La traduction à Tréguier

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Salle quasiment pleine pour une conférence sur la traduction à l’UTL de Tréguier ! Craignant que le sujet ne semble un peu ennuyeux, j’avais, il est vrai tardivement, pensé que ce serait l’occasion de le diffuser le film d’Anne-Marie Rocher, André Markowicz, la voix d’un traducteur, film qui avait obtenu en 1999 le prix du meilleur documentaire au Canada. C’était aussi le premier film sur la traduction. Il n’a jamais été diffusé en France, le sujet n’intéressant pas, mais, arrivant à Montréal des années après, nous étions arrêtés dans la rue par des étudiants qui l’avaient vu à l’université. Même chose à Ottawa où nous avons assuré un cours sur Tchekhov, et tous les étudiants connaissaient ce film. Bref, l’un des réalisateurs, notre ami Richard-Max Tremblay, m’ayant adressé une version numérisée du documentaire, je me suis demandée s’il n’était pas possible de le diffuser — encore fallait-il voir si la qualité était suffisante. Et oui.

C’était l’occasion de faire entrer les spectateurs dans l’atelier du traducteur et de prolonger les échanges par des questions sur notre travail actuel. De fait, nous avons pu évoquer notre travail sur Tchekhov et le fait que nous avons revu nos premières versions des pièces au cours des mises en scène successives, les acteurs trouvant parfois en situation ce que nous avions cherché en vain pendant des années. J’ai surtout pu mettre en perspective avec ce travail de traduction, et la prise en compte de la forme du texte, mon long combat en faveur de la poésie dite pour enfants : alors qu’elle disparaît des classes, il est nécessaire de faire comprendre à quel point le sens du rythme, de la forme, du style s’apprend dès l’enfance — ou ne s’apprend plus, et le grand n’importe quoi des traductions, notamment d’auteurs à la métrique aussi stricte que Shakespeare ou au style aussi caractéristique que Synge (pour se borner à deux exemples que j’ai pu connaître) résulte d’une indifférence à la matérialité du texte, laquelle résulte elle-même en fin de compte d’une indifférence à la poésie.

Il était assez émouvant pour nous de revoir ce film, en nous rendant compte qu’il y avait un avant et un après la parution du Monde comme si (donc, en 2002) qui a fait en quelque sorte de nous des auteurs maudits en Bretagne. À quel point ce film était encore joyeux et plein d’espoir, c’est ce dont nous ne nous rendions pas compte — ni à quel point le nationalisme a pesé de tout son poids sur notre travail et créé tout autour une sorte de glacis.  Signe des temps : une classe de terminale spécialisée dans l’étude de l’anglais assistait à cette rencontre ; si les élèves n’ont posé aucune question, en revanche, leur professeur est intervenu pour faire observer qu’elle vivait depuis quarante ans en Bretagne et n’avait jamais vu un nationaliste.

Rien que pour cette remarque, cette conférence était intéressante. Un drapeau nationaliste, créé par un druide raciste pour un parti nationaliste, flotte partout mais on ne le voit pas. Patrick Le Lay se proclame nationaliste breton mais on ne le voit pas. Les productions nationalistes inondent les magasins sous le label Produit en Bretagne mais on ne les voit pas. Lena Louarn, militante nationaliste de la première heure, et fille de militant nationaliste, est à la tête du conseil régional mais on ne la voit pas. Telle est bien la situation : le monde comme si du nationalisme règne invisible, et omniprésent parce que fondu dans le paysage. Il n’a même plus besoin d’avancer masqué : il est là, il est nous, il va de soi et il impose sa loi.

Par chance, et l’UTL de Tréguier le montre, il existe encore des zones de liberté, où il est possible de s’exprimer sans voir surgir des commandos de militants avec panneaux (là, il était tout de même difficile de ne pas voir les nationalistes). J’avais déjà été invitée en 2012 par cette UTL pour parler de Miliciens contre maquisards — conférence qui avait été suivie d’un débat passionnant (il y avait plus de 300 personnes, certaines d’entre elles n’avaient pas trouvé de place assise). Depuis, m’a dit Jean Glasser, dont la présentation était parfaite, l’UTL a encore augmenté et compte près de 500 membres. Le thème de l’année était RELIER (Réseaux, Entrelacs, Liens, Itinéraires, Echanges) et la conférence sur la traduction y trouvait naturellement sa place.

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Je précise que le journaliste du Télégramme s’est déplacé mais a finalement préféré ne pas rendre compte de l’événement, tandis que le journaliste d’Ouest-France produisait un article remarquablement perfide (puisque l’information essentielle était, selon lui, que les élèves « n’avaient pas animé les échanges avec les deux conférenciers », et ce alors même que nous n’avions pas donné de conférence et que, s’étant dispensé d’assister à la projection du film et au débat, il n’était pas vraiment à même d’en juger). Leur professeur étant intervenu sur un mode critique, les lycéens se trouvaient, de toute façon, réduits au silence, sauf à avoir un motif précis d’intervenir, et, vu le contexte, contre leurs enseignants, à leurs risques et périls. Le sujet ne s’y prêtait pas.

article OF conférence Traduction 16 mars 2016 UTL

Ce n’est là qu’une notule destinée à compléter la page Censure de ce site.

 

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4 réponses à La traduction à Tréguier

  1. Harry's dit :

    Vous êtes ostracisée en Bretagne et pendant ce temps-là, Gaël Roblin, le célèbre agitateur d’extrême-gauche qui a été condamné à trois ans de prison pour association de malfaiteurs à visée terroriste, et leader d’un groupuscule indépendantiste, sera membre du jury des prizioù diffusés sur France 3, chaîne publique.

    Non seulement, il vit de l’argent public du fait de son poste au centre culturel de Guingamp mais encore est promu par l’État qu’il entend combattre. Personnellement, ça me révolte de payer des impôts pour un tel personnage et ça me révolte de voir un activiste indépendantiste promu par l’État. Surtout, au vu de son passé judiciaire.

    Il dispose, c’est évident, de complaisances au sein de la nomenklatura socialiste régionale.

    • Françoise Morvan dit :

      Mieux encore, en mai dernier, Roblin s’est signalé par l’invitation au Dibar de Plougonver d’un terroriste d’Action directe, Jean-Marc Rouillan, alors sous le coup d’une procédure pour avoir trouvé « courageux » les terroristes islamistes auteurs des meurtres du Bataclan.
      Un de mes lecteurs s’en était indigné et m’avait adressé un article à ce propos. Il figure à la fin de la page « Parole interdite ». Je suis d’ailleurs l’une des rares personnes à avoir protesté contre le détournement par ces nationalistes d’une juste opposition aux forages (autorisés par Macron !) en forêt de Coat-an-Noz.

  2. raffin dit :

    1/ trouver le film AM la voix d’un traducteur ?
    2/ un des dessins de Sendak, 3 personnages sautent en l’air bouche ouverte, me rappelle irrésistiblement un dessin du moine Sengai.. qui est évidement meilleur, ce qui n’est pas un mépris de Sendak.. C’est le génie de Sendak d’avoir capté dans la voie occidentale le mouvement de l’âme que Sengai a transmis par la voie Zen. Je vous le chercherai si la curiosité ne vous a pas encore fait découvrir le réjouissant Sengai

    • Françoise Morvan dit :

      On ne peut, hélas, pas trouver le film. J’en ai juste une copie que j’ai eu l’idée de diffuser à Tréguier sans savoir si la qualité serait suffisante… et, oui, c’était un peu flou mais le flou n’était pas gênant puisque nous avions prévenu que le film avait pris, comme nous, de la patine.
      Je suis bien curieuse de voir le dessin de Sengai ! Oui, vous pouvez l’adresser via Facebook si l’image ne passe pas sur ce site.

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