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Au début, pour le spectacle du 14 août que j’avais proposé d’intituler Incandescence, j’avais choisi une douzaine de textes, puis, d’un commun accord, nous en avons enlevé six pour garder juste une trame : une longue journée qui s’étirerait comme un mois d’août autour de cette journée de feu au plein milieu du mois, quand tout le monde s’assemble et part dans la nuit voir brûler le brasier sur la colline.
Ensuite, j’ai cherché des chansons traditionnelles sur le feu et j’ai ajouté la traduction de la plus belle gwerz selon moi, en tout cas, la mieux adaptée à l’esprit de ce moment, la gwerz de la sorcière, qui évoquait la présence si mystérieuse de la voyance au cœur de la fête foraine : le feu mais aussi le retour de ceux qui viennent de loin et vont s’en aller courir le monde.
Les deux premiers textes sont, en fait, des traductions mais des traductions données en écho des chansons — des chansons très simples, comme venues de l’enfance, alors que les textes pouvaient sembler abstraits (mais même les poèmes de Pasternak étaient compris par une compréhension immédiate et flottante, j’ai pu m’en assurer en parlant ensuite avec les spectateurs).
Au retour du spectacle, j’étais trop fatiguée pour assister à la procession de nuit, mais, le lendemain, j’ai voulu aller voir la fête foraine, qui avait bien diminué déjà ces dernières années. La ville était vide, grise, sans un seul manège. L’inimaginable s’était réalisé tout banalement : il n’y avait plus rien.
Au cimetière, personne. La chapelle Saint-Antoine, fermée toute l’année, était ouverte, et l’on pouvait regarder les sablières, si étranges, et pour certaines d’entre elles en train de s’effacer sous le vert de la moisissure. Et puis, soudain, sur une tombe, j’ai vu le bouquet de glaïeuls, comme s’il revenait du fond de la mémoire, pareil, splendide, glorieux, célébrant un triomphe qui n’avait plus lieu.
Ce qui était étrange et fascinant pour un enfant était la présence de la fête foraine, de la fête religieuse et du paganisme portant angoisse jusque dans la joie. La fête foraine qui semblait remplir le monde entier touchait aussi au cimetière où l’on avait fleuri les tombes de bouquets comme jamais on n’en voyait dans l’année, des bouquets forains, tsiganes, faits pour le triomphe des morts.
Si j’avais voulu garder le texte intitulé « Glaïeuls », c’était à cause de ce moment où, descendant au cimetière, on sentait l’odeur de sucre brûlé de la fête, qui était comme l’odeur de l’été qui allait finir.
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L’enregistrement du spectacle a désormais été mis en ligne et peut être écouté sur le site Babel heureuse où les textes peuvent aussi être lus.
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CHANT DE BERGER
Voix des enfants tendues d’un bord du ciel à l’autre
Par temps léger temps bleu sur les collines
Le vent gonflant leurs blouses
portant leurs voix sur la vallée
Voix tranquilles
joutant dans le vent
se mêlant
Une vieille chanson chantée par les petits bergers
une fille et un garçon se répondent
La mélodie mélancolique
lève entre les pommiers gonflés de bruine
Courir sur les grandes pentes des herbages
courir jusqu’à s’envoler comme en rêve
La lumière est plus claire avant l’averse
on dirait qu’un miroir la reflète au ciel
douce et lustrée
puis un tissu fin se déchire
et tout se referme.
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CHIMÈRES
Promesses qui s’enfuient dans l’air léger
Une robe de velours bleu
Une robe plus douce qu’un ramier
Et la voix se fond en murmure
À peine un rêve une rumeur
Une robe ombrée de lumière
À revêtir un anneau d’or au doigt
Pour s’en aller jusqu’au pays du prince
Un grand habit de satin blanc
Comme une ombre d’oiseau qui se déploie
Emportant l’anneau d’or vers le soleil
Et le reflet noyé se dilue dans la mer.
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ESCHOLZIAS
Le feu prend dans les vieux ajoncs
Par fourchées les ronciers se brassent
À travers le ciel bleu phrygien
Si la gousse éclate ou le soleil d’encre
Ça n’est pas que le crâne à rousseur crêpelée
De la poupée de celluloïd craque
Ni que la broderie nue sur le gros grain noir
S’accorde au point de croix tracé par l’ouvrière
Montrant d’un doigt tout piqueté ses marques
Le ciel reste pareil la terre aussi
Ça n’est rien qu’une aiguille orange
Un point ravaudé sur la cendre
Bien qu’une odeur de mer se mêle aux herbes
Où la poupée cliquetante est couchée
Et que le bruit soit d’un grand drap plein d’ombre
Qui claque au soleil et que les corbeaux raillent
Comme arrachés au jour d’été trop bleu
Sur le taillis de la broussaille hissant sa flamme
Tout reste intact jusqu’au cœur noir des escholzias
Quand le feu prend ces ajoncs et les fond
Dans la fumée houlée du vent qui lève.
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VELOURS
On gagne aux loteries des coussins larges comme des roues qui finissent posés au fond des fermes sur un grand lit à blancheur de tombeau dans l’ombre.
Les jupes des poupées gagnées un soir de fête sont aussi autour d’elles comme des roues, et leur tournoiement garde au sortir du soleil dans la cour l’ombre du cuivre auréolé de feu, le rose de la braise et les plis blond clair que l’on peut voir sur le beurre mouluré.
Quand on s’approche en s’habituant à l’ombre, on aperçoit le cercle absolument pur du coussin posant loin du soleil ce rose orangé qui fait penser aux splendeurs de la Chine.
Alors reviennent, serrant le cœur, les ruissellements de phlox, de soleils et d’œillets d’Inde assemblés à la veille de l’Assomption devant la terre humide des tombes, et le velours noir qui se plisse autour des fleurs brodées sur le satin est plus parfait encore que la nuit d’août, plus doux que le marbre, plus soyeux que le ventre d’une abeille, et tout cela se tient sans bruit dans l’ombre à senteur de terre et de lait comme une émanation des grands manèges tournant dans l’été.
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MOIRE
Et voici la voyante aux bandeaux noirs
Arrachant un sourire au miroir de sorcière
Et secouant sur fond de nuit ses anneaux d’or
Pour mieux faire lever la lie des avenirs
Sur l’enseigne à la belle étoile un ciel violet
Comme le châle de soie lourde à fleurs de paon
Qui miroite en lumière autour de ses épaules
Lui fait une auréole de vin clair et la rend belle
Déesse aimable et lasse aux formes amollies
Brouillant indolemment les ombres des planètes
Elle élève la main vers le miroir et la soie glisse
Comme la moire au profil dur soumet les destinées.
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GLAÏEULS
Fleurs tigrées que l’on porte aux morts
Anthères saillant jaune au fond de l’ombre
Lys œil de tigre abysse de mémoire
Glaïeuls moulés d’un bloc comme de cire
Dans l’orange éclaté d’un bulbe
Laissés sur le marbre à reflets miroitants
Au bas du bourg où la fête foraine éclate
Dans une odeur de sucre et d’amande brûlée
Avec crépitements de tirs les fleurs de l’Assomption
Vivent leur temps de vie sous le soleil.
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FORAINS
C’est toujours vers l’ouest qu’ils s’en vont
Seuls dans le monde et suivant le soleil
Laissant au loin leurs pays de Bohème
Pour aller vers la mer à rumeur de mémoire
Et revenir pareils année après annéee
Dans les pays des bois sous la pluie lente
Auréolant les roues des grands manèges
Où les lions dorment parmi les étoiles
S’ils vont et viennent par le monde
En passagers diseurs des aventures
Pour revenir au même bourg perdu
C’est qu’ils ont su tourner la roue huilée du temps
Sans se laisser distraire ou retenir
Garants des avenirs encore ensevelis
Dans le grand glissement des ombres
Errant de lune en lune au gré des mondes
Tout est passager les joncs fins
Qui font ces paniers où le vent chuchote
Et se voient des motifs d’étoile
S’effacent sous les doigts des bohémiennes
Et la vaisselle à fêlure aspectée
Que l’on assemble à force de patience
Porte un destin qui trace aussi sa ligne
Après les bancs de sable et les métiers appris.