas seulement qu’il se présentait comme réfractaire au STO déporté en Allemagne, c’est qu’il trouvait pour défendre sa cause l’historien autonomiste Kristian Hamon, lequel alléguait (et continue d’alléguer) que Monjarret était un jeune scout, inoffensif collaborateur de L’Heure bretonne, qu’il vendait au son du biniou, engagé dans les brigades de combat du PNB, les Bagadou Stourm, et membre du PNB nazi, mais pas longtemps, pas après août 1943 et mystérieusement envoyé en Allemagne avec sa femme peu avant la Libération puis, à son retour, recherché, jugé et acquitté.

Kristian Hamon s’est servi, selon sa pratique habituelle, de pièces à décharge du procès Monjarret pour le blanchir. Il est d’ailleurs totalement stupéfiant de trouver au comité directeur de l’ANACR 35 — qui faisait partie des associations regroupées pour protester contre l’attribution du nom de Monjarret à un collège — l’historien le plus engagé dans la réhabilitation de ce même Monjarret. Un historien acharné, d’ailleurs, comme Mervin, à dissimuler la présence du Bezen Perrot à Bourbriac.

Dans les deux cas, l’autonomiste et l’indépendantiste se rejoignent mais, pour ce qui concerne l’affaire Monjarret, Mervin va si loin et rapporte avec une impudence si tranquille la « déportation » de Monjarret que la démonstration s’effondre et deviendrait risible s’il était possible de rire alors même que le chapitre se termine par une attestation d’un Juif en sa faveur… Je rappelle qu’en 1950 encore, Monjarret écrivait que le Breton « est breton de naissance si dans ses veines coule le sang riche et ardent de la vieille race bretonne ». Raciste ? Oui, car il le précise, « un enfant né de parents étrangers, même né en Bretagne, ne peut être considéré comme breton de naissance. » Mais on a trouvé un bon Juif (ignorant tout de son parcours) pour venir à la rescousse.

Mervin explique que Monjarret a adhéré au PNB sur les conseils de Jean Guiomar mais il omet de préciser qu’il distribuait L’Heure bretonne en compagnie de ce bon ami Guiomar, qui allait s’enrôler au Bezen Perrot.

Il explique que Monjarret a échappé à un attentat en novembre 1943 mais omet de préciser que c’est parce que la Résistance le recherchait : il se cache chez son ami l’autonomiste Isidore, dit Dorig, Le Voyer soi disant pour échapper au STO, mais, quoique clandestins, Monjarret et Le Voyer participent en juin 44 aux fêtes organisées à Vannes avec l’appui de l’Occupant. Mervin assure que c’était pour venir en aide à la Résistance…

En juillet, ils épousent deux sœurs, la troisième épousant Paul Perrin, membre du Bezen Perrot (ce que Mervin omet de préciser quoiqu’il reproduise plus loin la photo de Perrin). Quelle étrange coïncidence, juste au retour du repas de mariage, des Allemands viennent les arrêter. Ils sont conduits à Rennes, curieuse coïncidence encore, juste à l’endroit où le Bezen Perrot monte la garde, et, là, les Allemands leur proposent de s’engager… au Bezen Perrot ! Merveilleuse solution pour un réfractaire au STO ! Ce sont deux recrues de choix et l’on tient tellement à les compter au nombre des SS qu’Ange Péresse, l’un des chefs du Bezen, vient en personne essayer de les convaincre. Mais non !

Sur ce, un policier allemand tend un papier à Monjarret, qui le signe sans le lire car il pense que c’est un « contrat d’embauche ». Et, comme Polig a signé, Dorig signe aussi les yeux fermés. Au diable la méfiance. Les Allemands sont vraiment attentionnés : voilà Polig et Dorig conduits dans un train où, heureuse surprise, « ils retrouvent leurs jeunes mariées » ! Et elles aussi, elles ont  signé un « formulaire d’engagement en allemand sans savoir à quoi elles s’engagent véritablement » ! Leur confiance a d’ailleurs déjà été récompensée car elles ont pu choisir leur lieu de résidence, Innsbruck — comme par hasard, la ville où cantonnera le Bezen. Elles demandent à ce que leurs maris puissent les suivre : accordé ! Voilà une confiance bien récompensée.

Les tourtereaux nantis de contrats de travail partent… à la recherche d’un travail. Tout se passe très bien : Monjarret, qui était menuisier, devient photographe, sa femme aussi, et Le Voyer qui était luthier se met à faire de jolis vitraux tyroliens… Arrive un délateur de la Gestapo qui veut enrôler Polig mais, halte là, ce dernier ne se laisse pas faire et, fidèle aux traditions du mouvement breton, il va le dénoncer — ce qui ne l’empêchera pas de faire appel à lui pour « se faire embaucher comme opérateur de cinéma ». Polig ne connaît pas le métier mais puisqu’il n’est pas photographe, pourquoi ne serait-il pas opérateur de cinéma ? Hélas, il n’est pas embauché, le pays est bombardé, s’ensuivent des tribulations qui vont mener le pauvre Polig à être interné dans un camp.

Mais à ce moment, nouveau coup de chance — un vrai miracle : « Grâce à Roparz Hemon et Leo Weisgerber, un des frères Guiomar retrouve sa trace et l’invite lui et sa femme (sic) à le rejoindre à Tübingen ». Tübingen où cantonne le Bezen Perrot en fuite ! Quelle coïncidence ! Décidément, Polig et Dorig sont adorés par le Bezen.  Ils ont pourtant bien dit qu’ils ne voulaient rien avoir à faire avec cette racaille, mais rien à faire. Et néanmoins Polig, par pure politesse sans doute,  « assiste en particulier à la cérémonie de remise des médailles du 5 mars 1945 au cours de laquelle Célestin Lainé prononce un discours ».

On ne nous dit pas en quoi consiste ce discours, on ne nous dit pas non plus à quoi correspondent ces médailles, mais tout ça est connu de longue date, aussi bien de Mervin que du spécialiste du Bezen, Kristian Hamon, si soucieux de réhabiliter Monjarret : « Je suis particulièrement heureux de pouvoir remercier aujourd’hui notre chef et camarade Unterstumführer W. pour les médailles des blessés qu’il vient de conférer à deux d’entre vous… Nous avons touché l’uniforme allemand sans additions ni corrections… Nous savons toujours été traités en soldats… » J’abrège ce discours, cité par S. Carney qui précise : « Il semble que c’est à l’occasion de cette cérémonie que Lainé annonça à ses hommes qu’il espérait pour la Bretagne un statut de protectorat allemand du style de la Bohème-Moravie. Polig Monjarret, qui vécut deux mois avec l’Unité, après avoir arrangé son arrestation avec le SD de Saint-Brieuc pour échapper à la Résistance, a témoigné de la stupéfaction des auditeurs. » (Breiz Atao, p. 531).

Après deux mois passés avec le Bezen, les alliés approchant, Polig et sa femme s’enfuient et trouvent à s’héberger près d’un camp de prisonniers. C’est là qu’ils entrent en relation avec un médecin canadien d’origine juive qui se trouve prisonnier. Les troupes françaises libèrent le camp, et les Monjarret en profitent pour se joindre à eux. Les voilà devenus errants au retour de déportation ! Et l’innocent médecin canadien atteste que « la force d’âme de Pol et Zaïg (sic) Monjarret »  lui a donné « la force nécessaire pour survivre, en tant que Juif, dans un camp d’internement nazi ». Et il y a la photo du bon Juif et de sa femme près de Polig et Zaïg : heureuses retrouvailles  !

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Enfin, pour conclure, il me reste à rappeler que Mervin présente l’enrôlement parmi les Waffen SS du Bezen Perrot comme une école de « circonspection et de rigueur intellectuelle ». Il consacre en effet un chapitre au crime de guerre commis à Troyes par le Bezen en fuite vers l’Allemagne : plusieurs de ses membres ont participé à l’assassinat de cinquante prisonniers, à la veille de la Libération. J’avais étudié cet épisode car le responsable du groupe du Bezen qui se trouvait à Bourbriac, Michel Chevillotte, était désigné par un des membres du groupe, Christian Guyonvarc’h, comme responsable.

Ce qui occupe Mervin, c’est, bien sûr, le moyen de nier la responsabilité de tel ou tel et de savoir s’il s’agissait vraiment d’un crime de guerre : en effet, si l’ordre d’assassiner était légal, il n’y avait pas de crime de guerre… Légal ? Pas légal ? Extraire cinquante personnes d’une prison et les exécuter sans jugement pourrait bien être légal, qui sait ? Problème captivant qui n’empêche pas Mervin de s’en prendre à Guyonvarc’h, lequel n’aurait tout de même pas dû dénoncer ses collègues : « Seul Christian Guyonvarc’h cite le nom d’Ange Péresse dont il n’est pas sûr qu’il ait été à Troyes le 22 août 1944. » C’est très mal. À titre de compensation, nous avons une touchante photo de Péresse en famille : pour être un SS, et un tortionnaire dénoncé comme une brute par ses collègues, on n’en n’est pas moins homme. Conclusion : « Dans sa carrière universitaire après guerre, Christian Guyonvarc’h fera preuve de bien plus de circonspection et de rigueur intellectuelle, son expérience au sein de la Bezen Perrot lui ayant au moins été utile en cela. » (p. 423).

Une excellente formation.

En tout point recommandable.

Dommage simplement que l’histoire ait tourné dans le mauvais sens. Mais ça peut encore se rattraper : il suffit de se « libérer du joug d’un voisin encombrant » (p. 17), ou plutôt d’une voisine, la France.

Mervin termine sur une citation de Paol Keineg : « Assez de mélancolie, assez de complaisance, de lamentations… Il nous reste le parfum violent d’une patrie à construire.»  On voit comment et avec quelle histoire.

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PETIT SUPPLÉMENT

NOUVEL ÉCLAIRAGE SUR LA MÉTHODE MERVIN

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J’avais terminé cet article et, mon dimanche étant, de toute façon, perdu, voilà qu’avant de  procéder à la mise en ligne, je m’attarde à lire d’un œil distrait le chapitre que Mervin n’a pas eu honte de consacrer au réseau de mon grand-oncle mort en déportation, le réseau Pat O’Leary.

Lisant le livre de Kristian Hamon, Agents du Reich en Bretagne, j’avais été stupéfaite de constater que tous les noms étaient falsifiés. Le militant du PNB Larboulette qui avait dénoncé le réseau était rebaptisé Kervezo… Il s’agissait de préserver les proches car toute vérité n’est pas bonne à dire, expliquait cet historien entré au Comité directeur de l’ANACR — mais pourquoi mon grand-oncle Joseph Pennec était-il rebaptisé Robert ? Il m’avait fallu quelque temps pour comprendre que Hamon avait traduit à l’anglaise le surnom de celui que tout le monde désignait comme Bob Pennec (mon grand-père, enfant, prononçait ainsi le mot Job, diminutif breton de Joseph). Je vais voir dans l’index de Mervin : cette fois, Joseph est devenu Jean…

Lisant ce chapitre incohérent, j’éprouve soudain l’impression d’avoir déjà lu quelque part certains passages. Une note donne en vrac pour l’ensemble  les références suivantes :

« Louis-Henri Nouveau, dit Saint-Jean. Des capitaines par milliers : Retour à Gibraltar des aviateurs alliés abattus en 1941-42-43, Calmann-Lévy, 1958, Roger Huguen, Par les nuits les plus longues, 1976, Roger Leroux, Le Morbihan en guerre, pp. 349-357. »

Il est clair que Mervin ne s’inspire pas du livre de Louis Nouveau qu’il ne semble pas même avoir lu. S’inspirerait-il des recherches de Roger Huguen, recherches remarquablement précises ? Pas du tout ! Il s’est contenté de piller Roger Leroux, historien d’une intégrité au-dessus de tout éloge. Je m’étais demandée pourquoi Mervin désignait constamment le responsable du réseau Louis Nouveau dit Saint-Jean, sous le nom de Louis-Henri Nouveau… Mais c’est qu’il s’agissait de laisser accroire qu’il était allé puiser à la source, à savoir les souvenirs publiés sous le nom de L H Nouveau — et d’introduire ainsi, avantage complémentaire, des variantes avec le texte de Roger Leroux qu’il démarque…

Admirable exercice  : exploiter les recherches d’un historien de la Résistance connu pour son sérieux et son honnêteté, en les faisant servir à une dénonciation de la Résistance doublée d’une réhabilitation des nationalistes engagés dans la collaboration avec les nazis…

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Comparatif 1

Comparatif 2

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Je pense que les deux premières pages suffisent et je m’en tiens là mais, bien sûr, ce n’est qu’un exemple.

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À l’instant de conclure, je découvre que Mervin présente son ouvrage sur le site de l’Association pour une histoire scientifique et critique de l’Occupation dont il se vante sur le site nationaliste d’extrême droite Breizh Infos d’être désormais membre.

Cette association a été créée par des historiens décidés à exploiter les archives pour dénoncer la Résistance communiste. Je ne me prononce pas sur l’histoire scientifique pratiquée par Franck Liaigre et Jean-Marc Berlière qui ont fondé cette association, vu que je n’en sais rien, mais le moins qu’on puisse dire est que l’histoire scientifique de Mervin appelle la critique.

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Je reçois un courrier du fondateur de l’Association pour une histoire scientifique et critique de l’Occupation (ASCO), Michel Martineau, qui me fait savoir qu’il ne « connaît rien à la Bretagne » et n’a « pas de remarques à formuler  » sur mon analyse des livres de Mervin.

Il semble néanmoins trouver normal de compter Mervin au nombre des membres de son association vouée à la défense de l’histoire scientifique, tout en précisant que l’ASCO « n’a pas pour mission de salir la mémoire de la Résistance communiste ni de servir de faire valoir la doublette Berlière/Liaigre ».  C’est pourtant bien ce qu’elle fait.

Curieuse conception de l’histoire scientifique : le fait que Mervin reprenne des passages entiers d’un historien sérieux pour les détourner sans mention de source ne le dérange pas  du tout. C’est une pratique pourtant scientifiquement et déontologiquement bien contestable.

Plus étrange encore, « dans le cas qui nous occupe (la guerre civile) tout le monde a tort et aussi tout le monde a raison », écrit-il. Ainsi Mervin peut-il assurer qu’un membre du Bezen Perrot sous uniforme SS n’est pas un tortionnaire nazi, et, vu que tout le monde a tort, un peu plus, un peu moins, ce n’est qu’une question de teinte dans le flou généralisé. C’est bien sur cette base que Mervin fait se rencontrer le SS Miniou et le FTP Ollitrault : tout ça se vaut. Et, en l’occurrence, sert l’indépendantisme breton héritier de la collaboration.

« Mervin n’est pas un fasciste », ajoute le fondateur de l’ASCO.

Non, il défend des fascistes.

Et falsifie les faits pour salir les résistants qui se sont opposés aux fascistes.

C’est une manière très particulière d’écrire l’histoire.

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SUITE ET FIN

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Jeudi 5 mai 2016

Un ami m’avertit que (je cite son message) « Mervin reprend ses attaques  ». Je vais faire un tour sur le site qu’il consacre au « devoir de mémoire » vu depuis l’extrême droite nationaliste : eh oui, il recommence, et par flopées de pages.

Pour ceux qui auraient le courage de se plonger dans cette prose, voici en PDF l’ultime production mervinesque.

devoir de mémoire en Bretagne | se souvenir et réfléchir

Comme j’ai déjà passé pas mal de temps à opposer des faits à ses allégations, je ne perdrai pas plus d’une heure à noter ce qui doit l’être :

  1. Mervin reconnaît que, comme Hamon, il a falsifié le nom de mon grand-oncle mort en déportation. Qu’il laisse donc en paix sa mémoire, c’est tout ce qu’on lui demande.
  1. Il n’apporte aucune réponse à aucun des faits dont je démontre ci-dessus qu’il les a falsifiés.
  1. Cynisme et mensonge

Ne pouvant plus nier la présence du Bezen à Bourbriac, il allègue que je ne nomme pas les cinq membres du Bezen que j’ai identifiés. Je ne « produis pas l’identité de ces cinq individus ». Trouble de la lecture, sans doute — qui pourrait expliquer sa manière de lire les archives… Mais non, il s’agit d’un pur et simple mensonge, destiné, comme la citation de Tchekhov placée en tête de ce fatras, à montrer jusqu’où peut aller le cynisme : en effet, Mervin supprime l’identité des membres du Bezen présents à Bourbriac, mais extrait de Miliciens contre maquisards avec mention précise de page un témoignage qu’il se met en devoir de traficoter.

  1. Traficotage

Puisqu’il n’est plus possible sans ridicule de nier la présence du Bezen à Bourbriac, il s’agit désormais de nier sa présence à Garzonval, autrement dit de nier la responsabilité des SS du Bezen dans les assassinats de jeunes résistants à Plougonver.

Un témoin, Joséphine Garzuel, voit les Allemands, accompagnés par les miliciens, quitter Bourbriac pour Garzonval : elle reconnaît parmi eux un milicien borgne de la SSP. Et donc, d’après Mervin, c’est que seule la SSP était présente à Garzonval. CQFD.

Et de produire à l’appui un document allemand indiquant que la SSP a, un jour, abattu deux terroristes dans un bois près de Bourbriac. Aucun rapport avec Garzonval, qui se trouve loin de Bourbriac et où il n’y a pas de bois ; aucun rapport avec le témoignage de Joséphine Garzuel, mais ça ne fait rien : exit le Bezen. Voilà absous ces bons SS.

Petit problème : j’ai cité la déposition d’un milicien de la SSP qui rapporte que le Bezen était présent à Garzonval.

Méthode Mervin : ce milicien aurait très bien pu mentir, donc admettons qu’il a menti.

Par hasard, lorsque je l’ai interrogé, l’un de mes oncles a précisé qu’il avait rencontré après guerre à Garzonval un paysan qui était présent le 16 juillet 44 et qui avait été stupéfait d’entendre un SS parler breton. Je faisais une enquête sur le livre de Guillaume Le Bris : ce témoignage confirmait ses dires aussi bien que la déposition du milicien de la SSP et l’itinéraire du Bezen qui le menait de Bourbriac à Scrignac via Garzonval. Un peu gênant ?

Mais non, pas de problème pour Mervin : le paysan n’a jamais existé, mon oncle est un affabulateur, et tout ça résulte d’un complot communiste.

Il y aurait de quoi rire si l’acharnement à souiller ceux que la population appelle toujours les « martyrs de Garzonval » n’atteignait un tel degré d’ignominie.

  1. Ignominie

Ignominie, en effet, que la falsification de l’identité de Jean-Louis Corbel assassiné à Garzonval et l’invitation à aller consulter les dossiers d’archives où, comme je l’ai montré, se trouve la preuve que Mervin ment pour salir ce jeune résistant.

Ignominie que sa manière de se moquer de la population et de la mémoire de l’histoire gardée vivante (ce dont témoigne le livre Garzonval en mémoire).

Ignominie que sa manière de vendre sa prose en se servant de la caution d’un vieux résistant promené comme faire-valoir pour mieux souiller la Résistance.

Ignominie que sa défense de Joseph Tremel et des tortionnaires engagés sous uniforme SS pour défendre la Bretagne opprimée par la France.

Ignominie que sa négation des crimes commis par les miliciens du groupe Vissault et les SS du Bezen.

Voilà ce qu’il ose écrire à ce propos :

« Aucun nationaliste breton n’a été l’auteur de crimes politiques ou de crimes de droit commun contre des civils sans défense comparables à ceux commis par la Résistance bretonne. »

Et d’alléguer que ces bons nationalistes ne faisaient que suivre le modèle des républicains irlandais.

Ignominie que son assimilation des républicains irlandais aux collaborateurs des nazis et sa conclusion mielleuse appelant au soulèvement de la Bretagne contre la France.

Il semble échapper à Mervin que les Bretons ne se sont pas soulevés contre la France mais contre les nazis et leurs supplétifs, dont les nationalistes qu’il admire tant, et que s’ils l’ont fait, c’est qu’ils étaient français.

Puissent-ils le rester, et échapper à la crasse nationaliste.

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@ Françoise Morvan

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[1] ADIV 1045 W 41.

[2] DCAJM. Dossier Joseph Masson. Procès verbal d’audition du 18 août 1950.