Parole interdite (suite) : Le Télégramme et l’omerta

Cinquième épisode du feuilleton.

Résumé des précédents épisodes :

Premier épisode. Le 16 avril, je suis invitée à faire une rencontre sur les photographies et les poèmes d’Armand Robin au théâtre de Guingamp pour conclure l’exposition qui s’est tenue à la médiathèque. Il apparaît que des militants bretons, en tête desquels deux élus, MM. Kerlogot et Kerhervé, interdisent qu’il me soit « offert une tribune si minime soit-elle ». Un commando se présente, menace de casser l’exposition, inscrit des tags et monopolise la parole au nom d’un militant nationaliste collaborateur des nazis, Paul, dit Polig, Monjarret.

Deuxième et troisième épisodes. Le 26 avril, l’IDBE, site de la Fondation Yann Fouéré (agent de la Gestapo en Bretagne), sous le titre « ATTENTION DANGER », appelle à poursuivre l’action des « humanistes démocrates bretons » qui ont interdit ma conférence : il s’agit désormais de faire pression sur tous ceux qui risquent de m’inviter car je suis « nocive pour la Bretagne » (en plus d’être « folle à lier »).

Le 9 mai, lors du conseil municipal de Guingamp, un ex-élu EELV passé à droite, M. Kerlogot, s’en prend au maire, coupable, d’avoir autorisé une association à m’inviter car je « salis la culture bretonne » et que cela risque de « décupler les rancœurs ». Le maire est mis en demeure de donner le nom de Monjarret à une rue. Ouest-France et Le Télégramme reprennent ces accusations.

Quatrième épisode. J’exerce mon droit de réponse. Ouest-France le passe mais en ayant censuré tout ce qui concernait Monjarret.

Et nous en arrivons au cinquième épisode : Le Télégrammme, quant à lui, se dispense de respecter le droit de réponse. Au moins est-il utile de montrer ce contrôle de la presse régionale.

Mais il y a mieux.

Je m’étais contentée de lire la page consacrée à l’intervention de Kerlogot — page déjà remarquable par sa prolixité en regard de la relative neutralité d’Ouest-France. Or, feuilletant le journal pour trouver l’adresse de la rédaction, j’ai découvert que cet article n’était, en fait, que la seconde page d’un dossier Monjarret et que ce dossier n’était lui-même que la suite d’un article promotionnel pour le Festival interceltique fondé par Monjarret.

La chose se présente comme un drame en trois actes :

  1. Page 9 : euphorie après la détresse.

         INTERCELTIQUE. UNE AFFLUENCE CONFIRMÉE

Interceltique affluence confirmée

Comme le laisse entendre l’article, la Bretagne a frôlé une tragédie mais peut enfin respirer : le Festival interceltique a bien compté 750 000 visiteurs. Il s’était trouvé de mauvais esprits pour mettre en doute la véracité des chiffres fournis par les organisateurs.

Désormais le comptage se fait scientifiquement, par « Flux vision », en exploitant les données des téléphones portables. Les festivaliers sont repérés, ciblés, enregistrés. Et c’est le Comité départemental du tourisme du Morbihan qui se charge de l’enquête. Sur fonds publics donc, et au service du FIL : « À nous maintenant de dynamiser ces chiffres. On va pouvoir optimiser nos investissements et adapter notre communication », se réjouit le président du Festival interceltique.

Big Brother e Breizh ? Perspective effrayante ?

Non, « à J-87 du FIL 2016 » il convient de se réjouir.

La propagande pour le Festival interceltique commence donc dans Le Télégramme trois mois avant l’événement.

En prime, le journal vous offre une vidéo à voir sur son site.

Sur la même page, et toujours dans le registre euphorique du Breizh Business, nous apprenons que la ville de Guingamp a vendu ses plaques de rues car elles seront désormais toutes bilingues breton-français. La plaque qui a été vendue le plus cher est la plaque de la rue Traouzac’h. La ville de Guingamp a donc payé pour traduire Traouzac’h en Traouzac’h, encore un bienfait de l’Office de la langue bretonne.

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  1. Page 10, sur le mode tragique, imploration :

AU NOM DE POLIG MONJARRET

Au nom de Polig Monjarret

« En décembre 2012, le conseil municipal avait voté, à l’unanimité, l’attribution d’une rue au nom de Polig Monjarret. Elle devait traverser le futur lotissement de Gourland (ci-dessus en construction). Or, sous la mandature de Philippe Le Goff, en juillet 2014, le conseil était revenu sur cette décision. Une volte-face qui ne passe pas aux yeux de certains défenseurs de cet acteur incontournable de la culture bretonne mais dont le rôle pendant l’Occupation fait polémique. Hier, lors du conseil municipal, Yannick Kerlogot a tenté de faire revenir le maire sur sa décision. »

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III. Page 11 : l’accusation tombe

MONJARRET : LA VOLTE-FACE DU MAIRE NE PASSE PAS

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Suit donc, sur presque une pleine page, l’invraisemblable intervention de l’élu de droite mettant le maire en demeure de rendre nul et non avenu le vote du conseil municipal et l’accusant d’avoir laissé « programmer des conférenciers comme Françoise Morvan qui salissent et dénigrent la culture bretonne, au risque de provoquer des rancœurs au sein de la population ».

*

Difficile de trouver meilleure illustration de la manière dont la censure s’exerce en Bretagne : à l’origine, nous avons une rencontre autour de la poésie d’Armand Robin ; à l’arrivée, nous trouvons une apologie de Monjarret.

Comment la conversion s’est-elle opérée ?

Tout banalement, comme de coutume, par le silence. Rappelons-le tout de même au passage, Armand Robin est l’un des plus grands poètes bretons. Ouest-France, publiant mon droit de réponse, le change en peintre, unique allusion au travail d’une année, présenté pourtant dans un lieu public (qui ne risque pas de renouveler ce genre d’activité antinationale). Exit Robin.

Et ensuite par la vocifération, à savoir par la voix des militants, les tags, les panneaux, le conseil municipal, le lotissement de Gourland, et Le Télégramme parachevant le tour de passe-passe. Surgit Monjarret.

La démonstration en est faite : comme l’écrit la journaliste, Monjarret est un « acteur incontournable de la culture bretonne ». Impossible de le contourner : il est là, il faut buter dedans, le voir, le subir, le louer, comme Staline en son temps, lui faire ses dévotions, lui consacrer des places, des rues, des statues.

Vous pensiez que dire la vérité sur ses accointances avec les nazis suffirait pour en finir avec le culte de Monjarret ? Tout au contraire ! Dire la vérité sur Monjarret, c’est « salir la culture bretonne », et c’est vous-même, jugé salissant, qui serez épuré, muselé, interdit de séjour et de parole. Ayant déchaîné, sans même avoir pensé à évoquer son nom, les chœurs des tenants du culte de Monjarret.

Vous pensiez parler de Robin ? Vous parlerez de Monjarret !

La culture bretonne, je veux dire la culture officielle, subventionnée, c’est ça.

*

En d’autres temps, le rédacteur en chef du Télégramme, Kerdaniel, n’hésitait pas à consacrer deux pleines pages à un reportage sur Armand Robin — remarquable reportage qui donne à mesurer ce qu’est devenu ce journal. J’imagine ce qu’il éprouverait à le lire et voir la poésie de Robin interdite au bénéfice de Monjarret. Et du Breizh business dont il n’aurait jamais, lui, esprit libre et fin lettré, pu concevoir l’horreur.

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