Extrême gauche et terrorisme

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On se souvient peut-être du vol de dynamite dans une carrière de Plévin, près de Carhaix, en vue de commettre des attentats : les nationalistes bretons s’étaient associés avec des nationalistes basques pour s’emparer de près de neuf tonnes d’explosifs, onze kilomètres de cordon détonant et quelque six mille détonateurs. De quoi faire… 

En effet, la dynamite allait tuer une jeune femme à Quévert, dix-huit personnes en Espagne, et encore les risques de tuer lors de divers attentats n’ont-ils pas été pris en compte. Peu après, une partie de la dynamite fut retrouvée çà et là, notamment parce que certains terroristes, n’ayant pas prévu le poids des explosifs, avaient dû abandonner leur 4L de location, puis parce que l’un d’entre eux, Denis Riou, qualifié de « chef de l’ARB » (Armée révolutionnaire bretonne), décida soudain, sans doute pour amadouer le juge Thiel, d’en restituer quelques kilos. Plusieurs tonnes sont toujours dans la nature.

Enfin au terme d’un long procès, cinq Basques et neuf Bretons furent condamnés. Tous se présentaient comme des victimes de l’État français et, assistés d’une équipe d’avocats bien payés, n’eurent de cesse de faire condamner les journaux portant atteinte à la présomption d’innocence ou à la vie privée, de saisir la Cour européenne des Droits de l’homme, de faire intervenir Amnesty international, de mener campagne parce que l’un avait du diabète et l’autre des migraines, de constituer des comités de défense des « prisonniers politiques bretons », des « collectifs de femmes » protestant contre le manque de douceur des arrestations, et des pétitions, des lettres ouvertes, des campagnes de presse… Il suffit de parcourir l’article Affaire de Plévin sur Wikipédia pour constater que la victimisation occupe l’essentiel des chapitres, à peu près exclusivement appuyés sur les productions des militants nationalistes et de leurs historiens appointés, avec à leur tête Charlie Grall, journaliste (c’est-à-dire en charge de l’hebdomadaire nationaliste Breizh-infos avec Martial Ménard, autre terroriste) lui-même condamné dans le cadre du procès des militants basques et bretons. 

En 2000, Grall fut le seul à refuser de condamner le meurtre de la jeune femme assassinée à Quévert. Il continue de militer auprès du maire de Carhaix, Christian Troadec et d’exposer les vertus de son louable « combat breton ». 

De même, les journalistes Arnaud Vannier et Solenn Georgeault (désignés comme journalistes car ils collaboraient au mensuel Bremañ dirigé par la militante nationaliste Lena Louarn) ont-ils constamment été présentés comme des victimes, persécutées par une justice aveugle. Lena Louarn, qui a été nommée vice-présidente du Conseil régional sous le règne de Le Drian et continue d’officier pour le breton surunifié dans toute la Bretagne, savait parfaitement à quoi s’en tenir sur les options idéologiques de Solenn Georgeault qui était membre d’Emgann, parti indépendantiste considéré comme la vitrine du FLB. Par la suite, Vannier a été recyclé par Patrick Le Lay (qui d’ailleurs se qualifie lui-même de nationaliste breton, assurant qu’il n’est pas français). Il a pu continuer de militer pour le parti indépendantiste Breizhistance (issu d’Emgann)… L’histoire du terrorisme breton fait l’objet de films subventionnés par le Conseil régional qui sont l’occasion de réécrire l’histoire en donnant l’occasion aux terroristes d’exposer leur dévouement à la juste cause de la libération de la Bretagne : les documentaires produits officiellement ont ainsi pour effet de relayer les productions nationalistes en banalisant l’usage de la violence au service d’une idéologie délétère.

En ces années-là, et d’ailleurs suite au travail d’information que j’avais, contre vents et marées, et en dépit des menaces de mort, décidé de poursuivre, il s’est trouvé des journalistes pour essayer de rompre l’omerta. Ainsi Éric Conan dans L’Express Mais ces rares tentatives sont restées lettre morte, enlisées dans le magma du consensus régionaliste forcément louable quoi qu’il recouvre.  

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Je rappelle ces quelques faits pour illustrer la manière dont des militants nationalistes (qui, par ailleurs, aussi bien dans Breizh-infos que dans Bremañ, faisaient l’apologie de nazis, voire de Waffen SS membres du Bezen Perrot) ont constamment obtenu le soutien de l’extrême et de l’ultra gauche. Et ce, sur la base d’un confusionnisme soigneusement entretenu et paré de l’aura des combats romantiques (ainsi, pour s’en tenir à un exemple, le journal Breizh-infos a-t-il donné lieu à un site d’extrême droite identitaire qui n’hésite pas à donner la parole à des terroristes fiers de leur combat : du FLB aux Bonnets rouges et aux Gilets jaunes, la même lutte se poursuit, déclare l’un d’entre eux qui, devenu boutiquier spécialisé dans le business néoceltique, donne pour sa meilleure vente l’autocollant du FLB — peut-être n’est-il pas inutile de rappeler que le sigle du FLB est une création du nazillon Yann Goulet, qui l’avait initialement dessiné pour les Bagadou Stourm et, faute d’imagination mais non sans constance, lui fit reprendre du service pour le FLB ). 

Il n’était donc pas surprenant de voir, la semaine dernière, des intellectuels venir au secours du chef de l’ETA Josu Urrutikoetxea (alias Ternera) : Alain Badiou, Toni Negri mais aussi Jean-Luc Nancy et Jacques Rancière et, plus étonnant, Étienne Balibar, ont publié dans Libération une tribune pour soutenir l’infortuné Ternera comparé à Mandela et digne de toutes les indulgences.  

Or, chose rare, il s’est trouvé des personnes pour prendre le risque de protester. On m’a demandé d’apporter mon soutien à cette protestation, ce que j’ai fait. 

En voici donc le texte, qui peut être lu en ligne sur le site de Libération.

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En soutien aux victimes de Josu Urrutikoetxea

Par un collectif — 5 juin 2019 à 20:26

Soutenir celui qui fut le chef d’ETA quand l’organisation basque commettait de nombreux attentats, c’est nier la réalité du terrorisme et piétiner la mémoire des victimes.

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 En soutien aux victimes de Josu Urrutikoetxea

Tribune. Dans Libération du 31 mai, Alain Badiou, Etienne Balibar, Thomas Lacoste, Jean-Luc Nancy, Toni Negri et Jacques Rancière signent une tribune intitulée : «En soutien à Josu Urrutikoetxea». Elle pourrait prêter à rire si elle ne réveillait pas l’histoire de crimes tragiquement absurdes et inutiles.

Ces signataires n’ont en effet pas honte de comparer implicitement l’Espagne démocratique à l’Afrique du Sud de l’apartheid pour dénoncer l’arrestation le 16 mai d’un des chefs de l’organisation terroriste basque ETA dissoute en mai 2018. «Imaginerait-on,écrivent-ils, en Afrique du Sud, en juin 1991, une fois abolis les piliers des lois de l’apartheid, que le futur Prix Nobel de la paix, Nelson Mandela, soit remis en prison ?» Veulent-ils nous faire croire que des Basques étaient ségrégués comme des Noirs sud-africains, ou que ce chef d’ETA mériterait d’être récompensé parce qu’il a finalement décidé que les meurtres n’étaient plus utiles à sa cause ?

Les signataires font semblant d’oublier qu’en 1977, une fois Franco mort et enterré, tous les prisonniers d’ETA ont bénéficié de la loi d’amnistie et sont sortis de prison. Les militants qui, comme Urrutikoetxea (plus connu sous l’alias de «Josu Ternera»), ont ensuite fait le choix de tuer des centaines de personnes, se sont attaqués frontalement à la démocratie, à l’esprit de compromis qu’avait ouvert la Constitution de 1978. Ils ont assassiné des concitoyens désarmés dans un Pays basque gouverné par un Parti nationaliste qui défend l’indépendance de cette région. Dans les vingt années où Josu Urrutikoetxea a été le chef d’ETA, l’organisation a tenté d’empêcher la transition post-franquiste en commettant de très nombreux attentats pendant les périodes de négociations les plus délicates : 66 morts en 1978, 76 en 1979, 92 en 1980, puis entre 19 et 52 morts par an durant toute la décennie 80.

Ces signataires font aussi mine de croire que la décision de Josu Ternera d’arrêter d’assassiner ou de faire assassiner des gens l’exempte de responsabilité pénale. Il est pourtant actuellement poursuivi pour avoir ordonné, en 1987, un attentat à la voiture piégée contre une caserne de la garde civile de Saragosse où vivaient des familles, et qui provoqua 88 blessés et 11 morts dont 6 enfants : les jumelles Miriam et Esther Barrera, 3 ans ; Silvia Pino, 7 ans ; Rocío Capilla, 12 ans ; Silvia Ballarín, 6 ans ; Ángel Alcaraz, 17 ans. Mais pour les militants d’ETA les gardes civils étaient des «chiens» (txakurrak en basque) et leurs enfants des «fils de chiens».

Arrêté en France en 1989, puis extradé, Josu Ternera a pu se présenter en 1998 et en 2001 sur les listes du parti associé à ETA. Elu au Parlement autonome basque, il y a été choisi comme membre de la commission des Droits de l’homme, ce qui fut vécu comme une insulte par les associations de victimes et les citoyens basques non nationalistes. Faut-il rire ou pleurer de voir aujourd’hui des intellectuels médiatiques attribuer une «hauteur morale» à ce nationaliste cruel qui n’a jamais remis en question ses choix mortifères ? Alain Badiou considère que les récits des atrocités de la révolution culturelle en Chine sont une caricature (1). On comprend qu’il ne s’encombre pas de précisions concernant les années noires du terrorisme nationaliste basque. Dire que ETA a «remis ses armes à la population basque» est un pénible non-sens (à quels Basques ? Ceux qu’ils ont tués ?).

Les signataires font référence au rôle que Josu Urrutikoetxea a joué lors des négociations de 2006 qui précédèrent la fin de l’organisation (il y eut encore 12 assassinats entre la trêve de 2006 et le dernier attentat de 2010 qui a pris la vie du policier français Jean-Serge Nérin). Ils insistent sur le mot «unilatéral» comme si seule la générosité des terroristes expliquait leur dissolution. Les militants emprisonnés qui ont recherché le pardon de leurs victimes ont eu le courage de mettre unilatéralement fin à la raison de la terreur. Mais ceux-là ne mériteront pas le soutien des six signataires. Les partis politiques espagnols n’ont pas accordé de légitimité à la fameuse Conférence internationale présidée par Kofi Annan parce qu’ils ne reconnaissent pas l’existence, depuis 1978 en Espagne, d’un «conflit armé» entre deux camps. Il y a eu de la part d’ETA usage de la terreur pour imposer à tous les citoyens une conception unique du Pays basque. Les victimes d’ETA refusent aussi le concept de conflit, car elles veulent que l’on parle des assassinats. Nombre d’entre elles attendent encore justice, notamment les familles des enfants morts à Saragosse en 1987. Il y aurait encore environ 300 meurtres non élucidés.

Nous sommes «inquiets et consternés», comme disent les signataires à propos de cette arrestation, de voir que des intellectuels qui se disent de gauche «s’avilissent» à mentir sur la réalité du terrorisme d’ETA, soutiennent une idéologie nationaliste exclusive et piétinent la mémoire de ses victimes.

(1 ) «Badiou, hibernatus philosophe», sur Libération.fr (10 octobre 2014)

Auteurs : Barbara Loyer Professeure, Maurice Goldring Professeur émérite, Fernando Aramburu Ecrivain, auteur de «Patria», Fernando Savater Philosophe, Maite Pagazaurtundúa Députée européenne, Béatrice Giblin Professeure émérite, Brigitte Pradier Conseillère municipale (Biarritz) et Kattalin Gabriel-Oyhamburu, Politologue.

Ont souhaité aussi manifester leur soutien à ce texte : Antonio Jiménez Blanco Professeur, Cayetana Alvarez de Toledo Députée, Félix de Azúa Ecrivain, Andrés Trapiello Ecrivain, Guillermo de la Dehesa Economiste, Francisco Sosa Wagner Professeur, Mercedes Fuertes Professeure, Francisco Javier Irazoki Ecrivain, Gorka Maneiro Ancien député au Pays basque, Alfonso Ruiz Miguel Professeur, Ramón Puig de la Bellacasa Professeur, Juan Calaza Economiste, Ramiro Cibrián Ambassadeur, Carlota Solé i Puig Professeure, Juan Carlos Fernández Savater Peintre, Pablo Barrios Professeur, Roberto Blanco Valdés Professeur, Carlos Martinez Gorriarán Ancien député, Diego EscamezProfesseur de lettres (Biarritz) et Félix Ovejero Professeur.

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