C’est à partir d’observations qui auraient pu être celles de n’importe qui, pour peu que la mémoire s’empare d’instants inscrits dans l’immédiateté de la présence au monde, que je me suis mise à écrire Sur champ de sable : quelque chose comme une recherche du temps perdu mais sans narrateur, sans je lyrique, sans autre lien que la traversée du temps.
Le livre est sorti d’un rêve qui faisait d’un vieux conte entendu par un jour de neige la matrice d’une vie par la suite diffusée à partir de ces images clés : le blanc d’un jour de neige, le rouge du charbon brûlant dans la salamandre, le noir des branches de cerisier et la transparence d’un jour d’avril après la neige. Cette introduction, je ne l’ai pas publiée car, lorsque nous avons fondé les éditions Mesures, nous avons pensé qu’il valait mieux donner à lire les quatre livres essentiels et laisser l’introduction et la conclusion à l’état d’absence comme des livres fantômes qui se diffusaient dans l’ensemble et qui, si, un jour, Sur champ de sable pouvait être publié dans sa totalité retrouveraient leur place en donnant une autre lumière au livre.
Le rouge est revenu sous forme de dominante dans le premier livre, qui évoque ces étés d’enfance au cours desquels tout monte vers les fêtes de l’Assomption et le brasier lancé vers la nuit, puis redescend vers l’angoisse du départ, plus violent aux jours de fin d’enfance. Je l’ai intitulé Assomption en jouant sur le double sens du terme.
La transparence froide et trouble s’est imposée pour ces jours d’adolescence qui s’étirent comme autrefois en Bretagne ces journées de lessive au lavoir, brutales et pleines d’une force trop vive, et la moindre parole s’inscrit dans la mémoire avec la violence du soleil dans la glace. Le titre, Buée, fait allusion au vieux mot employé pour la lessive.
Par ces automnes noirs de l’âge adulte, la force des trahisons, des angoisses et des disparitions donne l’impression de descendre vers la Toussaint, étrange fête des morts où l’absence est celle même de ceux qui la célèbrent. Brumaire n’évoque pas seulement les brumes de novembre mais aussi la violence du pouvoir à quoi résister.
Enfin, la blancheur de l’âge et celle de ces jours de décembre au cours desquels il faut revenir pour vider une maison d’enfance et en finir avec ses souvenirs se sont assemblées pour donner à Vigile de décembre cette espèce de douceur méditative inspirée aussi par des rituels religieux en voie de disparaître.
Et reste le gris de la poussière sur les couleurs passées des objets que l’on vend aux enchères, vieux jouets, livres d’enfants, vestiges d’anciens rêves sortis des contes redits avant même le temps de la mémoire. Ce livre, Enchères, sera peut-être publié un jour, en conclusion du volume complet. Pour le moment, c’est, lui aussi, un livre fantôme.
Ce qui pourrait sembler n’être que l’histoire d’une vie par hasard inscrite à partir d’un lieu en soi sans importance, une vieille maison d’un village de Bretagne, est aussi ce legs d’une inconnue qui a trouvé son héritage dans la poésie baroque et la mise en miroir des images par la rigueur des quatrains, héritage perdu, dont pourtant restent encore des traces comme de ces blasons usés où se voient des symboles sur champ de sable.
Françoise Morvan