Le travail critique est, en France, considéré, à l’instar de la traduction, comme une tâche subalterne. Encore la critique, lorsqu’elle consiste à commenter les textes, a-t-elle valeur d’œuvre : le discours sur, discours surplombant, légitime la hauteur de vues de son auteur, qui, du même coup, passe du rang d’écrivant au rang d’écrivain. Et cela, bien sûr, de manière plus efficace lorsque la critique en se donnant pour science se fait énigme.
Si j’ai passé tant de temps à éditer les œuvres d’Armand Robin, c’est que ce dernier avait eu le mérite (selon moi) d’effacer la frontière entre critique et poésie, traduction et poésie personnelle. Lorsque j’ai découvert que certains de ses prétendus poèmes lyriques étaient des fragments d’articles sur Claudel, Rimbaud et même Valéry, je n’ai eu de cesse que de publier ces articles mais en les mettant en contexte pour que le lecteur comprenne cette étrange épopée d’un auteur qui assurait n’avoir jamais existé (et qui, de fait, n’existait que dans la mesure où il n’existait pas puisqu’il n’était que passage par autrui, faisant de la traduction et de la critique pur exercice de poésie).
Il ne s’agissait pas pour moi de l’imiter — cette pratique mimétique étant d’ailleurs inimitable sauf à donner dans la singerie — mais de pratiquer la critique comme une forme d’exploration : découvrir un auteur, le donner à lire en limitant les commentaires au strict minimum mais en permettant au lecteur de disposer de toutes les voies d’accès possibles, c’était, à mes yeux, un travail de poésie au même titre que l’écriture d’un poème.
Faire émerger les Fragments d’Armand Robin de la gangue des manuscrits exploités à coups de ciseaux pour en faire une œuvre de poète conventionnel, publier les contes de Luzel en les arrachant à la gangue nationaliste qui les tenait englués, extraire les grandes collectes de contes de la gangue folklorique ou scientiste, éditer les œuvres de Danielle Collobert, tenter de faire entendre des voix oubliées revenait à faire de ces textes des biens partageables et ouvrir des espaces de liberté.
Espaces fragiles…