L’Amour des trois oranges 

Un lecteur m’adresse le texte d’une jolie émission diffusée par radio Aligre. Cette émission écrite par Christine Bessi a été mise en ligne sur Facebook. Elle m’a semblé bien accordée à la période du Nouvel An, réconfortante, sensible et joyeuse. Et puis elle me donne, pour finir cette année qui a vu la parution de L’Amour des trois oranges, l’occasion de m’expliquer au sujet de ce livre qui ne ressemble à rien et qui est une manière de sortir des domaines réservés du conte et de la poésie. 

L’idée m’est venue de rassembler les contes et les poèmes que j’avais écrits quand j’ai pris conscience que toutes mes recherches sur le conte avaient disparu, soit parce que les éditeurs après les avoir exploitées les avaient laissées en déshérence (ainsi les dix-huit volumes de Luzel parus aux Presses universaires de Rennes), soit parce qu’ils avaient pilonné les volumes qu’ils m’avaient demandés (ainsi les magnifiques livres publiés par Ouest-France à partir de ma collection de livres d’Arthur Rackham, partis au pilon sans que je puisse même en acheter un exemplaire), soit parce que le business éditorial leur faisait perdre toute signification (c’est ainsi que la collection « Les grandes collectes » a été démantelée et s’est trouvée mêlée à ce que j’entendais combattre en publiant « le meilleur de la meilleure collecte » par région : il s’agissait bien pour moi de combattre les compilations à la Markale et les réécritures de contes populaires en lourde prose, criblée de clichés, tuant la poésie du conte). 

Le détournement du folklore était, pour finir, l’objet de ma thèse sur Luzel et je peux dire que j’aurais à présent de quoi en écrire une autre… mais, plutôt que de perdre mon temps, j’ai réalisé que ce qui m’avait intéressée et qui avait été à l’origine de cette longue recherche, c’était la poésie du conte. Constamment massacrée, elle donnait l’impression d’un acharnement à la faire disparaître qui, pour finir, me ramenait à la source des problèmes que j’avais rencontrés quand j’avais voulu éditer Luzel et que je m’étais heurtée aux nationalistes bretons (j’ai écrit Le Monde comme si à ce sujet) : la laideur des volumes publiés par Per Denez et ses affidés, la mocheté ringarde du style et des images, la bêtise des compilations, bref, tout un business Coop Breizh proliférant, m’a semblé exister d’abord en haine de la poésie. 

Je le dis d’autant plus volontiers qu’un lecteur vient de m’apporter un volume paru à la Coop Breizh et qui est un pillage de Vie et mœurs des lutins bretons : ce livre que j’avais publié pour montrer qu’il n’y avait aucun rapport entre les récits collectés par les érudits auprès des gens du peuple et l’exploitation celtomaniaque du lutin a été exploité précisément de manière à illustrer les pires clichés avec bretonnitude et pittoresque à la clé. Il va de soi que la poésie de ces légendes fantasques, écrasée sous l’épaisse prose de rigueur et les illustrations vulgaires a totalement disparu. 

J’ignorais ce dernier épisode quand j’ai constaté que la meilleure manière de quitter ce domaine était de rassembler les textes qui témoignaient pour moi de la poésie du conte et ainsi de les sauver car ils étaient voués à rester perdus à jamais, faute d’éditeur susceptible même de comprendre de quoi il retournait (et ne pas en faire un produit destiné à se périmer à brève échéance). 

C’est donc ce livre d’adieu qui est paru l’an passé. 

J’ai choisi pour titre L’Amour des trois oranges (titre qui, il est vrai, qui ne laisse pas vraiment deviner de quoi il retourne) car c’est à partir de ce conte que j’ai commencé, voilà bien longemps, de mettre en résonance les images du conte populaire, comme à partir des motifs des contes-types… N’entrons pas dans ces considérations : il suffit d’une lecture aussi compréhensive que celle de Christine Bessi pour voir le sentiment d’avoir changé cet adieu en partage. 

Dialogues Aligre

L’amour des trois oranges, Françoise Morvan, Editions Mesures , décembre 2023.

D’où vient cet appel à ouvrir les livres de contes, quand le soir tombe maintenant, si bienheureusement, tôt ? 

Et quel appel, si les enfants sont partis, à parler seul, à laisser aller sa voix, à DIRE le conte-près de la cheminée ou de la simple chandelle, pour restaurer là, pour soi, l’enfance toute nue ? 

Sans doute ne se languit-on plus ici des anciennes veillées où grillaient les châtaignes à l’heure du goûter ? 

Sans doute, pas davantage de cette lenteur qu’imposait la vie rustique, ni même du soin ni du temps que prend – a minima – la vie d’un foyer et, par là, le soin d’attiser le feu ?

Il est encore temps, toutefois, de se souvenir des contes aimés, lus et relus jusque tard dans l’adolescence et tout encore aujourd’hui, par et chez ces aïeux qui nous laissaient rêvasser à d’autres temps et contrées, sur le livre à la reliure au fil, grand ouvert, devant un feu quant à lui, fermé, comme muet et assourdi. 

Tout pouvait alors être remis à plus tard, tant l’urgence des devoirs que le petit goûter. 

Françoise Morvan rassemble dans l’amour des trois oranges, l’écho profond de ses poèmes qui disent à la fois le paysage mental de l’enfance, l’ombre étrange et le mystère qui y survivent toujours et l’ensemble de son travail de collecte et de traduction de contes. Ce travail, nous dirons davantage ce scrupule, dispersé en œuvres éditées par plusieurs maisons d’éditions, puis épuisées, raconté en plusieurs spectacles et œuvres radiophoniques, retrouve en très peu de pages (les toutes dernières), sinon la sensation de la poésie du conte du moins la certitude, où que l’on se trouve, d’avoir une clé-un “passe” – d’un petit royaume pour se réapproprier son enfance, la faire revivre, la sentir et la transmettre.

On relira avec douceur ce que Françoise Morvan dit de la poésie du conte et ce en quoi elle rencontre universellement tout un chacun. 

« Pour ce qui est d’expliquer en quoi consiste la poésie du conte qui a été à l’origine de cette recherche et qui, au total, malgré les apparences, me semble avoir fait qu’elle n’a pas été vaine, je déclare forfait. Je ne sais pas ce qu’est la poésie : elle est là ou elle n’est pas là. Le moins qu’on puisse dire est que, dans le conte, elle surgit toute baignée d’une étrangeté immémoriale et parfois surgit d’un fatras de clichés enlisés dans un style académique, sans que l’on puisse savoir pourquoi. Le tout, pour tenter de s’accorder à cette présence, est d’essayer de placer ces images clés dans le déroulé d’un rêve où tout serait vrai et qui obéirait à un rituel universel. C’est ce que sentent les enfants lorsqu’ils exigent que le conte soit dit et redit de la même manière. C’est aussi ce que voulait dire Andersen lorsqu’il expliquait que le conte était “ le royaume le plus étendu de la poésie” et c’est cette poésie qu’il a voulu transmettre par la prose.” »

On ne sait pourquoi ce sont les dernières pages du conte portant sur l’homme de la lune (maléfices) et le poème (l’ensorceleur) qui nous recueillent aujourd’hui, rassemblant en quelques images et paréidolies, comme par magie, un vieux chant populaire que les anciens pyrénéens chantonnaient en berceuse, pour endormir les enfants, un chant dont l’enfant reconnaît entre mille le rythme et le refrain, fier d’entonner à son tour ce qui est dit et redit, tandis que la lune descendante éclaire tout après, la nuit… 

« Une fenêtre ouverte sur la nuit

Montre en halo de lampe un peu brumeuse 

Un petit homme à profil d’aigle ou de corbeau 

C’était ainsi jadis que l’on voyait 

L’ensorceleur qui logeait dans la lune 

Tout borgne qu’il était cligner de l’œil 

En martelant ses faux écus

Captifs aussi et prêts à échanger nos rêves 

Contre un boisseau d’argent fictif

Nous avions beau défier soir après soir 

Ces yeux de fiel qui nous faisaient complices 

Nous consentions à vieillir par usure 

Laissant durcir autour de nous sans gloire

Un destin à notre effigie

Aurions-nous pu apprendre alors

Que vivre était se fondre aux ombres

Non pas descendre ainsi épuisant ses créances

Comme on usurpe un ancien deuil ?

Ici tout est resté fidèle au même emblème 

Mais le rideau qui va et vient 

Fait une ombre de faux sur la lueur. »

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