Un lecteur me signale que la publication du livre du sénateur Botrel sur le Bezen Perrot s’inscrit dans le cadre d’une opération menée par le CRBC avec la collaboration d’historiens qui s’occupent depuis des années de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en Bretagne.
En 2001 déjà, quand mes protestations appuyées par le Groupe Information Bretagne contre la réécriture de l’histoire avaient trouvé assez de relais pour inquiéter le mouvement breton, un colloque international avait été organisé par le CRBC. Il s’agissait d’après les organisateurs d’en finir avec les attaques de « la presse parisienne » contre « la Bretagne » (sic) et d’orchestrer une vaste reprise en main prolongée par la propagande régionale. C’est ce qui a eu lieu. Le colloque, indiquait l’un des organisateurs, était une arme. Une arme au service de l’idéologie défendue par le sulfureux Cozan qui était à l’origine de cette opération reconquête et le non moins sulfureux Michel Denis, ancien président de l’université Rennes II, tout acquis à la cause udébiste.
Cette année, selon la même méthode, le CRBC a organisé un grand colloque sur « les victimes de 1944 en Bretagne ». Le libellé semble laisser entendre que 1944 a été un désastre qui en Bretagne a eu pour première conséquence de provoquer des victimes. C’est la thèse des nationalistes bretons, telle qu’elle est à présent défendue par Y. Mervin, auteur diffusé par la Coop Breiz comme l’ex-sénateur Botrel et comme d’ailleurs les productions du CRBC (fort idéologiquement marquées). De même que celui de 2001, le colloque est placé sous l’égide de Christian Bougeard (dont le directeur de thèse fut Michel Denis et qui ne fait somme toute que poursuivre sur sa lancée). Je montrais dans Miliciens contre maquisards comment il réécrivait l’histoire à propos précisément des événements niés par le sénateur :
« Indifférence aux dates et laminage des faits : le lien entre l’attaque du cantonnement de Bourbriac et la rafle est, cette fois, rendu invisible, puisque la première est placée le 16 juillet et la seconde le 7 ; les exécutions de Saint-Nicolas-du-Pélem et de Garzonval sont oubliées. Ce qui importe est cette vision héroïque des combats des maquis Tito accumulés pêle-mêle comme expression de la Résistance bretonne, émanation de la Terre des Celtes (c’est le titre de la collection dans laquelle est publié ce livre). L’indifférence à la réalité des faits se double d’une indifférence, frappante ici, à la réalité vécue, c’est-à-dire, en somme, à l’histoire telle qu’elle s’est déroulée, dans l’espace, dans le temps, mais aussi dans la chair et dans l’esprit des personnes concernées. Comme l’écrit froidement l’universitaire, résistants et civils interceptés meurent souvent sous la torture à Uzel… De fait, à parcourir les documents d’archives, on peut s’en convaincre, résistants et civils meurent souvent — mais la chose est présentée comme une fatalité. Certains excès et dérapages limités ont pu discréditer les résistants dans la mémoire collective. Mais, durant cette période, il faut bien se ravitailler, trouver de l’argent pour payer, sans oublier le tabac, réquisitionner des moyens de locomotion (36 voitures « volées » en juin), explique Christian Bougeard. Triste épiphénomène, en somme, pur objet de statistiques : on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs. »
On ne s’étonnera pas de voir l’ex-sénateur aviculteur propulsé en tête du colloque chargé d’officialiser ce qu’il convient de croire ou de ne pas croire : par exemple, que le Bezen Perrot est innocent des crimes de Bourbriac. Et c’est lui qui est chargé de traiter le « contexte » de l’Occupation allemande ! Lui qui dans son essai se montre incapable de poser le contexte de la création du Bezen Perrot… Mais c’est qu’il s’agissait précisément d’effacer ce contexte.
En tout cas, question de contexte, la publication du livre du sénateur s’inscrit dans un ensemble qui explique mieux la parution de son livre et sa promotion. Et qui le rend beaucoup plus grave qu’il ne paraît. Nous sommes bien loin de l’histoire locale, de l’interprétation d’événements secondaires vieux de quatre-vingts ans et du recyclage d’un ex-sénateur aviculteur en historien désormais promu par l’institution.
Au-delà de l’histoire même, ce qui se pose est le problème de l’institution et de la mainmise du lobby régionaliste sur tout ce qui touche à la Bretagne. Et ici avec la caution du Maitron… Ni rouge ni blanc, breton seulement !
J’apprends par ce même lecteur que cet aviculteur a longtemps été président du syndicat département d’eau potable des Côtes d’Armor : finalement, l’eau pure et le poulet de batterie font une alliance assez semblable à celle de la Libération et du mouvement breton.
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