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J’avais longuement hésité avant d’assigner Anne-Marie Lilti, auteur d’une biographie intitulée Armand Robin : le poète indésirable, préfacée par Jean Bescond, responsable du site armandrobin.org. Un procès est toujours une épreuve, chronophage, aléatoire, dévoreuse d’une énergie que l’on voudrait employer ailleurs et souvent blessante.
Mais, d’une part, l’auteur de cette biographie était un professeur d’université, doublement responsable à ce titre, en un temps où les étudiants pensent pouvoir reproduire n’importe quel texte sans en mentionner l’origine ; d’autre part, ce professeur reprenait, souvent mot pour mot, mes recherches en vue de les faire servir précisément les lieux communs que j’avais combattus en recueillant les textes d’Armand Robin et en espérant ainsi l’amener à témoigner pour lui-même ; enfin, cette biographie avait bénéficié de l’aide du Centre national du Livre et représentait donc ce que l’institution littéraire entendait soutenir.
Des années de travail, des publications, des articles, des émissions de radio, un film, un doctorat d’État — rien n’avait servi : anarchiste et breton, Armand Robin était le Poète indésirable ainsi rendu indéfiniment désirable en vue de promouvoir des cercles de poètes, des poètes de cercles, des amis des poètes, des poètes anarchistes, des anarchistes bretons, et des critiques, des conférenciers, des journalistes prêts à promouvoir le poète indésirable, les cercles de poètes et ainsi de suite à l’infini. Un petit cas littéraire parmi tant d’autres, pas tellement intéressant, peu rentable… Et pourtant l’occasion de la plus grande violence, passant outre tout ce qu’il était possible d’admettre d’un milieu littéraire sclérosé : un auteur sans œuvre, sans vie, poursuivant son travail autant dire invisible par cent poètes parlant par sa voix, une expérience littéraire sans égale vouée à se terminer dans l’anonymat de la préfecture de police — et tout ça pour être, envers et contre tout, enfermé dans la biographie qu’il avait voulu fuir, une biographie fabriquée à partir de phrases détournées de leur sens et de citations sans mention de source…
Tandis que l’audience se déroulait au Palais de Justice, Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 2e section, je voyais la Seine briller au soleil. De l’autre côté, la préfecture de police où Robin était venu mourir.
Ôtant son soulier, le remettant, jouant avec sa robe, l’avocate d’Anne-Marie Lilti m’accusait d’avoir pillé ceci, trouvé cela chez l’un, chez l’autre, et lisait en se délectant les attestations de Bescond et consorts. Le plagiaire n’a rien de plus pressé que d’attaquer celui qu’il pille. Une épreuve, quand bien même on s’y est préparé…
Par jugement rendu le 14 mars, le Tribunal a jugé qu’Anne-Marie Lilti s’était rendue coupable d’actes de contrefaçon à mon préjudice et l’a condamnée à me verser 3 000 euros au titre de l’atteinte à mes droits patrimoniaux et 3 000 euros au titre de l’atteinte au droit moral.
Il a par ailleurs ordonné la publication du jugement dans la limite de 3 500 euros par publication.
Enfin, 5 000 euros de frais d’avocat me seront remboursés au titre de l’article 700.
Je donne ces chiffres pour que les plagiaires comprennent qu’il y a une loi et qu’elle peut s’appliquer, pour peu qu’on aie le courage d’aller jusqu’au bout de la procédure.
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On trouvera ici en PDF le jugement signé par le juge Éric Halphen.
Pour ceux qu’intéresse le problème du plagiat, je joins la liste des emprunts retenus. Colonne de gauche : mes écrits ; colonne de droite, les écrits d’Anne-Marie Lilti ; en bleu, dans une colonne ajoutée, les passages correctement référencés dans la thèse d’Anne-Marie Lilti (1999) mais non sourcés dans sa biographie et qu’elle assurait résulter de recherches personnelles ou de recours à une source commune non identifiée — cette pseudo-source commune effacée dans la biographie était clairement désignée dans la thèse.
Absolument convaincue d’avoir employé une méthode en tout point recommandable, cette universitaire a fait appel mais, l’appel ayant été rejeté, le jugement est désormais définitif.
On pourra lire à ce propos un dossier de Jean-Noël Darde, sur son site « Archéologie du copier-coller » consacré au problème de la contrefaçon à l’université.
En prime aussi, un article intéressant du Monde.
J’ai aussi mis sur ce site un dossier consacré au plagiat, Chroniques de l’anticoucou : les lecteurs peuvent y collaborer s’ils souhaitent participer au combat…
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Après avoir lu « Le temps qu’il fait », je cherchais d’autres textes d’Armand Robin, et je suis effarée de trouver l’ouvrage d’A.-M. Lilti dans la bibliothèque universitaire que je fréquente. Est-ce que la décision de justice en votre faveur comprenait aussi le retrait de la circulation de cette contrefaçon ?
Merci pour votre beau travail. Je vous lis toujours avec plaisir et intérêt.
Merci pour votre message. Hélas, oui, la biographie d’A.-M. Lilti se trouve en de nombreuses bibliothèques, notamment les bibliothèques universitaires, et passe toujours pour l’essai de référence sur Armand Robin (avec la préface de Jean Bescond exposant que cette biographie est le seul travail fiable produit depuis quarante ans…). Le jugement n’impliquait pas le retrait des exemplaires en circulation, ce qui aurait été très compliqué à mettre en œuvre. Il appartiendrait aux bibliothécaires d’informer les lecteurs — mais nous en sommes bien loin !
Le jugement n’a, en fait, rien changé. Près de chez moi, à Rennes, la bibliothèque des Champs libres (bibliothèque de Rennes-Métropole) donne à lire la biographie de ma plagiaire (et en double ou triple exemplaire, l’un d’entre eux en consultation libre et empruntable, alors que mes éditions, y compris les Ecrits oubliés, Poésie sans passeport et Fragments, sont uniquement consultables sur demande au rayon patrimoine et interdites de prêt). De plus, elle est associée via Internet à un hommage à Armand Robin qui est surtout un hommage à A.-M. Lilti et J. Bescond :
http://www.unidivers.fr/armand-robin-on-pretendit-mavoir-rencontre/
Ce texte scandaleux, qui consiste à mettre mes recherches au service du non moins scandaleux site de J. Bescond, cautionne donc officiellement ma plagiaire et son complice via la bibliothèque de Rennes-Métropole. Et en utilisant, comme de coutume, le portrait d’Armand Robin sans mon autorisation.
Il donne une assez bonne idée de la fabrique du Poète contre laquelle j’ai tenté de publier les textes d’Armand Robin, espérant le mettre à même de témoigner pour lui-même — mais en vain.
J’aurai quand même eu la joie de rencontrer des lecteurs qui ont suivi ce combat et qui m’ont donné leur appui. C’est toujours un plaisir de sentir qu’une personne bienveillante partage votre indignation ! Et mon indignation n’a pas faibli depuis tant d’années. À parcourir la prolifération des inepties au sujet de ce pauvre Robin (votre message m’a donné l’idée de regarder ce qui se trouvait en bibliothèque et ailleurs) elle a connu un nouveau pic… Je peux, du moins, en faire état sur ce site, petite lucarne ouvrant sur autre chose. Merci encore !