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Tandis que les armées de Poutine bombardent l’Ukraine qui, peuplée par une ethnie slave, doit selon lui rejoindre le giron de la mère patrie, qu’elle y consente ou non, car Dieu l’a voulu, la Bretagne est parallèlement le lieu d’un combat mené contre la France au nom des gènes d’une ethnie opprimée, une ethnie celte vouée à rejoindre le giron de la mère patrie, la vaste celtitude éclatée en nations appelant à prendre leur indépendance.
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Le 19 mars, pour faire pièce à l’ouverture du château de Villers-Cotterêts et à la semaine de la langue française et de la francophonie, les militants bretons organisent un colloque intitulé « Ethnocides, un tabou français ». Ce colloque peu tabou puisqu’il se tient officiellement à l’université de Vannes est subventionné par le Conseil régional de Bretagne, l’Institut culturel de Bretagne (connu de longue date pour ses dérives nationalistes et sa promotion de collaborateurs des nazis) et Kevre Breizh.
Qu’est-ce que Kevre Breizh ? Ne cherchez pas sur Internet : le site (kevrebreizh.bzh) est en maintenance et les informations éparses çà et là obscures. C’est un réseau, comme l’association Produit en Bretagne créée par l’Institut de Locarn pour fédérer les entreprises bretonnes autour d’un projet apparemment apolitique et plein de bons sentiments identitaires, un réseau créé par le Conseil culturel de Bretagne (double de l’Institut culturel également créé par Giscard d’Estaing sous la pression des nationalistes, le tout formant une sorte de ministère de l’Identité) en vue de fédérer vingt-sept associations dites « culturelles ». Il va de soi que l’alibi culturel prête apparence bénigne à un projet éminemment politique, comme l’indique le choix du président, le militant nationaliste Tangi Louarn, frère de la militante nationaliste Lena Louarn, ex-vice-présidente du Conseil régional, et oncle de la chanteuse nationaliste Gwennyn Louarn qui intervient également dans ce colloque. Lena Louarn n’a jamais manqué de rendre hommage à son père, Alain, dit Alan, Louarn, collaborateur des nazis condamné à la Libération et militant nationaliste acharné jusqu’au bout à poursuivre son combat.
Kevre Breizh a donc été créé par le Conseil régional de Bretagne présidé par Jean-Yves Le Drian, alors socialiste. Comme l’indiquent les statuts, pourtant rédigés dans un charabia assez flou pour abuser, le but de l’association est « la défense des droits culturels des bretons (sic) et le soutien mutuel à ses membres (sic) dans le cadre de ses principes fondamentaux ». Quels « principes fondamentaux » ? Édictés par qui ? Et quels « droits culturels des Bretons » ? Définis comment ? Par qui ? Le but affiché est de permettre la représentation des associations ainsi fédérées « auprès des institutions à tous les niveaux et en particulier au niveau des 5 départements bretons, de la région de Bretagne, des institutions de la république française, de l’union européenne, du conseil de l’Europe et des nations unies », donc de faire advenir la « réunification » de la Loire Atlantique, considérée comme département breton, préalable nécessaire à l’autonomie, en attendant l’indépendance.
Les amateurs de danses bretonnes, de dentelle ou de biniou se rendent-ils compte qu’ils s’inscrivent dans un combat politique pour des droits et des principes dont ils ne savent rien ? Kevre Breizh se vante de rassembler 75 000 membres (ailleurs, 50 000). Elle est subventionnée par le conseil régional mais obtenir les comptes n’est pas simple… Quoi qu’il en soit, en sont membres Diwan (qui reçoit chaque année plus d’un million d’euros), Stumdi (plus de six cent mille euros), Bodadeg ar sonerion plus de quatre cent mille euros comme le Festival interceltique, sans oublier Kendalc’h, la maison d’édition nationaliste Skol Vreizh et autres associations grassement subventionnées, soit des dizaines de millions ainsi investis dans le combat breton. La fabrique identitaire se tient là, dans ce réseau tissé pour emprisonner tout ce qui touche à la culture et qui s’effondrerait s’il n’était plus sous perfusion.
Le colloque organisé pour « réexaminer les pratiques ethnocidaires de la France vis-à-vis de ses minorités culturelles ou des peuples dont elle refuse de reconnaître les droits fondamentaux en Alsace, en Corse, au Pays basque, en Bretagne, en Occitanie, en Catalogne, en Flandre, en Savoie, dans les territoires d’outre-mer » assemble la fine fleur des autonomistes bretons avec la participation de militants des ethnies opprimées par la France (Haizpea Abrisketa pour le Pays basque, Micheli Leccia pour la Corse, Pierre Klein pour l’Alsace, Elin Haf Gruffydh Jones pour le Pays de Galles et les langues celtiques persécutées… et le redoutable Louis-Georges Tin qui, après avoir été radié du non moins redoutable CRAN pour malversations, se présente comme Premier Ministre de l’État de la Diaspora Africaine (je respecte les majuscules) pour « légiférer sur l’ethnocide » (tel est le titre de sa communication). Il est à noter que l’État de la Diaspora Africaine a été créé en 2018 par Tin qui s’est autoproclamé Premier Ministre, suscitant ainsi diverses protestations, dont celle du CRAN qui qualifie cet État fictif d’« imposture ». La promotion de L.-G. Tin est, depuis des années, assurée par RT, chaîne de propagande poutinienne à présent interdite par l’Union européenne (et il va de soi que l’invitation de Tin à ce colloque n’est pas un hasard dans les circonstances actuelles).
Au moment où paraît le très remarquable livre de Philippe Brunet, Itinéraire d’un masque, évoquant l’interdiction de sa mise en scène des Suppliantes d’Eschyle à la Sorbonne par L.-G.Tin et les militants du CRAN, il n’est pas sans intérêt de marquer l’intrusion du wokisme en Bretagne par le biais des autonomistes subventionnés par le Conseil régional.
Les militants bretons retenus pour illustrer l’ethnocide qu’ils ont subi sont l’autonomiste Jean-Jacques Monnier, spécialiste de la réhabilitation des nationalistes collaborateurs des nazis (voir son essai Résistance et conscience bretonne assimilant Résistance et combat breton), Rozenn Milin, qui fut la directrice de TVBreizh fondée par Patrick Le Lay, et l’autonomiste Paul Molac, élu député grâce à l’appui de Jean-Yves Le Drian – Molac qui fut président du Conseil culturel de Bretagne et vice-président de Kevre Breizh. Ainsi la boucle est bouclée.
L’idéologie qui sous-tend ce colloque est la haine de la Révolution française et de la République accusée de s’être rendue coupable d’une « politique ethnocidaire » identique « depuis la Terreur » et la « Troisième République colonialiste de Jules Ferry ». Le fait de critiquer l’enseignement dit « par immersion » pratiqué par Diwan est assimilé à la « politique ethnocidaire de la Terreur ».
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Tandis que « les Bretons » (puisque les nationalistes bretons s’arrogent le droit de parler au nom du « peuple breton », ce qu’ils font, de fait, sur fonds publics, comme on peut le voir) s’élèvent contre l’ethnocide qu’ils subissent, « les Corses » promettent de mettre l’île à feu et à sang afin de rendre justice à un assassin, Yvan Colonna, emprisonné pour avoir abattu avec une ignoble lâcheté le préfet Érignac.
Colonna qui faisait de la musculation avec un islamiste fanatique détenu pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme », a trouvé intelligent de le provoquer et notamment, d’après le procureur antiterroriste Jean-François Ricard, de déclarer au djihadiste que, pour sa part, il « crachait sur dieu ». Le 2 mars, pour venger ce blasphème et gagner le paradis d’Allah, l’islamiste se jette sur lui par derrière et tente de l’étrangler. Colonna, bien que secouru par les surveillants, sombre dans le coma.
S’il s’agissait d’une minable bagarre entre détenus, d’aucuns penseraient que la violence des uns attise la violence des autres et que le fanatisme attise le fanatisme – mais nous sommes en Corse : résultat du crachat sur dieu, des milliers de Corses défilent derrière des banderoles proclamant « Gloire à toi, Yvan » et « État français assassin ».
En quoi l’État français est-il responsable de l’assassinat de Colonna (assassinat potentiel puisqu’il est toujours en vie) ? La réponse des nationalistes est que la prison d’Arles n’est pas à la hauteur de leurs attentes, qu’elle est trop loin de Corse et que les voyages coûtent trop cher. Les familles des autres assassins du préfet, Alessandri et Ferrandi, en profitent pour demander leur incarcération en Corse.
Des lycéens et étudiants de Corte (petite ville où se trouve une université qui a été une conquête des nationalistes) organisent des émeutes… 67 blessés, des incendies… L’autonomiste Gilles Siméoni, ex-avocat de Colonna et actuel président du conseil exécutif de Corse, en profite pour souffler sur les braises : « Le peuple corse tout entier est mobilisé contre l’injustice » – quelle injustice ? Aucun journaliste ne pose la question – et « pour une véritable solution politique entre l’État et la Corse ». Quelle solution ? La question n’est pas posée non plus puisqu’elle va de soi : les Corses sont corses et doivent donc être corses, libérés de l’État qui ne leur veut que du mal et fait assassiner leurs chers assassins qu’il aurait fallu veiller avec amour et vigilance en évitant qu’ils ne subissent les conséquences de leurs gracieux propos.
Réponse de l’État assassin : Colonna, Alessandri et Ferrandi (qui sont des détenus DPS, particulièrement surveillés) sont libérés de leur statut et autorisés à être incarcérés en Corse ; la peine de Colonna est suspendue – son avocat, ne l’oublions pas, était le sulfureux garde des sceaux Dupont-Moretti. Et voilà le non moins sulfureux Gérald Darmanin qui accourt à Ajaccio et propose tout de go un statut d’autonomie à la Corse.
Le 26 novembre dernier, suite aux émeutes contre le passe sanitaire, le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu s’était, de même, précipité aux Antilles pour proposer franco l’autonomie à la Guadeloupe. Mais c’est qu’en 2003, consultés au sujet de la création d’une collectivité territoriale administrée par une assemblée unique, les Guadeloupéens avaient répondu non à 72, 98 %. Allait-on leur forcer la main pour les décider à accepter la liberté qui leur était proposée contre leur opinion si clairement exprimée ? C’est ce qui s’est passé en Corse où, en dépit d’un vote négatif, la collectivité territoriale unique a été imposée, amenant au pouvoir les nationalistes.
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Il va de soi qu’en de telles circonstances, et au moment d’ouvrir la seconde partie du colloque sur les ethnocides, Paul Molac triomphe : enfin, l’État ethnocidaire offre l’autonomie à l’ethnie corse. « C’est un changement de mentalité de la part de l’État qui avait quasiment banni ce terme par le passé », jubile-t-il. Fin de l’égalité républicaine : « Il faut laisser les territoires s’organiser. »
Chaque reculade du gouvernement est présentée comme une avancée.
Une avancée vers quoi ?
Une Europe des ethnies.
Caractérisées par quoi ?
Une identité fabriquée pour servir de décor et permettre à l’État de ne plus assumer son rôle. L’essentiel est qu’il se désengage et disparaisse le plus possible.
Le colloque du 19 mars est une petite pièce dans un dispositif d’ensemble.
L’invention de l’ethnie bretonne, fiction aussi dérisoire que l’État inventé par Tin pour se bombarder Premier Ministre et participer à l’une des pires chaînes de propagande poutinienne, se situe là, dans l’organisation sur fonds publics d’une cérémonie destinée à mettre en œuvre la propagande à quoi chacun sera amené à croire – une propagande officielle, comme on peut le constater. L’ethnisme, qui n’est qu’une variante de fiction raciste, s’inscrit dans un projet global.
Et, bien sûr, dans la foulée, le FLB s’empresse de demander (au nom du peuple breton ethnocidé) un référendum sur l’autonomie ou l’indépendance de la Bretagne (la Bretagne « réunifiée » naturellement, puisque la « réunification » est le préalable de l’autonomie, elle-même préalable de l’indépendance, comme le montre bien Benjamin Morel).
À l’aune de la guerre qui se déroule en Ukraine, les événements de Corse et le colloque contre l’État français ethnocidaire apparaissent comme les deux faces d’un combat qui se caractérise par la même indécence.
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