Alors que je rentrais de Martigues, arrive un courriel de France Culture : Laurent Goumarre veut m’inviter pour parler du Balcon… Du Balcon ? Après douze ans ? Quelle mouche le pique ? Car c’est en 2002 que Stanilas Nordey m’a proposé d’écrire un livret d’opéra pour Peter Eötvös, d’après Le Balcon de Jean Genet.
Il m’apparaît alors que l’Athénée donne Le Balcon dans une nouvelle mise en scène : nul, ni le metteur en scène, ni la SACD, ni le producteur, ni le compositeur et l’éditeur allemand aux dents si longues n’a cru devoir m’informer que mon livret était utilisé.
En 2002, souhaitant se voir reconnaître le statut de colibrettiste, le compositeur, hongrois, avait modifié ce malheureux livret en y ajoutant des fautes de français : y sont-elles toujours ? Le metteur en scène l’a-t-il à son tour changé ? Mystère ! Interrogé à ce propos, ce dernier n’a pas daigné répondre.
En conclusion, je ne sais rien du spectacle, hormis ce qu’en ont dit les critiques (j’adore surtout la déclaration du chef d’orchestre qui annonce que « le texte est au cœur du projet »). En tout cas, je n’y suis pour rien, je le note car cet opéra doit (m’a-t-on dit) se donner à Lille et à Covent Garden.
C’est une belle illustration de ce que je constate depuis des années : la sacralisation du metteur en scène doublant la sacralisation de l’auteur induit un mépris pour le texte qui autorise tous les abus. Le librettiste, comme le traducteur, est jugé persona non grata, vil truchement, nécessaire, hélas, entre l’Auteur et le metteur en scène mais sous-auteur, intermédiaire dont la vertu première est de savoir être invisible.
Je viens d’écrire que le traducteur est nécessaire — signe que, malgré tout, je n’arrive pas à me défaire de mes illusions — mais combien de metteurs en scène se contentent de trafiquer une traduction pour la faire passer sous leur nom… C’est précisément sur la base de cette indifférence au texte que le plagiat peut se répandre, comme je me suis efforcée de le montrer ici.
Le Balcon m’aura au moins offert l’occasion d’essayer une fois de plus de tenter d’attirer l’attention sur ce problème qui ne cesse de s’aggraver.