Petite chronique d’un été breton (3) : le règne du Celte

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La Celtie selon Creston

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J’avais bien l’intention de rédiger une chronique qui fasse le point sur la ridicule exposition Celtique ? présentée l’an passé par le Musée de Bretagne à Rennes, sur l’hilarante polémique qu’elle a suscitée et sur la fulminante vengeance des Celtes organisée cet été au Festival interceltique de Lorient, mais je n’ai pas le temps de m’attarder. Je vais donc donner ici une brève synthèse de l’affaire. 

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Celtique ? 

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L’objet de cette polémique qui a mobilisé pendant des mois le ban et l’arrière-ban des militants, des universitaires et des journalistes bretons était le point d’interrogation substitué au point d’exclamation qu’il faudrait mieux appeler point d’enthousiasme naturellement inclus dans le terme celtique lui-même aux yeux des militants bretons fiers de leurs gènes.

La celtitude, telle qu’inventée au XIXpar des illuminés trop heureux de trouver dans les mânes de leurs ancêtres l’ultime raison de combattre la France républicaine (tel ce faussaire de La Villemarqué) n’est qu’une fabrication, généralement grotesque, qui devrait, plutôt que de se soumetre au règne du Celte, inciter à relire Bouvard et Pécuchet. Mais le kit néoceltique est absolument nécessaire pour enrôler la Bretagne dans le grand bal des ethnies appelées à prendre leur indépendance. Pour le plus grand profit du néolibéralisme, ce qui explique les sommes colossales mobilisées pour forger le mythe et alimenter la foi  : Dieu l’a voulu, Locarn l’aura fait. Avec l’appui des élus et sur fonds publics… 

En effet, cette polémique se développait sur le fond de la demande d’autonomie formulée par le conseil régional de Bretagne, à la suite de la Corse. Le rapport officiel remis le 19 septembre, comme par hasard juste avant le grand discours de Macron proposant l’autonomie aux Corses, expose que le statut demandé – non par les Bretons car ils n’ont pas été consultés à ce sujet mais pour la Bretagne – se justifie par une « histoire plus que millénaire qui a façonné une identité spécifique au carrefour des mondes celtique, latin et anglo-saxon » ? Une fois la celtitude placée en tête, exit le monde franc honni, surgit le monde anglo-saxon, si utile pour renforcer « l’identité culturelle enracinée » dont la Bretagne doit coûte que coûte bénéficier (ou subir). 

L’idée de cette exposition était venue de la directrice du Musée de Bretagne, conservatrice en chef du patrimoine et présidente de la Fédération des écomunsées et des musées de société, une certaine Céline Chanas. Débarquant en Bretagne, éblouie par la perspective de donner à découvrir cette terre pleine d’autochtones à racines, elle se met en devoir, associant la bibliothèque des Champs libres, d’aller droit au cœur de la celtitude et de mobiliser des spécialistes : ainsi assemble-t-elle une troupe de spécialistes engagés dans le combat breton, les uns thuriféraires de La Villemarqué, les autres du breton surunifié, de l’histoire, de la préhistoire (des Celtes), le tout sous la présidence du barde Alan Stivell. 

L’exposition s’ouvre. Alan Stivell en gloire rayonne. Une vidéo au cœur de l’exposition le montre développant le discours ethniste habituel, sur un mode nationaliste pas plus ridicule que d’habitude mais plus redoutable parce que donné pour l’ultima ratio de cette exposition qui a mobilisé des fonds publics considérables. Elle se termine sur une phrase de Morvan Lebesque, qui s’en étonnera. 

Soudain, des nationalistes plus sourcilleux, et peut-être tenus à l’écart du projet, produisent des discours furibonds pour des motifs que j’aurais plaisir à énumérer mais allons droit au but : ils se ramènent tous au point d’interrogation.

Brusquement ramené à la réalité perfide qui, sous la fumée des honneurs, lui avait échappé, Alan Stivell rend son tablier de président, sans toutefois aller jusqu’à protester contre le fait qu’il reste présent au cœur de l’exposition avec sa vidéo, ses chansons bardiques et son kit ethnique.

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Celtique ! 

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À la suite de Stivell, les nationalistes exigent que les panneaux de l’exposition soient réécrits. Pas de problème : la directrice du Musée obtempère et les panneaux sont réécrits selon les directives des militants qui savent ce qu’il est bon d’écrire et surtout de ne pas écrire. 

Par exemple, pour en revenir au cœur de la doctrine, voici la présentation de La Villemarqué (le faussaire dénoncé par Luzel qui, lui, est effacé, alors qu’il est à tout jamais le plus grand collecteur de la littérature populaire de basse Bretagne – preuve que le Celte est le pire ennemi du Breton) : 

Texte original :

Le Barzaz-Breiz est un recueil de chants que l’auteur prétend avoir collecté auprès de la population de Basse-Bretagne. 

Texte corrigé :

Le Barzaz-Breiz est l’ouvrage d’un auteur qui illustre ses sensibilités par des chants populaires bretons. 

Le propre du nationalisme breton est son indéfectible fidélité à ses origines : même chez le druide ou l’athée convaincu reste quelque chose de l’esprit curé qui l’a imprégné depuis la chouannerie (et dont La Villemarqué est le parangon). Ainsi ce dernier n’est-il plus un faussaire qui prétend avoir collecté des chants bretons mais un auteur qui a fait le choix d’« illustrer ses sensibilités » par le recours à ces mêmes chants.  

Au théâtre, nous avons affaire à des metteurs en scène qui illustrent leurs sensibilités, si délicieusement foisonnantes, en reprenant mot pour mot nos traductions  de Tchekhov et en les faisant passer sous leur nom. C’est une manière de nous rendre hommage, comme La Villemarqué a su rendre hommage au peuple breton, et nous devrions leur être reconnaissants, mais, rien à faire, nos sensibilités restent rétives à l’illustration.

Plusieurs membres des Amis du Musée de Bretagne ont demandé à avoir communication des changements ainsi introduits. Interdit. 

Censure et jésuitisme. 

Le Celte s’exprime. Sous contrôle.

Pour moi, tout avait d’ailleurs inopinément commencé par la censure. J’avais appris que les étudiants de Celtique de l’université de Rennes étaient, préalablement à leur visite à cette exposition, invités à NE PAS lire Le Monde comme si et à aller trouver leurs informations au sujet de ce livre tabou sur un site nationaliste lié à l’extrême droite. 

La censure avait eu tout au moins l’avantage de m’inciter à aller voir l’exposition AVANT réécriture ce qui, APRÈS réécriture, m’a permis de mesurer l’ampleur du redressement idéologique. Je l’étudierai en détail quand j’en aurai le temps. 

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À titre d’exemple, et pour que je compreniez en bref la teneur de la propagande dont l’exposition Celtique ! était le lieu (et est d’ailleurs toujours le lieu puisque le site est en ligne), je vous  invite à aller sur le site de l’exposition à et à tester vous-même votre « profil celte ».

Ayant fait le test à deux reprises, j’ai pu sans peine évaluer mon « degré de celtitude ». 

Dans un premier temps, j’ai accumulé toutes les « mauvaises » réponses proposées (c’est-à-dire, somme toute, les réponses exactes) : j’ai déclaré que les Celtes sont un peuple dont on ne sait pas grand-chose,  que dans mon enfance je pensais que la magie n’existe pas, que je rapportais de mes vacances n’importe quoi sauf un triskell etc etc jusqu’à éliminer au profit de Tabarly les trois vrais Celtes qui incarnent la Bretagne, à savoir… Alan Stivell, Nolwenn Leroy et Mona Ozouf. 

Une fois connu mon désastreux résultat, on m’a réconfortée : je suis « celtosceptique » mais ça se soigne, et puis quand même, forcément, j’aime la Bretagne. Non, plus précisément : j’aime « la Bretagne et ses paysages » car la Bretagne est une entité tout à fait indépendante de sa réalité physique, sa géographie, ses paysages. Et puis, comme jadis au sortir d’une confession particulièrement douloureuse, on me rassure, on sait que mon cœur est pur, que mon attachement est « sincère » et que la Providence qui veille sur moi me fera trouver la vraie Foi.

Dans un deuxième temps, j’ai accumulé toutes les « bonnes » réponses : j’ai déclaré que les Celtes sont les habitants de Bretagne, de Galice, etc,  que dans mon enfance mon personnage préféré était Merlin l’enchanteur, que je rapportais de mes vacances un triskell en argent acheté dans une boutique de souvenirs bretons, que mon tatouage était un triskell, que le breton est une langue celtique et que le Celte qui incarne la Bretagne est Alan Stivell. 

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Heureux de saluer ce score parfait, on m’a félicitée… Bravo ! Je suis « celte expert-e ! » 

« Vous êtes une personne captivée par l’histoire des Celtes et de la Bretagne. Passionnée d’histoire et d’archéologie, vous savez faire la distinction entre les clichés et la réalité. » 

La distinction entre les clichés et la réalité quand la réalité consiste en clichés imposés comme la réalité, la vraie, la seule, la celte !

Tout dans cette exposition était à l’avenant… Je passe sur les questionnaires des petites machines à délivrer la vérité sur tous les sujets qui importent au Breton : « Le gwenn-ha-du, celte ou pas celte ? » « La galette saucisse, celte ou pas celte ? », « La langue bretonne, celte ou pas celte ? » Cling, la machine vous délivrait sur ticket de caisse la vérité à connaître. Dans le genre ludique, la vitrine consacrée à la dérive nazie des militants bretons relevait du genre cache-tampon, pas vraiment drôle quand on savait ce qui était passé à la trappe (ou ainsi inclus dans ce grand quiz ludique).

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Par la suite, un luxueux catalogue (transformant en une sorte de cube le point d’interrogation hérétique, ajoutant en sous-titre La Bretagne et son héritage celtique et rappelant tous les lieux communs de la doxa néoceltique, avec illustrations des Seiz Breur et autres horreurs) avait été publié. 

Ayant obtenu toute satisfaction, les militants de la celtitude allaient-ils s’en tenir là ? 

Nullement ! 

La polémique avait permis de faire flamber la foi, de ranimer le feu qui couvait et de mettre au grand jour les vertus de la celtitude. 

Le festival interceltique a été cette année l’occasion de mener à bien une grande opération publicitaire rassemblant des Celtes de tous horizons : le colloque international intitulé Bretagne… celtique !  avec un point d’exclamation doré était ouvertement donné comme une réponse à l’exposition Celtique ? Alan Stivell bombardé (sans jeu de mots) « grand témoin »  tenait en ouverture un discours plus délirant encore que d’habitude. Se succédaient l’un après l’autre les tenants serviles du Celte qui fait vendre (selon la formule de l’ex-président du Festival interceltique).

En l’absence de la directrice du Musée de Bretagne, la directrice des Champs libres, invitée à venir s’excuser, l’a fait. En acceptant d’être renvoyée pour céder la parole à ces messieurs qui se succédaient sans craindre d’être interrompus, eux, car les spectateurs devaient être munis de bracelets pour avoir le droit d’entrer.

Le colloque qui ouvrait le Festival servait aussi d’ouverture à l’« Interceltic Business Forum » dont Jean-Yves Le Drian était le « parrain » (c’est le terme qui était employé). Il en a profité pour célébrer le Forum celte qui venait de se conclure par un traité baptisé « Déclaration de Rennes » signé entre sept « nations celtiques » dont la Bretagne.

Illégal puisque les régions ne peuvent pas signer des traités avec des États ? Allons donc ! L’ex-ministre des Affaires étrangères s’en est gaussé : « Ce n’est pas tout à fait normal juridiquement et va sûrement tordre le bras des conseillers juridiques du Quai d’Orsay ». Mais quelle importance et quoi de plus simple pour un Celte que de tordre un bras et surtout un faible bras jacobin ? 

Le règne du Celte ne fait que commencer.

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2 réponses à Petite chronique d’un été breton (3) : le règne du Celte

  1. nathan dit :

    Le point d’interrogation de « Bretagne Celtique ? » a fait enrager le chanteur celtomane Alan Stivell mais il a permis aussi, pour le moment encore, d’éviter le pire.
    En effet, sans ce point d’interrogation, Alan Stivell et les celtomanes se seraient prévalus de cette exposition et de la caution « scientifique » du musée de Bretagne pour proclamer au monde entier qu’il était enfin officiellement démontré et reconnu que la Bretagne était celtique.
    Dès lors, corollaire immédiat, il aurait été évidemment considéré que cette Bretagne Celtique était d’une nature différente et définitivement étrangère à celle de la France qui elle (toujours selon Stivell), est latine.
    Pour Stivell, expert autoproclamé en celtité, il y a l’« âme » celte et l’« âme » latine : les Français qui parlent une langue romane ont une âme latine, les Bretons qui eux évidemment parlent (parlaient ou parleront) breton ont une âme celte voire même aussi, d’après les observations de Stivell, une gestuelle celte. Ainsi, la France et les Français seraient donc des Gallo-Romains de langue romane à classer donc dans le groupe des « Latins » tandis que la Bretagne et les bretons seraient des Celtes qui appartiendraient eux au monde celtique : la mythique et harmonieuse Celtie qui aurait été jadis détruite et morcelée par de vils agresseurs romains. Depuis lors et ces maudits temps lointains, les peuples celtiques dispersés par ces malheurs de l’Histoire lutteraient pour recouvrer l’unité de la Celtie originelle, l’unité de Keltia . Tout ça peut paraître quelque peu délirant, notamment cette différenciation ethnique Français (Latins)/Bretons(Celtes) mais c’est bien ce que ne cesse de proclamer Stivell depuis plus de 50 ans :
    « Voici venu le temps de délivrance, loin de nous toute idée de vengeance nous garderons notre amitié avec le peuple de France mais nous abattrons les murailles honteuses qui nous empêchent de regarder la mer, les miradors qui nous interdisent nos plus proches frères de Galles, d’Ecosse, d’Irlande (…) »
    ou alors dans Imram de sa symphonie celtique « Adsavomp Keltia ! »
    ou encore sur « The mist of Avalon » album parrainé par un autre barde, le chanteur français Francis Lalanne qui lui aussi y prophétise : « L’épée de l’âge d’or retrouvée va réunir enfin les deux âmes brisées de la même lame et le peuple breton va recouvrer l’unité de Keltia, le grand rêve d’Arthur enfin réalisé , la cité de la paix. »

    • Françoise Morvan dit :

      Merci pour ces commentaires éclairants ! Et surtout merci de rappeler la teneur des paroles des chansons de Stivell : on aurait tendance à rire de ces « murailles » qui empêchent les Bretons de voir la mer et de ces « miradors » qui les séparent des frères de race celtique mais on aurait tort car cette vision apocalyptique de la Bretagne subissant la domination de la France n’a pas peu contribué à radicaliser toute une frange de jeunes. La bêtise de la suite de la chanson n’est pas moins abyssale (devenue Celtia, la Bretagne, « centre du monde habité » sera le « refuge des oiseaux pétrolés, des femmes en prison torturées et des vieillards bombardés » qui courent les rues « à la limite du monde visible et du monde invisible ») et combien d’autres rengaines depuis la « celte fontaine, paradis d’hydromel » !
      Le point d’interrogation dans le titre de l’exposition était selon moi surtout destiné à faire illusion (d’ailleurs, la suite l’a montré). Or, c’est la fabrique de l’illusion qui, personnellement, m’intéressait (dans la suite du Monde comme si) et j’ai pu constater que, même après sa démission fracassante de la présidence de l’exposition, Stivell en restait le cœur : le triskell sur le ventre, la harpe en arrière-fond, l’affiche pour le congrès interceltique à droite et une table couverte de littérature propagandistique devant lui, il continuait de déverser le même discours ethniste.
      Enfin, vous avez raison de souligner l’importance de l’opposition entre la celtitude et la latinité. Je l’avais déjà noté en écrivant Le Monde comme si, elle apparaît en 1924 dans Breiz Atao, non sans raisons stratégiques, le panceltisme étant une variante du pangermanisme. Stivell ne fait que relayer le discours de Breiz Atao. Mais il l’englue dans une sauce néogauchiste lénifiante à laquelle ses fans ont plaisir à se laisser prendre. C’est bien ce que montrent les chansons que vous citez. Et c’est bien ce qui le rend dangereux.

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