Dans le dernier numéro de La Grande oreille, je poursuis mon enquête sur les folkloristes de France. Après François-Marie Luzel et Amélie Bosquet, Achille Millien, figure non moins énigmatique et touchante : une vie passée à rassembler des milliers de contes et de chansons, une immense collecte toujours en cours d’édition…
Voilà quelques années, à la demande des éditions Ouest-France j’avais publié les contes choisis pour l’édition par Millien lui-même. Ce mois-ci doit paraître aux éditions José Corti la grande édition des contes merveilleux due à Jacques Branchu. Éditer Millien est loin d’être simple : pour avoir travaillé aux archives départementales de la Nièvre sur le fonds miraculeusement sauvegardé, j’en sais quelque chose — mais quel plaisir de découvrir ces petits fragments de contes sur ces manuscrits parfois changés en œuvres d’art par le cours du temps…
Millien fut une victime parmi tant d’autres de la celtomanie : alors qu’il terminait ses jours dans la misère, et que des folkloristes comme Luzel avaient dû au Service des missions de pouvoir mener à bien leurs recherches, toute mission lui fut refusée : inutile de travailler sur le domaine français. Anatole Le Braz, lui, professeur et bien nanti, continuait de recevoir de l’argent pour ses missions de recherche sur les saints bretons que chacun, y compris Luzel, s’accordait à trouver consternantes. Bel exemple de la mythologie panceltique destinée à proliférer en produisant ses habituels effets délétères.
Le numéro (double) de La Grande oreille consacré à Cendrillon est particulièrement réussi. Et je note au passage que l’illustration de couverture a le mérite de réduire à néant la triviale correction balzacienne transformant en pantoufle de vair la pantoufle de verre du conte de Perrault. Obsédé par un réalisme bien étranger à l’esprit du conte (et bien peu réaliste, en fin de compte), Balzac voulait que Cendrillon aille danser en chaussons de fourrure ! Et il se trouve encore des éditeurs pour corriger Perrault… Les princesses des contes de fées se déplacent en souliers de fer (dont elles doivent user sept paires pour expier leurs fautes) ou aussi bien d’or, de cristal ou d’argent et rien ne les empêche de chausser des pantoufles de verre pour aller au bal (sachant que pantoufle désigne un soulier à talons hauts). Dans la version recueillie par Millien donnée dans la revue la pantoufle est d’or et l’habit d’étoiles…