Parole interdite

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Robin L'erreur

Armand Robin, « Fragments »

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Samedi en début d’après-midi, comme je l’avais annoncé, je me suis rendue au Théâtre du Champ-au-Roy à Guingamp pour participer aux rencontres destinées à accompagner les expositions présentées par le centre GwinZegal et notamment l’exposition des photographies retrouvées après la mort d’Armand Robin (que j’avais mises en relation avec les fragments posthumes).

Du fait que la présentation de l’exposition, voilà quelques semaines, s’était déroulée sans problème, je n’avais pas lieu d’imaginer que les militants bretons y verraient à redire. Armand Robin est un auteur breton, après tout, et le fait de montrer des photographies prises à Rostrenen et des poèmes écrits sur son pays natal, qui est d’ailleurs le mien, ne semblait pas de nature à devoir leur déplaire.

Mon seul souci était la durée du diaporama que nous avions mis au point jusqu’à la dernière minute pour compléter l’exposition car, m’étant cassé la voix en disant des poèmes à Lille, j’avais trouvé remarquablement opportune l’idée de montrer ce diaporama qui me permettrait de garder le silence.

Ainsi mon vœu rejoignait-il celui des militants, mais, loin de m’en douter, et de soupçonner même que ma seule présence à Guingamp était de nature à provoquer une mobilisation générale, mon but premier était alors, à l’occasion de cette conférence, de prendre des photos des lieux où mon arrière-grand-père avait promené sa silhouette gracile, et je l’imaginais traversant la salle de la mairie où j’allais prendre la parole (il était adjoint au maire de Guingamp, ingénieur des Travaux publics et commandant des pompiers).

Batifolant dans les songeries tout en numérisant les images de l’album de photos de ma grand-mère, je me disais qu’il serait intéressant de faire le portrait d’une ville par les albums de famille. Et c’est avec l’intention de soumettre ce projet à GwinZegal que j’avais apporté le portrait de mon arrière-arrière-grand-mère guingampaise…

Grand-mère Parquier basse def

Une petite image qui, pour moi, résumait tout l’esprit trégorrois — une malice, une gentillesse, une façon d’attendre le destin, fût-il mauvais, voire tout à fait désastreux, avec une bienveillance et un fatalisme légèrement ironique… Bref, tandis que, méditativement, puisque absorbée par mes réflexions sur les albums de famille, je gagnais les lieux où mon arrière-grand-père avait dû, lui-même, exercer ses capacités notoirement exceptionnelles à s’abstraire du contexte (rencontrant sur le seuil de la mairie sa dernière fille, ma grand-mère, il lui était arrivé de la saluer en lui disant : « Bonjour, mademoiselle »), j’apportais ce portrait de mon arrière-arrière-grand-mère, pris dans les studios Le Cun, en 1912, sans imaginer une seconde que les représentants de la culture guingampaise actuelle me sommeraient de dégager la minuscule place que je m’apprêtais à occuper (le moins possible, vu l’état de ma voix) au nom de la bretonnitude par eux incarnée sur la place.

Quelle bretonnitude, reposant sur quelle légitimité, en vue de défendre quelles valeurs supposées mises à mal par ma seule présence, c’est ce qu’il me restait à découvrir.

En tout cas, pour ce qui est des brevets de guingampitude, j’étais parée. Et je trouve qu’en regard de ce qui m’attendait, ce portrait de ma petite arrière-arrière-grand-mère est une sorte d’heureuse rencontre : qu’aurait-elle pu penser face à tant de haine, et de haine déchaînée au nom d’une bretonnité militante, je le laisse à deviner.

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BIODIVERSITÉ

À 14 h, la rencontre autour de l’exposition de Yann Mingard sur les conservatoires universels de semences, d’ADN, de corps humains qu’il a photographiés de par le monde était à la fois passionnante, comme je m’y attendais, et tout aussi terrifiante : le pouvoir des lobbys de grainetiers qui imposent leur sélection de semences à des continents entiers, et, comme Monsanto, deviennent propriétaires des bunkers d’espèces mises en réserve, était dénoncé de manière lumineuse par Pierre-Henri Gouyon et Jacques Arnould dont j’ai découvert les recherches à cette occasion. Comment lutter contre la réduction de la biodiversité, comment s’opposer au pouvoir dictorial de lobbys puissamment organisés, acharnés à détourner ce qui était librement produit par tous, et à contrôler la culture en la réduisant aux produits standards leur assurant un profit maximal ?

Nous étions une centaine de personnes, tout à la fois accablées et reconnaissantes de prendre conscience d’un problème dont, jusqu’alors, pour la plupart, nous ignorions tout.

Lors de la pause, avant la présentation par Isabelle Vaillant de ses photographies prises dans la campagne autour de Rostrenen, j’ai appris que des militants bretons avaient publié dans le journal local, L’Écho de l’Armor et de l’Argoat, une « tribune libre » pour s’opposer à ma présence. La tribune était libre mais, moi, je ne l’étais pas de fouler le sol guingampais : pas question pour eux de me permettre de présenter librement les poèmes d’Armand Robin car, ce faisant, on m’offrait « une tribune » — et m’offrir une tribune, « si minime soit-elle », tombe sous le coup de la censure. Qu’il soit donc bien entendu que, poème ou pas, Robin ou pas, quel que soit le sujet, je suis interdite de parole sur le sol breton.

C’est bien ce que j’ai constaté depuis la parution du Monde comme si, en 2002, mais là, pour la première fois, la chose était clairement dite, et par des élus, exerçant des fonctions officielles.

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LE NOUVEAU PILORI

Tel est donc le communiqué publié par L’Écho de l’Armor et de l’Argoat, journal qui s’est ainsi associé à cette dénonciation publique : en quoi peuvent bien consister les « outrances, raccourcis et amalgames » rendant ma « présence inopportune » ? Aucune explication, bien sûr : les accusations sont les mêmes depuis plus de dix ans — il ne s’agit pas de répondre à des arguments mais d’interdire une parole non autorisée, de museler et de faire régner le silence par la terreur.

Il ne suffit pas d’avoir publié 18 volumes de Luzel, auteur trégorrois, et publié les grandes collectes de contes des principales régions de France pour éviter d’être dénoncé publiquement comme « caution de tous les adversaires des cultures régionales ». Non, pour avoir le droit de lire librement des poèmes à Guingamp, cinq prérequis s’imposent : aimer les cercles celtiques, les bagadou, les écoles bilingues, la signalétique bilingue et l’Office de la langue bretonne. À en juger par les activités du Centre culturel breton, il est apparemment nécessaire aussi d’aimer le kouign-amann, le triskell et le gwenn-ha-du.

Les auteurs de cette tribune sont Yannick Kerlogot, jadis élu sur une liste EELV (associée aux autonomistes de l’UDB) et ensuite élu conseiller départemental sur une liste de droite, Guy Kerhervé, président du Centre culturel breton de Guingamp, élu municipal, et une personne qui fait du théâtre à Callac (peu après la parution de ma traduction du théâtre de Synge, elle avait donné des représentations du Baladin du monde occidental — qui avait valu à Synge, lui aussi, d’affronter la haine des nationalistes, formulée en termes d’ailleurs assez semblables à ceux qu’elle signe. Face à la meute, Synge avait eu cette réplique sobre : « I don’t give a damn »).

N’ayant jamais eu affaire à aucun de ces militants, pas plus qu’avec le Centre culturel breton de Guingamp dont j’ignorais à peu près tout (sinon qu’il avait invité l’indépendantiste Mervin qui pense que la Résistance a fait plus de tort à la Bretagne que les nazis), j’avais quelque peine à saisir ce qui motivait ce déchaînement d’agressivité. Tout s’est éclairé lorsque les responsables de GwinZegal m’ont appris que des tags venaient d’être apposés devant les portes du théâtre, dans la cour qui sépare le théâtre des locaux du Centre culturel breton.

Ces tags délivraient tous le même message :

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Tag Monjarret

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Ce qui signifie, avec hermine ducale en prime :

PLACE POLIG MONJARRET

Ce message, sans doute énigmatique pour qui est étranger au monde du nationalisme breton, est simple à comprendre pour qui a suivi les combats de la Bretagne militante en vue de réhabiliter les nationalistes collaborateurs des nazis. Ces gens me reprochent de voir des nazis partout : pourquoi viennent-ils peindre devant moi le nom d’un militant qui a suivi les nazis jusque dans leur fuite ?

L’affaire Monjarret qui avait un temps occupé Guingamp était pourtant classée : le 8 juillet 2014, le conseil municipal de Guingamp s’était prononcé contre l’attribution du nom de Paul (dit Polig) Monjarret à une nouvelle rue. Décision louable, faisant suite aux protestations de nombreuses associations, notamment de la LP et de l’ANACR, qui avaient rencontré le maire à ce propos, mais je n’étais, quant à moi, pas directement associée à cet épisode.

Voilà plusieurs années, lorsqu’une municipalité EELV avait voulu donner le nom à un collège du Morbihan, j’avais rédigé une étude sur le cas Monjarret (et ce, à le demande de nombreuses associations, dont la protestation avait d’ailleurs été entendue). Cette étude peut être lue en ligne. Elle est accablante pour Monjarret mais a été complétée et confirmée depuis par d’autres recherches, plus accablantes encore. Ainsi, la thèse de Sébastien Carney publiée aux Presses universitaires de Rennes établit-elle que Monjarret a vécu deux mois avec les SS du Bezen Perrot en fuite en Allemagne « après avoir arrangé son arrestation avec le SD de Saint-Brieuc pour échapper à la Résistance. » (Breiz Atao, p. 531). Je précise que Monjarret, qui retrouvait au Bezen ses amis Guiomar de Guingamp et son beau-frère, tous sous uniforme SS, ne s’est jamais repenti de ses activités collaborationnistes : on le retrouve, bien après-guerre, au MOB de Fouéré défendant l’existence d’une « race bretonne » et assurant que nul enfant né sur le sol breton ne peut se dire breton s’il n’est pas de sang breton. Tout un programme…

Attribuer le nom de Monjarret à une rue de Guingamp était faire offense à la Résistance, je ne pouvais qu’approuver anciens résistants et les citoyens qui avaient eu le courage de protester, mais j’avais juste, à l’époque, souligné le rôle de la presse locale : en effet, la parole était systématiquement donnée aux autonomistes qui entendaient imposer le nom de Monjarret. En tête de ces militants, Yannick Kerlogot et Guy Kerhervé, président du Centre culturel breton.

Je les retrouvais donc en tête de cette action punitive.

Il s’agissait pas seulement de m’interdire de parole mais de le faire au nom de Monjarret.

J’allais en avoir l’illustration dans les minutes qui suivaient.

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ILS SONT TOUS MONJARRET

Au moment où, sans tenir compte des menaces, nous commençons notre rencontre au sujet d’Armand Robin, voilà qu’un groupe de militants se lève et que l’un d’entre eux, qui, par la suite, devait se présenter comme un élu (donc mandaté pour ce faire), demande à dire un petit mot, juste un petit mot, et commence à parler de plus en plus fort, rendant impossible toute parole, à supposer que j’aie été en mesure de forcer ma voix — ce que, de toute façon, je n’avais pas l’intention de faire.

Commencent les habituelles invectives.

Au nombre des militants, Kerlogot, représentant donc le conseil général, et des porteurs de panneaux affichant leur défense de Monjarret.

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Panneau Monjarret

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Il n’est pas inutile de regarder ce panneau, car l’information essentielle est celle qui est destinée à rester inaperçue : « I AM POLIG » est décliné dans toutes les langues (l’anglais servant de base) mais le français ne figure qu’en marge et en petits caractères, tous les idiomes étant naturellement préférables à l’odieuse langue française.

On s’étonnera peut-être de voir associer Charlie Hebdo et Monjarret mais (bien que le raisonnement soit un peu difficile à suivre pour le béotien), étant entendu pour le militant breton qu’islamiste et jacobin s’équivalent, la défense du pauvre Polig par moi persécuté peut sans problème équivaloir à la défense des journalistes assassinés. J’ai à ce propos une citation de George Orwell que j’aimerais bien retrouver pour la livrer telle quelle sans risque d’erreur.

Ayant pris la parole, les militants se relaient, multiplient les attaques, évoquent, bien sûr, le Front national à mon propos et refusent de céder aux injonctions des spectateurs qui s’indignent car ils ne comprennent pas ce que veulent ces gens qui ont eu tout le temps de s’exprimer. Des dames se lèvent, protestent qu’elles sont venues de loin, que c’est la poésie qui les intéresse et pas ces inepties : puisqu’ils veulent faire un débat, qu’ils aillent le faire où ils veulent ; tout ça n’a rien à voir avec le sujet.

Pris à partie par le public, les intrus quittent la salle.

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RÉSISTANCE

Le moins qu’on puisse dire est que pendant cette demi-heure, je n’ai pas eu à me fatiguer la voix.

Enfin, la possibilité de parler d’Armand Robin nous étant accordée, nous avons l’impression de plonger dans un bain frais après toute cette boue ; quant au diaporama dont j’aurais tant voulu accélérer le rythme, il apparaît tel quel comme un miracle car la lenteur des images montrant les manuscrits et les photographies a un effet merveilleusement reposant.

Et moi qui ne voyais pas comment, après l’extraordinaire débat sur la réduction de la biodiversité, présenter cette minuscule expérience poétique hors norme, soudain, je me rends compte que tout le monde a compris que, là aussi, loin des lobbies littéraires ou identitaires, il y a des expériences de poésie fragile, et qu’il faut à toute force préserver.

Le poème de Pasternak lu en russe, puis dans la traduction de Robin, tout le monde dans la salle comprend que ce n’est pas seulement une traduction (ou ce qu’il appelait une non-traduction) mais une forme de résistance universelle.

Et c’est la formule employée par l’un des auditeurs en conclusion.

Difficile de faire plus bel hommage à Robin.

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ABSENCE

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Gwinzegal les artistes

Je note que le journaliste d’Ouest-France a parfaitement compris la leçon.

Simple et discret, un effacement parfait.

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QUESTIONS

Il serait intéressant de savoir si la municipalité de Guingamp, qui s’est démocratiquement prononcée contre l’attribution du nom de Monjarret, tolère que l’espace public soit ainsi dégradé pour imposer le nom d’un nationaliste collaborateur des nazis.

Dans la mesure où c’est à titre officiel que le président du Centre culturel breton et le président de Kendalc’h 22 ont publié ce texte, visant à perturber une conférence, tenue dans un lieu public, par une association subventionnée par la municipalité, le département et le conseil régional, il serait intéressant de savoir si les tutelles et les membres de Kendalc’h cautionnent ces prises de position.

Enfin, le conseil départemental, représenté par Kerlogot, se trouve être partie prenante puisque c’est en son nom que cet élu a produit ces attaques et accompagné les militants portant au cou des panneaux proclamant « I am Monjarret ».

En interdisant le déroulement normal d’une conférence sur un auteur breton par un auteur breton au nom de la culture bretonne, ces militants ont montré qu’ils entendent réduire la culture bretonne à la culture Monjarret. Et qu’ils entendent réduire au silence toute voix qui ose s’élever.

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16 réponses à Parole interdite

  1. Hargous Hélène dit :

    Merci pour votre courage. Je viens de lire Le monde comme si, remarquable, intelligent,et nourrissant pour l’esprit. Je connais les méfaits du nationalisme, à ne pas confondre avec le patriotisme ou la défense de la langue, je suis moi-même linguiste, je trouve votre combat admirable , il fait honneur à la Bretagne, aux femmes, à l’intelligence humaine. Avec toute ma gratitude
    Hélène Hargous

  2. Merci de ce long article, détaillé et renseigné, qui permet à des estrangers de suivre cette sinistre affaire. Je ne la trouve pas surprenante, ni isolée, dans sa bêtise et sa hargne. Pour moi qui ne suis pas bretonne, je sais que l’image culturelle que j’ai de cette région a été très majoritairement irriguée par vos travaux. Du premier livre sur les korrigans, jusqu’à la découverte d’Armand Robin. Je vous remercie. Vous êtes la voix de cette part du monde, ces fâcheux n’en seront jamais que le bruit.

  3. davy louis-marie dit :

    Cette réduction de la culture bretonne à la culture « Polig » a de quoi faire frémir en effet. A ce train-là, le bol à oreilles avec prénom est en passe de devenir un objet culturel de première importance, comme le Bro goz avant les matchs du Roazhon Park ou les ronflements de cornemuses un peu partout, chaque été.
    La touristisation de leur culture n’a pas l’air d’inquiéter outre mesure les plus furieux de ces bretonnistes…On dirait même qu’ils s’en gavent.
    Tandis que Robin….
    Bien à vous.

    • Françoise Morvan dit :

      Merci à vous ! Ce qui me frappe, c’est que la touristisation est elle-même un instrument politique, et le bol à petit Breton destiné aux touristes me semble innocemment folklorique en regard du bazar néoceltique destiné à donner à la Bretagne les attributs d’une nation celte. Les ayatollahs à triskell et gwenn-ha-du président des associations subventionnées et la culture Monjarret est, somme toute, une culture officielle : la censure s’exerce dans ce cadre. Elle s’exerce de manière de plus en plus pesante, mais en provoquant aussi une révolte de plus en plus grande face à ces gens qui parlent au nom de la Bretagne. C’est ce qu’ont dit samedi les spectateurs. Et les messages de soutien que j’ai reçus me le disent encore…

  4. Jacques Le Goff dit :

    Très bon article, tout en retenue

  5. Tistou Lauté dit :

    Moi, je préfère écouter les poètes que des tristes sires qui veulent imposer le silence dans la violence . Je croyais que culture rimait avec ouverture. Il est temps que chacun de nous réagisse pour que cette minorité intégriste ne nous empêche pas de vivre en paix dans ce lieux magique et privilégié qu’est la Bretagne.

  6. Martine Dejean dit :

    Ces zigotos ne representent pas la culture guingampaise. En aucune façon les défenseurs de la culture à Guingamp, en Bretagne, ou ailleurs ne peuvent supporter ces accusations.

    • Françoise Morvan dit :

      Hélas, ils représentent la culture subventionnée sur fonds publics. C’est parce qu’ils ont pignon sur rue que ces militants imposent leur culture comme celle de la Bretagne et entendent interdire non seulement toute résistance mais toute parole, serait-elle poésie, comme on l’a vu samedi.

  7. SIMON dit :

    J’ai pris connaissance par FB de ce qui s’est passé à Guingamp samedi dernier. Je vous fais part de mon soutien et vous apporte ce témoignage.

    Ces dernières années, j’ai travaillé sur l’histoire d’une famille juive en Bretagne : la famille Perper installée à Brasparts en 1935. J’ai cherché avec différentes écritures à raconter la tragédie individuelle et le drame collectif : une pièce de théâtre saluée par le CNT, une création radiophonique à la RTBF, un film documentaire coréalisé avec Catherine Bernstein présenté au Mémorial de la Shoah et un livre qui sortira en novembre prochain : « Dans l’air ».

    En 2011, à l’occasion de la présentation de la pièce de théâtre au Carré Magique de Lannion, le groupe Rencontres avait organisé une conférence sur les Juifs en Bretagne avec M Claude Toczé. Il s’agissait de parler de la Shoah en Bretagne ( ce qui n’est pas si fréquent) et de tenter d’expliquer le destin tragique de cette famille assassinée. Cinq personnes sur six millions.
    Cela n’a pas été possible. Parole interdite.

    Une trentaine de militants nationalistes de tout poil (je les connaissais de vue pour la plupart) a saboté cette conférence, prétextant dénoncer les propos  » anti-bretons » tenus par Claude Toczé sur FR3, en monopolisant le débat.

    On sait ce qui se cache derrière les arguments ad hominem de ces nationalistes de plus en plus entreprenants.
    Je voulais évoquer cet « autre événement » qui m’a profondément choqué.
    Cordialement,

    julien Simon

    • Françoise Morvan dit :

      Merci pour votre soutien et votre témoignage. Un exemple de plus de parole interdite… sans compter, bien sûr, les dizaines de rencontres annulées parce que les nationalistes s’y opposent (un article du GRIB rappelle la manière dont la conférence d’Hervé Le Bras a été finalement interdite à Guérande)

      Pour ce qui me concerne, les rares interventions qui ont pu avoir lieu, depuis 2002, par suite de la ténacité des associations qui tenaient à m’inviter, ont eu lieu sous haute surveillance, avec mobilisation des forces de l’ordre (ainsi l’unique rencontre au sujet de Miliciens contre maquisards dont j’ai mis ici le texte en ligne, ou encore la rencontre à Lanester sur Le Monde comme si, sous la protection d’un car de CRS)

      Plus sournoise mais plus efficace est la pression des autonomistes qui ont infiltré à peu près toutes les associations en Bretagne et s’opposent de l’intérieur à la présence de ceux qui ne pensent pas comme eux. C’est le porte-parole de l’UDB qui défendait naguère ce pauvre Roparz Hemon par moi odieusement accusé d’antisémitisme, ce sont les historiens udébistes Hamon et Monnier qui défendent Monjarret… La version officielle de l’histoire du mouvement breton (telle que cautionnée et subventionnée par le conseil régional) ne souffre pas de faille dans le consensus identitaire.

      Cela dit, à Guingamp, il n’était question ni d’histoire ni de politique : même la poésie est interdite (sauf, bien sûr, si elle est produite par les nationalistes).

      La censure s’exerce par la violence, par le silence mais aussi par la prolifération massive de sous-produits grâce aux réseaux de distribution mis en place par le lobby patronal de Locarn : face à cette saturation des rayonnages, des salons, des lieux de pouvoir et des médias à la botte, il peut sembler étrange de constater la violence faite aux minuscules espaces de parole libre restants. Mais c’est bien ce qui rend ces épisodes instructifs : nous sommes entrés dans une ère de culture nationale, totalitaire, biniouseuse et pignouse, la culture Monjarret.

      Il n’est pas inutile d’en donner l’illustration…

      Je vous dis un grand merci pour votre courage.

    • Yves dit :

      Merci pour l’info… on imagine que l’UDB soi-disant de gauche était bien représentée à cette occasion.

      Un article du Télégramme sur le sujet… l’incident dont vous parlez n’est même pas évoqué:
      http://www.letelegramme.fr/local/cotes-d-armor/lannion-paimpol/ville/claude-tocze-les-juifs-en-bretagne-de-1930-a-1944-26-01-2011-1186619.php

      Qu’est-ce qui peut bien motiver les groupes Ouest-France et Le Télégramme à cautionner ce genre de choses? Proximité du MEDEF local qui fait ses choux-gras avec les nationalistes? Peur ou infiltration de nationalistes chez les correspondants locaux?

      Le groupe Publihebdo, par contre, on comprend sa démarche, car qui lit l’Echo de l’Armor et de L’Argoat, ou Le Trégor, mis à part les régionalistes? Néanmoins, le droit de réponse de l’honnie république française et francophone, jacobine, judéo-bolchévique et (crime suprême) athée, bref, le droit de réponse défini à l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 s’applique aussi au groupe Publihebdo, et ne serait-il pas opportun, chère Françoise Morvan d’en faire usage pour répondre à cet « appel » que l’Echo de l’Armor de l’Argoat a fait pour tenter de saboter la conférence et qui ne s’embarrasse pas de dénonciations tordues et calomnieuses?

      Je ne résiste pas au plaisir de vous communiquer celui que Vincent Jaglin a fait à l’ « Agence Bretagne Presse » et qu’il n’ont pas eu d’autre choix que de le mettre en ligne. Voir le lien suivant: http://abp.bzh/37242

      PS: je suis OK pour la publication de mon commentaire, si vous le jugez opportun.

      Amicalement,

      • Françoise Morvan dit :

        La presse bretonne (notamment Le Télégramme et Ouest-France, sans même parler de la luxueuse revue de propagande autonomiste Bretons) est liée au lobby patronal de l’Institut de Locarn, comme les télévisions régionales, via Produit en Bretagne. Quant à L’Écho de l’Armor et au Trégor, ils ne sont que des succursales d’Ouest-France et semblent désormais voués à mettre l’information locale au service du même magma identitaire. Les lecteurs qui s’intéressent à la vie de leur bourg ingurgitent quotidiennement ou hebdomadairement leur dose de propagande (ce ne sont pas que des régionalistes, mais tout est fait pour qu’ils le deviennent).
        Souvenons-nous du vibrant hommage rendu à Fouéré par L’Écho de l’Armor… Tout un programme.

        Le film de Vincent Jaglin offre un bon exemple d’exercice de la censure : pour une fois, un cinéaste ose montrer que la totalité du mouvement breton a collaboré et s’interrroger sur la fabrique identitaire actuelle, à partir des analyses du Monde comme si. Ce film est diffusé mais enlisé dans un débat qui en travestit totalement le sens puisque trois « spécialistes » (auquel le cinéaste n’avait pas fait appel) sont mandatés pour assurer que seuls quelques militants ont collaboré, et qu’il n’y a aucun rapport avec le mouvement breton actuel.
        Au total, le film sert de faire-valoir à l’essai Être Breton ? de Jean-Michel Le Boulanger, pure expression de la culture Monjarret, et injonction d’avoir à être breton sur les bases définies par Morvan Lebesque et autres nazillons recyclés par la gauche.
        Je dois préciser que le film avait déjà été censuré, toute allusion à Produit en Bretagne et à l’Institut de Locarn ayant été coupée : il perdait ainsi l’essentiel de son sens. Mais il fallait encore l’englober dans le discours autorisé, le détourner pour le faire servir.
        Il est vrai que l’ABP a publié le droit de réponse de Vincent Jaglin, mais il apparaît enlisé dans un tel fatras d’inepties qu’il semble à peine lisible. C’est d’ailleurs ce qui le rend captivant pour qui s’intéresse aux mécanismes de la censure en Bretagne.
        Cet épisode est aussi intéressant pour la manière dont le journaliste de l’Agence Bretagne Presse, tel l’islamiste face à la femme sans foulard, ne voit que ma présence — une présence si diabolique qu’elle se manifeste jusque par l’absence. Je ne participais pas au débat (non, bien sûr, parce qu’il n’avait jamais été question de m’inviter — le nationaliste forge immédiatement le roman de l’indicible absence) mais on n’entend que moi. Et de convoquer Le Boulanger, vice-président du conseil régional en charge de la Culture, pour répondre à ma voix muette. C’est un débat breton : trois militants face à la parole interdite.
        Et donc, vous avez raison, l’épisode guingampais est bien la digne suite de La découverte ou l’ignorance. Qui ne fait que confirmer l’interdit jeté par les militants bretons sur les recherches de Claude Toczé au sujet de l’antisémitisme en Bretagne. Je viens de regarder le beau film de Julien Simon, Ils sont partis comme ça, qui a pu circuler en Bretagne tant qu’il n’y avait pas de débat, mais qui a été voué aux gémonies militantes dès lors que le problème du racisme lié au nationalisme en Bretagne aurait risqué d’être posé.

        Amicalement

        • Yves dit :

          Merci pour ces précisions.

          De mieux en mieux: je ne connaissais pas l’article de L’Echo de l’Armor sur Yann Fouere. Il fait ouvertement référence à la présence de la Ligue du Nord. On savait que ces derniers avaient rallié la cause de l’UFCE, mais d’habitude, les régionalistes ont plutôt tendance à passer sous silence leurs liens avec les plus fachos de leur représentants. On dirait que plus ça va, plus ils avancent à visage découvert, et cela n’a aucune importance puisque leur matraquage sur les forums internet plombent tous les débats…
          Tout un programme en effet…

  8. Marie-Madeleine Flambard dit :

    C’est toujours la même histoire : désespérant ! Les « raccourcis, les amalgames, les mensonges par omission, les contre-vérités » dont les militants bretons ne cessent de l’accuser depuis des années (sans rien apporter à l’appui de leurs accusations), non, ils ne sont pas le fait de Françoise Morvan qui, bien au contraire, fait un travail exemplaire de recherche historique, de rectitude avec une énergie et une constance que j’admire.
    Elle serait « la caution de tous les adversaires des cultures régionales« , elle qui a publié (et l’on peut bien dire sauvé) les collectes des plus grands folkloristes des régions de France (dont Luzel et Mistral). Elle qui a donné à Armand Robin la place qu’il lui revient dans la poésie. Souvenons-nous de ce texte de Robin :

    « Ils voulurent me raccourcir l’âme,n’y laisser qu’un seul pays, qu’un seul temps, j’ai répondu en ouvrant ma tête follement pour tous les pays, tous les peuples, tous les temps« .

    Ce que veulent ces nationalistes, c’est bien nous raccourcir l’âme.
    L’article publié par la presse (et cautionné comme « tribune libre ») dit qu’elle « déverse sa vindicte sur tout ce qui représente la culture bretonne vivante d’aujourd’hui  » et de citer la signalétique bilingue, l’Office de la langue bretonne, les bagadou, les écoles bilingues. Eh bien, parlons-en. C’était bien le président du festival interceltique de Lorient qui vantait de faire défiler des bagadou sur les Champs-Elysées  » comme des panzerdivisions » — et ce lors d’une ruineuse et ridicule opération de promotion identitaire baptisée « Breizh touch  » contre laquelle Françoise Morvan avait été la seule à protester, ce qui lui avait valu des déferlements de haine des militants allant de l’extrême gauche à l’extrême droite. Cette déclaration s’inscrivait dans la droite ligne des options de Polig Monjarret, fondateur du festival interceltique, et dont se réclament les militants du Centre culturel breton de Guingamp (subventionné sur fonds publics).
    Qui aura le courage un jour de faire l’addition des fonds en tous genres attribué à l’Office de la langue bretonne et pour quel résultat ? Trafiquer le cadastre sur une base antifrançaise et fabriquer des noms bretons même en pays gallo où l’on n’a jamais parlé breton ! Combien d’argent donné à Diwan, pour enseigner quelle langue dans quel but ?
    Dans le livre « Nouvelle géopolitique des régions françaises » préfacé par Yves Lacoste sous la direction de Béatrice Giblin 48 pages sont consacrés à la Bretagne et je lis page 305:  » Un comité consultatif de l’identité bretonne a été créé par le maire socialiste Edmond Hervé qui rebaptise les rues de la ville en breton alors qu’elle se trouve dans un espace linguistique où l’on a jamais parlé cette langue« . Et, page 320, citant les propos de J.-J.Goasdoué, industriel, membre de l’Institut de Locarn : « La croissance de demain se fera sur les produits culturels. Après l’agriculture, l’industrie et les services, nous entrons dans l’ère de la production culturelle. De ce point de vue, la Bretagne a un pétrole fabuleux: son identité. C’est là qu’il faut investir aujourd’hui« . Tout est dit de la folklorisation de la culture à la récupération des « bonnets rouges » par les industriels bretons….. Il faut lire et relire Le monde comme si pour mieux comprendre les enjeux que les militants interdisent de poser, exerçant une censure de plus en plus lourde au nom d’une liberté d’être breton qui se confond avec l’obligation d’être breton comme ils le conçoivent. Il y aurait bien de choses à dire sur le « droit du sang » revendiqué par certains, et la Vallée des saints! Grands dieux, j’arrête là, cela me donne envie de vomir.
    Merci pour ce que vous êtes, Françoise Morvan.

    • Françoise Morvan dit :

      Merci !

      Quand je pense que c’était en 2000 que nous rédigions le dossier Réécriture de l’histoire pour la LDH…

      Quelle régression depuis seize ans !

      Dénonçant alors le rôle délétère du sulfureux Jean-Yves Cozan, nous étions bien loin de nous douter que le PS irait plus loin encore et, année après année, encouragerait la réécriture de l’histoire et la soumission de la culture à l’identitaire.
      En tout cas, les militants de Guingamp, gauche et droite unie pour défendre Monjarret, montrent à quel point ce dossier est toujours d’actualité.

  9. Gueguen Pierre dit :

    Bonjour,
    J’ai beaucoup aimé « Le monde comme si » et « Miliciens contre maquisards ». Je suis scandalisé par les agissements de ces régionalistes sectaires et vous assure du modeste mais ferme soutien d’un Breton de vieille souche (et vieille souche lui-même, du reste…).
    Pierre Gueguen

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