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La disparition de François Tanguy, si subite, laisse l’impression de voir s’effondrer un monde – celui qui a été le nôtre si longtemps au théâtre, ce monde d’optimisme qui autorisait, côté lumière, toutes les expériences de création et, côté nuit, toutes les protestations contre l’inadmissible. Depuis Le Chant du bouc jusqu’à Par autan qui devait se donner au Théâtre de Gennevilliers le 8 décembre, et depuis la grève de la faim pour la Bosnie aux rencontres sur l’Ukraine, la même énergie de vie animait l’incroyable aventure du Théâtre du radeau, naviguant de campement en campement, et donnant même à la Fonderie l’allure d’un radeau prêt à lever l’ancre.
La chose est bien oubliée maintenant, mais c’est à François et au comité de soutien fondé par Madeleine Louarn que je dois d’avoir résisté aux attaques judiciaires et autres des nationalistes bretons. Je viens, par une bien triste coïncidence, de retrouver un exemplaire de la pétition qui avait alors été signée par tant d’écrivains, de chercheurs, de directeurs de théâtre et de metteurs en scène, depuis Peter Brook jusqu’à Emmanuel de Véricourt qui avait ouvert le TNB au comité de soutien, jusqu’à Sabine Wespieser, toute jeune éditrice… Le théâtre était alors le lieu d’une résistance farouche au nationalisme et les violences qui m’étaient faites ont été l’occasion d’une réflexion sur le communautarisme qui nous a permis de nous rassembler autour de plusieurs actions, bien oubliées aussi à présent, et qui demandaient temps, patience et solidarité. Ainsi avons-nous protesté contre la réhabilitation de collaborateurs des nazis comme Hemon et Drezen – combat inutile, dira-t-on, puisque la vague de communautarisme, au théâtre et ailleurs, et la soumission des élus aux nationalistes a balayé tout notre travail, mais, disait-il, je m’en souviens, lors d’une rencontre en plein cœur d’un été, pourquoi viser l’efficacité ? « Nous avançons comme aveugles en plein jour »…
Il m’avait offert comme cadeau d’anniversaire une lanterne et, s’adressant à la lanterne comme les artisans du Songe d’une nuit d’été (qu’il avait mis en scène et que nous avions par la suite traduit pour Madeleine Louarn et répété à la Fonderie), il s’était lancé dans une improvisation sur le thème du clair et de l’obscur – côté lumière, côté nuit toujours…
- « Cette lantorne est la lune à deux cornes
- Et, moi j’incorne l’Homme dans la lune… »
Faire surgir l’homme de la lune est un art qui ne se pratique pas sans risque. Comment ne pas se souvenir de la présence de François à la naissance des éditions Mesures ? Comment ne pas lui être à tout jamais reconnaissant de son accueil, de son talent, de sa drôlerie et de son amitié ?
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