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Après avoir soutenu une thèse sur Armand Robin en vue de montrer que ses textes avaient été volés pour être édités sous la forme d’une véritable falsification (à savoir Le Monde d’une voix), puis avoir soutenu une thèse sur François-Marie Luzel pour montrer comment les nationalistes bretons avaient trahi l’œuvre du plus éminent folkloriste de Bretagne et tenté par tous les moyens possibles de m’empêcher d’en donner une édition méthodique, un ami m’ayant dit « jamais deux sans trois » , l’horrible perspective de retomber dans le piège de la thèse m’a amenée à en rédiger une préventivement tout en exerçant une délicieuse vengeance contre mon ex-directeur de thèse et ses acolytes.
Au cours de mon combat contre ces nationalistes bretons poseurs de bombes et autres, je m’étais aperçue en éditant les textes de Luzel que ses recherches sur les lutins prêtaient un charme inédit à ses notes de terrain souvent bien académiques et que le lutin était, sous la plume d’érudits archivistes, objet d’hilarantes controverses dans les revues savantes.
D’une part, il y avait là pour moi une lointaine énigme à résoudre car, dans mon enfance, j’imaginais des lutins de fontaine batifolant autour de la source et du lavoir de mon jardin ; d’autre part, ces enquêtes me ramenaient à la question qui m’avait amenée à me pencher sur l’œuvre de Luzel, à savoir le folklorisme et la manière dont la culture populaire est détournée pour devenir objet de science ou de littérature. Le lutin était objet de travestissements particulièrement intéressants en Bretagne dans la mesure où, dès les origines du nationalisme, s’était mise en place la fabrique d’un imaginaire celte supposé supérieur au plat imaginaire latin tué par la raison raisonneuse. C’est sur cette base éminemment raciste que se développent les essais qui prolifèrent partout, enlisant la littérature orale transmise tant bien que mal par les folkloristes sous une chape d’autant plus dangereuse qu’elle adopte des dehors bénins.
En partant des revues savantes, j’ai donc étudié les peuplades de lutins identifiées sur le sol breton, montré comment le korrigan, incarnation supposée de la mythologie celtique, se mêlait aux lutins du pays gallo, et, donnant mes références en notes de bas de page, montré comment l’invention du korrigan, élément du décor néoceltique fabriqué par les militants, était étrangère à la culture populaire, pleine d’un charme incongru, fantasque, imprévisible, et tellement plus drôle que les stéréotypes à présent partout imposés.
Cet essai sous forme de thèse a été immédiatement pillé et mis au service des productions celtomaniaques. Il n’empêche que ce petit volume de la collection Babel a connu bon nombre de tirages et de rééditions.
Le service graphique des éditons Actes Sud m’ayant proposé des images de couverture que j’avais repoussées avec horreur, au bout d’un certain temps, je me suis mise en quête d’illustrations figurant des lutins bretons. Or, constatation achevant d’illustrer ma démonstration (faute de figurer mes lutins), au terme de longues heures dans les bibliothèques, je n’ai trouvé que des espèces de créatures à bonnets, des trolls à oreilles pointues, rien que des abominations folklorisées pour répondre à des stéréotypes répondant aux lieux communs que précisément j’avais voulu fuir.
Sachant que je ne trouverais aucune illustration, j’ai pris mes pinceaux et je me suis mise en devoir de fournir une image de couverture. J’ai d’abord vu paraître le livre sous cette forme…
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Puis sous celle-ci…
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Et voici la dernière réédition, tout juste parue…
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Peu après, les éditions Librio qui m’avaient demandé un livre sur les lutins du territoire français m’ont proposé d’illustrer moi-même la couverture du livre, ce que j’ai fait.
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Hélas, Lutins et lutines, après avoir connu des ventes massives, a disparu sans que je puisse en acheter un seul exemplaire… C’est entre autres pour fuir l’édition pilonneuse que nous avons créé les éditions Mesures, André Markowicz et moi (ce qui me permet d’ailleurs de poursuivre ce travail d’illustration). Remercions Actes Sud qui ne détruit pas les livres et espérons rééditer Lutins et lutines en édition illustrée avec enregistrement audio comme pour les Contes de Bretagne. Ce serait une belle revanche.