Boulgakov place de l’Enfer

Comme je l’ai rappelé voilà peu à l’occasion de la réédition du Monde comme si, depuis 2002, date de la parution de cet essai, j’ai interdiction de m’exprimer publiquement sur le sol breton, quel que soit le sujet. Soit des meutes de militants bretons se précipitent pour empêcher la tenue du débat, de la conférence, voire la lecture de poèmes (ainsi, par exemple, à Guingamp), soit les organisateurs sont objets de telles menaces qu’ils préfèrent s’abstenir (ainsi la responsable de la Fondation Fouéré invitait-elle les militants à « mettre la pression sur les organisateurs de ces soirées pour qu’ils évitent d’inviter cette femme nocive sur la Bretagne » et seul Jean Schalit a décrété que les menaces le stimulaient et que rien ne l’empêcherait de me donner une place aux Lieux mouvants, ce qui, héroïquement, s’est poursuivi depuis 2016 jusqu’à cette année). La plupart du temps, le courage n’étant pas la chose du monde la mieux partagée, les responsables de salons et de festivals, les bibliothécaires, les journalistes, les libraires, les organisateurs de rencontres choisissent la solution la plus simple, l’abstention, et le règne de l’autocensure rend inutile celui de la censure qui s’exerce ainsi plus pesamment. C’est aussi le sujet du Maître et Marguerite et, interdit sa vie durant, Boulgakov a résisté en laissant ce merveilleux pied de nez à tous les censeurs. Ce serait bien de traduire La Cabale des dévots pour compléter le tableau. 

Objet d’une cabale des services secrets russes et emprisonné en Sibérie, Yoann Barbereau tout en préparant son évasion, lisait Le Maître et Marguerite. Il a rapporté, portant le tampon de la prison d’Irkoutsk son exemplaire des œuvres de Boulgakov en Pléiade. 

Installé à Douarnenez où se tient depuis de longues années place de l’Enfer un festival littéraire en présence de nombreux éditeurs de poésie, il a cru bon, le malheureux, de proposer de nous inviter pour présenter notre traduction du Maître et Marguerite et des éditions Mesures. Il ne s’attendait pas à apprendre que ça ne serait pas possible car « inviter Françoise Morvan, c’est trop dangereux ». Phrase bien digne des littérateurs du Massolit décrits par Boulgakov. Soulignons l’esprit d’indépendance des responsables de l’association Poèmes bleus qui ont décidé à l’unanimité qu’il n’était pas question de céder à la censure : ô miracle de la témérité, après vingt ans d’absence, nous avons fait un petit retour sur la scène littéraire bretonne… 

.

.

C’était très bien : nous avons rencontré beaucoup de lecteurs tout ébaubis de me voir et qui m’apportaient leur soutien, nous avons vendu un très grand nombre de livres des éditions Mesures et nous avons fait une rencontre très agréable (mais malheureusement écourtée) avec Yoan Barbereau devant plus d’une centaine de spectateurs qui sont venus ensuite en foule acheter les exemplaires du Maître et Marguerite (le libraire n’en avait pas commandé assez). 

.

©Lina Ricolleau

Tout aurait pu s’arrêter là, à la satisfaction générale, mais, allons donc, les nationalistes ne pouvaient pas supporter ça : tel l’inquisiteur guettant chafouinement la pécheresse pour la mener au bûcher, un militant glissé dans l’assistance s’est chargé de filmer clandestinement et de choisir l’image la plus hideuse possible pour nous confondre afin d’alimenter le dossier que nourrit de longue date contre moi l’Agence Bretagne Presse. Je choisis à dessein la référence à l’Inquisition car, obsédé par la Bretagne (dont il n’était pas question dans cette rencontre), le responsable de cette agence de presse nationaliste m’accuse d’être incapable de parler d’autre chose et conclut : « Cette vieille querelle avec les militants de la cause bretonne lui colle à la peau. Elle en est marquée au fer rouge à vie. » Eh oui, telle la sorcière, je suis marquée au fer rouge. Mais, nuance, je suis une sorcière qui se marque elle-même au fer rouge et puis, la marque, ça colle à la peau, et, pis encore, s’opposer à « la cause bretonne », c’est contagieux et donc, comme l’écrit un autre militant, nous sommes des « pestiférés en Bretagne ». Cet article émane d’un « journaliste » qui non seulement a pignon sur rue mais a été récompensé en 2015 par le Collier de l’Hermine décerné par l’Institut culturel de Bretagne aux Bretons les plus méritants (l’ICB est notoirement inféodé aux nationalistes). Sans craindre le ridicule, il nous accuse, comme Boulgakov en son temps, d’être trotskistes. Sur Facebook, il approuve d’un « like » le « post » d’un militant dénonçant « ce couple méphitique qui ne peut pas s’empêcher de cracher son venin brittophibe (sic) dès qu’il le peut. Relisez les posts FB de Merdowicz»… 

Machisme et scatologie : dans Le Monde comme si, je dressais déjà un portrait du mouvement breton par ses discours. Ils sont allés s’aggravant au fil des années, nous en avons ici un spécimen qui, naturellement, en appelle d’autres, le thème majeur des commentaires de cet article étant « mais comment a-t-on pu la laisser apparaître ? » Stupeur et tremblement… on a osé enfreindre la loi de la meute – une petite meute mais qui est au pouvoir et qui entend réduire au silence tout ce qui se moque de ce que l’auteur de l’article appelle, sans même se douter de ce qu’il dénonce ainsi lui-même,  « la Bretagne des militants de la cause bretonne ».

Au nom de la « cause bretonne », on appelle à la censure, on insulte, on bafoue le droit à l’image et on crie au martyre quand on est condamné en justice. Par chance, la loi s’applique encore. 

Affaire en cours… 

Ce contenu a été publié dans André Markowicz, Boulgakov, Censure, Éditions Mesures, Le monde comme si, nationalisme, Traduction. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Boulgakov place de l’Enfer

  1. Bourguignon dit :

    Bonsoir,
    Comment se fait-il que le «mouvement » breton soit financé (pour durer, il faut bien des fonds) et surtout par qui?
    J’aimerais accroire que les collectivités locales et régionales (argent public) ne sont pas concernées.
    Donc, il resterait le privé. Mais qui?
    En tout cas, les qualités de votre blog forcent le respect. Merci.

    • Françoise Morvan dit :

      Bonjour,

      Oui, vous posez la question essentielle : argent public, argent privé,l’argent afflue… Mais qui se risquerait à étudier ces financements ?
      Je me souviens d’une réunion au cours de laquelle il avait été recommandé aux éditeurs (majoritairement nationalistes) d’éviter que les livres soient subventionnés à plus de 100%…
      Un petit exemple qui en dit long.
      Merci à vous !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *