La saga des petits radis

À peine de retour de Genève, départ pour Martigues. La saga des petits radis a été choisie par les bibliothécaires de la médiathèque parmi des dizaines, des centaines de livres pour enfants, dans le cadre de l’opération « Les croqueurs de mots », et je ne vais pas ménager ma peine pour faire connaître le premier titre de la collection « Coquelicot » : il est héroïque par les temps qui courent de lancer une collection de poésie pour enfants ; les éditions MeMo comptent sur moi, pas question de me dérober…

J’ai pris mon billet de train dans un esprit christique et je suis prête à boire le calice jusqu’à la lie. Gare de Lyon, train bondé, retours de vacances, chaos. Je dois descendre à Aix où m’attend Dominique Bernard, la responsable des « croqueurs de mots » qui ont choisi mes petits radis. Une longue expérience m’a appris à connaître les aléas des attentes, rencontres et rendez-vous dans les gares et je dispose d’un kit de sauvegarde tout prêt. Pas un instant d’attente : miracle, elle est là.

Elle est là, et elle me propose tout uniment, comme si la chose allait de soi, et comme si tout son temps était à moi, de me faire connaître pour commencer le pays de Martigues : une petite visite pour voir les calanques, l’étang de Berre, la Méditerranée. L’offre est faite si généreusement que j’accepte, tout en me disant qu’il ne doit pas y avoir beaucoup de bibliothécaires qui consacrent leur dimanche à l’accueil d’un auteur…

Un dimanche, oui, un beau dimanche de mai, bleu, avec un souffle de vent soulevant les vagues. Sur le port de Caro se pratique une forme de surf dit kitesurf, activité pour moi totalement inintéressante, mais quand je suis devant la mer, je reste fascinée par ces espèces de papillons à ailes translucides glissant sur des reflets d’argent, ou plutôt sur un condensé de reflets d’argent qui serait la mer.

Toute honte bue, j’ai fini par dire que j’aimerais prendre une ou deux photos, comme un touriste, et c’est presque à la dérobée que j’ai capturé ces images. Aucun rapport apparemment avec notre sujet mais ces figures sur la mer avec un pétrolier glissant sur l’horizon me restent comme une ouverture sur ces journées si étonnantes, et sur notre travail à tous dans ce qui touche à l’art et la culture (ou ce qu’on appelle art et culture faute de mieux).

À l’hôtel m’attend une charmante lettre de l’autre auteur invité, Agnès Domergue, et nous voilà parcourant le port dans la lumière dorée du soir : une légère odeur d’anis, un cliquetis de coques contre le môle, le bleu de la nuit…  Chose stupéfiante, Agnès Domergue, qui pratique (entre autres) l’alto, l’aquarelle, le haïku, la bande dessinée, le quatuor à cordes et l’éducation féline, a déjà trouvé le moyen de repérer le meilleur (ou peut-être le seul) restaurant de Martigues ouvert le dimanche après avoir fait le tour du port, visité les calanques et pris un petit bain de pied dans la Méditerranée (moi, j’ai juste médité sur le kitesurf).

Mais c’est que, le lendemain, il s’agit de se lever tôt pour rencontrer les classes : d’abord,  des petits, puis des plus grands, très nombreux… Je me demande comment font les instituteurs pour s’occuper de classes de 28 élèves, certains venus de quartiers très pauvres, certains issus de familles immigrées. Pour la plupart, c’est la première fois qu’ils entrent dans une bibliothèque et le but de ces rencontres est de permettre aux petits d’entrer dans le monde du livre et d’y revenir avec parents et grands-parents.

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C’est certainement pour cette raison que le lieu est si lumineux, avec ses couleurs dorées, ses reflets de soleil sur les présentoirs et ses espaces clairs. Je ne pensais pas avoir eu la présence d’esprit de garder une image du lieu, mais si (quoique, à regarder les photos que j’ai prises, le kitesurf semble avoir mobilisé l’essentiel de mon temps).

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La médiathèque est le centre autour duquel rayonnent des bibliobus et s’organisent des antennes locales. Incroyable travail rassemblant des dizaines de classes auxquelles un exemplaire du livre choisi a été remis. Les enfants ont donc préparé des questions.

Pendant que je les attends je regarde les pêcheurs de dorades le long du canal — car la médiathèque se trouve au milieu d’une île.

Le premier enfant qui passe la tête par la porte constate : « C’est joli ! » Oui, le mobilier clair, les petits fauteuils grenouille qui sourient et les chaises en forme de fleurs donnent envie de s’asseoir et d’écouter (c’est la salle des contes).

La première classe est une classe dite facile : quinze élèves, une institutrice heureuse, une bonne école… et la préparation de la rencontre a été si bien soignée que je reste ébahie d’entendre les enfants former le chœur des petits radis.  Ils savent tout le début du texte et ils l’interprètent en faisant la grosse voix d’Eustache, la petite voix des radis qui s’enfuient, la feuillette sur la tête, toute tendre et freluquette (ils adorent faire la feuillette avec les doigts et rient de réciter tous ensemble). Ils vont peut-être faire un spectacle… J’ai oublié leurs questions tant le chœur des petits radis m’a plu. Et je dois dire que je mélange un peu les questions de toutes les classes suivantes…. En général, on me demande pourquoi je m’intéresse aux légumes, et j’en profite pour attirer l’attention sur les drôles de noms des rutabagas, des topinambours, des scorsonères, des épinards et même des carottes — des drôles de noms qui permettent de trouver des rimes cocasses… Et nous voilà parlant de rimes et de rythmes. Ce qui est curieux (mais pas du tout curieux en réalité puisque je rencontre le même problème auprès des traducteurs, au théâtre et partout) est la manière dont les maîtres isolent la rime mais ne tiennent aucun compte du rythme… Des enfants m’ont écrit deux strophes complémentaires. La première dit :

                                              
                                   Allez vous cacher sous le thym
                                   Vous serez loin de l’assassin
                                   Vous y serez bien
                                    Et vous n’aurez plus de pépins. 
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Il est extraordinaire de voir avec quelle justesse, une fois qu’ils ont compris comment le rythme permet de chanter un poème, ils l’interprètent. En fait, à la fin de la classe la plus difficile, la dernière du séjour, nous avons passé un moment extraordinaire à scander en chœur (et par cœur tant ils retiennent vite) l’opéra des radis.

Beaucoup m’ont demandé ce que c’était une saga et beaucoup m’ont amenée aussi à expliquer que c’était une histoire un peu rigolote mais aussi une fable (je n’ai pas dit que c’était une fable sur les enfants cachés mais les instituteurs ont tous compris, non sans surprise parfois, qu’il y avait aussi un double sens, qu’on le voie ou pas).

Bref, voilà l’une de mes classes après notre rencontre. J’ai appris beaucoup sur mon travail grâce aux questions.

La matinée finie, nous embarquons dans la navette pour la cafétéria. Car, chose incroyable, on se rend à la bibliothèque en vaporetto local (on passerait bien ses journées à aller et venir sur l’eau, y compris avec les enfants lecteurs de La saga des petits radis).

Voici Agnès Domergue, ma coautrice, Dominique Bernard et, debout, Marie-Emmanuelle, toutes deux organisatrices des Croqueurs de mots, qui veillent sur nous.

Le soir, on passe par le Miroir aux oiseaux pour aller à la librairie Alinéa (l’une des meilleures librairies de France, autant que je puisse en juger : bel espace, bel accueil et choix intelligent des livres).

Et le lendemain, nous sommes invités comme en famille chez Cathy qui est l’autre organisatrice et nous avons droit aux sanguins, à la poutargue, à la tapenade, au pain provençal, aux grillades et à des échanges passionnants sur Frédéric Mistral (dont je me glorifie d’avoir été la première à publier sa collecte de contes — j’apprends alors qu’il doit y avoir des fêtes pour commémorer le centenaire de sa mort, ce que j’ignorais).

Et c’est fini : ma dernière classe, qui avait l’air d’être la plus difficile, a été passionnante. Marie-Emmanuelle nous conduit à la gare, en ayant encore la patience d’attendre l’arrivée du train… Me voilà partie pour Paris et pour de nouveaux soucis après ces jours heureux…

Conclusion : je suis une grande admiratrice de la médiathèque de Martigues et de ses bibliothécaires (que celles que j’ai oublié de nommer me pardonnent…).

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