Le dernier livre de Sendak que j’ai été invitée à traduire s’intitule Higglety Pigglety Pop. Pour moi, ce que cette histoire farfelue avait d’intéressant, c’était la manière dont une vieille comptine anglaise était détournée. Cet Higglety Pigglety Pop a une histoire : l’une des plus célèbres nursery rhymes anglaises, c’est « Hickory Dickory Dock » (dont tout le monde connaît la mélodie).
À l’époque d’Edward Lear, l’intérêt pour les nonsense songs et autres chansons pour enfants avait amené la publication d’une anthologie qui avait connu un grand succès. Un pédagogue américain du nom de Goodrich s’en était indigné car il entendait bannir les contes et les comptines de l’éducation des enfants. Pour montrer à quel point les comptines sont idiotes, Goodrich parodie « Hickory Dickory Dock » et ça donne « Higglety Pigglety Pop » qui est tellement idiot que les enfants s’en emparent : des 70 savants traités du pédagogue, voilà ce qui reste. Bien fait.
Sendak a fait de cette comptine une saynette jouée par sa chienne Jenny avec les personnages de la chanson. « Higgledy-piggledy », ça veut dire pêle-mêle, en désordre. Il fallait donc trouver une expression qui donne l’impression d’une onomatopée réutilisable pour dire qu’on a fait quelque chose par-dessus la jambe. J’ai essayé plusieurs solutions avant de choisir « rigoli-dingoli » : bosser en rigoli-dingoli, c’est une expression qui peut passer dans le langage courant. Après, j’ai transposé la comptine en tenant compte prioritairement de la musique des mots. Bref, c’est un cas intéressant de traduction car la première traductrice, Anna Solal, (pour savoir qui c’était, il faut vraiment chercher : le nom se trouve en caractères minuscules à la page 4, parmi les mentions de copyright) ne s’est pas du tout posé les mêmes questions. Le titre Turlututu chapeau pointu ne fait allusion à aucune comptine. Bref, nous n’avons plus du tout le même texte. Mais qui s’y intéresse ?
J’observe qu’il y a tout de même un léger progrès pour ce qui concerne le statut de traducteur, car, à force de protester, on parvient à faire figurer le nom du traducteur en quatrième de couverture et il n’y a plus lieu de le chercher avec une loupe à l’intérieur du livre. Mais ne nous faisons pas trop d’illusions : un bref parcours sur la toile est instructif.
Voici la présentation du livre sur amazon :
..sur cultura (l’esprit-jubile) :
Sur Rue du commerce…
… et Mollat, Martelle jeunesse, Tropismes, le Rat conteur… des dizaines d’autres sites…
La BNF fait encore mieux puisqu’elle annonce la parution en donnant pour illustration le texte anglais…
En fait, la seule librairie en ligne qui offre une présentation correcte, c’est une librairie suisse, La Liseuse, qui donne le nom de l’auteur et du traducteur.
Pour ce qui est de faire reconnaître le travail de traducteur, nous ne sommes pas au bout de nos peines.