Je trouve toujours tout à la fois étrange et merveilleux d’enseigner dans un conservatoire car les jeunes acteurs semblent si peu motivés par l’obligation de conserver que le contresens initial donne l’impression d’entrer dans une zone de recherche libre : il s’agit de transmettre en redécouvrant, donc de ne rien conserver a priori puisque tout peut à tout instant être remis en question… sauf ce qui mérite d’être conservé, et qui est ce qui reste quand tout est oublié.
Au bout d’une semaine de travail sur La Cerisaie avec les étudiants de première année du Conservatoire de Lyon, nous nous sommes dit, Philippe Sire, le directeur du Conservatoire, André Markowicz et moi, qu’il faudrait poursuivre l’expérience en jouant les deux versions de l’acte II, la version académique et la version telle que Tchekhov l’avait écrite et que nous avons publiée pour la première fois. Manière d’approcher les profondeurs énigmatiques de cette pièce que nous n’aurons jamais fini de découvrir.
C’est grâce à la collaboration exemplaire du TNP et du Conservatoire que nous avions pu, l’an passé, travailler sur La Folie Tristan. Dans le cas de La Cerisaie comme dans le cas de La Folie Tristan, nous voulions donner aux élèves conscience de l’importance et des enjeux de la traduction – prise de conscience essentielle au moment où tant de metteurs en scène mélangent les traductions, voire les dénaturent pour mieux les plagier, où les plus grands théâtres omettent de mentionner le nom des traducteurs et où les critiques les passent sous silence. C’est sur ce fond d’indifférence au texte que prolifère la contrefaçon qu’il est si difficile de combattre et qui est elle-même une incitation à la médiocrité.