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Au moment où les librairies sont fermées, découvrir qu’un libraire continue d’accompagner les livres et de les présenter aux lecteurs dans un espace de liberté hors du temps du confinement est un véritable miracle. Hugues Robert qui codirige la librairie Charybde à Paris consacre cette semaine une magnifique note de lecture à Vigile de décembre après avoir, à parution, présenté chacun des livres de Sur champ de sable. Ainsi, les quatre volumes parus aux éditions Mesures ont-ils accompagné cette année si étrange, et ce signe de vie nous donne l’impression non seulement d’échapper à l’isolement mais d’avoir à poursuivre notre expérience d’édition, alors même que tout nous inviterait à la prudence et au retrait.
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Note de lecture : « Vigile de décembre » – Sur champ de sable IV (Françoise Morvan)
POSTÉ PAR HUGUES ⋅ 15 AVRIL 2020 ⋅ POSTER UN COMMENTAIRE
Bouquet final d’un quadriptyque poétique résolument magique, un mois de décembre qui déploie toutes ses volutes noires et enchantées, dans des directions inattendues.
Retour
Le cri du grèbe et le roseau creusé
Sur la grève ouverte ou le gravier d’eau
Comme au travers d’un cristal de sulfure
Rendent l’hiver plus tendre et plus fragile
Lorsqu’on entre à l’aube dans la maison vide
Le long souvenir des amis perdus
Forme un écran de soie tendu sur le jour
Où vont sans être vues les formes des fantômes.
Quatrième et dernier volume de l’étonnant « Sur champ de sable », succédant en douceur et sans élever le ton aux ardeurs estivales d’ « Assomption », aux somptueuses ambiguïtés de « Buée » et aux possibilités funèbres de « Brumaire », « Vigile de décembre », publié à l’automne 2019 aux éditions Mesures, explore pour nous la fermeture d’une parenthèse potentiellement sacrée, parenthèse qui sait pourtant résonner en permanence avec le profane, au son tourmenté ou apaisé, selon les moments, d’anciens Noëls en Bretagne.
L’âme comme un coffret qui se referme
Après le sang brutal l’homme aux mains rudes
Aux lèvres gardant une odeur de vin
Le viol admis pour règle et les travaux du jour
La soumission portant sa joie diffuse
Aux serments de la vie si mal tenus
(« Silenciaires« )
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Des quatre volumes, celui-ci, arc-bouté sur sa bascule dans un hiver aux apparences toujours contrastées, à l’Ouest, est certainement le plus baudelairien, celui qui retiendrait d’abord, du « Chant d’automne », avant tout les chocs funèbres du bois retentissant sur le pavé des cours et l’écho d’échafaud qu’on bâtit de chaque bûche qui tombe. Et Françoise Morvan, alors même que se préparent en douceur les avents et les crèches, n’hésite pas à évoquer les noirceurs ordinaires et les violences domestiques acceptées qui se dissimulaient, jadis, naguère et encore récemment, derrière les volets clos et les portes soigneusement fermées.
Armoire
Pétrie d’un bois de tourbe
Plus amer et dur que le fer
Elle affronte en taureau de forge
Le froid des nuits d’hiver
Mais geint pour s’ouvrir
Mi-fourbe et faible
Feignant sa souffrance
Et sa plainte exaspère.
Pourtant, dans le froid et la nuit, et sans que le lien avec la lueur religieuse de l’étable célébrée puisse être directement établi, une magie particulière vient s’immiscer dans le trouble redouté. Jouant d’un mystère du dedans et du dehors qui pourrait évoquer aussi bien les plus beaux haïkus de ruisseaux gelés que les somptueuses transmutations d’un Charles Sagalane, ce sont tout à coup Circé et Ovide, les gnomes et les frères Grimm, profitant d’une neige sur les hauts de Rostrenen, qui s’invitent à une fête curieusement inattendue., comme si une nuit de Walpurgis devait s’orchestrer soigneusement, quatre mois à l’avance. Que ce soit, aux côtés de François Maynard, le Théophile Gautier du « Château du Souvenir » qui vienne jouer officiellement les poètes invités de cette « Vigile de décembre » (Gérard de Nerval aurait sans doute pu y prétendre aussi) s’inscrit ainsi en toute logique secrète.
Et les mots anciens des prières se répondent
Levant avec lenteur du fond de la mémoire
Comme on descend dans les abysses
Docile et suivant le propre du temps.
(« Abysses » )
*
Holle
On se souvient des journées silencieuses
La fée à sa croisée faisant neiger
Sur les ombres des mondes chancelants
Et qui aurait pensé qu’elle y fondrait ses jours
Si les travaux et les jours, minuscules et paradoxalement grands, s’associent à une prégnance de la religion et d’un doux mysticisme venant s’inscrire d’abord, dieux lares contrariés, dans les objets du quotidien, sous le signe de Joseph plus que de tout autre saint, les rituels à l’œuvre ne sont pourtant peut-être pas, en plus d’une occasion, ceux que l’on croit. « La pierre endormie dans la boue » ou « l’eau qui claudique au bord de l’évier », alors, deviendraient bien les marqueurs occultes du moment du feu dans l’âtre, du moment où la flamme prend tout son sens, de l’étrange heure de la salamandre.
Armure
La terre est dans sa vieille armure
La lampe éclaire un jour violâtre
Tu viendras me voir dit l’aveugle
Au retour de l’église avant la nuit
Et c’est ainsi que Françoise Morvan achève en toute beauté et en toute magie son singulier offertoire d’une poésie ancrée dans un terroir et dans une mémoire pour mieux s’affranchir de ce qui aurait pu l’y tirer vers le cliché, et prendre son essor vers un universel quasiment chamanique dans sa ruse et dans sa résonance.