Avec Jean, dit Yann, Miniou disparaît, à 95 ans, l’un des derniers membres du Bezen Perrot, formation regroupant des nationalistes bretons sous uniforme de la Waffen SS. Le Bezen Perrot fut créé en 1943 après l’exécution de l’abbé Perrot (autre nationaliste fanatique) par la Résistance.
Je me suis trouvée amenée à suivre l’itinéraire de Miniou (alias « Braz »), car, comme je l’ai montré en travaillant aux archives, il faisait partie du groupe du Bezen qui, à Bourbriac, puis à Scrignac, fut chargé d’assister les nazis : Jean Miniou compta, entre autres, au nombre des SS responsables de l’assassinat de sept jeunes gens à Garzonval. Il fut donc l’un des tristes héros de Miliciens contre maquisards.
Le personnage est représentatif de ce que le mouvement breton a pu produire de pire au nom de la Bretagne et de la foi : un tortionnaire défendu par les bons pères, prêt à tout, et toujours plein d’une onction jésuitique. Il a servi de caution aux nationalistes les plus engagés dans la collaboration, et surtout aux pires assassins du Bezen car, alors même qu’il avait été parfaitement identifié parmi les SS en opération à Scrignac et avait été condamné à mort par contumace en janvier 1946, puis s’était enfui en Allemagne avec le Bezen et avait alors fait partie d’un commando chargé de revenir faire de l’espionnage en France, arrêté par hasard à Rennes en août 1946 avant d’avoir pu gagner l’Irlande, il bénéficie du soutien efficace des prêtres de sa paroisse et des magistrats : sa condamnation à mort est transformée en six ans de travaux forcés… Son dossier contient des lettres interceptées par les gardiens : « J’espère que Papa pourra s’arranger avec les magistrats», écrit-il, par exemple, et il prend bien soin de mentionner son ami Bouëssel du Bourg dont le père est un magistrat sympathisant ; ainsi, bien assisté, parvient-il à se faire passer pour un pieux jeune homme, hélas trop timide, entraîné par de mauvais camarades dans une formation dont il ignorait tout (lui qui avait fait partie du dernier quarteron des acharnés regroupés en Allemagne pour continuer le combat contre la France).
Grande victoire pour les nationalistes qui purent clamer partout, comme Yann Fouéré, que les membres du Bezen condamnés à mort étaient d’innocentes victimes du jacobinisme français : certains étaient injustement condamnés à mort alors qu’ils méritaient tout au plus quelques années de travaux forcés, le cas Miniou le prouvait. Et les nationalistes bretons, alertant les nationalistes gallois et irlandais, entreprirent de dénoncer les exactions de l’odieuse France contre les Celtes persécutés.
Miniou joue donc un rôle plus important qu’on ne pourrait le penser : comme les autres, il reprend immédiatement le combat. On le trouve au nombre de ceux qui militent à la Mission bretonne, à Ker Vreizh, aux côtés des Louarn, Delalande et autres collaborateurs des nazis exilés pour indignité nationale : après les scouts Bleimor rattachés aux scouts d’Europe, ce sera Diwan…
Interrogé en 2012 par Vincent Jaglin pour son film La découverte ou l’ignorance, Miniou assurait que le Bezen avait été une manière de défendre la culture bretonne. Un brave vieillard, un militant dévoué à la cause si chère au cœur des Bretons, jurant qu’il n’avait participé à aucune action militaire, juste gardé quelques camions sans trop savoir ce qui se passait dans les environs…
Enfin, il est intéressant parce qu’il nous permet de comprendre comment le mouvement breton a réussi à réécrire son histoire. Nous disposons d’un tout récent spécimen de novlangue produit à son sujet par l’indépendantiste Mervin qui, en 2009, lui a fait rencontrer Georges Ollitrault, un ancien maquisard, afin de démontrer que miliciens et maquisards pouvaient communier dans la même vision œcuménique du combat breton. En ce temps-là, Mervin dissimulait Miniou sous le nom de code BF3 ; désormais il le nomme et son éloge funèbre nous offre un bel exemple du double langage pratiqué par le mouvement breton.
Pour ne pas être accusé d’être antibreton et de voir des nazis partout (car un SS breton n’est pas un nazi), ne dites pas :
« Jean Miniou fut un militant nationaliste fanatique enrôlé par les frères de l’école catholique de Guiscriff dans une nouvelle chouannerie contre la France républicaine, ce qui amena ce futur séminariste à militer au PNB nazi ».
Dites :
« Jean Miniou fait partie de cette génération à qui l’Éducation nationale française a interdit de parler sa langue maternelle à l’école. Si tous furent meurtris, Jean Miniou fut de ceux qui ne l’acceptèrent jamais. »
Ne dites pas :
« Jean Miniou s’engage sous uniforme SS dans la formation dite Bezen Perrot pour combattre la Résistance et exécuter les basses œuvres des nazis, information, infiltration des maquis, tortures et assassinats. »
Dites :
« Jean Miniou s’engage dans une unité militaire bretonne qui cherche à protéger les nationalistes bretons contre diverses agressions. »
Ne dites pas :
«Jean Miniou participe aux exactions du Bezen Perrot en divers points de la Bretagne, notamment à Bourbriac, où sept jeunes gens sont emprisonnés, puis torturés avant d’être assassinés ; il avoue avoir participé à plusieurs opérations et s’être enfui en Allemagne avec le Bezen Perrot pour faire de l’espionnage radio contre la France… »
Dites :
« Jean Miniou a l’occasion de demander au chef du Parti national breton (PNB) s’il serait possible de se rapprocher des Alliés pour éviter de combattre un jour des cousins gallois. »
Ne dites pas :
« D’abord condamné à mort, Jean Miniou bénéficie d’une étrange clémence de la part des magistrats et n’est condamné qu’à six ans de travaux forcés, ce qui ne l’empêche pas de devenir un redoutable affairiste et de reprendre le combat en embauchant des militants bretons. »
Dites :
« Après la Libération, et quelques années de travaux forcés, Jean Miniou retourne à la vie civile et, assez rapidement, crée une entreprise de travaux publics et de promotion immobilière en région parisienne. Mais il n’est pas motivé par la réussite matérielle. Selon une devise « discrétion et efficacité”, Jean Miniou préfère venir en aide aux associations bretonnes, en particulier celles qui œuvrent pour la langue bretonne, comme les écoles Diwan.»
Ne dites pas :
« Il milite à la Mission bretonne, pépinière de nationalistes, et se signale lors de la sinistre affaire du presbital kozh à Landeleau par une rapacité qui provoquera une action en justice . »
Dites :
« Il participe à l’aménagement des nouveaux locaux de la Mission bretonne » et a « très largement contribué à la restauration du manoir de Landeleau. »
Ainsi, vous aurez le portrait d’un vrai chrétien, d’un bon Breton et d’un ami de la Résistance, pour peu qu’elle soit représentée par un vaillant FTP prêt à copiner avec un aimable SS.
Et vous aurez l’un des héros de la nation bretonne telle que les militants s’emploient à la faire advenir.