L’exposition 

L’inauguration de l’exposition a eu lieu, tout s’est merveilleusement passé, et comme André a rédigé une chronique sur Facebook à ce propos, je me contente de la reproduire ici.  

Être reçus

Il y a Trump, il y a tout ce que vous voulez, et nous, pendant qu’il y a tout, ce que nous avons fait, Françoise et moi, pendant deux semaines, c’est préparer – en deux semaines – une exposition sur nos éditions Mesures. Parce que l’invitation venait du directeur de la Bibliothèque Ceccano d’Avignon, Jérôme Triaud, – de venir lancer la Saison VI, là, ici, enfin, dans une galerie de cette bibliothèque – si ancienne, si riche, si extraordinaire (elle remonte au XIVe siècle), qui s’était abonné, à titre personnel, et qui avait demandé à abonner la bibliothèque, à toutes nos Saisons. Une exposition sur notre six années d’existence, de travail. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Comment on fait une exposition sur une maison d’édition, et surtout, sur une maison comme ça, qui, certes, est une maison, mais une maison tellement particulière, qui publie peu (cinq livres par an), n’accepte pas de manuscrits, et se diffuse en grande partie non pas seulement chez les libraires (évidemment chez les libraires !… que serions-nous sans les libraires ?) mais aussi par abonnement, par un système d’AMAP, – et c’était bien le titre de cette exposition, qui s’inscrivait dans le cadre des Nuits de la lecture, « LES ÉDITIONS MESURES, UNE AMAP LITTÉRAIRE »… 

En fait, nous ne nous rendions pas compte de ce que ça signifiait, cette invitation. De la quantité de travail que ça nous demanderait, et, surtout, surtout, de la charge émotionnelle que ça implique, puisque, ce que nous avons fait, c’est revenir sur nous, sur chaque livre (et, là encore, évidemment, nous n’avons pas parlé de tous nos livres), et d’y revenir non pas par les récits, mais factuellement, par des documents. Que faire pour faire comprendre qui nous sommes, nous, – je veux dire Françoise Morvan et André Markowicz, – quelles sont nos origines, ce que nous avons fait, en dehors de Mesures, – comment faire pour donner à sentir ce qui nous lie ? Quelles origines sociales ? Quelles origines géographiques ? C’était impressionnant de monter une vitrine, par exemple, en mettant d’un côté les photos de Françoise, – sa grand-mère paternelle (une paysanne en costume de Rostrenen) et sa grand-mère maternelle (une jeune fille de la bourgeoisie de Guingamp) – et les miennes, prises dans les photos de mes Partages publiées aux éditions inculte, – mon arrière-arrière-grand-père en juif religieux de Lituanie, et ma grand-mère et ma grand-tante, en petites filles de la petite bourgeoisie de Pétersbourg… – Oui, l’importance des grands-mères, de cette transmission par delà les générations, de ce que nous avons reçu, – et ces maisons communes, si différentes. – 

Nous avions huit vitrines à notre disposition. Je ne vais pas vous faire le parcours, – ça n’aurait pas de sens ici, – mais ce qui compte, pour nous, c’est cette sensation d’un parcours, – six ans de travail, et trente-deux livres, mais des livres qui, je ne sais pas comment dire, tous, tout différents qu’ils sont, viennent de quelque part, et font, tous, d’une façon ou d’une autre, un chœur. Parce que nous avons aujourd’hui, trente-deux livres chez Mesures, – des livres qui ne distinguent pas le théâtre, la poésie, la prose, la traduction et la non-traduction, les domaines linguistiques, les langues, les époques. Trente-deux livres qui se répondent, d’une façon, étrangement, peut-être, aléatoire et évidente, qui se construisent les uns les autres, qui sont liés, tous, les uns aux autres. Et puis, dans notre dernière vitrine, nous avons voulu rendre compte du travail sur la matière du livre, non pas les mots, mais le papier, mais la typographie, sur le travail que nous menons avec notre imprimeur, devenu notre ami, avec la Scop de Média Graphic.

Ce que nous avons aussi pensé, c’est que non seulement il fallait présenter des documents (des manuscrits, des éditions originales, des gravures, les originaux des illustrations de Françoise, plein et plein de choses), mais il fallait aussi écrire des textes pour raconter ces choses, leur donner vie pour qui voudrait venir, faire que ces choses, pour nous si importantes, deviennent vivantes pour qui voudra. Et nous nous sommes dit qu’il était important de présenter les portraits des auteurs russes que j’ai traduit, avec une courte biographie (au total, treize auteurs jusqu’à présent), et que, tous, oui, absolument tous, ils étaient liés par une chose fondamentale : chacun d’entre eux a été un homme ou une femme libre, tous, ils ont joué leur vie contre la dictature. Tous, ce qu’ils ont écrit, c’était une question de vie ou de mort. Et que c’était bien cela qui comptait, – cette lutte pour la dignité dans un pays, la Russie, où la dignité humaine est quotidiennement foulée aux pieds, une lutte pour rester libre, au prix de sa vie même, dans un pays où, la liberté, trop souvent, on la paie de sa vie. 

Dire cela, ce n’est pas revendiquer leur héritage et se placer, présomptueusement, à leur suite. C’est juste dire un fait – la Russie, ce n’est pas seulement la monstruosité de l’Empire, tsariste, communiste ou poutinien. C’est autre chose, c’est aussi une lutte contre. Et autre chose encore, – une lutte pour la beauté.

Nous nous sommes retrouvés, devant les spectateurs qui sont venus, à raconter, image par image, notre parcours, notre travail, cette nécessité où nous sommes de continuer. Et le faire dans le cadre inouï de cette bibliothèque, ce n’est pas seulement un honneur, mais une émotion dont je puis dire qu’elle est très très profonde. Nous retrouver ici, à Avignon, dans cette bibliothèque, parmi des gens, connus de nous ou inconnus, qui nous reçoivent – au sens le plus noble du terme.

Cette exposition, elle sera visible jusqu’au 15 février. Je voulais dire merci d’être reçus ainsi. Et oui, la Saison VI est aujourd’hui lancée…

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