Affaire Drezen : la propagande bat son plein

L’Heure bretonne, 18 juillet 1942
Drezen publie un long article à la gloire du journal des frères Caouissin O lo lê ! juste sous cet article en première page de L’Heure bretonne

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Bref rappel des faits : en 1999, la mairie de Pont-l’Abbé rend hommage à un militant nationaliste breton, membre de la première heure du mouvement raciste Breiz Atao, puis collaborateur des nazis et auteur de textes antisémites publiés sous l’Occupation dans la presse nationaliste subventionnée par les services de propagande allemands. 

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Ces textes avaient été réédités comme dignes d’éloges par le professeur Pierre Denis dit Per Denez. Ayant traduit un florilège de ces productions pour protester contre leur réédition (protestation sans effet, les responsables de l’Institut culturel de Bretagne qui avaient subventionné cette édition refusant de lire les traductions que nous leur avions portées, André Markowicz et moi), j’ai remis ce florilège aux personnes qui protestaient alors contre cet hommage. Un professeur bretonnant de Lesconil, André Buanic, a aussi adressé ses traductions à la presse. Ainsi le racisme et l’antisémitisme de Drezen sont-ils établis depuis plus de vingt ans. 

Cependant, alors même qu’un dossier dénonçant l’antisémitisme de Drezen était disponible, un ouvrage, lui aussi publié sur fonds publics par l’Institut culturel de Bretagne invitait à donner son nom à des lieux de Bretagne. Le nom de Youenn Drezen, Xavier de Langlais et autres collaborateurs des nazis est donc attribué à des rues par des municipalités qui ignorent l’itinéraire de ces militants séparatistes. D’après le fils de Drezen, trente rues portent déjà son nom…

En 2019, un courageux professeur de Pont-l’Abbé, Daniel Quillivic, traduit à son tour les textes de Drezen parus dans la presse collaborationniste, notamment L’Heure bretonne, et constitue un épais dossier qui amène le conseil municipal de Pont-l’Abbé à décider de débaptiser la rue Youenn Drezen. 

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MOBILISATION MILITANTE

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Les identitaires du groupe Breiz Atao qui revendiquent l’héritage raciste de Drezen appellent aussitôt à la mobilisation pour faire régner la terreur et (proclament-ils) empêcher le maire d’être réélu.  

Suit une opération de propagande orchestrée par les militants bretons dans le but de nier l’antisémitisme de Drezen. L’opération est menée par le fils de Drezen, soutenu par un autre militant, Kristian Hamon, chargé de fournir l’argumentation historique, et le président du Conseil culturel de Bretagne, Bernez Rouz, avec l’appui de l’Agence Bretagne Presse, organe des indépendantistes de droite.

Cette opération est immédiatement relayée par la presse. 

D’abord, Ouest-France lui consacre un long article élogieux… sous la plume de Christian Gouérou, directeur de la rédaction du Finistère (ce qui signale donc un engagement de la rédaction). 

Rappelons que Youenn Drezen (Yves Le Drezen) fils est lui-même un militant de longue date engagé dans le combat breton et qui figure actuellement à Rennes sur la liste du rocker autonomiste Franck Darcel. Son action s’inscrit donc dans un combat politique et la négation de l’antisémitisme de Drezen est à comprendre comme action concertée dans ce cadre et dans le cadre des élections en cours.

Ensuite, Le Télégramme convie le fils de Drezen à venir à Pont-l’Abbé poser pour les lecteurs et lui consacre une page, avec référence à l’historien Kristian Hamon donné pour caution.  Une nouvelle étape est franchie puisque Drezen est présenté comme un bouc émissaire.

C’est donc officiellement que l’antisémitisme de Drezen est nié, et que la défense d’un collaborateur des nazis est organisée. 

Bien que je n’aie été associée en rien à la décision du conseil municipal de Pont-l’Abbé, que j’ai découverte par la presse (avec une heureuse surprise), c’est à moi que s’en prend l’Agence Bretagne Presse, m’accusant de produire des traductions fausses et notamment de traduire « juif » par « youtre ». Les commentaires de l’Agence Bretagne Presse doublent l’ignominie en s’en prenant à mon père, décédé, en l’accusant d’avoir été communiste, tout résistant étant forcément porteur de la marque du diable, donc communiste). Le grotesque de ces accusations auxquelles j’ai répondu la semaine passée se double à présent d’une lettre ouverte à moi adressée par Kristian Hamon. 

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SOUBASSEMENTS DE LA PROPAGANDE

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Ce militant autonomiste m’accuse d’avoir écrit qu’il était autonomiste et jure qu’il a juste des sympathies pour l’UDB, parti autonomiste (vu qu’il collabore au Peuple breton, organe de ce parti, il aurait du mal à le nier) et il croit devoir ajouter qu’il est issu du groupuscule indépendantiste Jeune Bretagne qui selon lui (gardons-nous de rire) n’était pas d’extrême droite. 

Il m’accuse d’avoir dit qu’il était l’ami de Drezen fils, lequel est bien son ami mais il ne faut pas le dire car c’est tout à fait par hasard qu’il lui a apporté son appui et se trouve participer à sa campagne de désinformation. 

Enfin, il assure avoir dit à Bernez Rouz qu’il avait eu tort, non pas de faire l’apologie d’un auteur ignoble, mais d’avoir associé à son action l’Agence Bretagne Presse. Ainsi ces gens échangent-ils leurs avis sur la stratégie à adopter. 

Cette opposition ne l’a nullement empêché d’apporter son soutien à la défense de Drezen. 

En tant que spécialiste, il assure que Drezen n’a pas été un délateur (alors même qu’il ne cessait de dénoncer les résistants, les « juifs de radio-Londres », les Français et leurs alliés les Anglais, les Américains, les Russes, et qu’il collaborait à un journal où se lisaient des listes de dénonciations de juifs et de francs-maçons) mais, non sans pharisianisme, jure qu’il « ne défend ni n’accable » Drezen. S’il ne l’accable pas, c’est qu’il le défend : le pédophile que l’Église n’accable pas est un pédophile que l’Église défend ; le nazillon que le mouvement breton n’accable pas est un nazillon que le mouvement breton défend. C’est le cas de Drezen. 

Mieux encore, il allègue qu’il ne m’a pa« attendue pour dire le dégoût ressenti en lisant son article sur l’étoile jaune ». Si, il m’a attendue, vu que c’est moi qui l’ai traduit. Où a-t-il dit son dégoût ? La question reste posée.

Il se vante enfin d’avoir dit ce qu’il pensait de l’attitude de Drezen sous l’Occupation. Qu’en a-t-il dit ? Verba volant, scripta manent — pour le savoir, il suffit de lire son DEA et son essai sur le Bezen Perrot. La réponse est simple et tient en deux citations : 

« Au mois d’août 1941, Youenn Drezen sort son roman Itron Varia Garmezdont la version française sera éditée en 1943 chez Denoël, passé depuis sous contrôle allemand. Renvoi d’ascenseur après sa critique élogieuse des Décombres de Lucien Rebatet, paru chez le même éditeur ? Comme Hemon, Drezen est partout : Gwalarn, Arvor, La Bretagne, Radio Rennes-Bretagne, et surtout L’Heure Bretonne où derrière le pseudonyme de Tin Gariou il signe des articles qui ne se lisent pas aujourd’hui sans éprouver un certain malaise. » (Le Bezen Perrot, p. 20). 

« Un certain malaise », voilà ce que provoquent les déchaînements de haine contre les Français, les juifs, les noirs, les « mocos » et les alliés de la France qui luttent contre le nazisme…  Et c’est écrit en 2004, alors que les textes sont traduits et que, d’ailleurs, l’éditeur, l’ex-terroriste Martial Ménard, les a lus en breton sans avoir besoin de traduction (il se vantait lui-même d’avoir appris le breton en prison pour le FLB).

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Quelques dérapages littéraires du plus mauvais effet…

Et pour finir notons bien que tout ça n’est pas si grave : en conclusion, l’historien nous indique qu’il ne s’agit au total que de « quelques dérapages littéraires du plus mauvais effet » comme tant d’autres écrivains « parisiens » en ont connu — ainsi « Giraudoux, Colette, Cocteau, Morand, Paulhan ». 

Paulhan « prêtant sa plume sans état d’âme aux organes de la collaboration parisienne » : c’est sur cette révélation stupéfiante que se clôt l’essai consacré aux Nationalistes bretons sous l’Occupation (p. 221). 

Et il s’agit d’un DEA publié après soutenance ! Il est vrai sous la direction du fils de Per Denez, lui-même auteur d’une thèse à la gloire de François Éliès, dit Abeozen, autre collaborateur de Breiz Atao passé au nazisme. 

Le grand n’importe quoi permet de faire passer l’antisémitisme de Drezen à la trappe. Il n’en est pas dit un mot, pas plus des listes de juifs et de francs-maçons dénoncés dans les colonnes de L’Heure bretonne. Mais cet historien qui a fait son fonds de commerce de l’histoire des nationalistes bretons sous l’Occupation, intervient pour dénoncer le maire qui a osé traiter Drezen de délateur — ce pauvre Drezen ! Parrain de Mona Ozouf ! On ne va tout de même pas le laisser débaptisé. 

Un colloque, vite un colloque ! Un colloque breton, avec un débat breton opposant un autonomiste breton à un autonomiste breton sous l’égide d’un autonomiste breton — par exemple Kristian Hamon, avec son premier préfacier, Jean-Jacques Monnier, élu autonomiste (lui-même préfacé par Mona Ozouf, digne filleule qui fera bon effet comme invitée d’honneur), puis son deuxième préfacier, Loeiz ar Beg, cofondateur de l’UDB, son éditeur, Yoran embanner, indépendantiste, le tout placé sous la présidence de Bernez Rouz pour le Conseil culturel de Bretagne, avec l’appui du conseil régional et du ministère de la Culture, si heureux de servir un grand auteur breton appelant à la haine de la France et des juifs.   

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