Petite chronique d’un été breton (2) : les Seiz Breur ou le fascisme à l’honneur

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C’est par un tract glissé dans ma boite à lettres que j’ai appris qu’une grande vente célébrant le centenaire des Seiz Breur avait eu lieu à Rennes. Qui a pu vouloir ainsi m’informer ? L’anonyme distributeur était-il un militant nationaliste jubilant ou un indigné m’appelant à protester à sa place puisque je suis, moi, supposée avoir le courage requis ? 

Que figure au juste cette allégorie, me suis-je d’abord demandé. Elle montre une bonne femme en béret de style militaire brandissant un drapeau brun et noir dans le dos d’une bonne femme en coiffe, le tout inséré au milieu de symboles néoceltiques enchevêtrés. Avec une mouette en prime puisqu’il s’agit de faire breton. 

Après un moment de perplexité face à cet embrouillamini, je me suis dit que, sans le vouloir, l’auteur du tract avait finalement bien saisi ce qu’étaient les Seiz Breur : un groupe combattant, et combattant sous drapeau  fasciste, dans le dos du peuple qui n’avait rien de mieux à faire que de le fuir, et la mouette aurait symbolisé cette évasion si elle n’avait piqué droit sur le motif. Nulle évasion possible. Vous y aurez droit. 

De fait. 

Voilà vingt ans, ce groupe raciste (l’article 1 des statuts de la confrérie indiquait que pour adhérer il fallait être « de sang breton ») avait fait l’objet, d’une exposition au Musée de Bretagne, alors dirigé par un militant autonomiste (une fois de plus, un militant de l’UDB, théoriquement de gauche, faisait un travail digne de l’extrême droite). 

Cette exposition était financée par la mairie socialiste de Rennes dont le maire, Edmond Hervé, s’est acharné à promouvoir les pires nationalistes (y compris éditeurs de textes antisémites comme Per Denez) et la pire laideur identitaire (voir la statue de Glenmor au Thabor). 

Nous avions alors, le critique d’art Jean-Marc Huitorel et moi, écrit des articles pour protester, et nous avions eu l’appui de la LDH, du MRAP et de divers journaux, dont Bretagne Ile de France qui avait eu le courage de publier une double page à ce sujet. 

L’article de Jean-Marc Huitorel (« Un point de vue ethniciste ») est toujours en ligne. 

Le mien aussi (« Art national breton et art totalitaire »). 

Par la suite, écrivant Le Monde comme si, j’ai pu replacer les Seiz Breur dans le mouvement Breiz Atao et, plus tard encore, écrivant Miliciens contre maquisards, j’ai pu suivre l’itinéraire des fondateurs du groupe (le redoutable Creston, la sinistre Malivel et sa collaboratrice du Guerny (C. Danio), délatrice exécutée par la Résistance, plus quelques agents de la Gestapo comme Marchal lui-même, Mordrel et son cousin Bricler. 

Nos protestations ne sont pas totalement restées lettre morte même si tout débat à ce propos a été rendu impossible. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai écrit Le Monde comme si. 

« Celtisme, ethnicité, revendication identitaire : l’art néo-breton développé par les Seiz Breur aurait pu inciter à une réflexion sur les relations de l’art et de la pensée totalitaire. Au lieu de cela, tant le luxueux catalogue que le dossier pédagogique et le livret pédagogique le donnent pour exemple de la modernité bretonne. Une « modernité » très orientée : le livret pédagogique remis aux enfants épingle diverses phrases grotesques et ringardes qu’il s’agit de replacer dans la bouche de Bretons d’opérette. Exemple de phrase ringarde… “La Bretagne fait partie de la France” ».

Voilà ce que j’écrivais alors.

Le luxueux tract à la gloire des Seiz Breur disait simplement que le travail de réflexion auquel nous avions invité n’avait servi à rien et que le prétexte du centenaire, comme dans le cas du gwenn-ha-du, n’avait pour but que de renforcer la propagande ethniste dont la Bretagne est désormais le lieu. 

Les Seiz Breur ne m’intéressent absolument pas – ou plutôt ils ne m’intéressent que dans la mesure où le règne de la laideur qui accompagne toutes les entreprises idéologiques dévoyées me semble mériter une étude mettant en relation ces productions avec celle d’une langue moche, morte, sans saveur, sans accent, le breton mis au point par Roparz Hemon en haine du peuple, Gwalarn et les Seiz Breur n’étant que des prolongements de Breiz Atao. Mais jamais aucun chercheur n’aura le courage de s’y consacrer, vu le contexte. 

Néanmoins, une fois de plus résignée au sacrifice, je suis allée voir sur Internet de quoi il retournait. 

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©FR3

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Les Seiz Breur au Parlement

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Un « événement culturel incontournable », la vente aux enchères de 300 « objets d’art » exposés au Parlement de Bretagne, telle était l’annonce. Et l’on pouvait voir défiler le catalogue de l’exposition ou le télécharger, lire des entretiens, voir des émissions ou des vidéos promotionnelles, tous les médias étant mobilisés pour assurer le triomphe de l’opération…

Extraordinaire vision que celle des productions de ces militants séparatistes au milieu du Palais de Justice… le tout accompagné de visites guidées au cours desquelles le catéchisme nationaliste était officialisé sous couvert d’amour de l’art, un art celtique supposé droit issu des gènes des Bretons sous la forme de spires, de volutes, de triskells, bref de copies serviles de motifs exploités par les militants irlandais du « Celtic revival ». Ces motifs plaqués sur des meubles lourdauds aboutissaient à des salles à manger, des salons, des bureaux de petits bourgeois fiers d’avoir l’air tout à la fois bretons et modernes : ameublement de notaires ou, comme dans le cas de Yann Sohier, le père de Mona Ozouf (lui-même membre des Seiz Breur), d’instituteurs doublés de militants de Breiz Atao. On peut d’ailleurs encore voir un buffet associant la faucille et la croix gammée (dite hevoud) dessiné selon les plans de Sohier et Andouard (le redoutable Loeiz Andouar, directeur d’Arvor sous l’Occupation) dans la grande période nationale-socialiste du programme SAGA (soutenu par Sohier). 

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Le grand légendaire breton

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Toute une part de l’exposition était consacrée à ce que les commissaires appelaient le « Grand légendaire breton ».  

Il s’agissait de gravures de René-Yves Creston destinées (nous disait-on) à illustrer une histoire de la Bretagne due à René Cruchon (alias Ronan Pichery), histoire qui devait paraître en 1942… Hélas, la publication avait été malheureusement retardée et, pour d’inexplicables raisons, rendue un peu difficile après-guerre. Ainsi nous offrait-on, miraculeusement retrouvé, ce sublime « Grand légendaire breton », œuvre majeure de l’art breton.  

À en croire les non-dits du catalogue, Cruchon était un grand historien qui, sous l’Occupation, s’était mis en devoir de fournir au fondateur des Seiz Breur la matière d’un nouveau chef d’œuvre… On le trouve pourtant présent dans Miliciens contre maquisards (p. 247), ce René Cruchon (Abroc’hell de son nom de druide), un vieux militant indépendantiste et agent de la Gestapo  qui avait chargé des membres du Bezen Perrot d’adhérer au groupe Collaboration. Membre du PNB nazi, collaborateur, comme Creston, de son organe, L’Heure bretonne, il produisit un opuscule intitulé Réflexions sur la politique dans le but d’inciter le PNB (qu’il jugeait un peu mou) à « former une nouvelle organisation qui se fera le champion des doctrines nationales-socialistes » et « développer les relations interceltiques pour favoriser les mouvements d’émancipation des peuples celtiques des îles britanniques » dans le cadre du Reich, car grandes sont les vertus de l’interceltisme.

Le simple fait que Creston travaillait avec lui après avoir infilté le Réseau du Musée de l’Homme et, revenu en Bretagne, publié dans la presse nationaliste nazie tout en poursuivant ses activités politiques amène à regarder cette exposition de gravures militantes non comme une production artistique mais comme ce qu’elle est, à savoir une arme idéologique exploitant tous les clichés de l’historiographie nationaliste pour les mettre au service du national-socialisme et combattre la France : depuis le paradis celtique jusqu’à la misère de la Bretagne en passant par les saints, les bardes, Nominoé (le grand héros, le symbole de l’indépendance), l’expulsion des Juifs (lot 85), les misères de la pauvre Anne de Bretagne mariée contre son gré à un roi de France, le Barzaz Breiz, le camp de Conlie, tout y est. C’est, en pire, L’Histoire de notre Bretagne de Jeanne du Guerny (alias Danio) illustrée pat Jeanne Malivel. Sous l’Occupation, mettre en œuvre cette propagande séparatiste était en soi un acte de collaboration. 

Les bons Bretons chassant les Juifs et combattant les Français

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Voir cette histoire de Bretagne présentée comme « grand légendaire breton » sous les ors de la République, au cœur de la Cour d’appel de Rennes, avait de quoi glacer le sang.

Et ces militants de gauche qui s’opposent à la résurgence de l’extrême droite ? 

Et ces universitaires si nombreux à Rennes, ces professeurs, ces historiens, ces sociologues, ces ethnologues que le cas de Creston devrait intéresser ? 

Rien. Pas un mot. Pas une protestation. 

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Un projet politique

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Tout ça se passe, comme de coutume, sous habillage festif : les commissaires priseurs déguisés en Bretons, tels Molac ou Bolloré en gilet glazik, nous invitent à venir communier en bretonnitude et modernité.

Carole Jézéquel, commissaire-priseur, fait à présent partie du Conseil culturel : elle pense comme il faut et elle est prête à servir la cause ; elle fait partie de la commission « Transmission culturelle et création en Bretagne » placée sous la direction de Rozenn Le Roy et de Jean-Marie Goater, l’éditeur de Jean-Michel Le Boulanger, militant autonomiste, ex-vice-président à la Culture au conseil régional et auteur d’un essai préfacé par Jean-Yves Le Drian appelant à la fabrication d’une identité bretonne destinée à permettre aux Bretons de devenir, qu’ils le veuillent ou non, bretons. 

Les Seiz Breur ont mis en œuvre ce projet et sont très utiles, non comme artistes mais comme chevilles ouvrières d’un projet idéologique. Qui est une offense au sens du travail modeste et bien fait que mettent à mal les productions des Seiz Breur : difficile de voir les meubles de Malivel sans avoir le rouge au front quand on a connu les meubles anciens qui à présent sont bradés dans les entrepôts où ils ne trouvent pas preneur. 

Je devrais assurément être d’abord indignée par la réhabilition de nationalistes collaborateurs des nazis comme Creston et Cruchon mais, en réalité, la laideur des productions des Seiz Breur m’indigne autant, comme composante d’une entreprise d’avilissement. Les œuvres de Jeanne Malivel, actuellement objet d’une propagande orchestrée au nom du féminisme, du communautarisme et de la celtitude opprimée (voir l’exposition qui lui est consacrée à la bibliothèque Forney) sont imprégnées de la même médiocrité : quoi qu’elle touche, elle le vulgarise avec la même application sectaire. Et l’on trouve encore à prôner ses illustrations de L’Histoire de la Bretagne de Jeanne du Guerny, qu’elle-même avait reniée comme expression d’une haine de la France qui passait toute limite… De fait, la haine de la France allait se manifester sans limites chez Jeanne du Guerny dont le château hébergeait sous l’Occupation les manœuvres des Waffen SS du Bezen Perrot. L’histoire de Bretagne de Cruchon s’inscrit dans la même ligne.  

Jetant pour finir un coup d’œil aux visites commentées et fimées mises en ligne sur Facebook, j’ai aperçu, après le fils de Creston, le fils de Youenn Drezen, lui-même militant nationaliste breton, et qui, récemment encore, avait fait scandale en niant l’antisémitisme de son père. Je me suis fait ici l’écho de cette longue polémique. Youenn Drezen antisémite ? D’après son fils, allons donc, pour quelques petits propos sans importance, « y a pas mort d’homme ». Donner la parole à ce militant est un acte politique. 

Lui succède un autre militant en extase devant la gravure de Creston montrant le chouan Cadoudal (valeureux héros breton, supposé incarner tout à la fois la religion, la haine de la Révolution et le nationalisme breton) et  Bonaparte. 

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Tout vibrant d’euphorie ethniste, le thuriféraire de Creston voit là quelque chose de prodigieux, la rencontre d’un vrai Breton et d’un vrai Corse… digne conclusion de cette exposition prônant avec un art ethniste bien fait pour connaître son heure de gloire sous l’Occupation. 

Cela se passe à Rennes, au Parlement de Bretagne, avec l’approbation unanime des médias, de la mairie socialiste et du conseil régional socialiste. 

Et à Callac, ville jadis communiste, les responsables  de l’association La Belle Équipe qui avaient interdit la projection du film de Vincent Jaglin La Découverte ou l’ignorance projettent un film à la gloire de Jeanne Malivel (Jeanne Malivel, un soleil se lève) et, digne complément, un film à la gloire d’Anne de Bretagne (Anna Vreizh 1514-2014). 

N’avaient-ils pas déjà projeté le ridicule film célébrant ce nazi que fut Polig Monjarret ?

Censure et propagande, les deux versants du même. 

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.Les bons Bretons chassant les Juifs et et comLes bons Bretons chassant les Juifs… battant les Françaiscombattant les Françaet combattant les FrançaisLes bons Bretons chassant les Juifs… Voir cette histoire de Bretagne présentée comme «  » sous les ors de la République, au cœur de la Cour d’appel de Rennes avait de quoi glacer le saPlus glaçant encore le silence des avocats, des magistrats, des élus, qui, voyant ainsi l’espace de la Justice détourné au profit d’une telle opération n’ont, sans même parler de chasser les marchands du temple, ni cherché à savoir ni protesté. 

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2 réponses à Petite chronique d’un été breton (2) : les Seiz Breur ou le fascisme à l’honneur

  1. Nathan dit :

    Cet article très instructif se termine en évoquant la censure du film « La découverte ou l’ignorance ». Par contre, à côté de cette censure, on assiste à une promotion des films célébrant les grands militants de la cause bretonne.
    Vous évoquez, à juste titre, le film sur Polig Montjarret. Très récemment, on a à nouveau assisté à la promotion du film « L’homme à l’écharpe blanche » qui célèbre l’engagement pour la cause bretonne d’un homme politique breton, aussi surnommé le « député DIWAN » . Ce film, réalisé aussi par le réalisateur du film célébrant Montjarret, va bien évidemment passer sous silence les attaques ignobles de l' »homme à l’écharpe blanche » contre son adversaire politique socialiste et maire de la commune de Saint-Coulitz, Kofi Yamgnane qui, pour l' »homme à l’écharpe blanche », avait pour tort d’être d’origine africaine. Ainsi, en campagne électorale et publiquement, le député DIWAN haranguait l’assemblée et motivait ses troupes par « Et le négro de Saint-Coulitz, on va lui en mettre plein le cul » …

    • Françoise Morvan dit :

      Merci pour ce commentaire éclairant ! Oui, après avoir célébré Monjarret, Guillou célèbre Cozan. Nin rouge ni blanc, Breton seulement : ce même réalisateur qui se dit de gauche promeut la pire idéologie de droite ou d’extrême droite au nom de la bretonnitude. J’ai évoqué le rôle délétère de Cozan dans Le Monde comme si (sans toutefois m’attarder sur ses discours racistes – mais pour lui la bretonnitude était affaire de race puisqu’elle tenait aux gènes). Seul le Groupe Information Bretagne, au moment de son décès, a osé protester et rappeler sa condamnation en justice. C’est pourtant en tant qu’élu qu’il fut poursuivi pour abus de biens sociaux, faux et usage de faux…
      La bretonnitude telle qu’il la concevait s’inscrivait dans un projet de société bien particulier et que nous voyons mettre en œuvre sans que les protestations trouvent à se faire entendre face à une propagande massive et massivement subventionnée.

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