.Comme pour illustrer ce qui précède, une lectrice m’adresse un article du Canard enchaîné intitulé « Breizh akhbar ».
Il est paru le 10 février dernier.
Il évoque le cas d’un militant nationaliste qui revendique l’héritage de Breiz Atao (groupe nationaliste breton à l’origine de tout ce qui est supposé caractériser la Bretagne aujourd’hui, le drapeau, l’hymne, les Seiz Breur, le breton surunifié, la croyance en une celtitude opposant l’ethnie bretonne à la France métisse). Il revendique cet héritage et l’assume pleinement : hostile à la, selon lui, pollution de la race bretonne par des apports sémites, il a été condamné en 2013 pour provocation à la haine raciale, apologie de crimes contre l’humanité et contestation de crimes contre l’humanité, sur plainte initiée par la section de Rennes de la Ligue des Droits de l’homme — j’avais, en effet, permis qu’il soit identifié : jusqu’alors, il n’écrivait que sous pseudonymes. Plusieurs autres procès ont suivi, aboutissant en 2015 à une condamnation à six mois de prison ferme.
Ces multiples condamnations ne l’empêchent nullement de continuer à déverser sa propagande raciste sur le site Breiz Atao.
Le gouvernement incite tout citoyen mis en présence de propos racistes ou diffamatoires à procéder à un signalement. Nombreux sont ceux qui ont procédé au signalement du site Breiz Atao. Pourquoi ne pas tenter votre chance ?
Bon courage.
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Au même moment, je recevais un livre que j’avais fini par me résigner à commander — un lourd, très lourd pavé : plus de 600 pages…
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Intitulé Breiz Atao ! (avec point d’exclamation pour se différencier du Breiz Atao de Mordrel[1]), il présente en couverture (et en rouge pour que le lecteur puisse imaginer que tout ça relève aussi de la gauche) un dessin de ce même Mordrel pour l’affiche Lisez Breiz Atao de 1929. Un Breton viril, et rouge, sur une Bretagne réunifiée, et rouge : tout une symbolique, que la récente « révolte des Bonnets rouges » avait déjà su exploiter, pour mettre le rouge au service de l’ultralibéralisme sous drapeau.
Le projet de l’auteur, Sébastien Carney, est finalement complémentaire de ce mouvement : suivant le parcours de quatre éminents collaborateurs des nazis membres de Breiz Atao, il banalise et normalise leur idéologie en interdisant de poser la question essentielle : la revendication ethniste a mené l’ensemble du mouvement breton à collaborer avec les nazis — comment et pourquoi ? Question interdite.
Le concept fumeux de « non-conformisme des années 30 » imaginé par un professeur à l’IEP de Toulouse, Jean-Louis Loubet del Bayle, permet de dissoudre le fascisme dans un sympathique anarchisme anticonventionnel, cherchant à l’estime dans les brumes une troisième voie entre communisme et nazisme. Ainsi peut-on faire passer à la trappe les raisons pour lesquelles Mordrel, Delaporte, Lainé et Fouéré ont choisi le nazisme.
Pourquoi avoir élu ces quatre-là en tenant soigneusement à l’écart Marchal, Sohier, Debauvais, figures complémentaires, inséparables de la dérive nazie de Breiz Atao ? Bien sûr, parce qu’il fallait fondre cette dérive dans le brouillard de quelques destinées individuelles finalement réductibles à une espèce de moyen disant tolérable.
Au final, 30 pages pour les enfances du « petit Célestin » et 7 pages pour le Bezen Perrot : tout un résumé de la méthode… Oui, le « petit Célestin » était timide et avait les oreilles décollées, il était, au fond, très fragile, et pendant que les Waffen SS bretons qu’il avait enrôlés assassinaient et torturaient, il ne faisait que poursuivre son rêve mystique. Et ce grand rêve de la Celtie dispense de se pencher sur les sordides massacres de résistants bretons auxquels il a, malgré tout, c’est dommage, donné lieu.
Ce livre a été publié aux Presses universitaires de Rennes, imprimé sur les presses de cette université, avec le soutien de l’université de Bretagne occidentale et de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne — il représente quelque chose comme la version officielle de l’histoire, cautionnée par des services qui fonctionnent sur fonds publics.
Au détour du dernier chapitre, mélancoliquement intitulé « Crépuscules », on apprend, comme par incidence, car il faut vraiment se pencher sur la question pour arriver à trouver la réponse, perdue comme une aiguille dans cette vaste botte de foin, que Mordrel, condamné à mort par contumace, s’est enfui en Argentine, que Lainé, également condamné à mort par contumace, s’est enfui en Irlande, que Fouéré, lui aussi condamné à mort par contumace a organisé une filière de faux passeports pour tous les nazillons bretons et que, comme Delaporte, il a finalement réussi (mais comment, la question est aussi passée sous silence) à être acquitté pour mieux reprendre le « combat breton ».
Je ne me suis forcée à retrouver les informations données à ce sujet que pour indiquer clairement le contexte dans lequel s’inscrit la conclusion de cette ultime et officielle version de la grande dérive nazie du nationalisme breton :
« Il s’avère donc que, malgré l’exil, les “relèves” bretonnes continuèrent à être actives dès la fin de la guerre, grâce à de nombreux soutiens dans les jeunes générations, auxquelles elles livrèrent leur message, transmirent une foi qu’elles avaient inventée. Ces jeunes ont grandi en espérant, eux aussi le royaume, comme d’autres le font aujourd’hui. Mordrel, Delaporte, Lainé et Fouéré leur ont laissé les promesses de la Bretagne, qui furent pour eux celles d’une aventure, d’une lutte, de leur sacrifice et de leur salut. »
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De leur salut ?
Mais oui, de leur salut.
Car, sachez-le, il n’y a jamais eu de phases et de mouvements historiquement distincts dans l’enrôlement du mouvement nationaliste breton au service du nazisme : « Il n’a existé qu’un seul emzao, qui fut le personnalisme breton ».
L’emzao ou emzav, c’est la manière dont le mouvement nationaliste se désigne.
Rappeler ses choix, ses écrits, ses liens précoces avec l’Allemagne nazie, son rôle dans la lutte contre la Résistance, est déplacé : il ne s’agissait en fin de compte que de simples manifestations du personnalisme breton.
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Ultime manifestation en date du personnalisme breton, m’arrive, peu après, Breiz Aao !, la dernière production de l’indépendantiste Yves Mervin.
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Comme j’ai déjà perdu mon dimanche à commenter ce livre, je me contente de renvoyer à la page que je lui ai consacrée.
Mervin mène carrière dans le domaine de la Défense, Carney est publié par les presses de l’université : il ne s’agit plus, comme au temps de Breiz Atao, de marginaux drôlatiques assez semblables aux poètes non-conventionnels du groupe Dada, mais de tenants de la vérité officielle.
Et là est bien le problème.
La Bretagne plonge dans un magma identitaire de plus en plus opaque et de plus en plus trouble…
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@ Françoise Morvan
[1] Mordrel : Olivier Mordrelle, dit Olier Mordrel, fils de général, soudain converti au nationalisme breton et nazi de la première heure, jamais repenti, agent de la Gestapo sous l’Occupation et militant du GRECE (entre autres).
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PETITE NOTE COMPLÉMENTAIRE
À la suite de la publication de cet article, Boris Le Lay s’est répandu en menaces à mon endroit.
Échantillon de sa prose :
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Il serait intéressant de savoir quelle subvention j’ai pu recevoir de qui et quand, mais l’essentiel n’est pas là : cette diatribe de Le Lay a été reprise sur Facebook avec une stupéfiante violence machiste et de nouvelles menaces à mon endroit en raison de mes propos antipatriotiques. Or les patriotes ainsi déchaînés par Le Lay étaient principalement des identitaires proches du FN qui n’avaient pas saisi que la patrie à défendre était la Bretagne contre la France. Belle démonstration de rhétorique nationaliste comme expression d’une fureur vide, amenant pathologiquement au racisme.
Le 21 avril 2016, Boris Le Lay a été condamné à deux ans de prison ferme pour incitation à la haine raciale.
Son site étant à présent hébergé au Texas, si je n’avais pas porté plainte et incité la LDH à porter plainte, il n’aurait jamais été identifié puisqu’il n’écrivait alors que sous pseudonymes.
On pourra constater que le site Breiz Atao apporte son fervent soutien à Mervin.
Olier Mordrel, nazi de la première heure ? Certes non, Olier Mordrel reprochait de nombreuses choses au fascisme et il n’est que de voir son opposition au début des années 30 mais il est vrai qu’il retourna sa veste par la suite.
Dans la mesure où Mordrel a publié en 1933 son programme national-socialiste SAGA directement inspiré du programme du SNDAP, je ne vois pas comment je pourrais le qualifier autrement que de nazi de la première heure.