Ethnorégionalisme et ultralibéralisme

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« Ethnorégionalisme et ultralibéralisme : la Bretagne pour laboratoire », tel était le sujet de la conférence qui m’était demandée le 29 mai.

Elle a été suivie d’un débat avec la salle, puis, le lendemain, d’un débat avec d’autres invités, dont Éric Fraj, professeur et chanteur de langue d’oc, au cours des « journées iconoclastes » organisées par la CNT à Toulouse. Le débat était très intéressant et il est  intéressant de noter que le débat impossible en Bretagne peut avoir lieu en des endroits où se rencontrent des situations à divers égards assez semblables.

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L’OCCITAN, LE BRETON ET LES EXPERTS

QUI SAVENT CE QU’IL FAUT DIRE

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Lisant le livre d’Éric Fraj, Quel occitan pour demain ? j’ai découvert quantité d’observations qui vaudraient aussi pour le breton.

 « Quel bénéfice de récupération sociale peut-on espérer du fait d’enseigner une langue artificielle en vase clos ? Et qu’est-ce qui est finalement visé : l’instauration d’un idiome propre à quelques happy few (fussent-ils quelques milliers), l’établissement arbitraire d’une novlangue de l’entre-soi occitaniste, ou la revivification d’une langue historique et populaire, mal en point, certes, mais encore réellement existante ? »

En Bretagne, la question ne se pose plus : sous la direction de Lena Louarn et de l’Office de la langue bretonne, le ministère de la novlangue impose sa loi. Et les militants de s’en féliciter. L’un d’eux me disait qu’on parlerait enfin un bon breton quand le dernier paysan bretonnant aurait disparu. Il faut lire Roparz Hemon pour comprendre de quoi il retourne.

 « Mes pérégrinations de chanteur et de professeur de langue d’oc m’ont mené en mains lieux d’enseignement de notre langue : j’ai souvent pu y constater que je ne comprenais rien, ou peu, aux questions de certains élèves tellement la prononciation était défaillante ; que l’enseignant ne reprenait pas les erreurs pour les rectifier ; que le professeur lui-même — pourtant titulaire d’un CAPES d’occitan — ne maîtrisait pas vraiment la langue, au point de faire des fautes d’accord grossières, basiques… »

En Bretagne, on forme en six mois des instituteurs pour enseigner le breton surunifié, prononcé avec l’accent français, à la mode de Roparz Hemon.

 « L’avènement de cet occitan “hors sol”, coupé du substrat populaire, correspond à la montée en puissance d’un imaginaire sociopolitique bien déterminé » — politisation du combat pour l’occitan, instrumentalisation de la langue qui en fait un repoussoir, fétichisme de la langue à ramener à sa pureté ancestrale supposée en éliminant les mots occitans d’origine française considérés « comme une tache à effacer ».

Exactement ce qui s’est passé quand Denez a voulu me faire récrire les carnets de Luzel en breton surunifié et les a publiés en les nettoyant des mots français… exactement la même visée politique qui entend éliminer le provençal au profit de l’occitan surunifié… visée politique portée par la Charte des langues régionales et minoritaires…

 Or, ô surprise, ce livre est préfacé par le professeur Cavaillé qui m’avait attaquée avec une telle violence lorsque j’avais publié sur Médiapart un article contre la Charte des langues régionales qu’il m’avait contrainte à exercer mon droit de réponse. Et voilà ce qui chagrine le professeur Cavaillé : « La chose la plus insupportable est d’entendre des gens qui, plutôt que d’essayer de comprendre les positions des uns et des autres et de convaincre avec des arguments probants, traitent les autres d’ignorants, leur enjoignent de se taire et de laisser faire les spécialistes, les experts qui, eux, savent ce qu’il faut faire et ce qu’il faut dire ». Que ne met-il ses préceptes en application ! Ignorant tout des origines de la Charte, ce professeur, contraint pourtant de reconnaître les faits que j’exposais, les effaçait sous un exposé pontifiant…

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LA CHARTE, MAIS OUI, ENCORE ELLE !

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Ce débat est soudain redevenu d’une brûlante actualité puisque, dans le même temps, le président de la République adressait à Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission des Lois, un courrier annonçant qu’il avait l’intention de convoquer le Congrès pour faire réviser la Constitution en vue de ratifier la Charte des langues régionales.

 En mars 2013, il avait annoncé qu’il n’était plus question de ratifier la Charte.

Jean-Jacques Urvoas, tout acquis à la cause de l’ethnisme et partisan d’une autonomie de la Bretagne (« réunification », aéroport international à Notre-Dame-des-Landes et élection d’une Assemblée de Bretagne), avait alors décidé d’obtenir coûte que coûte la ratification… Mais, assurait-il, pas question qu’il y ait deux révisions de la Constitution pendant le quinquennat (Ouest-France, 30 mars 2013).

Exit le problème de la Charte, avec ses faux débats, ses déferlements de propagande victimaire, ses relents ethnistes…

Or, voilà qu’en juin 2013, le lobby patronal breton fédéré par l’Institut de Locarn décide de ne pas payer l’écotaxe : destructions de portiques écotaxe, manifestations organisées par le lobby autonomiste en jonction avec le lobby patronal et transformées en manifestations identitaires avec bonnets rouges en acrylique et drapeaux noirs et blancs… Conclusion de cette pseudo-révolte des Bonnets rouges : le Premier ministre accourt et promet un Pacte d’avenir pour la Bretagne, étrange prime à l’incivisme clôturant des actions qui, au total, auront coûté un milliard d’euros à l’État.

Le Conseil culturel de Bretagne fait ajouter un volet « culturel » au Pacte d’avenir et demande, en plus de la délégation de la Culture à la Bretagne (vieille revendication des autonomistes)… la ratification de la Charte.

 C’est donc pour obéir au diktat du patronat ultralibéral le moins soucieux de démocratie que la ratification a été remise à l’ordre du jour : en  2014, alors que le pays s’enfonce dans le chômage, les députés s’affrontent jour après jour sur le problème d’un texte qui n’est pas compatible avec la Constitution… Le 28 janvier 2014, conclusion d’un non-problème qui aura encore contribué à cliver le pays, est adopté un projet d’article 53-3 à ajouter à la Constitution…

 Cet article ne fait que déchaîner la vindicte des artisans de la Charte puisqu’il vise à contourner son dispositif : elle entend imposer les langues régionales et minoritaires (le linguiste mandaté par Lionel Jospin en a identifié 75 en France !) au même titre que le français dans la sphère publique  — et ce en tant que langues parlées par des groupes ethniques opprimés. Voilà bien ce que demandent les militants bretons et autres.

 Ce 1er juin, le président de la République décide de rassembler le Congrès pour modifier la Constitution et faire ratifier la Charte… Coût à prévoir : un million d’euros.

Même si la propagande pour la Charte bat son plein, comme d’habitude, une curieuse indignation, toute nouvelle, selon moi (qui ai dû travailler sur le problème de la Charte depuis une dizaine d’années) se fait jour. Au moment où les classes dites bilangues sont supprimées, où l’enseignement du latin et du grec est réduit à néant et où l’enseignement des langues vivantes autres que l’anglais est sinistré, le problème n’est plus perçu de la même manière.

 Le Figaro, pourtant tout acquis au régionalisme et au lobby breton, organise un sondage et doit bien vite y mettre un terme. Question posée : « Êtes-vous favorable à l’enseignement des langues régionales à l’école ? » Naguère encore, les lecteurs se seraient prononcés à une immense majorité en faveur de l’enseignement des langues régionales… Là,  sur 32 530 participants, 62 % sont contre, 38% pour — et ce genre de sondage mobilise pourtant des groupes militants organisés en réseaux appelant leurs membres à voter en masse…

L’enseignement des langues régionales — comment, pour qui et pourquoi ? — n’a pas grand-chose à voir avec la Charte, qui vise à l’instauration d’une Europe des ethnies, mais, par suite de l’incurie des élus et de la soumission des médias, les langues dites minorisées deviennent le vecteur de l’idéologie qui a présidé à la rédaction de la Charte, parmi tout un arsenal de textes rédigés dans le même esprit.

 C’est bien pourquoi le débat est faussé et rendu impossible en Bretagne.

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