Petites chroniques d’un été breton (1). Le culte du drapeau

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Après le Festival d’Avignon, le retour en Bretagne, sous d’agréables averses que l’on aurait pu espérer faites pour chasser le touriste, semblait de nature à laisser un sentiment de paisible fraîcheur. Hélas, il n’en a rien été. Plus brûlant que jamais, le déferlement de propagande identitaire à base ethniste a pris une ampleur véritablement effrayante cet été en Bretagne. 

Jadis, les fêtes folkloriques montrant des Bretons déguisés en Bretons en train de danser pour les touristes suscitaient quelques protestations d’autochtones indignés d’être ainsi présentés comme vestiges de tribus pittoresques. Rares protestations, il est vrai, car les hordes de touristes profitaient au commerce et ces distrayantes exhibitions sur fond de biniou (et de sonneries de tiroirs-caisse) semblaient ne relever que du folklore. Nous n’en sommes plus là. Ces divertissements sont désormais le prétexte de conférences, de rencontres, de forums, de projections, de débats, de commémorations voire (la chose est nouvelle) de séances de redressement idéologique comme il en existait à l’époque soviétique.  

Entendons-nous bien : il s’agit là de conférences et autres événements « culturels bretons » où ne s’expriment que des militants nationalistes, de forums consacrés au business identitaire tel que conçu par le lobby patronal breton et de rencontres interceltiques organisées dans le but de promouvoir la libération des nations celtes. Jusqu’alors, craignant sans doute qu’une opposition se fasse jour malgré la censure, les organisateurs faisaient preuve d’une certaine retenue. Ce n’est plus le cas. 

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Le culte du drapeau

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Pour commencer, quel que soit l’événement, folklorique ou pas, sportif ou pas, breton ou pas, il importe de comprendre qu’il est voué à servir le culte du drapeau, le gwenn-ha-du, ce drapeau noir et blanc dont on célèbre officiellement le centenaire cette année (bien qu’il n’ait pas été, notons-le au passage, inventé en 1921, mais quelle importance ? Nous sommes dans la fabrique du consensus par une sorte de ministère de l’Identité aux consignes partout servilement relayées). 

Les drapeaux, il faut aussi le savoir, sont distribués pour être brandis par le peuple festif… À Carhaix, par exemple, où le maire autonomiste, Christian Troadec, a décidé cette année de prolonger les festivités des Vieilles Charrues par le Motocultor, un festival de hard rock dit heavy metal, « le Motocultor avait invité les festivaliers à afficher le gwenn-ha-du partout sur le site », indique Le Télégramme du 19 août (journal qui s’ouvre par une stupéfiante prosopopée du rédacteur en chef à la gloire du gwenn-ha-du). 

Hélas, déclarent les spécialistes de heavy metal auxquels la rédaction a fait appel, «avouons-le : la consigne ne semble pas avoir été tout à fait entendue par les metalleux qui ont été peu nombreux à arborer le drapeau breton. » 

Tout n’était pourtant pas perdu : « La plaine de Kerampuilh pourrait néanmoins se draper de noir et de blanc plus tard dans la soirée. 300 gwenn-ha-du seront distribués au début du concert de Brieg Guerveno, breton d’origine… » De fait, on voit les metalleux agiter docilement le drapeau qui leur a été mis en main… 

Et qu’auraient-ils fait si le maire RN de la ville leur avait distribué des drapeaux français à brandir ? Encore une question qu’il est interdit de poser. Le nationalisme breton est bon, le nationalisme français est mauvais : article 1er du credo. Toute protestation relève de l’hérésie, et l’hérésiarque, immédiatement mis au ban, est accusé de pathologie mentale. J’en ai offert ici même un exemple qui n’est pas sans intérêt car l’article « Blanche hermine, noir drapeau » montre à quel point la situation s’est aggravée en quelques années.

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L’image des metalleux sous gwenn-ha-du est une belle image de propagande nationaliste qui va pouvoir courir le monde et jouer son rôle, sauf que les mêmes journalistes, faisant preuve d’une sincérité peu commune en telle matière, avouent en dépit de l’euphorie martiale de rigueur que les metalleux vite lassés se sont, en fait, contenté de quitter la salle, laissant là leurs bannières.  

Ce mince exemple est instructif car il montre que le culte du drapeau, loin d’être une manifestation spontanée du penchant vexillogique inné des Bretons, résulte d’actions concertées elles-mêmes inscrites dans une propagande de plus en plus obsédante : défilés folkloriques, courses cyclistes, festival du film ou du chant de marin, tout est désormais ouvertement et d’abord politique, sous drapeau. Le conseil régional incite les internautes à (je cite) « inonder les réseaux sociaux en partageant leurs plus belles photos de vacances,un drapeau breton à la main ».  

Ainsi chaque touriste breton de passage dans un pays étranger est-il invité à se changer en propagandiste de la foi en la nation bretonne : ce drapeau, conçu dès l’origine comme antifrançais et antirépublicain par Maurice, dit Morvan, Marchal, un druide séparatiste (qui s’est signalé sous l’Occupation par sa luxueuse revue druidique antisémite subventionnée par les services de propagande allemands) est présenté comme la toute mignonne « mascotte » du Breton. Quant à son inventeur, c’était, à en croire la propagande officielle du conseil régional, un « architecte moderniste » (ses productions sont d’une ringardise sans nom), un « militant breton » (doux euphémisme pour ce nationaliste fanatique), un « membre du courant artistique des Seiz Breur » (groupe raciste)… C’était aussi un agent de la Gestapo, comme plusieurs des membres des Seiz Breur, je l’ai rappelé dans Miliciens contre maquisards, mais il est interdit de mentionner cette référence : elle est aussitôt effacée sur Wikipedia et, bien sûr, passée sous silence par les historiens nationalistes (qui seuls ont voix au chapitre) ;  il est, de même, impossible de rappeler les écrits racistes et antisémites de Youenn Drezen, autre membre des Seiz Breur, quoique je les aie de longue date traduits et que la réhabilitation de Drezen ait fait l’objet de nombreuses protestations

Sans le moindre effet. 

Là est le point essentiel : le conseil régional est informé, les historiens ne peuvent ignorer les faits et l’enrôlement de la population sous une bannière conçue par des militants racistes en haine de la France devrait faire scandale. 

Mais non. 

Le culte du drapeau s’inscrit dans un ensemble et j’en ai eu, à peine de retour, un autre exemple : le centenaire des Seiz Breur prolongeant le centenaire du gwenn-ha-du. 

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(À suivre)

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