Monde comme si (suite) : Charte des langues régionales

Inutile d’essayer de se soustraire à l’actualité du monde comme si…

Le lobby patronal breton organise une bataille contre l’écotaxe et les ouvriers licenciés viennent défiler derrière leurs patrons sous bonnet rouge et drapeau breton ; le gouvernement, au lieu de défendre l’intérêt général, propose — en somme, comme prime à la casse — un « Pacte d’avenir pour la Bretagne » dans lequel l’écotaxe a miraculeusement disparu, laissant place à… mais oui, la revoilà… la Charte des langues régionales !

On peut dire que j’aurai fait mon possible pour informer à ce sujet :

— D’abord, puisqu’il fallait exposer en détail un problème totalement obscurci par les défenseurs des langues régionales et autres militants régionalistes, autonomistes, indépendantistes partisans d’une Europe des ethnies, j’ai fourni une communication lors d’un colloque au Sénat, communication disponible en ligne.

— Ensuite, puisqu’il fallait simplifier et toucher des lecteurs peu au fait du problème, j’ai rédigé un article pour Médiapart, article, lui aussi, disponible en ligne avec la polémique qui a suivi.

— Enfin, on m’a demandé une tribune courte sur le sujet et j’ai donc produit une synthèse qui ne demande pas plus de quelques minutes de lecture et qui expose juste des faits.

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L’Europe des ethnies vue par Régions et peuples solidaires

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Il me semble que les enjeux réels de la Charte sont clairs une fois qu’on a pris le temps de s’informer : il ne s’agit nullement de défendre les langues régionales mais de les instrumentaliser en vue d’instaurer une Europe des régions et de faire éclater les États-nations (notamment, la France qui compte, comme on peut le voir sur la carte ci-dessus un grand nombre d’« ethnies minorisées » appelées à s’émanciper). Ce projet est celui de l’Union fédéraliste des Communautés ethniques européennes (UFCEE) à l’origine de la Charte des langues régionales (qui a été précédée par la Convention cadre sur les minorités, également rédigée par l’UFCEE).

Carte des minorités européennes définies par le Parlement européen

Il est facile de voir que la carte des prétendues minorités ethniques définies par le Parlement européen recoupe celle des langues reconnues par la Charte : l’ethnie bretonne  se définit par le breton ethniquement distinct du français (disparition du gallo) ; l’ethnie occitane se définit par l’occitan surunifié (disparition du gascon, du provençal, etc) ; l’ethnie alsacienne se rattache à l’Allemagne par la langue (disparition de l’alsacien — de fait, c’est l’allemand qui est enseigné à la place). Encore plus claire et montrant quel profit l’Allemagne peut tirer de cette réorganisation de l’espace européen, la carte des « Peuples autochtones et minorités ethniques européennes » diffusée par Eurominority et reprise par l’UDB (parti autonomiste breton).

Il ne s’agit nullement de défendre les langues régionales mais de les laminer pour les faire servir un projet politique qui serait assurément refusé par la majorité des personnes consultées (on l’a vu en Corse et en Alsace).

L’idée même de modifier la Constitution pour permettre de ratifier un tel texte est si aberrante de la part d’élus de gauche qu’on peut voir à quel point d’inconséquence sont arrivés les élus bretons et le pouvoir qui leur cède, faisant ainsi allégeance aux autonomistes et au lobby patronal naturellement favorable à une déréglementation généralisée.

La proposition de loi constitutionnelle du 10 décembre 2013 n’est qu’un décalque de la proposition du 31 octobre 2013 des Verts (ralliés aux autonomistes de tous bords, comme on le sait) : la Charte est bien un outil destiné à faire levier pour accélérer le démantèlement des institutions.

Les arguments développés pour la faire présenter comme un texte inoffensif sont simplement faux : le linguiste mandaté par Lionel Jospin pour définir les langues minoritaires de France en a retenu 75 et l’article 21 de la Charte précise qu’elle n’admet aucune réserve (notamment sur  l’article 7 § 1 qui donne à tout locuteur d’un groupe minoritaire le droit imprescriptible d’utiliser sa langue dans la sphère publique). La « déclaration interprétative » tant blâmée par les autonomistes peut-elle être considérée autrement que comme une réserve ?  Dans le cadre prévu par la Charte, les textes de loi devront pouvoir être traduits en 75 langues. Rente de situation assurée pour les nationalistes qui pourront ainsi former aux frais de la collectivité des avocats, des juges, des guichetiers, des moniteurs d’auto-école… Fin de l’égalité républicaine. C’est bien ce qui est recherché.

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En attendant la ratification, les autonomistes de tout bord pavoisent : ils ont créé un  groupe de pression, l’Appel de Pontivy, avec des indépendantistes et le Parti breton, expression de l’idéologie de l’Institut de Locarn — ni rouge ni blanc, breton seulement… Or, aussi étrange que cela puisse paraître dans  le contexte actuel, la ratification de la Charte est la première de leurs exigences.

Ce n’est qu’une étape mais une étape décisive, ils en sont parfaitement conscients, si les élus en charge du bien public ne le sont pas.

NB : Un lecteur fulminant me signale que l’Appel de Pontivy (Galv Pondi) a été créé en avril 2013 avant la grande révolte spontanée des Bonnets rouges contre l’écotaxe. Mais oui, c’est bien sûr — et, le 18 juin 2013 le lobby patronal breton proclamait à son tour l’appel de Pontivy.

Aucun rapport, ça va de soi, avec le Programme de Pontivy et la proclamation de l’État breton en 1940 par les nationalistes bretons…

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On trouvera ici une motion du SNES (Syndicat national de l’enseignement secondaire) qui,  après l’abandon de la ratification, fait le point sur le problème de la Charte. Enfin, est constaté le fait essentiel, à savoir qu’elle « pose des questions autres que celles du développement linguistique et culturel ».

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Des années de haine et de débats ineptes pour rihttp://le-grib.com/politique/la-charte-europeenne-des-langues-regionales-ou-minoritaires/ratification-et-devolution/en — ou plutôt pour profiter à l’extrême droite, comme le souhaitait la FUEV qui a concocté la Charte. L’aveuglement des socialistes aura permis de diviser la gauche au sujet d’un texte inadmissible, et que les parlementaires ont été mobilisés pour rendre coûte que coûte admissible quand mille problème réels restaient à l’abandon. Tel était sans doute le but recherché.

Rappelons que la ratification de la Charte et la délégation de la Culture à la Bretagne (début d’éclatement du ministère de la Culture) ont été deux exigences posées par les autonomistes bretons suite à la pseudo-révolte des Bonnets rouges organisée par le lobby patronal breton en 2013.

On pourra lire un résumé de cette bataille qui s’est terminée par l’échec de la ratification mais la délégation de la Culture — sauf pour le théâtre car le Syndeac s’est battu jusqu’au bout et a obtenu gain de cause. Fin de l’égalité républicaine, soumission à l’identitaire…

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