De l’autre côté de la frontière…

Alors qu’en Bretagne la propagande autonomiste bat son plein, voilà que se fait jour une protestation contre la « réunification »  et qu’au même moment, relayant les mêmes observations, le politologue Benjamin Morel évoque le rôle assigné à la Bretagne dans l’éclatement de la France en ethnorégions (La France en miettes, éditions du Cerf). 

Dans un cas comme dans l’autre, les arguments sont clairs, étayés sur des faits qui, d’ailleurs, reprennent en les prolongeant ceux que j’ai développés de longue date. 

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Pour ce qui concerne les arguments développés par l’Association pour la valorisation et le soutien des Pays de la Loire (AVSPL), il faut être aveugle pour ne pas voir que l’annexion de la Loire Atlantique telle qu’elle a été promue par le lobby patronal breton regroupé dans le Club des Trente et l’Institut de Locarn est un préalable à l’autonomie, en attendant l’indépendance, de la Bretagne. C’est ce que le président de l’Institut de Locarn, un nommé Joseph Le Bihan, exposait dès 1993, et le programme a été repris par Le Drian, la collusion entre les nationalistes et le patronat ultralibéral étant, depuis 2004, ouvertement assurée sous label néosocialiste. 

Ayant cessé de se proclamer socialiste, tout en restant acquis au « particularisme breton » (comme l’a déclaré le président de la République en le faisant voilà peu officier de la légion d’honneur au milieu de la « fine fleur des industriels bretons ») Le Drian a laissé à sa place Chesnais-Girard, qui a tenu à garder le label socialiste pour mieux appliquer le programme de Locarn (dont l’un des piliers, le PDG de l’entreprise Hénaff et président de l’association Produit en Bretagne, créée par l’Institut de Locarn, a d’ailleurs été élu sur sa liste au conseil régional). Sous sa présidence, le conseil régional vient de demander l’autonomie de la Bretagne. Une improbable délégation vient d’ailleurs de se rendre au Sénat pour la négocier (sans que les Bretons aient jamais été consultés).

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La « réunification » étant le préalable nécessaire à l’autonomie, la propagande bat son plein (la presse régionale est membre de Produit en Bretagne). Il n’y a là rien de nouveau : c’est ce que j’exposais dans Le Monde comme si voilà vingt ans. Pourquoi donc y revenir ? Dès lors que la collusion des élus, des puissances d’argent et des médias est acquise, à quoi bon protester ? Et protester pour se heurter à une censure plus lourde que jamais ? Vous n’êtes pas pour l’autonomie de la Bretagne ? Mais c’est que vous êtes antibreton, jacobin, vétuste, réactionnaire ! Vous exposez ce que le programme de Locarn prévoyait voilà trente ans ? Mais c’est que vous êtes conspirationniste ! Vous protestez contre la réhabilitation de nationalistes bretons, auteurs nuls, artistes ringards, nazis jamais repentis ? Mais c’est que vous êtes élitiste, parisien, étranger au monde heureux de la culture bretonne forte de ses racines celtiques. 

Tout un petit personnel se presse pour chasser en meute : prébendes, colloques, articles, spectacles, expositions, communications, congratulations… Les nationalistes fulminants sont à présent relayés par ce qu’un livre plus chafouin que les autres désigne comme « authenticité » et « nationalisme soft », le CRBC servant de ralliement à cette mouvance mieux apte à servir la dérive ethniste appuyée par le conseil régional. 

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Toute opposition est muselée, cela va de soi. Qu’une association se crée pour protester contre la « réunification » est donc inattendu, improbable, et de nature à susciter, comme Le Monde comme si, un tir de barrage organisé. Ceux qui ont eu le courage de protester ne pouvaient manquer de savoir à quoi s’attendre, le florilège des invectives que j’ai dressé ici en est témoin. 

Cependant, il y a maintenant une différence : l’onction, je ne vois pas d’autre mot pour désigner ce ton jésuitique, tout à la fois plein de morgue et huilé d’amabilité, employé pour dispenser la bonne parole au paroissien qui pense mal. Ce ton paternaliste de qui sait être du bon côté du dogme et avoir le soutien de l’Église, ce n’est pas seulement celui du journaliste mais celui du président du conseil régional, et là est bien l’essentiel, au-delà même des arguments développés. 

« Entre Bretagne et Pays de la Loire, une bataille identitaire à bas bruit », titre le journaliste du Télégramme, Philippe Créhange, auteur d’un essai à la gloire du Club des Trente écrit en collaboration avec l’auteur d’un essai à la gloire de Le Drian… 

« À bas bruit » – quand le vacarme de la propagande identitaire mobilisée pour soutenir la « réunification » ne cesse de croître depuis des années (un vacarme auquel il participe, d’ailleurs : ne renvoie-t-il pas lui-même à l’un de ses articles célébrant le triomphe des « racines » de Nantes – des racines bretonnes, ça va de soi)… et une « bataille identitaire » –  comme s’il fallait coûte que coûte rabattre toute protestation sur une revendication identitaire, quand bien même le but de la toute jeune association serait précisément d’y échapper…

Et de terminer en donnant la parole au président du conseil régional de Bretagne, ce pauvre Chesnais-Girard « contraint » de répondre à ce que ce journaliste désigne comme « un livre polémique» paru « de l’autre côté de la frontière » (la frontière qui sépare la Bretagne de la France, et à laquelle ce même Créhange vient de consacrer un autre essai), à savoir le livre de Benjamin Morel. 

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Le président du conseil régional a cru devoir (n’est-ce pas étrange ?) se fendre d’un communiqué alors même que le livre n’était pas encore dans les librairies de Bretagne (du moins ne l’ai-je pas trouvé à Rennes) et ce communiqué, quoique publié sur twitter, se caractérise précisément par le ton plein d’onction du père confesseur attristé de voir qu’un professeur des universités a pu se laisser aller à tenir des propos si peu convenables et, au total, si « poussiéreux ». 

Le propre de l’ethnorégionalisme (c’est ce que montre d’ailleurs Benjamin Morel) est de se présenter les revendications les plus éculées sous le jour coruscant de la modernité : le président se déclare fier d’avoir présenté une version dépoussiérée du « Bro Gozh Ma Zadoù », hymne très joli et pas du tout antisémite ; dans la bonté de son cœur, il se dit prêt à ouvrir sa porte à ce professeur momentanément, espérons-le, égaré : l’ayant entendu en confession, il ne manquera pas de le convertir aux vertus du régionalisme car le propre du régionalisme est aussi de vouloir le bien de l’humanité par la vertu des petites patries (autre topos exposé par Benjamin Morel).  

Suit une charge contre la vétusté de la France (il faut la dépoussiérer, elle aussi) et une allusion, non pas au glorieux mouvement des Bonnets rouges organisé par le lobby patronal breton, mais à celui des Gilets jaunes. Le pieux cynisme ne connaissant pas de limites, les Gilets jaunes peuvent servir à faire passer le projet de dérèglementation sous habillage identitaire porté par la secte autonomiste (qui se pare du nom de régionaliste pour ne pas effrayer le Breton). 

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Naguère encore tout cela m’indignait – or, l’indignation est, malgré tout, la manifestation d’un espoir d’être entendu. Mais ce qu’exposait Le Monde comme si se réalise, et de manière plus bête, plus lâche, plus bigote qu’il n’était possible de l’imaginer. Il m’arrive depuis peu d’avoir honte de me trouver associée à ce répugnant remugle qu’on appelle désormais breton – l’exposition Celtique ? n’a pas été pour rien dans ce sentiment de honte face à la bêtise officialisée… 

En l’occurrence, de simples citoyens ont le courage de protester contre une manipulation ; un politologue essaie d’informer sur une dérive dont l’issue est prévisible : cela mériterait un débat. Mais c’est qu’il s’agit d’interdire tout débat – et le président du conseil régional, payant de sa personne, se précipite pour excommunier, avec toute l’onction possible, le pécheur, et proclamer les dogmes de la vraie foi qui n’est qu’amour.  

En Bretagne, personne ne proteste. 

Et puis, de toute façon, à quoi bon protester ? La messe est dite. 

Mais, « de l’autre côté de la frontière », il se trouve des personnes qui ont encore le courage de lutter contre cette soumission et cet abaissement. 

Puissent-elles se faire entendre…

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