Le 16 avril dernier, un commando de militants bretons emmené par le président du Centre culturel breton de Guingamp avait tenté d’interdire ma conférence sur le poète Armand Robin car il fallait honorer à la place un nationaliste (et collaborateur des nazis) du nom de Monjarret.
Par la suite, les événements se sont succédé et comme le feuilleton m’a semblé un peu difficile à suivre au fil des actualités de ce site, j’en ai rassemblé les épisodes en un chapitre. Il ne s’agit après tout que d’un exemple de censure parmi tant d’autres, et c’est cet exercice de la censure qui me semble intéressant.
Nous en étions au quatrième épisode du feuilleton, épisode qui me semblait conclusif… mais non, il est toujours possible de faire mieux et il nous restait à découvrir le bouquet final (qui ne sera d’ailleurs peut-être pas final). Au stade où nous en étions, nous savions que les nationalistes entendaient m’interdire de m’exprimer sur le sol breton quel que soit le sujet : cet oukase venait des « humanistes démocrates bretons » de la Fondation Fouéré qui se trouve aussi à Guingamp ; non seulement aucun militant breton dit de gauche n’avait protesté contre cet exercice de la censure mais aucun n’avait protesté contre la promotion de collaborateur des nazis comme Monjarret et Fouéré. Et la presse régionale s’était révélée inféodée au lobby breton — rien d’original mais encore fallait-il le montrer à partir d’exemples concrets.
Peu après, le Centre culturel breton de Guingamp s’était donné pour secrétaire Gaël Roblin, un militant nationaliste d’extrême gauche naguère condamné pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Gaël Roblin allait ensuite inviter Jean-Marc Rouillan au Dibar de Plougonver : ex-terroriste d’Action directe, J.-M. Rouillan a été condamné le 7 septembre à huit mois de prison pour apologie d’un acte de terrorisme : il avait jugé « courageux » les djihadistes assassins du Bataclan.
Le 15 octobre, le Centre culturel breton de Guingamp associé à la Fondation Fouéré honore un personnage qui a eu le mérite d’arborer les deux casquettes : fasciste comme Monjarret, puisque agent de la Gestapo et patron de presse sous l’Occupation, il a repris du service pour le FLB ; terroriste, il a publié un essai à ce propos aux Nouvelles Éditions latines (éditions d’extrême droite, comme on le sait). Pour célébrer Yann Fouéré, il y aura Yves Mervin, lequel entend démontrer que la Résistance a fait plus de tort aux Bretons que les Allemands (d’excellents Allemands, d’après lui, tout à fait bien éduqués : cet indépendantiste explique qu’un enrôlement sous l’uniforme SS du Bezen Perrot était un gage de « circonspection et de rigueur intellectuelle »). Et les militants d’extrême gauche du Centre culturel breton trouvent ça très bien.
Fouéré, qui œuvrait avec les nazis à la revue Peuples et frontières, savait d’entrée de jeu que du magma identitaire naît le pouvoir des droites extrêmes. Elle peuvent englober la gauche et l’extrême gauche.
Le Centre « culturel » breton est subventionné par la municipalité socialiste de Guingamp.
Vouloir empêcher quelqu’un de s’exprimer est en effet regrettable, et ne peut que conduire effectivement à l’accusation de censure.
En fin de compte, les autonomistes de l’origine ont gagné : leur drapeau, interdit dans les années 60, tout comme le BZH sur les voitures, sont maintenant officiels. Croyant l’heure venue, lors de l’occupation nazie, de la rupture avec cette France « jacobine enjuivée » qu’ils exécraient, ils ont collaboré avec zèle durant 4 ans, puis en 1944, ont dû s’enfuir en Irlande, Argentine etc. S’ils sont revenus en catimini avec les amnisties pompidoliennes, ils ont recommencé à militer pour leur cause, d’abord en sourdine, adulés par les descendants de collaborateurs en chambre passés à travers l’épuration, puis beaucoup plus fort à partir de 1990, en espérant que l’Europe des Régions leur donnerait de fait l’autonomie dont ils rêvent. A présent ils sont sournoisement réhabilités médiatiquement, via des ouvrages de circonstances parrainés par des associations fièrement autonomistes, financées par la Région, et portant fièrement leurs alias autonomistes, ouvrages dans lesquels leurs auteurs laissent planer un doute sur les véritables motivations de la Résistance en Bretagne, soupçonnée d’être composée essentiellement de gueux à la solde de Moscou, sans même le savoir.
Il s’agit d’un révisionnisme larvé, financé en sous main par la Région et encouragé par l’attitude des Media régionaux.
Oui, c’est vrai, mais pourquoi insister particulièrement sur les « amnisties pompidoliennes » ? En fait, les nationalistes sont revenus bien avant (quand ils étaient partis) et les amnisties de 1951 et 1953 leur ont permis de reconstituer très tôt leur réseau. La filière de faux passeports mise en place par Fouéré leur permettait d’ailleurs de circuler sans craindre la justice…
Comment en est on arrivé à ça ?
Après guerre, les collaborationnistes (dont les autonomistes) les plus compromis quittèrent la France pour se réfugier dans les pays d’une neutralité bienveillante pour le 3ème Reich : Espagne, Argentine, et Irlande pour les Bretons.
Et après la chute du Reich, les USA et l’URSS, qui s’étaient partagés l’Europe à Yalta en 1945, se trouvèrent en rivalité larvée, la “guerre froide”, avec le “monde libre” à l’Ouest, et “les pays de l’Est, communistes” de l’autre, séparés par le “rideau de fer”. “Moscou” d’allié héroïque contre le nazisme à Stalingrad, redevint le “bolchévisme” de 1917.
De ce fait, les procès contre les collaborateurs des nazis passèrent au second puis au troisième plan : sous Vincent Auriol, des collaborateurs éminents furent relâchés. Notamment en 1952 et 1953, les collaborateurs de plume, journalistes antisémites à « Je suis Partout », Lucien Rebatet et Pierre-Antoine Cousteau, (frère aîné du célèbre commandant), emprisonnés à Clairvaux, furent libérés.
De même, Louis-Ferdinand Céline avait été acquitté en 1951, en présentant au Tribunal un dossier sous son nom véritable de Louis Destouches, ce qui suffit à ne pas attirer l’attention des magistrats. Dans cette nouvelle philosophie des sentences rendues pour faits de collaboration, l’exilé breton collaborateur et directeur de La Bretagne, Yann Fouéré obtint un acquittement en 1955.
Mais l’opprobre des années de guerre dans la population ne permettait pas encore de recommencer à militer ouvertement.
L’oubli put s’installer officiellement lorsque Georges Pompidou amnistia définitivement les collaborateurs bretons au début de son mandat.
Avec une ruse prudente, ces militants de l’autonomisme breton purent recommencer à militer pour la cause, sans se faire remarquer des anciens résistants (dont Hervé Monjaret, radio de Jean Moulin, devenu obscur acheteur à la centrale d’achat Monoprix à Paris).
Et, en février 1974, le FLB dynamita l’émetteur ORTF de Roc’h Trédudon, attentat revendiqué par Yann Goulet, toujours en Irlande.
Le militantisme se fit plus feutré, mais prospéra dans l’ombre dans les couloirs des administrations bretonnes, grâce aux désormais amnistiés, qui pouvaient militer sans crainte et faire des émules.
Début 90, la mise en route de l’Europe des Régions leur donna une nouvelle espérance de sécession d’avec le honni pouvoir français jacobin (=youpin selon Olivier-Olier Mordrel) et vous vous êtes vous même heurtée assez violemment aux thuriféraires de l’orthographe fixée à Rennes en 1941 sur ordre du standartenführer Leo Weissgerber, dont Pierre Denis (Per Denez), car vous aviez découvert avec surprise qu’ils tenaient, non seulement à réhabiliter les anciens autonomistes cités plus haut, mais en plus à les venger de leurs ennemis de toujours, et votre découverte de cette mouvance fut le sujet de votre livre “Le monde comme si”.
Ayant levé le voile sur ces noyautages nauséabonds, vous êtes devenue la cible de tous les autonomistes de droite comme de gauche, et accusée d’être une “mauvaise bretonne”.
Or, vous n’avez fait que révéler la réalité : le mouvement breton actuel est le descendant d’une organisation favorable aux nazis et à toutes leurs “idées”, mais tient à le cacher. Les descendants de résistants apprécieront.
Vous écrivez que « l’opprobre des années de guerre dans la population ne permettait pas encore de recommencer à militer ouvertement » dans les années 50 mais Fouéré a fondé le MOB sans être inquiété le moins du monde, et les revues nationalistes paraissaient tout à fait ouvertement. C’est de ce magma qu’est sorti le mouvement breton actuel (l’UDB vient directement du MOB et en a gardé les valeurs fondamentales sous un habillage néomarxiste dans un premier temps, lorsque c’était utile, puis ethniste lorsque les réseaux européens comme l’ALE ont pris en charge les revendications autonomistes). Il est vrai qu’à partir de 1968, les productions nationalistes de vieux fascistes font florès et la publication de l’essai de Morvan Lebesque Comment peut-on être breton ? qui achève le recyclage à gauche des idées de Breiz Atao en est l’aboutissement (comme d’ailleurs la publication de La Nation bretonne) mais l’amnistie a-t-elle vraiment joué un rôle décisif ? Ce petit personnel était utile pour mettre en place la régionalisation contre l’avis des populations consultées par référendum. Mais en même temps, on faisait le lit de l’extrême droite et du séparatisme. L’hommage rendu à Fouéré à Guingamp en est une illustration, la dernière en date et non la moindre puisque l’hommage à Fouéré est aussi un hommage à Mervin et à son Cercle Pierre Landais.
Merci Françoise. Vous êtes sûrement plus lue que la censure ne voudrait vous l’imposer.