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Trois millions de Bretons, treize millions de cochons… treize millions de cochons abattus par an (d’après Uniporc Ouest), combien de Bretons accablés de voir les eaux polluées, les terres souillées, les paysages ravagés, les villages empuantis par des odeurs de lisier…
Mais protester, c’est nuire à la Bretagne : le touriste a besoin de jouir d’une image positive de cette région vouée à ses vacances. Plus grave, protester en replaçant le phénomène dans son histoire et son contexte, c’est nuire à l’avenir de la Bretagne (pour reprendre le titre du journal de l’autonomiste Fouéré) et donc commettre un crime de lèse-nation. Soupirer, lever les bras au ciel, gémir sur le coût de l’eau en bouteille et sur la mort des alevins est légitime et même bien vu, mais essayer de comprendre les causes du désastre, holà !
En 2002, lorsque j’avais publié Le Monde comme si, l’avocat nationaliste du journal non moins nationaliste Bretagne hebdo, qui avait orchestré une violente campagne de presse contre moi, m’avait prise à partie au motif que mon chapitre « Le porc ou la mort » où je mettais en cause le CELIB, Martray, Gourvennec et le règne du cochon n’avait rien à faire avec le mouvement breton, le bon mouvement breton si naturellement pur : nulle collusion avec les nazis sous l’Occupation, nulle collusion avec le lobby capitaliste mis en place par l’Institut de Locarn, héritier du CELIB. Blanc comme neige, le mouvement breton odieusement noirci par moi s’était révolté par la voix de Bretagne Hebdo et je n’étais pas fondée à demander réparation puisque c’est moi qui étais coupable, ayant transgressé un double interdit.
Il n’empêche que ce journal a été condamné et a disparu.
Moi aussi : je suis devenue un auteur breton sans existence.
Mais le fait d’être interdite de parole sur le sol breton ne m’empêche pas d’exister ailleurs, et de donner mon avis sur divers sujets lorsqu’on m’interroge. Ainsi lors de la pseudo-révolte des Bonnets rouges, précisément orchestrée par le lobby patronal breton, qui avait donné lieu à une formidable série d’émissions de Charlotte Perry sur France-Inter.
Ainsi, sur France-Inter encore, hier, à l’occasion du dernier désastre écologique en date, la pollution de la Penzé, une petite rivière près de Morlaix… Une fuite de lisier, une de plus, et la rivière est polluée jusqu’à l’estuaire. Rien que de banal en Bretagne. Ce qui l’est moins, c’est que l’habituelle protestation contre ce que la presse régionale appelle un « incident » trouve un relais dans les médias nationaux.
Je regarde qui est l’éleveur. SA Kerjean, Taulé. Pas besoin de chercher bien loin : la SA Kerjean a été fondée par Marc Gourvennec.
En 2003, mis en accusation par l’association Eaux et rivières, le fils d’Alexis Gourvennec s’indignait vertueusement – et ses protestations étaient aussitôt relayées par Le Télégramme : « “Les allégations d’Eau & Rivières ne sont qu’un tissu de mensonges mais leur attitude ne m’étonne pas. Ils veulent nous faire passer pour des grands bandits et cela fait dix ans que cela dure”. Attendant sereinement le vote du conseil municipal de Taulé, le 24 janvier, Marc Gourvennec se défend aussi de vouloir gonfler les effectifs de son exploitation. ”Nous ne les avons jamais augmentés depuis 1988 et je peux garantir qu’avec ce projet de traitement, il n’y aura pas un cochon de plus chez nous” ».
En 2003, l’élevage comptait 11 288 cochons ; actuellement, il en compte 21 000.
Il y aurait encore long à dire sur la pisciculture, sur Brittany Ferries et autres sujets apparemment étrangers au débat mais n’épiloguons pas.
En 2007, Marc Gourvennec meurt. Voici sa nécrologie d’après Ouest-France :
« Fils de l’ancien P-DG de la Brittany Ferries, disparu le 19 février dernier, Marc Gourvennec dirigeait la Sofalim, entreprise d’aliments pour animaux de ferme, dont dépendent deux autres sociétés : la SA Kerjean (élevage porcin) et Financières la Garenne (organisme de placement en valeurs immobilières). Ces trois sociétés familiales sont basées à Taulé. A la fin des années 90, Marc Gourvennec avait pris la direction de la société piscicole Aquadis, qui regroupait plusieurs piscicultures dans la région morlaisienne, mais aussi à Pont-Calleck, dans le Morbihan. Il y a quelques années, il avait intégré le conseil d’administration de la Cuma (coopérative d’utilisation de matériel agricole) de Locmaria-Plouzané. Les obsèques de Marc Gourvennec seront célébrées aujourd’hui, à 14 h 30, à l’église de Taulé, cette commune d’où il était originaire et à laquelle il était viscéralement attaché. »
Qui oserait s’en prendre à ces bienfaiteurs de leur commune, du Léon et de la Bretagne tout entière ? Et qui oserait rappeler que c’est en 1961, avec la prise de sous-préfecture de Morlaix par Alexis Gourvennec qu’a commencé la grande dérive productiviste, induite et soutenue par le mouvement nationaliste breton, terroristes du FLB œuvrant pour l’appuyer, comme le notait Jean Bothorel, qui savait de quoi il parlait ? Du CELIB à Produit en Bretagne le réseau s’est étendu, renforcé, et règne à présent sur les médias, l’économie, la politique, la culture. Face à ce pouvoir exercé sous les dehors de la vertu mise au service de l’identité, voire de l’écologie, qui oserait protester ?
Eh bien, si, le miracle est là : malgré cette chape de plomb, quelques voix s’élèvent encore.
On peut lire un résumé de l’affaire par deux journalistes de Franceinfo…
Et écouter l’émission d’Antoine Chao sur France-Inter.
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