Réécriture de l’histoire : le cas Rouleaux-Hamon

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Résumé : Kristian Hamon, historien autonomiste devenu spécialiste de l’histoire des nationalistes sous l’Occupation et donnant une version orientée des faits, entend nier la présence des SS du Bezen Perrot à Bourbriac en juillet 1944 et discréditer par tous les moyens possibles mon essai Miliciens contre maquisards (qui met en lumière le rôle accablant des nationalistes bretons). Il adresse à un journal autonomiste un long texte qu’il cautionne — texte qui nie le racisme des militants de Breiz Atao, nie la dérive nazie des militants nationalistes, nie l’ultralibéralisme du lobby patronal breton et reprend tous les thèmes de l’extrême droite nationaliste. Ce texte est capital pour comprendre le confusionnisme du mouvement breton qui se proclame de gauche. Il complète le texte en réponse à ce même historien qui vient de se faire élire au Comité directeur de l’ANACR et de l’ADIRP, associations de défense de la mémoire de la Résistance…

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En juillet 2014, le journal Le Peuple breton, organe de l’UDB (Union démocratique bretonne, parti autonomiste), publie un texte signé du nom de Kristian Hamon sur la conférence que j’ai donnée en septembre 2012 à la demande de l’ANACR, de la LP, de la LDH et je ne sais plus quelles organisations laïques qui s’indignaient de l’omerta au sujet de ce livre sur la Résistance et de l’impossibilité d’organiser une rencontre publique (en raison précisément des menaces des autonomistes).

J’ai mis en ligne un résumé de la rencontre et je l’ai dédiée à l’un des personnages de ce livre, Marcel Menou, qui est mort depuis, et qui aurait souhaité participer à une rencontre afin d’évoquer de vive voix les événements qu’il avait vécus — la rencontre n’aura plus jamais lieu.

Ce texte était si ridicule que j’ai choisi de l’ignorer. Or, Le Peuple breton le met en ligne in extenso : il apparaît que le journal n’en avait publié qu’un extrait et que le texte, long de sept pages, n’a pas été rédigé par Hamon mais adressé par ce dernier avec sa caution. Son auteur, un certain Rouleaux, a donc produit un texte si essentiel pour la doxa nationaliste qu’il est repris, promu et mis en ligne sur le site officiel du Peuple breton.

On en trouvera ici ce texte en PDF

Rouleaux PDF

Je n’y avais attaché aucune importance, mais puisqu’il est présenté comme expression de la pensée de Hamon lui-même et de l’UDB, il me semble utile, et même nécessaire, au moment où Hamon est élu au Comité directeur et au bureau de l’ANACR, association représentant la Résistance, d’en donner une analyse précise.

Je vais prendre les faits dans l’ordre où ils apparaissent.

Quelques remarques péalables :

1. Rouleaux avoue qu’il ne connaît rien au sujet (et comme il commence par exposer qu’il ignore  « l’histoire de la Résistance et la Milice », ce qui n’est pas mon sujet, on peut conclure qu’il n’a pas même compris de quoi parle le livre qu’il n’a pas lu, à savoir Miliciens contre maquisards).

2. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas pas ce livre, ou ce sujet, mais moi, ma personne. Il ne me connaît en rien et n’a rien lu de moi, mais veut étayer un « a priori défavorable ». Il va donc tout mettre en œuvre pour y parvenir.

3. Il expose d’entrée de jeu ma thèse supposée : « L’infamie des Miliciens (qu’il écrit toujours avec majuscule) en Bretagne pendant l’Occupation bénéficie d’un négationnisme universel. » La phrase témoigne à elle seule d’une ignorance abyssale et il l’illustre sous forme d’une citation hors contexte, évoquant Le Monde comme si, livre qu’il n’a pas lu.

4. Suivent six pages de délire agglomérant le moindre bout de phrase avec la moindre allusion à des faits historiques qu’il nie tout en n’y connaissant rien mais en les agglomérant parce qu’il faut démontrer ma paranoïa. Car telle est, en fait, sa thèse, et celle de Hamon : mes recherches relèvent de la paranoïa.

5. Pour étayer sa démonstration, Rouleaux part d’une phrase exposant que, dans mon essai Le Monde comme si, je dénonce

– La mainmise des nationalistes sur la culture en Bretagne.

– Le fait que le lobby patronal breton assure le triomphe de l’idéologie de Breiz Atao incarnant le nationalisme breton.

– Le fait que Breiz Atao était un groupe raciste qui a naturellement fait le choix de la collaboration avec l’occupant.

Cette phrase n’a pas vraiment de rapport avec la thèse que Rouleaux est supposé combattre (voir ci-dessus § 3) mais ne cherchons pas là trop de cohérence. J’ai, de fait, dénoncé la mainmise des nationalistes sur la culture, dénoncé le rôle de l’Institut de Locarn, lobby patronal breton, et analysé la dérive vers le nazisme du groupe raciste Breiz Atao. Rien là que d’objectif. Ces faits n’ont jamais été contestés.

Rouleaux (cautionné par Hamon et l’UDB) se lance dans un exposé réellement passionnant pour qui prend en compte le fait que cet exposé est diffusé par un journal qui se dit de gauche, titre sur « l’espoir en Grèce » et montre une image de glorieuse de Tsipras (« Une autre Europe avec Tsipras »).

Sa méthode est toujours la même : procéder à la négation des faits qui dérangent sans apporter la moindre référence exacte ou le moindre fait à l’appui.

• Négation du racisme des extrémistes de Breiz Atao engagés dans le nazisme : Rouleaux évoque « l’idéologie « raciste » supposée de la frange dure bretonnante d’hier ». « La frange dure bretonnante »… l’amalgame des bretonnants — ceux qui parlent breton —avec les fascistes donne bien le ton de l’ensemble ! Et « raciste » entre guillemets ! C’est la première fois que le racisme de Mordrel, Lainé, Debauvais et autres représentants de la « frange dure » des nationalistes de Breiz Atao est nié. Et Hamon, spécialiste du mouvement breton, cautionne ça !

• Négation de l’ultralibéralisme du patronat ultralibéral breton. Un journal de gauche qui nie l’ultralibéralisme du lobby patronal dirigé par les patrons de l’agroalimentaire et de la grande distribution ! Et qui titre sur Tsipras…

• Négation du poids, voire de l’existence, du nationalisme breton. Amalgame de « la Bretagne » à un « mouvement culturel breton » indemne du triomphe du nationalisme, les nationalistes étant « une racaille » infime. Breiz Atao n’était pas nationaliste, le FLB n’était pas nationaliste, Ollivro, l’UDB ne sont pas autonomistes  et Mona Ozouf n’a pas préfacé un essai de Jean-Jacques Monnier, géographe pas autonomiste non plus, quoique élu à Lannion sur la liste de l’UDB. Rouleaux n’a pas saisi qu’il publie dans Le Peuple breton, journal nationaliste breton.

• Négation des origines maurassiennes de Breiz Atao. Breiz Atao est bon : il  n’a pas été fondé dans les locaux de l’Action française car Maurras est français, donc mauvais : rappeler les origines maurassiennes de Breiz Atao c’est de «  la boue maurrassienne jetée sur l’autonomisme breton ». Et c’est Rouleaux qui m’accuse d’être dans le déni de réalité…

• Négation des liens des autonomistes bretons avec les services secrets allemands qui les subventionnaient : comme Hitler n’était pas au pouvoir, l’Abwehr n’avait aucune relation avec Breiz Atao dans les années 20…

• Négation du soutien apporté par les nazis (cette fois, on peut quand même parler de nazis, Hitler est au pouvoir) en 1939-40 au mouvement breton. Rouleaux s’appuie sur « un dossier publié par Fréville, il y a déjà bien des années » et lui fait dire que les Allemands n’ont pas pu soutenir les bons autonomistes car ils soutenaient le méchant Pétain. Le dossier de Fréville, c’est Archives secrètes de Bretagne que j’ai réédité en 2008 et qui montre la collusion totale du mouvement breton avec les nazis. Rouleaux devrait lire ses sources.

• Négation du réseau qui a permis aux nationalistes bretons de bénéficier d’appuis et de s’en sortir à la Libération, même lorsqu’il s’agissait de tortionnaires SS. Mise en accusation des réseaux du méchant De Gaulle et de la France. Ici encore, Rouleaux nie sans rien connaître — on pourrait croire être en présence d’une réécriture de l’histoire par un nationaliste comme on en trouve dans les franges de l’extrême droite, une sorte de délire de croyant, s’il ne s’agissait d’un discours officiellement cautionné par l’UDB.

• Négation du rôle joué par les tribunaux militaires pour l’acquittement de Fouéré, Delaporte, de miliciens et d’agents de la Gestapo à partir des années 50. Pas de guerre froide, pas d’anticommunisme et pas d’acquittements et de peines légères, même pour des tortionnaires. Les mauvais, ce sont les français, les militants de l’OAS amnistiés par De Gaulle.

• L’indulgence est d’ailleurs une bonne chose puisque (je cite) «  les deux « artistes » du FLB qui ont plastiqué la Galerie des Glaces à Versailles en juin 1978 ont été condamnés à 15 ans. Ils n’en ont fait que trois. » « Doit-on en être indigné ? » demande Rouleaux. Et c’est publié dans un journal autonomiste supposé condamner les attentats (et notamment les attentats commis par des nationalistes d’extrême droite qui continuent d’ailleurs de militer). L’UDB ne craint pas le double jeu.

• Négation du fait que les miliciens du Bezen et les agents de la Gestapo (comme Fouéré lui-même) peuvent à partir du milieu des années 50 revenir en Bretagne poursuivre leurs actions. Il ne manque pourtant pas d’essais sur le sujet, outre Miliciens contre maquisards, et l’histoire du MOB, à l’origine de l’UDB, est bien connue : l’UDB semble vouloir nier ses origines en publiant un tel texte.

• Négation totale du projet politique de l’Institut de Locarn. Nous atteignons ici une sorte d’apothéose : jamais, à ma connaissance, aucun militant breton n’était allé si loin, et surtout dans un journal qui se proclame de gauche et appelle « Une autre Europe avec Tsifras ».

         Affirmations de Hamon via Rouleaux :

         • d’abord, l’Institut de Locarn n’est pas ultralibéral, c’est plutôt une sorte de bon capitalisme breton ;

         • ce n’est pas du tout un lobby influent ;

         • l’institut de Locarn n’a pas été inauguré par Otto de Habsbourg qui n’a rien à faire avec le sujet ; Otto de Habsbourg n’a d’ailleurs aucun rapport avec l’Union Paneuropéenne, l’Opus Dei, les réseaux ethnistes et l’extrême droite, c’est quelqu’un de très bien qui est contre la purification ethnique ;

         • l’engagement chétien de Locarn est très bien aussi ;

         • le projet politique de Locarn n’a jamais été tenu dans l’ombre, même si ses fondateurs juraient ne pas savoir ce que c’était et si les responsables de Produit en Bretagne, association fondée par Locarn, niaient cette origine ;

          • évoquer le rôle de l’Institut de Locarn et donner des informations précises à ce sujet, c’est « le Démon, la Main noire ! Sous Staline, c’étaient les services secrets américains, sous Hitler le complot juif mondial ». Conspirationnisme ! Rien à voir. Locarn est bon pour les Bretons.

         Bref, l’UDB devrait titrer :  « Une autre Europe avec Locarn ».

• Nous en arrivons enfin à notre sujet : à savoir le fait que la présence du Bezen à Bourbriac, que j’ai établie, a été niée par Hamon. Rouleaux n’a pas lu Miliciens contre maquisards, n’a pas mis les pieds aux archives, confond tout au long de son texte la Milice et le Bezen Perrot mais sait que le Bezen n’était pas là, et ce qui est proposé comme ultime vérité aux lecteurs du Peuple breton, c’est que pour faire une telle recherche « il faut, en vérité, cette espèce de foi négative aux yeux de laquelle l ‘alpha et l’oméga de tout est l’existence du Malin. En l’occurrence, la main occulte d’un « Protocole des Sages de Celtie ».

Il me semble que nous avons là une sorte de pépite, le condensé le plus absolu de   rhétorique de l’extrême droite confusionniste telle que j’ai pu l’analyser dans les revues du mouvement breton fidèle à Breiz Atao (encore que Mordrel soit plus précis), le tout baignant dans une ironie grasse et ponitifiante, caractéristique de ce genre de prose, et avec recours au vocabulaire religieux : théorie du complot, diabolisme, recours au Malin, « Protocole des sages de Celtie », « chasse aux sorcières », recherche de « 10 justes sans Sodome », dénonciation du « pré-carré stalino-jacobin », tout cela pour se livrer à une apologie de Breiz Atao, de Locarn et de la « culture paranoïaque des “vieux croyants” ». Les vieux croyants communistes, anticapitalistes, résistants, et tutti quanti, ça va de soi.

Toute la vieille rhétorique machiste du « Florilège des  invectives » que j’ai choisi de rassembler pour faire un portrait du mouvement breton par lui-même émerge ici à l’état brut, en vrac : pour nier les faits, on convoque le Démon, la malédiction éternelle, le diable et le bon Dieu, la nébuleuse du mal, l’Inquisition qui forcément est la matrice de la femme, elle-même forcément paranoïaque, et la démonstration est faite.

Sauf que, d’après Rouleaux, la paranoïa « consiste à voir LA chose derrière les choses » et que derrière ses choses, je ne vois rien : juste le vide d’une ignorance crasse, affichée, affirmée, nourrie de haine — une haine finalement utile car la haine pousse la bêtise à énoncer ce qui aurait dû rester caché, et, en l’occurrence, la défense de l’idéologie de Breiz Atao et de Locarn par l’UDB.

Si je reprends les thèses de Rouleaux, je les trouve en parfait accord avec le site nationaliste d’extrême droite Breiz Atao : encore un petit effort et tout concordera. Il faudra quand même en finir avec les couvertures de mauvais goût à la gloire de Tsipras et autres égarements vers quelque chose comme une espèce de gauche.

© Françoise Morvan

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