Le Bezen en promo

En mai dernier, un aviculteur et ex-sénateur-maire de Bourbriac, Yannick Botrel, a publié aux éditions nationalistes Skol Vreizh une histoire du Bezen Perrot qui en temps normal ne mériterait pas une ligne de commentaire : il s’agit d’une liste énumérant les membres du Bezen Perrot, un groupe de nationalistes bretons enrôlés sous uniforme SS, liste connue de longue date et que j’avais dû établir pour écrire Miliciens contre maquisards voilà une quinzaine d’années.  

Lorsque j’ai publié ce livre en 2010, le sujet du Bezen Perrot n’avait été traité que par des historiens autonomistes en respectant hypocritement l’identité des membres de cette formation : certains noms étaient donnés, deçà-delà, pour des raisons pas toujours honorables, mais l’histoire était présentée (d’ailleurs criblée d’erreurs) sous une forme cryptée. Deux militants nationalistes, Yann Fournis et Kristian Hamon, s’étaient chargés de faire comme si tout avait été dit : le bon mouvement breton avait su balayer devant sa porte et seuls les jacobins venaient s’interroger sur l’idéologie qui l’avait amené à collaborer massivement. En introduction au livre de Kristian Hamon paru chez un éditeur hypernationaliste un historien autonomiste ne commençait-il pas par présenter l’exécution du sinistre abbé Perrot par la Résistance (exécution qui avait valu à l’abbé de donner son nom à cette formation) comme un crime contre l’humanité ? Tout un programme…

Lorsque j’ai commencé cette recherche au sujet de la rafle du 11 juillet 1944 (pour des raisons que j’ai exposées assez longuement ici), j’avais déjà pu étudier longuement le mouvement breton (ne serait-ce que pour écrire Le Monde comme si) mais j’étais bien loin d’avoir mesuré l’ampleur de la trame mise en place avant-guerre et sous l’Occupation, puis reprise après la Libération. En écrivant Miliciens contre maquisards mon but était simple : l’un des résistants raflés le 11 juillet 1944 avait écrit un long témoignage dans lequel il racontait qu’un groupe du Bezen Perrot se trouvait à Bourbriac mais tous les historiens se taisaient à ce sujet. Pour savoir si c’était exact, et comprendre les risons de ce silence, j’ai reconstitué l’itinéraire de tous les membres du Bezen et j’ai établi l’identité des cinq membres qui étaient présents. Je me suis interrogée sur les raisons qui les avaient amenés à s’enrôler sous uniforme SS pour combattre la France et j’ai suivi leur intinéraire après-guerre : ils ont continé de militer et le mouvement nationaliste breton actuel est né d’une opération de recyclage via l’Irlande notamment menée par Yann Fouéré et ses affidés. 

C’est évidemment cette histoire qu’il s’agissait prioritairement pour les militants de dissimuler. Lorsque les nationalistes de l’Institut culturel de Bretagne, à l’instigation de leur directeur, Pierre Denis (ardent collaborateur sous l’Occupation) ont voulu m’exclure (sans m’entendre, au mépris de leurs statuts, et pour avoir dit la vérité, ce que les tribunaux ont établi par la suite) combien y avait-il là de vieux nazis et de descendants de ces nazis ? Tous étaient parfaitement au courant de cette histoire tenue secrète et qui expliquait l’étrange sentiment de connivence qui les unissait, depuis Jean-Marie Bouëssel du Bourg jusqu’à ce Caouissin (du Kommando de Landerneau) qui fut décoré du collier de l’Hermine, comme d’ailleurs Lena Louarn (fille d’Alan) et Patrick Malrieu (fils et neveu de SS du Bezen qu’il n’a jamais condamnés, que je sache). C’est en travaillant aux archives que j’ai vu s’ouvrir cette boîte de Pandore et que j’ai pu mesurer la gravité de la réécriture de l’histoire dont j’avais moi-même été victime. 

Il va de soi que Miliciens contre maquisards était le prolongement du Monde comme si : à partir de l’histoire d’une rafle, il s’agissait d’amener à réfléchir, d’une part, sur la réécriture de l’histoire en Bretagne (induite par la mainmise des nationalistes sur la culture) et, d’autre part, sur le dispositif qui amenait l’État français à subventionner les militants qui appelaient à sa destruction. Des militants qui ne représentaient qu’eux-mêmes et qui tenaient leur pouvoir des tribunes et des subsides qui leur étaient offerts. 

Un silence absolu a accompagné la parution de ce livre. Débat interdit, comme dans le cas du Monde comme si (salué par un déchaînement d’invectives, qui m’a amenée à faire condamner Bretagne-hebdo, le journal de Ménard et Grall, deux terroristes du FLB soutenus par Troadec, le maire autonomiste de Carhaix). 

De même que Le Monde comme si, le livre a connu pourtant, grâce aux lecteurs, et pour ainsi dire clandestinement, plusieurs de tirages et est paru en poche. Il avait été publié par les éditions Ouest-France, lesquelles avaient fait leur possible, en vain, pour obtenir une ligne de présentation, sans même parler de réflexion sur un sujet interdit – il était interdit, j’en ai une fois de plus fait la démonstration. L’épisode le plus extraordinaire a été l’unique conférence qu’à l’invitation de plusieurs associations j’ai pu donner à Saint-Brieuc et qui a été l’objet de telles menaces (notamment de la part du site nationaliste breizatao) que les renseignements généraux ont alerté le préfet, lequel a pris contact avec les organisateurs pour comprendre de quoi il retournait. En fin de compte, une manifestation pour Diwan ayant été organisée à Louannec le même jour à la même heure, les nationalistes de Breiz Atao ont préféré se mobiliser pour aller protester contre le maire et les parents d’élèves qui voulaient disposer des locaux de l’école laïque… Il était d’ailleurs curieux de voir tous les militants, extrême gauche et extrême droite unies, s’en prendre au malheureux maire de Louannec, bretonnant de naissance et qui ne comprenait rien au breton surunifié des promoteurs de cette langue. Seuls quelques enragés étaient venus nous invectiver  à Saint-Brieuc (ainsi une certaine Huonnic, responsable de la fondation Fouéré – car cet agent de la Gestapo a sa fondation à Guingamp !) et j’ai ensuite mis en ligne le texte de cette conférence. Il avait fallu, comme de coutume, mobiliser tout un service d’ordre pour que j’aie le droit de rencontrer des lecteurs. Ailleurs, sur les lieux de la rafle, à Bourbriac ou au luxueux Musée de la Résistance bâti à grands frais par l’architecte de l’Institut de Locarn, la censure a été totale. Débat interdit. Et aussi bien à l’université (désormais productrice d’une histoire massivement mise au service de la cause). Le débat est plus interdit que jamais puisque les éditions Ouest-France ont laissé s’épuiser le dernier tirage de Miliciens contre maquisards – bien opportunément pour les nationalistes et leurs soutiens. 

Le rappel de ces faits n’est pas inutile car c’est par comparaison que l’ampleur du battage organisé autour du livre du sénateur prend sens. 

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D’une part, je le rappelle, le sénateur-maire de Bourbriac efface toute trace de présence du Bezen dans sa commune en supprimant les documents d’archives qui la prouvent. Je n’y reviens pas : je l’ai déjà démontré ici même

Ce qu’il s’agit d’effacer, ce n’est évidemment pas cet épisode mais le contexte que j’avais établi : en ciblant exclusivement le Bezen et en livrant une liste de ses membres sous une forme pesamment administrative, l’auteur exclut toute réflexion sur l’idéologie qui a amené les nationalistes à s’enrôler ; il élimine aussi toute réflexion aussi l’itinéraire de ces nationalistes et la reconstitution du mouvement breton après-guerre. C’était déjà la thèse de Fournis et Hamon, et, bien sûr, celle de l’indépendantiste Mervin : 70 égarés ont amené l’État français à persécuter le bon mouvement breton. Le sénateur socialiste va plus loin : pour lui ces « supplétifs » n’étaient pas des SS et Yann Fouéré n’était pas autonomiste. 

Ce livre offre un exemple de l’allégeance des socialistes aux nationalistes bretons (ce que je montrais précisément dans Le Culte des racines) : il témoigne d’une imprégnation des lieux communs udébistes qui va jusqu’à la caricature (et ce n’est pas pour rien qu’il est publié chez un éditeur nationaliste). On a beaucoup dénoncé les menaces subies par les journalistes qui se penchent sur l’agroalimentaire en Bretagne mais personne n’ose se pencher sur la censure de l’information touchant au nationalisme breton – le problème du nationalisme et celui de l’agrobusiness étant d’ailleurs liés via le lobby patronal breton (mais les écologistes qui dénoncent l’agrobusiness sont pieds et poings liés par les udébistes et participent donc à la censure qu’ils dénoncent). 

Ce livre a, d’autre part, l’intérêt de montrer comment la propagande fonctionne en Bretagne : les médias bretons font tous partie de l’association Produit en Bretagne créée par l’Institut de Locarn et actuellement dirigée par Malo Bouëssel du BourgOuest-FranceBretonsLe Télégramme et les chaînes de télévision, Tébéo, TV Rennes… sont la voix du lobby patronal breton appelant à l’autonomie, lobby relayé par le conseil régional. Ce livre nous offre l’occasion d’assister en direct à la promotion, entre pâté Hénaff, Coreff, Savéol, Crédit Mutuel et Coop Breizh, du Bezen Perrot comme produit d’appel. Face au silence ou aux menaces qui ont accompagné la parution de Miliciens contre maquisards, la propagande dont bénéficie le livre du sénateur a quelque chose de tranquillement indécent : pour célébrer le quatre-vingtième anniversaire de la Libération, le livre du sénateur tombe à pic. Propagande promotionnelle…

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20 juin 2024, premier article laudateur avec interview et portrait en couleur : l’auteur montrant son livre (on ne peut pas dire que la publicité soit déguisée)

28 juillet 2024, rebelote : cette fois, c’est l’un des responsables du journal, Tangi Leprohon (fils du militant autonomiste fondateur de l’UDB Ronan Leprohon – lequel avait commencé de militer avec Fouéré) qui poursuit l’opération. Même photo, même teneur… 

Et la propagande continue… 

sur le thème : ils n’étaient de 70 et le bon mouvement breton a souffert à cause d’eux. Alors qu’il y avait aussi des miliciens français – des miliciens « français » qui, en Bretagne, n’étaient, bien sûr, pas bretons …


Ouest-France s’y était mis très tôt : une page entière pour commencer….

https://www.ouest-france.fr/bretagne/entretien-en-bretagne-la-repression-des-maquis-par-loccupant-nazi-a-ete-impitoyable-000d08ea-3877-11ef-9f2b-c38da737f062

Et puis, sous la plume du même journaliste, une nouvelle page pour célébrer une recherche « sans caricatures ni omissions »  – avec, comble de cynisme, renvoi vers le film de Vincent Jaglin (qui, censuré, lui, est en opposition totale avec le livre du sénateur-maire). Ne reculant devant rien, le sénateur se donne pour auteur d’une « demi-dizaine » (sic) de livres : lesquels ? Quelques études d’histoire locale ? Le catalogue de la BNF ne mentionne qu’un livre naguère paru chez Skol Vreizh… Les origines du Bezen ? Pas le nationalisme breton, non, surtout pas : « Les origines politiques du Bezen Perrot sont à rechercher dans une Europe de l’après Première Guerre mondiale marquée par les difficultés économiques et sociales... » Et puis aussi, bien sûr, l’exemple de l’Irlande qui a gagné son indépendance contre la Grande-Bretagne (sous-entendu : comme la Bretagne aurait pu le faire contre la France). Les SS du Bezen Perrot n’ont jamais tué, ni à Garzonval, bien sûr, ni ailleurs : « Ils conduisent les prisonniers aux policiers allemands du SD qui les exécutent.» C’est plus propre. 

Je donne l’article en PDF car il mérite vraiment d’être lu pour comprendre le fonctionnement de la propagande en Bretagne.

Suite à cette publication, Vincent Jaglin a écrit à l’auteur de l’article et le lien a fini par être supprimé sans toutefois que le journaliste s’interroge sur les informations données . 

Ce n’est pas fini : le journal Le Télégramme, dans sa version magazine, toujours sous la plume de Tangi Leprohon, a consacré une nouvelle page au Bezen Perrot, sur la même base et allant jusqu’à écrire que certains membres des Bagadou Stourm ont rejoint la Résistance (sinistre plaisanterie due à l’autonomiste Jean-Jacques Monnier). 

L’article est annoncé en première page et il figure dans le Hors-série La Libération en Bretagne. Je le donne tel que je l’ai reçu, photographié par une lectrice indignée.

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Le Bezen pour célébrer la Libération, quoi de plus opportun et surtout de plus breton ? 

La version des autonomistes de l’UDB est devenue la version officielle de la presse bretonne. Nous le savions depuis longtemps : nous en avons ici une illustration plus cynique car les crimes de ces SS sont, dans le cas des jeunes résistants assassinés à Garzonval, effacés et, dans le cadre plus large de l’histoire, décontextualisés pour être banalisés. 

Ce qui a changé entre les années où, dénonçant les écrits antisémites de Roparz Hemon et de Youenn Drezen, j’étais invectivée, accusée de falsifier mes traductions, d’être une menteuse pathologique et une  paranoïaque, et le moment où paraît cette histoire du Bezen qui dissimule entre autres la fuite de Hemon avec ces tortionnaires, c’est la certitude du mouvement breton d’avoir gagné la bataille de la propagande. Qu’une voix dissidente s’élève, elle sera écrasée. Le fait que le mouvement breton ait produit une formation de SS n’est plus qu’un épiphénomène pittoresque.

Alors, pourquoi quatre-vingts ans de dissimulation et des mensonge ? C’est que la vérité risquait de déranger la mouvance nationaliste et qu’il y avait encore une résistance à la dérive ethniste en Bretagne. La vérité ne dérange plus : sous l’habillage qui la travestit, elle contribue au contraire à donner du piment à la virile histoire des Bretons. 

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