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Je suis en résidence à la maison Julien Gracq. Personne ne m’a demandé de lire ou relire Julien Gracq mais c’est une sorte d’envie qui s’impose, et lire un auteur à l’endroit même où il a pu rêver, et devant la Loire qui a été pour lui plus qu’un personnage, donne une nouvelle compréhension de son œuvre : j’ai surtout été frappée par cet itinéraire qui mène du Château d’Argol aux Eaux étroites, autrement dit du cliché romantique à cette poésie de la géographie remémorée qui rend ses dernières œuvres, ni roman ni poésie, si passionnantes pour moi.
Il est par ailleurs très curieux de voir à quel point la Bretagne le ramène irrésistiblement au stéréotype — pas seulement la Bretagne mythiquement conventionnelle d’Argol, même la Bretagne visitée, vue par un géographe venu d’ailleurs. Il serait intéressant d’essayer de voir pourquoi.
J’avais beaucoup aimé La Littérature à l’estomac — pamphlet contre la foire aux prix littéraires qui n’a pas beaucoup vieilli — et j’ai redécouvert Le Rivage des Syrtes en me souvenant que j’avais été reçue à l’agrégation grâce à (ou à cause de) Julien Gracq… Au moment de partir en Bretagne, les vacances enfin arrivées, nous avons eu l’idée de nous arrêter au Quartier latin pour voir à tout hasard si j’étais admissible — ça ne faisait qu’un petit détour… Et oui, j’étais sur la liste. Plus de Bretagne : il fallait savoir en quoi consistaient les épreuves de l’oral. J’avais suivi tout ça de très loin mais des amies normaliennes étaient sur le chantier de l’aube à la nuit.
— Ah, mais, me dit l’une d’elle, tu es admissible mais tu n’es pas allée tirer un numéro.
— Un numéro ?
— Un numéro de passage.
— Mais, me dit l’autre, si, je crois que quelqu’un a pris un numéro à ta place.
Eh oui, j’avais un numéro. Et, par chance, je commençais par l’épreuve libre, autrement dit l’épreuve qui ne demandait aucune révision : il fallait juste expliquer un texte pris au hasard. C’était Le Rivage des Syrtes.
Ça se passait à Paris, dans un lycée tout écrasé de chaleur, et, après l’épreuve, comme le concierge passait les murs au jet pour rafraîchir la cour, je m’étais installée sous une fenêtre. De là, j’ai entendu le jury délibérer sur mon cas. Le Rivage des Syrtes m’a donné le courage de continuer au lieu de partir respirer l’air pur de la forêt de Duault.
J’ai tenté de relire Le Rivage des Syrtes mais je passe aux Lettrines et j’ai l’impression que Gracq a trouvé sa voix en sortant du genre romanesque.