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L’actualité nous offre, sous forme d’un feuilleton qui ne fait que commencer, la suite du Monde comme si.
J’y exposais l’itinéraire des militants nationalistes qui, depuis 1919 et la fondation du mouvement Breiz Atao, avaient porté la « cause bretonne » sur base ethniste et s’étaient naturellement alliés aux nazis. Je montrais comment ces nationalistes, totalement discrédités à la Libération, avaient réussi, grâce aux milieux d’affaires, aux réseaux ethnistes européens et aux institutions régionales, à prendre peu à peu le pouvoir et à imposer leur discours. Je constatais que la réécriture de l’histoire autorisait une mainmise de plus en plus oppressante sur la culture, banalisant sous label de gauche une idéologie d’extrême droite. Ainsi des hommages étaient-ils rendus à des auteurs de textes antisémites prônant la haine de la France et la collaboration avec les nazis.
L’exemple de Youenn Drezen était particulièrement probant : d’une part, il avait été adhéré à Breiz Atao dès ses débuts, à l’âge de vingt ans, et avait continué de militer jusqu’à sa mort sur la même base idéologique ; d’autre part, il avait sous l’Occupation été (entre autres) responsable des pages en breton de L’Heure bretonne, organe des nationalistes les plus résolument inféodés au national-socialisme, et il était l’auteur de textes antisémites particulièrement immondes ; enfin, ces textes avaient été réédités par le professeur Per Denez, directeur du département de Celtique et vice-président de l’Institut culturel de Bretagne, sur fonds publics ; or, non seulement, les protestations à ce sujet étaient restées lettre morte, mais une mairie socialiste, comme celle de Pont-l’Abbé avait pu rendre hommage à Drezen comme à un homme de gauche, et les protestations, là encore, y compris les traductions de ses textes antisémites en breton, avaient été enterrées, des mairies dites de gauche, comme celle de Rennes, continuant imperturbablement d’honorer Drezen et autres nazillons de la même mouvance.
Rappelons qu’au moment de la rafle du Vel’ d’Hiv’ (donc les 16 et 17 juillet 1942), Drezen se déchaînait (sur commande) contre les Juifs, aussi bien dans La Bretagne (j’ai traduit son article sur l’étoile jaune que les Juives doivent se réjouir de se mettre sur le derrière et je l’ai reproduit dans Le Monde comme si) et que La Bretagne et L’Heure bretonne diffusaient des dénonciations de Juifs et de francs-maçons avec la totale approbation de Drezen (le 16 mai 1942, L’Heure bretonne ouvre un dossier « Tableau de chasse » pour appeler à délation).
En 1999, les protestations contre les hommages rendus à Drezen ne servent à rien ; en 2000, le dossier Réécritue de l’histoire en Bretagne rédigé pour la LDH ne sert à rien ; en 2001, j’écris Le Monde comme si qui ne sert à rien : on continue imperturbablement à honorer au nom de la Bretagne qu’ils ont trahie Drezen, Monjarret, Langlais et autres nazillons.
Voici les pages du Monde comme si avec un spécimen de prose de Drezen.
Ces efforts d’information qui ne servent à rien ont malgré tout le mérite de montrer de quelle manière s’impose le règne du comme si : les textes sont traduits mais on fait comme si on ne les voyait pas ; si l’on ne peut pas faire autrement que de les voir, on fait comme si des erreurs les travestissaient, on les enlise sous les interprétations, les accusations, les invectives, et on mandate des historiens à la botte pour jeter le doute.
Nous en avons sous les yeux un magnifique exemple.
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En 2019, alertés par un habitant de Pont-l’Abbé, Daniel Quillivic, le maire, Stéphane Le Doaré, et le conseil municipal décident de débaptiser la rue Youenn Drezen.
Quel courage !
Attendez la suite…
D’abord, invectives, harcèlement, menaces de mort de la part de l’extrême droite, nationaliste, à savoir les identitaires du groupe Breiz Atao dont le responsable, maintes fois condamné en justice, se réclame, non sans cohérence, du racisme et de l’antisémitisme de Breiz Atao dont il assume pleinement l’héritage. Le but énoncé est clair : terroriser et faire battre le maire aux élections.
Des plaintes sont déposées (mais, le cas Le Lay le montre, ces militants sont désormais indifférents à la sanction).
Et voici une grande action concertée, en provenance des nationalistes que l’on pourrait dire de gauche, à leur tête l’autonomiste Kristian Hamon et son ami, Youenn Drezen fils, autre militant breton.
Le fils Drezen, qui s’est rendu à Quimper pour être filmé, ne parle pas breton (ce qui en soi suffit à donner la mesure du combat de son père en faveur de cette langue) mais il a lu, assure-t-il, toutes les traductions des articles de son père dans La Bretagne et dans L’Heure bretonne et, il le jure, il n’y voit rien de « raciste, antisémite, proallemand, rien du tout ».
Cette apologie de Drezen par son fils ne serait que pathétique si celui qui l’interrogeait n’était Bernez Rouz, président du Conseil culturel de Bretagne, lequel, ès qualités, l’amène à nier l’antisémitisme de son père et se porte lui-même garant : « Comme rappelé par Bernez Rouz, président du Conseil culturel de Bretagne, il n’y a aucune trace d’anti-sémitisme (sic) dans l’œuvre littéraire de Drezen ». Où commence, où s’arrête l’œuvre littéraire de Drezen ? C’est bien en tant que grand auteur breton qu’il dirige les pages de L’Heure bretonne et c’est bien en tant que grand auteur breton qu’il est republié par Per Denez, encensé par lui et subventionné par l’ICB. La manœuvre est retorse : mettons de côté quelques menus dérapages sous l’Occupation et faisons comme si l’œuvre de notre grand auteur se tenait dans la zone pure de la littérature.
C’est donc officiellement que l’antisémitisme de Drezen est nié et l’Agence Bretagne Presse dirigée par un indépendantiste nommé Argouac’h a été mandatée pour venir filmer le président du Conseil culturel de Bretagne dans le cadre de cette opération.
De l’extrême droite (Breiz Atao), à la droite (ABP) et à la « gauche » (UDB), indépendantistes et autonomistes se mobilisent donc, et c’est l’udébiste Kristian Hamon qui se charge de détourner l’attention de l’antisémitisme pour se servir d’une phrase du maire accusant nommément Drezen de délation .
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Un historien qui se vante d’avoir un DEA, soutenu voilà vingt ans, pour garantie de son sérieux, ce n’est pas banal (d’autant que le DEA n’a pas été soutenu en Histoire mais en Celtique, sous la direction du fils de Per Denez, et immédiatement publié par les éditions An Here dirigées par le terroriste Martial Ménard). Peu importe : aussitôt, des habitants (anonymes) reprennent les propos de l’« historien » :
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Et, bien sûr, derrière ces diaboliques accusations, se profile la main du grand Satan, la « chasseur attitrée de militants bretons » dont il suffit de prononcer le nom pour rameuter les combattants.
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La méthode est toujours la même : se servir d’un mot, soi-disant mal traduit, pour faire passer tous les faits à la trappe. L’important n’est pas que Drezen ait produit des textes antisémites pendant des années mais que je sois supposée avoir traduit un mot de travers. En l’occurrence, mon crime serait d’avoir traduit « yuzevien » par « youtres ».
J’ai traduit « yuzevien » par « juifs » et « yourdou » par « youtres ».
Le 16 août 1941 Drezen dénonce dans L’Heure bretonne les « juifs de Radio-Londres » (« yuzevien Radio-Londres » ). Ce texte a été réédité par Per Denez avec le soutien de l’Institut culturel de Bretagne, texte qui est non seulement encore disponible mais mis en ligne).
En voici la traduction, également mise en ligne
« Autant le dire tout de suite, j’ai été écœuré cette année par le Quatorze juillet des Français et, si j’avais eu la moindre goutte de sang français dans les veines, j’aurais rougi de honte… Quelle floraison tricolore, mes pauvres amis ! Jamais de ma vie je n’avais vu mes compatriotes colorés comme ça. Encore un peu j’aurais cru le dicton “Le Breton est deux fois français” ! Sauf que j’aurais dû dire : les Bretonnes !
Car je dois avouer que les hommes entre 22 et 55 ans ne s’étaient pas trop démenés. Mais les femmes, elles, et les morveux, ne savaient que faire pour montrer leur soumission aux Juifs de « Radio-Londres ». Rubans tricolores dans les cheveux, fleurs tricolores sur le cœur, jupes bleues, vestes blanches, chemisiers rouges, une fête des couleurs françaises, je ne vous dis que ça !…
Bretons, mes compatriotes ! A nous aussi il arrivera, à l’occasion de fêtes ou d’événements divers, de montrer au grand jour notre amour pour notre pays la Bretagne. Ne prenons pas exemple sur la sottise des Français ou des Bretons francisés. Soyons fiers des symboles de notre nation : le drapeau noir et blanc, l’hermine, le hevoud, le triskell. Mais ne tombons pas dans le déshonneur. Un Quatorze juillet comme celui de 1941 n’a fait que du tort à la France, déjà bien mal en point. »
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Le texte n’est pas seulement antisémite, il est lourd d’une haine antifrançaise qui, associée au ton poissard qui caractérise le style de Drezen l’apparente aux productions de ces auteurs d’extrême droite qui ont sévi dans l’entre-deux-guerres. C’est du Léon Daudet avec hermine, hevoud, triskell et drapeau noir et blanc, tout le kit nationaliste mis au point par Breiz Atao, la haine de la République et la haine du Juif allant de pair. À en croire Drezen, ce n’est pas de Gaulle, ce ne sont pas les résistants de la France libre, qui ont appelé à célébrer le 14 juillet 1941 comme acte de résistance, non, ce sont les « juifs de Radio-Londres ».
Le 19 février 1943, toujours dans L’Heure bretonne et toujours à propos de Radio-Londres, Drezen dénonce les « youtres » (« yourdou ») qui, depuis Londres, toujours à l’en croire, déversent leurs bobards. Il lui revient d’avoir fait entrer ce mot dans la langue bretonne, rendons à l’ignominie ce qui lui revient.
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« Lonka karotez ar yourdou » signifie, dans ce style populacier et lourdement rigolard de Drezen, « avaler les salades des youtres ». Consulté à ce sujet, le professeur Jean Le Dû en est tombé d’accord.
Comme le fils Drezen et le président du Conseil culturel de Bretagne jugent que je traduis mal et que le mot « yuzevien » n’aurait, de toute façon, pas eu de caractère raciste dans le contexte, je fournis l’image de la page de L’Heure bretonne, en assez large dimension pour qu’ils puissent voir la caricature qui accompagne l’article.
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Aux yeux des défenseurs de Drezen, aussi étrange que cela puisse sembler à qui ne connaît pas les lois du monde comme si, le mot juif n’est pas employé dans un contexte raciste mais agréablement élogieux et, regardez mieux, vous verrez représentés d’aimable bienfaiteurs que l’on est heureux d’accueillir à bras ouverts. Au-dessus de la caricature, l’éditorial signé Alain Le Banner (Alain Guel) mérite aussi d’être lu puisqu’il y explique que la nation bretonne est indépendante de la pseudo-nation française sans « unité raciale ». Guel a donné son nom à une médiathèque de Bretagne.
Enfin, pour que l’on puisse mettre le mot « yourdou » en contexte, voici la traduction du texte intégral (signé Tin Gariou, pseudonyme habituel de Drezen)
GRIBOUILLE
Nul besoin d’être né le lundi matin, le corps reposé, l’esprit sans inquiétude, pour comprendre, clair comme l’œil de la vipère [clair comme de l’eau de roche], qu’il n’y a plus de France pour les Français depuis les événements de mai et juin 1940.
Ayant perdu la guerre et leur pays entièrement est tenu par leurs ennemis, qu’ont-ils fait ?… Loin de chercher à relever l’échine, de voir, par exemple, s’il serait possible de s’entendre avec leurs ennemis, voire de travailler pour leur propre compte, ils se sont recroquevillés, ils ont boudé, et, peu à peu avec l’aide de la radio et avalant les bobards des youtres, ils ont trahi leur race jusqu’à se changer d’abord en Anglais, puis en Américains et, voilà peu, en Russes.
S’ils pensent qu’ils y ont gagné à changer de peau !…
Il pleuvait. Ayant peur d’être mouillés par la pluie, ils se sont jetés à la mer. Les Français, qui n’avaient pas perdu la tête, avaient la langue acérée et avaient trouvé un nom pour ce genre d’idiots : ils les appelaient Gribouille.
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Eh bien ! la race de Gribouille a prospéré dans notre Bretagne aussi. Ça va de soi ! Chaque pays nourrit ses propres poux. On entend encore des Bretons dire, le front plissé, et les yeux pleins de haine :
— Rien pour la langue bretonne, rien pour améliorer le sort de la Bretagne tant que ces « gens-là » seront ici !
S’ils attendent leur salut de la France, ou de l’Angleterre, ou de l’Amérique, ou des Soviétiques, ou des Allemands, quelle erreur ! Chacun travaille pour soi. Après la pire guerre meurtrière jamais vue, ne resteront en vie, ne mériteront de rester en vie que les pays qui ont lutté pour rester en vie. Il n’y aura pas de place pour les feignants et les boudeurs.
Mais la roue de saint Tu-pe-Tu [saint Quitte-ou-Double] est en train de tourner. Il faut choisir. Il n’y aura pas plus de respect pour la Bretagne et la langue bretonne, au temps de rendre des comptes [au temps du Grand Compte] , qu’il n’y en aura pour la France, si nous ne travaillons pas pour nous-mêmes plus que ne le fait ce pays-là [la France].
N’imitons pas ces enfants qui refusent de manger leur pain et leur beurre parce qu’ils boudent, en croyant qu’ils vont mettre leurs parents en colère. Ce sont eux les petits imbéciles, les idiots du village, qui boudent leur propre ventre.
Sus, gars de Kerneizan ! La viande est dans la marmite ! La Bretagne aux Bretons et par les Bretons !
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Haine de la France, haine des alliés, haine de radio-Londres, haine des juifs, appel à la collaboration, apologie de la race qu’il faut garder sans mélange : l’article est l’exact pendant de celui qui dénonçait les « juifs de Radio-Londres ». Ce n’est que propagande raciste et séparatiste.
Et voici la version publiée par Per Denez qui, lui non plus, n’a vu là aucun antisémitisme.
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Vous remarquerez que « yourdou » a été transformé en « vourdoù ».
Un petit toilettage de détail qui suffit à montrer que Denez et son équipe savaient parfaitement ce qu’ils faisaient. Le texte n’a plus aucun sens mais qu’importe : l’essentiel est de donner à croire (ce que Drezen appelle si gracieusement « lonka karotez ») et de poursuivre le combat de Drezen.
Il va de soi que ceux qui, actuellement mènent campagne, savent également de quoi ils retourne.
Se servir de Simon Wiesenthal est particulièrement ignoble, et bien digne de l’ignoble Drezen.
La fine équipe qui travaille à la réhabilitation de Drezen n’en est qu’à ses débuts.
On remarquera avec quelle servilité la presse régionale relaie les propos du fils Drezen et des militants qui se mobilisent.
N’ayons garde d’oublier le projet lancé par le président du Conseil culturel de faire un colloque Drezen.. Rien de mieux qu’un colloque pour écraser toute dissidence. Les fonds publics servent à ça : on l’a vu quand les efforts pour informer au sujet de la réécriture de de l’histoire ont commencé à trouver des échos dans la presse nationale : il a suffi d’un colloque pour officialiser la version des autonomistes.
Pour le moment, bornons-nous à constater que l’antisémitisme de Drezen est nié, comme la réédition de ses textes antisémites a été subventionnée.
Le Conseil culturel et l’Institut culturel ont été mis en place par Giscard d’Estaing en 1977 : ils servent à défendre et promouvoir une conception de la culture qui, comme on peut le voir, s’inscrit dans la droite ligne de celle de Drezen.