Alors que les personnages d’Assomption restent fondus dans la brume de la mémoire, pour apparaître par brusques éclairs, comme lorsqu’on retrouve la présence d’une personne disparue, les personnages de l’adolescence, même s’ils ne sont pas nommés, sont pris dans des projets qui les inscrivent dans la trame du temps.
« Et confiant dans ce sentiment d’être abandonné, laissé au hasard du sort, si loin des préoccupations qui assaillent les femmes à l’abri des maisons remplies de meubles lourds, ils se réfugient dans l’église pour dire des aventures où glissent des trouveurs de terres inconnues, inventeurs de trésors, passagers clandestins enfermés dans des caisses au milieu des naufrages, Romain Kalbris, Rimbaud, Robinson, gagneurs de terres rêvant de tours du monde menant en Casamance, à Vancouver ou Zanzibar, et comme ils se retirent à pas de loup, l’ombre descend dans la venelle, complice, rôdant pour les laisser partir sans être vus, passagers clandestins fuyant, tout allégés de rêves, vers les vallons gonflés de vent.»
Les adolescents sont des passagers clandestins qui traversent le monde des adultes en cherchant où et comment s’enfuir, et chaque texte est la trace d’une traversée : une journée de lessive au lavoir où l’on fait la buée, une journée de classe….
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« La craie se casse sur l’ardoise
Le vieux maître d’histoire enfle la voix
Et montre les pillards surgis du vent
Courant l’immensité des gouffres déchirés
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L’orage qui grandit et gronde au fond du ciel
Porte une ombre à reflets violâtres sur les arbres
Où l’on croit voir courir les rames
Au hasard des lueurs avant la nuit
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Flux d’argent léger sur l’eau noire
Formes courbées glissant vers les étoiles
Espoirs promis aux chercheurs d’aventure
Courant l’immensité des gouffres déchirés
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L’odeur de mer mêlée au vent
Fait lever un soupir profond dans la poitrine
Et grandit le désir de fuir
Loin des temps morts et de l’histoire apprise. »
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… une tentative de trouver une autre vie dans les bois à l’écart du bourg…
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« La forêt s’ouvre par le pont gaulois comme par une clé de pierre, une clé lourde, posée en travers de l’étang plombé au bas des ardoisières. Il suffit d’y entrer pour oublier le bourg et ses médisances. Monde des hommes silencieux happant les solitudes et laissant place aux transfuges, l’homme aux taupes, le reclus, le père de la braconnière aux yeux de loutre, l’oiseau-loup, la femme grise. Tremblement du temps sur la terre amère, ombrages protégeant les épaisseurs d’histoire ensevelies par liasses sous les feuilles. »
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Puis cette descente vers le temps si étrange des communions avec ses rites de passage plus angoissants d’être voués à l’euphorie. La cassure du temps avait lieu dans Assomption au moment du départ à la fin de l’été, dans Buée elle a lieu devant la nappe brodée qui attend les invités au repas de communion : les initiales enlacées des ancêtres dont on a oublié le nom président à la célébration d’un dieu auquel les adolescents ne croient plus.
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« La nappe est vaste comme un ciel
Où se verraient brodés les chiffres des mariés
En relief blanc sur blanc devant l’éternité
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Posés comme en offrande au jour
Les grands couverts d’argent
Attendent le moment du sacrifice
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Poissons gravés ajours et ciselures
Lames lancéolées en miroir dans les verres
Couteaux modelant l’air truité d’avant la pluie
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Sur le blanc pur scintillant de cristaux
Se dresse la carafe au ventre rouge
Comme une ampoule emplie de vin de messe
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Montrant les mêmes chiffres enlacés
Le cristal traversé par la lumière
Laisse entrevoir des arbres gris au loin
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Le vieux verger la maison de granit
La nappe et les couverts tout est en place
Pour célébrer les fastes d’un jour saint
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Et les mariés n’ont plus sur cette terre
Ni voix ni ombre ou forme en transparence
Pas même un nom qui vienne à la mémoire. »
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C’est l’immobilité du temps sur le chaos et ces brusques strates de temps perçues en transparence comme on perçoit des lueurs de soleil à travers la grêle qui forment le thème essentiel du livre.
Les fragments de poèmes baroques sont là pour éclairer cette légèreté violente du temps ; ce sont les poèmes de Jean-Baptiste Chassignet qui se sont imposés — pas les plus connus (si tant est qu’ils le soient) et pas ceux que Nerval avait choisis (il fut le premier à compter Chassignet au nombre des poètes français majeurs du XVIe siècle) mais il y a comme en transparence une présence de Sylvie dans les images du livre.
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« Non de fer ni de plomb mais d’odorantes pommes
Le vaisseau va chargé, ainsi les jours des hommes
Sont légers, non pesants, variables et vains,
Qui laissant après eux d’un peu de renommée
L’odeur en moins de rien comme un fruit consommée
Passent légèrement hors du cœur des humains. »
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Une belle note de lecture d’Antoine Ponza sur le site poezibao
…une non moins belle note de lecture d’Hugues Robert sur le site de la librairie Charybde
et un enregistrement par Pierre-François Lebrun
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