À Belle-Île la bien nommée

 

 

 

 

Merveilleuses rencontres à Belle-Ile où les nationalistes bretons semblent miraculeusement absents, ou non moins miraculeusement disposés à laisser s’exprimer ceux qui ne pensent pas comme eux, à moins qu’ils n’aient pas été avertis à temps de ma présence sur le sol de l’île et de la fatwa à faire respecter : quoi qu’il en soit, j’ai pu parler en paix du Monde comme si, ce qui était une grande première depuis la parution du livre, en 2002.

Non seulement Bénédicte et Catherine Liber ont réussi à rassembler des lecteurs bienveillants, intelligents, ouverts à tout (même aux démoralisants parcours de Rostrenen à Pétersbourg via l’Europe des ethnies) mais elles ont réussi à faire venir des enfants pour entendre parler de poésie, et ce par un temps idylique, à l’heure de la baignade dans une mer délicieusement bleue…

 

 

 

 

Et ce n’est pas tout ! Elles avaient en réserve une surprise : une rencontre non moins merveilleuse avec une dame de 105 ans, rayonnante d’énergie, de bienveillance et de lucidité, qui a échappé aux purges staliniennes de la pire époque et a rédigé avec sa petite-fille un livre que j’avais lu avec passion et qui vient d’être réédité.

 

 

C’est Anne-Marie Lotte, sa petite-fille est Lucile Gubler et le livre s’intitule Parlez-moi d’amour.

 

 

Son démoralisant parcours de Belle-Ile à Moscou et retour via l’Europe des soviets fait si curieusement écho à L’Appartement et au Monde comme si que nous avons eu l’impression que nos chemins s’étaient déjà croisés.

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Rencontres à Belle-Ile-en-mer

 

 

Belle-Île-en-mer a la chance d’avoir une extraordinaire librairie, la librairie Liber, du nom (prédestiné) de ses fondateurs. Et demain, je présente pour la première fois en Bretagne la collection de poésie Coquelicot et mon travail de traduction de poésie pour les enfants, avant de rencontrer, événement à peine moins rarissime sur le sol breton, les lecteurs (au moins potentiels) du Monde comme si. André Markowicz présente son dernier livre, L’Appartement, et nous lisons Guerre et paix avec d’autres lecteurs.

 

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La régression ethniste bat son plein en Bretagne (3)

J’attendais avec curiosité de savoir comment se déroulerait le dernier épisode des aventures posthumes de l’abbé Perrot. Les militants nationalistes d’extrême droite qui avaient bénéficié d’une promotion inespérée à l’occasion de la parution d’une biographie du redoutable abbé dont la tombe avait été vandalisée entendaient organiser une manifestation vengeresse.

PAS D’INTERDICTION POUR LES « PATRIOTES BRETONS »

Le mot d’ordre en était d’une simplicité que l’on n’oserait dire évangélique tant les valeurs de ces catholiques qu’inspire surtout la haine conjointe du Français et du musulman sont éloignées de celles que prône l’Évangile : « Communistes assassins».

Ce mot d’ordre était d’ailleurs en totale contradiction avec l’événement qui avait provoqué cette manifestation puisque la destruction de la croix celtique, remarquablement hideuse, qui ornait la tombe de l’abbé avait été attribuée par ces militants eux-mêmes à Gaël Roblin et son équipe (à savoir les indépendantistes de Breizhistance), lesquels s’étaient bien gardés de démentir. Mais nous n’en sommes pas à de pareils détails près.

Le Parti communiste, appuyé par plus d’une douzaine d’associations ou partis politiques dont le PS, la France insoumise, le NPA, la CGT, la FSU, la FIDL et la LDH, a demandé l’interdiction de cette manifestation. Le préfet n’en a toutefois tenu aucun compte, et la population de Scrignac a pu, une fois de plus, assister à une démonstration de patriotisme breton bien digne de l’abbé Perrot.

Les années précédentes, on avait pu entendre les organisateurs de ces rassemblements dénoncer l’odieuse « République française franc-maçonne » supposée promouvoir cette effroyable « abomination» qu’est «l’invasion de la religion musulmane ». Pas de problème. La République est bonne fille.

TRIOMPHE DU GWENN HA DU

Ce qui rend cet événement intéressant, c’est d’abord l’absence totale de partis dits bretons, autonomistes ou indépendantistes, dans la liste des opposants à cette manifestation. Il est entendu que Perrot est un martyr de la cause.

C’est ensuite le silence de la presse régionale : un entrefilet dans Le Télégramme annonçant la présence d’une « soixantaine de nationalistes à Scrignac», voilà tout. Pas un mot dans Ouest-France, pas ombre de journaliste sur place, alors même que la « profanation» de la tombe de l’abbé Perrot avait suscité des flots de commentaires, visant unanimement à dissimuler les engagements idéologiques de cet abbé nationaliste et à laisser dans le flou ses activités collaborationnistes.

Enfin et surtout, cet événement montre à quel point de confusion en sont arrivés des militants de gauche qui, naguère encore, avaient une analyse claire du nationalisme breton et des raisons pour lesquelles le mouvement breton s’était massivement engagé dans la collaboration. Désormais, L’Humanité nous l’assure, l’abbé Perrot n’a pas été exécuté par la Résistance « parce qu’il était nationaliste breton» mais parce qu’il s’était « vautré dans la collaboration avec les nazis». L’essentiel est de sauver le nationalisme breton, forcément très bon puisque tout est bon dans le breton. Exit le nationalisme, et avec lui toute possibilité d’analyse de la situation actuelle.

Les rédacteurs du texte demandant l’interdiction de la manifestation ont placé ce texte sous un drapeau breton, le « gwenn ha du», le drapeau des nationalistes précisément, avec hermines et bandes noires et blanches symbolisant les évêchés — symboles ultraréactionnaires ici repris au nom du communisme supposé lutter contre le fascisme dans le cadre de la bannière nationale. Une étoile rouge sur une hermine, un poing sortant d’un évêché : il ne manque que le goupillon pour fracasser la croix gammée, la symbolique sera parfaite, et le noir et blanc symbolisera le combat contre le fascisme après l’avoir bien servi.

USAGE DU CHIFFON ROUGE

Secrétaire du PCF du Finistère, Ismaël Dupont se consacre depuis quelques années, sur le site du chiffon rouge de Morlaix, à une histoire du nationalisme breton visant à acclimater la version des nationalistes en lui donnant apparence de synthèse autorisée.

Exploitant les publications de Jean-Jacques Monnier, Kristian Hamon, Georges Cadiou et autres militants autonomistes, il fait de ces recherches orientées une exploitation de seconde main, criblée d’erreurs mais apparemment destinée à servir de vademecum aux militants communistes soucieux de s’instruire à peu de frais.  Plutôt que d’un vademecum, à dire vrai, cette histoire du mouvement breton s’apparente à ces textes que rédigent les élèves de seconde appelés à faire un exposé à partir de leurs lectures et de Wikipedia — et c’est cet exposé qui sert de postface à une stupéfiante évocation de la Fin du chemin de quelques nazillons bretons victimes de leur amour pour la Bretagne.

Je dis bien « stupéfiante», quoique, après avoir lu de longue date les productions nationalistes, je sois blindée contre toute surprise. En l’occurrence, et d’après ce qui en est exposé dans le livre, un jour, un professeur de français au lycée de Lannion, Maryse Le Roux, préparant une étude sur la région de Guidel, rencontre « un vieux Breton bretonnant pur jus» (p. 17). Oh, comme c’est pittoresque ! Il est tout vieux, tout petit, c’est un « lutin», un « vieil enfant rebelle qui veut vivre chaque instant dans la ferveur et dans l’action» (p. 17). Et sa maison est pleine de meubles bretons « authentiques» surplombés par le portrait d’un prêtre, l’abbé Perrot. Oh, comme c’est romanesque !

Face à Henri, dit Herri, Caouissin (car il s’agit de lui), jadis membre du Kommando de Landerneau créé pour infiltrer les maquis, arrêter et torturer les résistants, Maryse Le Roux éprouve une merveilleuse excitation et se sent « comme un enfant à qui on lit un livre d’aventures, qui ne trouve pas que le pirate a raison d’égorger tout ce qui bouge, mais qui trouve le pirate bien vivant quand même » (p. 19).

Toute frissonnante, elle décide de s’«offrir ce luxe absolu» : rencontrer des nationalistes bretons collaborateurs des nazis, et ce à titre de délicieuse transgression régressive, pour contredire le « diagnostic pythique» du médecin de famille qui trouvait jadis qu’elle avait trop d’imagination. Il nous faut comprendre, elle nous l’avoue, qu’elle est atteinte d’une « niaiserie romanesque résiduelle» qui lui fait savourer Les Règles du savoir-vivre dans la société moderne de la baronne Staffe. En effet, « la lecture de la baronne plonge dans un état délicieux d’exotisme rigolard et gloussant » (p. 11) digne d’inspirer l’envie de se placer sous son patronage et « comme la baronne, raconter les usages du monde» des nationalistes bretons. Elle entreprend donc de brosser de ces créatures exotiques que sont les militants bretons condamnés à la Libération un portrait destiné à être lu en gloussant — projet étrange, surtout de la part d’un professeur rémunéré par l’Éducation nationale, mais qui, en réalité, ne fait pas glousser car elle les présente sous un jour tout à fait aimable et digne d’inspirer de la sympathie pour leur martyre et pour leur cause — résultat non moins étrange, et plus révulsant encore.

Nous avons donc toute une galerie de portraits, qui nous sont présentés avec la caution du PCF via Ismaël Dupont, supposé apporter in fine la version objective de l’itinéraire de ces charmants vieillards.

Après le fringant Herry Caouissin, elle a rencontré Jean, dit Yann, L’Haridon ; Jean Adolphe, dit Yann, Fouéré ; Jean-Marie, dit Yann, Bouëssel du Bourg ; Charles Le Gaonac’h, et deux vieilles dames tout aussi pittoresques, Denise Guieysse et Françoise Rozec, dite Meavenn.

Yann L’Haridon, « plein d’une curiosité intellectuelle éclectique et vivante» a, plus que tous, su toucher son cœur : elle l’admire, elle voit en lui un frère (p. 69) et d’ailleurs ce qui a guide son action, c’est « le code de l’honneur hérité des anciennes religions celtiques» (p. 70). Silence total sur les actions de ce pauvre L’Haridon menées avec l’appui de Vissault, agent de la Gestapo : c’était une victime, il a beaucoup souffert.

Yann Fouéré est, lui, « un artiste du consensus», dont la pensée politique se résume admirablement : « fédéralisme, pragmatisme, organisation du concret», bref, « une grande figure» (p. 53). Nulle allusion au double jeu qui a fait de lui l’un des plus efficaces agents de la Gestapo en Bretagne, avant d’organiser la filière des faux passeports qui a permis aux tortionnaires du Bezen Perrot de se réfugier en Irlande.  Ismaël Dupont rappelle bien quelques faits dans la notice qu’il lui consacre mais quoi, il avait la carrure d’un « homme d’État», pourquoi pinailler. Aucun ne rappelle que la Fondation Fouéré à Guingamp continue son combat, et que c’est ce combat combat ethniste qui l’a amené à collaborer : tout se perd dans une admiration bizarrement et inexplicablement tempérée par l’accumulation de faits épars et donnés hors contexte.

Et voici le galant Yann Bouëssel du Bourg, si touchant dans son admiration pour Célestin Lainé le « héros celte» le « glaive de lumière» (p. 83). Maryse Le Roux ne veut pas savoir qu’il était membre du Service spécial de Célestin Lainé ; elle a pourtant lu ses mémoires et elle a appris qu’après-guerre il était responsable des scouts Bleimor rattachés aux scouts d’Europe et « selon certaines sources, membre de l’Opus Dei». Là, elle éprouve comme un doute : non, non, « l’homme avec qui j’ai parlé ne s’identifie pas avec ces appartenances qui me glacent», s’écrie-t-elle. Le nom de l’Opus Dei la glace ; les souvenirs de Bouëssel du Bourg évoquant « la vie du Bezen : manœuvres, gardes, exercices de tir, montage et démontage des armes, leçons de breton et d’allemand» ne la glacent pas du tout. Et le fait que Bouëssel se trouve avec Herry Caouissin à l’Institut culturel de Bretagne où ils prolongent glorieusement leurs actions pour la Bretagne, puisque Herry Caouissin est alors récompensé en sa présence par le Collier de l’Hermine, ne la glace pas du tout non plus.

Même chose pour Denise Guieysse et Meavenn : elles ont un mérite fou d’avoir su s’imposer dans un monde d’hommes. Où l’on serait tenté de voir deux furies plus fanatiques que les plus fanatiques, enfuies dans les camions du Bezen Perrot et revenues avec leurs SS pour continuer de militer, Maryse le Roux ne voit que tendre amour. Des nazies ? Allons donc ! Denise et Alain (Luëc, l’un des tortionnaires du Bezen) vivent une belle histoire d’amour en Allemagne (p. 89) et Meavenn s’enfuit pour suivre son amant, Jean-Marie Chanteau, l’un des chefs du Bezen (p. 95). L’amour, toujours l’amour ! Et puis, l’une est la digne fille de son père, l’autre a écrit de si beaux poèmes. Pour les trouver beaux, en quelle langue a-t-elle pu les lire, mystère, mais enfin, ultime révélation, Meavenn fait des petites madeleines… En conclusion, Ismaël Dupont nous l’explique, Meavenn « est une très belle femme et une personne de caractère. Elle est, à l’époque, la fiancée de Célestin Lainé avec qui elle pense se marier » et, pour finir, elle inspire à Morvan Lebesque (autre national-socialiste de la première heure) « des pages de son grand succès, Comment peut-on être breton ?).

Ainsi Comment peut-on être breton ? maître-livre de l’ethnisme breton, se voit promu sans réserve. Et le parti communiste de Morlaix promeut dans la foulée ce portrait nunuche de nazillons non repentis au bout d’un si romantique chemin. Les références aux productions autonomistes et les remerciements à Mona Ozouf pour ses conseils le montrent assez : le chiffon rouge ne sert qu’à dissimuler le gwenn-ha-du.

ÉRECTION DE SAINT KEO

Il est loin, le temps où les militants communistes chassaient les porteurs de gwenn-ha-du qui essayaient de se glisser dans les manifestations…

Il est loin, le temps, où le maire de Scrignac et les conseillers municipaux protestaient contre une simple phrase de Budes de Guébriant en hommage à l’abbé Perrot au congrès du Bleun Brug : « Les familles des fusillés, les associations de Résistance de Scrignac protestent énergiquement contre le fait qu’un ancien conseiller national de Pétain défende un traître à la France et attaque la Résistance qui en toute justice punit ce traître de la peine de mort. Perrot qui sous l’Occupation recevait en son presbytère les miliciens autonomistes bretons était bien pro-allemand… ». En 1948, il était clair pour tous que c’était bien parce que Perrot était un militant nationaliste breton qu’il était pro-allemand.

À présent (je l’ai appris grâce à la profanation de la tombe), le grand événement scrignacois, pour la presse régionale, du moins, est le pardon de saint Keo inauguré par l’abbé Perrot, avec le culte de ce saint, en 1937.

La jolie chapelle de Coat-Quéau avait été vendue en 1925 aux Bolloré. Ils en avaient fait une chapelle pour leur usine de Scaër car leurs ouvriers avaient besoin de beaucoup prier –  et avaient emporté même le calvaire… Bolloré avait fait cadeau du terrain à L’abbé Perrot qui avait demandé à un militant nationaliste de ses amis, et futur agent de la Gestapo, l’architecte James Bouillé, de construire une chapelle au lieu-dit Coat-Quéau. Pour ceux qui douteraient de la collusion de Perrot et des Bolloré, ce fait mérite d’être rappelé. Perrot se plut à imaginer un saint pour parachever son œuvre de reconquête de la terre chrétienne par la celtitude. D’après Albert Deshayes, le toponyme « quéau» désigne des haies : « L’ancienne trêve de Coat-Quéau en Scrignac, Coetkaeaou en 1318, contient vraisemblablement le pluriel de kae, haie. » Coat-Quéau signifie donc le bois des haies. La reconquête par le Celte s’accommodait mal de tant de candide simplicité : surgit Keo avec K interceltique si viril, et donc désormais Koat Keo, le bois de Keo.

Non contents de faire leurs dévotions à ce saint tout droit sorti du cerveau de l’abbé Perrot, les Scrignacois ont décidé en 2014 de procéder à l’érection de Keo dans la Vallée des saints. Pour ceux qui ne le sauraient pas, la Vallée des saints est une hideuse réalisation touristico-identitaire s’inscrivant dans le projet de reconquête chrétienne d’une Europe des régions telle que voulues par Dieu (il s’agit du projet de l’Institut de Locarn, lobby patronal breton soutenu par Le Drian et le conseil régional : les gigantesques saints, exclusivement bretons, et pas français, qui doivent atteindre le nombre d’un millier et faire de la jadis magnifique vallée qu’ils colonisent une « île de Pâques bretonne », sont destinés à prouver aux touristes chinois descendus de leurs cars, l’authenticité d’une ethnie bretonne distincte de la France. Le label Produit en Bretagne créé par l’Institut de Locarn ouvre la vallée…).

Pour la somme de 12 000 €, ils ont ainsi aggravé la monstrueuse Vallée des saints d’une statue monumentale destinée à servir le culte du tourisme identitaire.

Nous avons ici, pour fermer la boucle, une illustration de la régression ethniste en cours.

Elle consiste, somme toute, à apprendre aux Bretons à prier saint Keo.

Et faire se rejoindre les chemins des communistes et des autonomistes dans un œcuménisme panceltique impliquant une même vision de l’histoire.

*

Ne soyons pas trop pessimistes, il y a tout de même des esprits critiques et voici un article roboratif d’André Le Roux (auteur d’une non moins roborative chronique en gallo dans le journal Bretagne-Ile-de-France où est parue cette note de lecture).

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La régression ethniste bat son plein en Bretagne (2)

 

 

UFCEE : carte des nations encore sans État 

 

 

Je ne comptais pas consacrer plus d’une page à l’abbé Perrot, mon intention étant de montrer comment extrême droite et extrême gauche nationalistes se rejoignent, et ce en partant de divers exemples pris dans l’actualité. Le cas Perrot n’était qu’un exemple parmi d’autres : je voulais, à dire vrai, surtout insister sur quelques événements récents.

Le premier d’entre eux était la pétition lancée par l’UFCEE (Union fédéraliste des communautés ethniques européennes) (encore dite FUEV ou FUEN, selon la langue adoptée) un lobby ethniste actif au Conseil de l’Europe et qui a pour but de faire advenir une Europe des ethnies contre les États-nations ; les langues régionales servent ainsi de cheval de Troie ; l’UFCEE est à l’origine de la Charte des langues minoritaires qui a provoqué des années d’affrontement en France (la charte des langues minoritaires n’étant que l’une des chartes concoctées par l’UFCEE).

Voici la coupure de journal qui m’a été adressée par un lecteur :

 

 

 

Que ces réseaux d’extrême droite poursuivent leur combat, quoi d’étonnant ?

« Nous sommes particulièrement tenaces. Partout où il est question des droits des minorités ethniques [Volksgruppen] et peut-être même où se prennent les décisions, nous nous incrustons, on ne peut plus alors se débarrasser de nous et nous essayons de peser sur les choix1. » 

L’auteur de ces propos n’est autre que Christoph PAN, ancien professeur de droit à l’université d’lnnsbruck (Autriche) et précédent président de la F.U.E.V. (Föderalistische Union Europäischer Volksgruppen : Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes / U.F.C.E.)2 » 

 

Tel est le début de l’essai de Lionel Boissou sur l’UFCEE et la Charte des langues régionales, essai remarquable et qui a utilement servi à éclairer ceux qui ont voulu l’être.

Les faits ayant été établis de longue date, ce nouvel épisode du combat tenace des militants ethnistes pourrait sembler dénué d’intérêt, mais, bien au contraire, cette nouvelle mobilisation agit comme révélateur :

— D’une part, elle montre que les nationalistes d’extrême gauche se révèlent les plus actifs pour soutenir cette pétition, comme naguère la Charte des langues régionales. La langue fétichisée, surtout par ceux qui ne la parlent pas, fait office de totem de la tribu à constituer comme telle.

— D’autre part, elle montre comment la presse régionale assure la promotion de cette pétition sans la moindre analyse de son origine, de son but réel et de ses enjeux. À lire l’article d’Ouest-France consacré au sujet, sont désignés à la vindicte ceux des élus qui, on ne sait pourquoi, ne la signent pas.

Et finalement, scandale absolu, Ouest-France annonce triomphalement que le président de la Région Bretagne a signé.

C’est ce qu’on appelle une « initiative citoyenne»…

 

*

 

En Bretagne, les socialistes, s’alliant avec les autonomistes, ont été les premiers à faire allégeance au lobby ethniste et instrumentaliser ainsi les langues régionales. Il est vrai que parler de socialisme est ici déplacé puisque le président du conseil régional élu comme socialiste est maintenant dans l’opposition au parti socialiste et participe à un gouvernement de droite. Mais, bien qu’ayant opportunément quitté le navire qu’il avait contribué à couler, il a laissé à sa place en Bretagne un cryptosocialiste chargé d’incarner sa fidélité à un parti qui, à l’en croire, avait toujours été le sien même si les Bretons ne s’en étaient pas vraiment doutés, à savoir la Bretagne. « Mon parti désormais, c’est la Bretagne comme cela l’a toujours été», déclare-t-il.

 

 

 

« Désormais comme toujours », cela pourrait être le mot d’ordre de ceux qui pratiquent l’art de virer de bord. Quoi qu’il en soit,  les Bretons qui ont cru voter socialiste ont en fait, voté breton ; ils ont cru élire Le Drian et ils ont élu Chesnais-Girard qui incarne une valeur bretonne on ne peut plus aisée à rentabiliser car, la Bretagne, c’est l’ouverture : elle peut aller du parti socialiste à l’extrême opposé du parti socialiste, du grand n’importe quoi au presque tout, sous la forme extrême du rien qui permet de faire dire aux Bretons ce qu’on veut. Et de les inscrire dans la grande croisade ethniste destinée à les libérer.

Pour s’en assurer, il faut voir le film tourné au conseil régional lorsque Loïg Chesnais-Girard a succédé à Jean-Yves Le Drian.

Le « Bro goz», hymne national breton inventé par un druide raciste, comme le drapeau national breton, est un appel à l’indépendance.

« O ! Bretagne ! mon pays ! J’aime mon pays ! — Tant que la mer sera comme un mur autour de lui, — Que mon pays soit indépendant ! » 

Et il ne s’est pas trouvé un élu pour protester.

Bécassine est un personnage sans bouche, et qui, finalement, incarne bien le rôle assigné aux Bretons : l’être. Et se taire.

 

*

 

Si vous cliquez sur l’icône de la nation bretonne sur la carte de l’UFCEE, vous découvrez que la Bretagne est une nation catholique représentée par Kelc’h an Dael qui l’a déjà dotée d’un parlement élu à Lanrodec en 2016.

Il est intéressant de découvrir les actions menées au nom du peuple breton sans qu’il s’en doute : protestations contre la persécution de la langue bretonne par l’État français, élections, pétitions…

Le président du conseil régional n’a sans doute pas manqué de s’en aviser avant de signer la pétition de l’UFCEE. Ce qu’il cautionne va bien au-delà des langues régionales.

 

 

PETITE NOTE

 

Des lecteurs, effarés de voir les autonomistes entonner le « Bro goz » au conseil régional pour saluer le départ de Jean-Yves Le Drian remplacé par Loïg Chesnais-Girard, m’ont demandé qui étaient ces militants.

Nous avons, de gauche à droite,

— Herri Gourmelen, militant nationaliste de la première heure, longtemps président du groupe UDB au conseil régional (en 2017, il signait avec un autre nationaliste, jadis porte-parole de l’UDB, un communiquévisant à soutenir les « prisonniers politiques» de la Catalogne opprimée par l’Espagne en se désignant comme «ancien membre du conseil régional» où il revient apparemment pour chanter et faire chanter les élus).

— Jean-Michel Le Boulanger, désormais premier vice-président en charge de la Culture « et de la démocratie » (formule déjà employée par Morvan Lebesque pour faire passer l’autonomisme sous les couleurs de la diversité), élu PS mais associé aux autonomisteset ne manquant aucune occasion de promouvoir leur propagande.

— Mona Braz, ex-porte-parole de l’UDB (et ex-épouse d’un militant nationaliste d’extrême droite).

— Paul Molac, autonomiste proche de l’UDB, promu par le PS avec le soutien de Le Drian (qui a pu se vanter d’avoir fait entrer le premier autonomiste breton à l’Assemblée) mais depuis devenu macroniste. Ses prises de position ont fait l’objet d’une analyseprécise bien documentée.

— Lena Louarn, fille d’un militant nationaliste condamné à l’indignité nationale à la Libération, élevée comme ses nombreux frères et sœurs dans le culte de la nation bretonne, elle est vice-présidente en charge des langues de Bretagne. Elle a longtemps dirigé le journal Bremañ où travaillaient des terroristes de l’ARB (Armée révolutionnaire bretonne) et se lisaient des articles à la gloire de militants nationalistes collaborateurs des nazis. On la voit ici en robe aux couleurs du drapeau breton dit « gwenn-ha-du ».

 

J’ai commencé par une carte : je termine par une carte, celle de l’Europe vue par Eurominority et qui correspond à la vision défendue par Paul Molac et les udébistes du conseil régional en relation avec les autonomistes et indépendantistes alsaciens, savoyards, corses, basques et occitans. L’Europe des ethnies est l’Europe donnée pour à venir et à faire advenir.

 

 

 

 

 

 

 

 

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La régression ethniste bat son plein en Bretagne

Chaque année, le lundi de Pâques, la commune de Scrignac est investie par des militants nationalistes bretons d’extrême droite, relevant notamment de la mouvance catholique intégriste. Comme on peut le voir sur le site Feiz ha Breizh, la coutume est d’y brandir des drapeaux celtiques (car la Bretagne celte est, à les entendre, en lutte depuis l’origine des temps contre la France, son ennemie héréditaire) ; on y célèbre le culte de l’abbé Perrot, exécuté le 12 décembre 1943 par la Résistance, et l’on rappelle le parcours de ses fidèles associés, les frères Caouissin, membres du Kommando de Landerneau créé par les nazis pour traquer les maquisards ; on y fait l’éloge du journal Ololê créé par les Caouissin avec le soutien des services de propagande allemands, et l’on y écoute un conférencier, par exemple Thibault Guillemot dit Tepod Gwilhmod (condamné en 2009 pour incitation à la haine raciale) y faire l’apologie de Feiz ha Breiz (Foi et Bretagne), association jadis présidée par l’abbé Perrot ; ensuite, on se recueille, avec drapeau, devant la croix signalant le lieu où l’abbé a été abattu, et l’on place bouquets, plaque avec croix celtique, drapeaux et autres symboles du même genre, dans la chapelle de Coat Quéau (rebaptisée Koat Keo ou Koat Kev, en orthographe surunifiée symbolisant la nation bretonne) que l’abbé Perrot avait fait bâtir à grands frais par l’architecte James Bouillé, militant nationaliste de Breiz Atao, et agent de la Gestapo en Bretagne.

Les habitants s’y sont faits — même si, pour une commune qui fut longtemps communiste, ces manifestations s’apparentaient clairement à des provocations suscitant indignation et colère. Il faut se souvenir qu’au cours des années 60, la reconquête des nationalistes, totalement discrédités au lendemain de la Libération, s’est effectuée grâce à l’activation des réseaux catholiques, des réseaux interceltiques et des groupes folkloriques mis en synergie : c’est donc naturellement à Coat Quéau (i.e. Koat Keo) que les scouts Bleimor, avec à leur tête Alan Stivell (qui s’appelait alors Alain Cochevelou) se rendaient pour rendre hommage au martyr mort pour la nation bretonne (telle qu’il voulait la faire advenir, fût-ce avec l’appui de l’Allemagne nazie, contre l’avis de ses compatriotes).

On a oublié l’âpreté des luttes qui opposaient ces militants et ceux qui se souvenaient de leur rôle sous l’Occupation ; il semble même que l’on ait oublié l’attentat du FLB (Front de Libération de la Bretagne) contre le monument aux morts de Scrignac, monument datant de 1921, entièrement pulvérisé en 1982 par une bombe : il s’agissait d’effacer le nom des Bretons morts pour la France. Michel Chauvin, le militant nationaliste auteur de l’attentat, a depuis continué de militer en toute impunité et a été décoré du collier de l’hermine par l’Institut culturel de Bretagne (dont le rôle trouve là une nouvelle illustration)…

De la haine des paroissiens contre l’abbé les conversations gardaient trace pour peu que l’on ose affronter ces souvenirs brûlants. Je me souviens même de l’intervention d’un habitant de Scrignac au colloque de Brest destiné à imposer la version des autonomistes comme version officielle de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en Bretagne : s’élevant contre la réhabilitation de l’abbé Perrot, non sans courage, surtout en un tel contexte, il avait simplement raconté l’inoubliable humiliation infligée par l’abbé à de jeunes paroissiens qui, le jour de leur mariage, alors que toute la famille était venue, et parfois de très loin, l’avaient vu arriver à l’église et refuser de marier ces mauvais chrétiens qui n’avaient pas fait leurs Pâques comme il fallait… Brutalité, sectarisme, nationalisme fanatique, lien avec les pires extrémistes, non, Perrot n’était pas le bon prêtre mort pour avoir tenté d’évangéliser une paroisse rouge, le saint homme victime de son amour de la langue bretonne : en 1940, un mois après l’adoption de la loi « portant statut des Juifs », il appelait à les jeter hors de Bretagne. Et, en 1943, alors que la situation aurait dû l’inciter à quelque prudence, il donnait encore pour modèle dans sa revue Feiz ha Breiz (Foi et Bretagne) Mgr Tiso, chef de l’État slovaque, un vrai chrétien, un vrai nationaliste et un vrai nazi. Tout un programme…

Pourtant, au fil des années, le rôle joué par l’abbé Perrot, ses liens avec l’occupant, ses dénonciations, son activisme et ses actions de choc, puis son exécution par la Résistance, tout s’est effacé dans un consensus identitaire célébré par la presse et encouragé par les pouvoirs publics : l’« Unvanniezh Koat Keo » qui rassemble les disciples de l’abbé Perrot opère sous statut d’association et la chapelle dite de Koat Keo, monstruosité architecturale conçue comme un acte politique lourdement chargé de symboles nationaux, a eu droit au statut de monument historique en 1997. Une inscription sur l’une de ses portes célèbre cependant « le millénaire de la restauration de la Bretagne» (en 1937, en un temps où les nationalistes bretons de Breiz Atao, regroupés autour de l’abbé Perrot et de ses amis Mordrel, Bricler et Debauvais recevaient le soutien de l’Allemagne nazie) mais, alors même que les habitants de Scrignac s’opposaient avec violence à l’abbé fanatique qui leur avait été imposé par l’évêché précisément pour dompter une paroisse rebelle, la chapelle par lui produite est à présent donnée officiellement pour caractéristique du « renouveau de l’expression artistique bretonne ». La victoire du fascisme est aussi celle de la laideur.

Durant de longues années, les cérémonies se sont déroulées dans une indifférence résignée, et l’on pouvait penser que, les militants nationalistes vieillissant, tout finirait par sombrer dans l’oubli, mais, voilà quelques années, des indépendantistes virulents ont pris le contrôle de l’association désormais placée sous la présidence de Roland de la Morinière (candidat d’Adsav, parti d’extrême droite nationaliste, pour le canton de Lamballe). En 2015 déjà, la cérémonie fut l’occasion d’une manifestation programmatique ; en 2016, la célébration du soulèvement des nationalistes irlandais et celle de l’abbé Perrot s’associant pour ouvrir sur un même combat pascal, cette cérémonie fut placée sous le signe de l’indépendance de la nation bretonne, à conquérir, fut-il dit, contre la « République française franc-maçonne» qui aggrave encore ses crimes en « facilitant l’invasion de la religion musulmane». On pria l’abbé Perrot pour que se lèvent des jeunes Bretons dignes de « chasser cette abomination». Vu qu’il appelait à chasser les Juifs au moment où la Shoah battait son plein, il était, de fait, bien placé pour intercéder auprès du Père.

La République française a laissé les héritiers spirituels de l’abbé Perrot l’insulter sans broncher.  En mars 2017, le monument aux morts de Scrignac a été de nouveau vandalisé.  Quelques lignes dans la presse locale, pas grand-chose. Une habitude à prendre, somme toute.

Cette année, le programme des militants bretons semblait plutôt maigrichon…

SCRIGNAC (Koat Keo) : messe en breton le lundi de Pâques 2/04 à 11h, organisée par Unvaniezh Koat Keo (mémoire de l’abbé YV Perrot). A l’issue, Youenn Caouissin dédicacera son livre “J’ai tant pleuré sur la Bretagne“.

Mais voilà, miracle, que les militants de l’Unvanniez Koat Keo venus, comme de coutume, passer le lundi de Pâques à Scrignac, découvrent que la tombe de l’abbé Perrot a été profanée : la croix celtique (symbole de l’appartenance de la nation bretonne à la Celtie voulue par Dieu contre la France jacobine) a été abattue, l’inscription « ER MAEZ » portée en rouge sur le piédestal. À peine remis de leur effarement, les disciples de l’abbé Perrot découvrent des tags ! Des tags en breton surunifié dans le plus pur style nationaliste ! En effet, le propre des nationalistes bretons depuis l’origine est de proclamer qu’ils veulent mettre les autres dehors. Le grand ami de l’abbé Perrot, Olier Mordrel, rapporte lui-même dans son essai Breiz Atao la stupeur des paysans bretons à lire les inscriptions que les militants de son parti peignaient sur les murs : celle qui les étonnait le plus était « LES FRANÇAIS DEHORS ! ». « Et où c’est-y qu’y veut qu’on va ? » demanda un paysan à Bricler, cousin de Mordrel et grand ami de l’abbé Perrot, lui aussi. « À la porte, les Juifs et les enjuivés», proclamait L’Heure bretonne. Le premier mot d’ordre des fabricants de bière bretonne rassemblés dans l’association Bierzhistance  a été « KRO ER MAEZ » (pour lutter contre la Kronembourg, symbole des bières de France, vouées à rester chez elles abreuver l’indigène et cesser de polluer le sol breton). Le mot d’ordre des nationalistes bretons, qu’ils soient de gauche ou de droite, pourrait donc être ER MAEZ.

Sur la tombe de l’abbé Perrot et aux alentours se lisent « FASKOURIEN ER MAEZ » et « MENEZ ARE HEP FASKOUR », autrement dit, mais en breton pas vraiment local, « les fascistes dehors » et « Mont d’Arrée sans fasciste ». L’essentiel n’est pas d’être compris mais de ne pas employer le français, langue de l’oppresseur. En cela encore, l’extrême droite et l’extrême gauche nationalistes se ressemblent et pourraient se rassembler autour du slogan ER MAEZ  qui viserait à bouter hors de Bretagne tous ceux qui ne partagent pas leur désir d’indépendance : cela viderait, il est vrai, la Bretagne de 99% de ses habitants mais il faut ce qu’il faut, on ne manque d’ailleurs pas de me le faire savoir régulièrement.

Cet ultime épisode d’une longue histoire est, contrairement à ce qu’il pourrait paraître, tout à fait intéressant pour montrer comment, tablant, efficacement d’ailleurs, sur le soutien de la presse régionale, extrême droite et extrême gauche nationaliste parviennent à utiliser les médias pour arriver à faire avancer leurs pions.

Face à la « profanation », les médias se mobilisent et c’est à qui donnera la parole à Youenn Caouissin auteur d’une biographie hagiographique de l’abbé Perrot qui vient juste, quelle chance, de paraître aux très pieuses et très réactionnaires éditions Via Romana

Ouest-France produit un véritable article promotionnel :

On peut y lire que l’abbé Perrot a été « accusé par certains de collaboration avec les Allemands ». Des esprits malveillants, il faut le croire, car « son assassinat fait toujours polémique ». En tout cas, pas de quoi vandaliser une jolie tombe celtique, d’autant moins que « l’abbé Perrot était porteur de valeurs bretonnes et chrétiennes » : merveilleuses valeurs, en effet,  appelant à l’extermination des Juifs et à la promotion, en totale opposition avec l’évêché, d’un nationalisme breton soutenu par les nazis, mais à quoi bon faire le détail ? Dans le breton, tout est bon.

Nulle part dans cet article (pas plus que dans les autres) n’apparaît la simple mention du fait que l’abbé Perrot était un militant nationaliste breton. La raison de son exécution par la Résistance est effacée, comme ses engagements idéologiques et ceux du mouvement breton. Point aveugle. L’abbé Perrot était un bon prêtre, assassiné pour des raisons troubles. Un martyr. Breton. C’est ce qui importe : breton. Donc, digne de nous. Et les autres : ER MAEZ. Ainsi se diffuse la propagande nationaliste en Bretagne.

Et voici la version du Télégramme :

« La tombe de l’abbé Jean-Marie Perrot a été vandalisée ce week-end, à la chapelle de Koad Kev, à Scrignac. Comme tous les ans à Pâques, une cérémonie était prévue lundi, par l’association Unvaniezh Koad Kev, afin de commémorer le 66e anniversaire de la mort du prêtre, assassiné le 12 décembre 1943. Celle-ci a réuni une quarantaine de personnes. C’est en venant nettoyer les abords de la chapelle avant la cérémonie, dimanche, que les responsables de l’association ont découvert que la croix celtique ornant la tombe avait été cassée et renversée derrière la sépulture. La tombe, la chapelle et des bâtiments voisins ont aussi été tagués. Le maire de Scrignac, Georges Morvan, a déploré ces actes : « Je croyais que cette histoire était maintenant derrière nous ; je vois qu’il existe encore des rancoeurs tenaces et cela m’attriste ». Le prêtre de la paroisse Saint-Herbot, à Carhaix, Peter Breton, qui avait accepté de célébrer la messe à la demande de l’association parce que celle-ci éprouvait semble-t-il des difficultés à trouver un prêtre connaissant le breton, s’étonne « qu’il puisse encore y avoir de telles manifestations de haine, 75 ans après le décès de l’abbé. Je trouve cela déplacé, étonnant dans la période actuelle, mais je n’ai pas les clefs de compréhension », dit-il. Mardi après-midi, la brigade de gendarmerie de Carhaix-Huelgoat n’avait toujours pas enregistré de dépôt de plainte. »

© Le Télégrammehttp://www.letelegramme.fr/finistere/scrignac-la-tombe-de-l-abbe-perrot-profanee-04-04-2018-11912759.php#KeVh1lElXC13TJQZ.99

Le maire (élu sur une liste de gauche) ne comprend pas ce que signifient ces « rancœurs tenaces », la cérémonie commémorative est donnée pour une sorte de coutume locale, l’Unvanniezh Koat Keo pour une inoffensive association bretonne et l’abbé Perrot pour une victime digne de ces pieux hommages. Le fait que des militants nationalistes d’extrême droite aient en 2016 formé un rassemblement appelant à chasser les musulmans n’a pas semblé de nature à troubler l’ordre public et le maire ne fait pas le lien entre ces actes et l’histoire de l’abbé Perrot, pourtant, hélas, liée à tout jamais à celle de sa commune.

Nous sommes là face à une sorte d’interdit absolu, — blâmer ce qui est breton est impossible —, un interdit doublé d’une injonction à respecter l’impensé qui fait la force du mouvement breton : ce qui ne se conçoit pas n’a pas lieu de s’énoncer et c’est de ce mystère que doit naître l’avenir. En l’occurrence, il a fallu aller jusqu’à Saint-Herbot pour trouver un prêtre capable de dire la messe en breton, signe que le combat de l’abbé Perrot est un combat perdu, mais un combat qui se poursuit, avec breton ou pas, sur la même base idéologique : nous sommes Celtes, et donc, fidèles à nos gènes, nous ne sommes pas français. C’est ce racisme et ses prolongements ethnistes qui constituent l’impensé du mouvement breton, mais comment ce magma pourrait-il donner lieu à une analyse claire puisque les militants nationalistes sont mis en place par les élus et par le lobby patronal breton ?

*

Ce mince épisode est instructif pour qui veut comprendre comment le mouvement nationaliste breton, infime numériquement et honni de la population, réussit par la publicité, l’extrême droite et l’extrême gauche faisant progresser la même cause, à diffuser son idéologie : ici, ce n’est pas seulement la presse régionale qui prend le relais, et qui lance ainsi un thème journalistique facilement exploitable par tous les médias, c’est la presse nationaliste d’extrême gauche comme d’extrême droite : ainsi, sur 7Seizh, c’est Deléon, passé d’Emgann au Parti breton, c’est-à-dire de l’extrême gauche au parti nationaliste soutenu par le lobby patronal de Locarn (mais il semble à présent avoir eu quelques démêlés avec ce parti) qui assure la promotion de l’abbé Perrot. Cet indépendantiste acharné est enseignant à Diwan.

Et n’oublions pas que l’historien officiel de la Région, l’autonomiste Jean-Jacques Monnier, va jusqu’à présenter l’abbé Perrot comme un résistant hébergeant — espèce assurément difficile à trouver ailleurs qu’en son presbytère — des nationalistes bretons parachutistes de la France libre.

Comme plusieurs lecteurs, indignés par la vague de propagande en voie de déferler, m’ont demandé ce qu’il était possible de savoir sur l’abbé Perrot, j’ai proposé d’ajouter une petite fiche à celles de la rubrique « nationalisme » du GRIB. On y trouvera des informations interdites ailleurs. Je suis d’ailleurs prête à la compléter.

Il va de soi qu’évoquer des faits précis ne changera pas la croyance admise : la Bretagne a son martyr, le bon abbé Perrot, si dévoué qu’il a donné sa vie pour son peuple. Je ne me fais plus aucune illusion à ce sujet.

En 2002, préparant l’édition du Monde comme si, j’avais choisi pour illustration le numéro 100 de la revue ArMen (alors pourtant moins engagée dans le « combat breton » qu’à présent) où se voyait cette image stupéfiante : l’abbé Perrot et Ronan Caouissin associés à un numéro de Breiz Atao dans sa grande période nazie choisis pour illustrer, au tournant du siècle, la « richesse du mouvement breton »… Voici cette image et mes commentaires :

Je sais désormais qu’établir les faits ne sert à rien : les nationalistes sont utiles pour détruire l’édifice jusqu’alors inopportunément résistant de la République. Au moins n’aurai-je pas subi pour rien l’épreuve de lire Feiz ha Breiz et de traduire l’article de Perrot sur les Juifs qu’il convient d’exterminer sans crainte car « nul ne doit être accusé ou traîné en justice pour les Juifs tués ».

(À suivre)

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Les mistoufles volume 5

 

          © Dan Ramaën

 

En ce moment, les enfants de l’école publique de Saint Marc à Frongier enregistrent le cinquième volume des Mistoufles. 

J’ai d’abord reçu une belle lettre des enfants…

 



 

Puis j’ai reçu le journal de l’école avec un véritable reportage sur les différentes étapes du travail…

 

 

Et voilà maintenant les photos de Dan Ramaën… On reconnaît à gauche Loïc (Arm) et à droite Manou (Emmanuelle Hiron)…

 

© Dan Ramaën

 

Il ne reste qu’à attendre avec patience de découvrir le disque… et dire merci à tous pour cette fabuleuse expérience de poésie à l’école !

 

 

*

 

Après l’enregistrement, j’ai demandé aux enfants quelle chanson ils préféraient et un authentique vote a eu lieu.

 

Voilà le résultat :

 

 

J’avoue que j’ai été très étonnée. Mais les enfants se sont expliqués, et j’ai trouvé que les commentaires étaient remarquables :

 

« Nous avons choisi ce texte car:

Ce texte est rigolo, amusant, drôle, humoristique,..

C’est un texte rythmique;

C’est un texte original qui nous raconte une histoire et nous aimons bien les histoires;

Ce texte n’est ni trop court, ni trop long;

Ce texte parle de la vie de tous les jours;

Ce texte nous donne des conseils sur ce que l’on doit faire;

Dans ce texte, nous trouvons des mots compliqués qui ne sont pas faciles à prononcer et ça nous fait rire quelques fois;

C’est un texte qui parle d’un enfant qui ne veut pas perdre son poids car il préfère les gourmandises. »

 

Eh bien, oui, ce sont des explications merveilleusement synthétiques (ah, encore un mot compliqué) et complémentaires : la chanson raconte une histoire, une histoire qui parle de la vie de tous les jours et le rythme est joyeux. Vive le petit gros qui râle contre son régime (mais il le fait quand même !).

Un grand merci à Nathalie qui a pris en charge le vote et la transmission des commentaires !

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Le secret de Rosie

 

 

 

 

Je reçois les premiers exemplaires du dernier Sendak : Le secret de Rosie.

C’est un livre particulièrement touchant pour moi parce que Maurice Sendak, se souvenant de son enfance à Brooklyn, a imaginé l’histoire d’une petite fille qui parvient à entraîner les enfants du quartier dans son théâtre intérieur tant son pouvoir de conviction est grand. Or, ma propre mère, dans son enfance rostrenoise, passait sa vie à se déguiser et, par la suite, nous avons pris le relais : je me souviens d’avoir vécu quelques semaines palpitantes avec un oreiller pincé à la taille, vêtu d’un veston, nanti d’un faux-col et coiffé du chapeau melon de mon grand-père, décédé bien longtemps avant ma naissance, tandis que mon frère poursuivait des échanges passionnés avec Monronard, un vieux renard porté jadis par notre grand-mère sur son manteau. Une fois passée la porte du grenier, tout devenait possible, y compris les amours d’Adèle et Parasol. « If you want to know a secret, knock three times ».

C’est vraiment la suite de La fenêtre de Kenny (1956) et de Loin, très loin (1957) : en 1960, Sendak plonge dans son enfance et trouve une zone de fragilité qu’il est capable d’affronter, ce qu’il fera jusqu’à imaginer Max et les maximonstres. Rosie, sa petite voisine de Brooklyn, l’invite à franchir le seuil…

Il est possible d’entendre le texte en ligne. Pour ceux qui voudraient suivre la traduction en même temps, je dois avouer que je me suis heurtée à un problème de transposition : Rosie chante « On the sunny side of the street », ce qui, enquête faite, reste lettre morte pour les lecteurs français, enfants ou pas, et j’ai fini par choisir un titre qui me semblait à peu près correspondre à cet univers mystérieux des chanteuses noires ouvrant sur les amours infinies et tout à la fois déjà un peu périmées : pour moi, c’était « J’ai deux amours » de Joséphine Baker, qui unissait le prestige de l’Amérique et celui du côté soleil de la rue — un air que chantait ma grand-mère. Bref, j’assume, quoique à regret, le contresens et le passage d’Ella Fitzgerald à Joséphine Baker.

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Poésie sur les ondes

 

 

Et voici les actes du colloque Poésie sur les ondes publiés aux Presses universitaires de Rennes sous la direction de Pierre-Marie Héron, Marie Joqueviel-Bourgea et Céline Pardo. Le volume est accompagné de deux CD, ce qui, chose rarissime, m’a permis de faire entendre un extrait de la première émission de Poésie sans passeport, une série d’émissions écrites par Armand Robin, réalisées par Claude Roland-Manuel et diffusées de 1951 à 1953 par le Club d’essai de la radiodiffusion française. Ma communication présentait l’expérience de Poésie sans passeport, extraordinaire expérience de poésie par les ondes consistant à faire entendre les poèmes étrangers en appuyant la traduction sur les sons des langues étrangères (arabe, russe, hongrois, italien, breton, néerlandais…).

Faute de pouvoir éditer ces émissions avec un CD, je les avais publiées en 1990…

 

 

…mais le volume est devenu introuvable sauf en bibliothèque, et le malheureux Robin a été réduit à la pitoyable image de poète sorti du volume Le Monde d’une voix appuyé sur une édition tronquée de Ma vie sans moi. Comme je m’en explique assez longuement ici, inutile d’épiloguer. Je suis en train de rédiger un essai qui rende compte de ces mésaventures.

Il faut être reconnaissants aux organisateurs du colloque, et notamment à Pierre-Marie Héron, d’avoir accordé une place à cette expérience si peu et si mal connue.

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Équivalences

 

 

Le dernier numéro de la revue de traduction et de traductologie Équivalences (très intéressante revue publiée par le Département de traduction et d’interprétation de l’Université libre de Bruxelles) est paru sous la direction de Françoise Wuilmart. Il est entièrement consacré à la traduction théâtrale. J’y ai publié (avec André Markowicz) un article intitulé « Sur deux répliques de La Mouette ou de l’importance de traduire le style » et (toute seule) un article intitulé « Traduire le théâtre anglo-irlandais », lui aussi consacré à souligner l’importance primordiale de traduire le style.

Lorsque Françoise Wuilmart m’a demandé un article sur ma traduction du théâtre de Synge, j’ai eu la surprise de découvrir que cette traduction était, depuis près d’un quart de siècle, l’objet d’attaques systématiques de la part d’un éminent collègue, ulcéré sans doute que sa traduction du Baladin du monde occidental ait été concurrencée par ma transposition, je dois le dire jubilatoire, de l’anglo-irlandais en franco-breton. À l’en croire, la langue française est par nature hostile aux sociolectes, et il est malvenu d’en donner des équivalents qui ne sont pas rédigés en bon français (vu que les originaux sont fort éloignés eux-mêmes du bon anglais). Au demeurant, toujours d’après lui, le franco-breton n’a jamais existé (il fait pourtant son apparition dans La farce de maître Pathelin, que j’ai traduite voilà quelques années). Je ne vais pas m’étendre sur ce que sont l’anglo-irlandais (l’anglais parlé en Irlande par des personnes qui se traduisent du gaélique) et le franco-breton (le français parlé en Bretagne par des personnes qui se traduisent du breton) vu que je m’en suis déjà expliquée ici, Voir aussi à ce sujet les questions qui m’ont été posées par une étudiante en traductologie au sujet de ma traduction du théâtre de Synge.

Les présupposés idéologiques qui sous-tendent ses allégations sont intéressants car ils révèlent ce qui, de fait, oriente la traduction en France : la réduction à la norme donnée pour allant de soi, et le refus de la forme, du style, de la prosodie, bref, de la poésie. La transgression n’est pas admise : il faut, comme on le conseille pour l’agrégation, réduire le texte à son sens premier, supposé exister hors de la forme qui l’a pourtant construit. C’est ainsi que ce traducteur normalise Shakespeare selon la méthode de la version d’agrégation et cette normalisation représente, de fait, désormais la norme.

Le plus intéressant, en l’occurrence, est cette polémique menée depuis si longtemps sans que j’en aie eu connaissance et la soumission de mon travail à cette censure exercée par le biais des institutions, avec une certaine efficacité.

On pourra consulter, par exemple, l’article qui m’est consacré sur Wikipedia (article qui a été rédigé par un contributeur anonyme soucieux de mettre fin au déchaînement des nationalistes bretons sur cet article — il faut rappeler que j’étais alors sur Wikipedia l’auteur français le plus contesté au monde, mon essai Le monde comme si ayant déplu aux militants bretons — ce simple fait montre d’ailleurs à quel point les fantasmes des nationalistes s’imposent par une pratique fanatique de la censure, ce que je montrais justement dans Le monde comme si). L’article de Wikipedia, supposé caractériser mon travail, donne pour vérité ultime celle de mon contradicteur :

« Marie-Sylvine Müller considère la traduction de Françoise Morvan comme « un exemple heureux de […]correspondance entre dialectes ». En revanche, Jean-Michel Déprats, l’auteur d’une précédente traduction du même texte, y voit « une entreprise [qu’il dirait] militante », dont le projet serait « de faire entendre sur le théâtre une langue populaire élevée au rang de langue poétique. ». Si cette traduction « séduit par le choix heureux d’expressions colorées, imagées, qui donnent la sensation d’une langue populaire, juteuse, « aussi pleine de suc qu’une pomme ou qu’une noix » (pour reprendre les mots de Synge dans sa préface) », il lui reproche, sur le plan syntaxique, « une volonté de prosaïsation, d’alourdissement, de surenchère, qui [l’] amène souvent […] à rendre comme marqué un tour qui n’est pas nécessairement marqué dans l’original »

L’article de la revue Équivalences, soumis à plusieurs relectures pointilleuses, a eu l’immense mérite à mes yeux de me permettre de montrer à quel point cette ultime affirmation est absurde puisque la « volonté de prosaïsation, d’alourdissement, de surenchère » est celle même que l’on reproche à Synge et qu’elle est illustrée par un « tour pas nécessairement marqué dans l’original » qui est non seulement un tour stylistiquement marqué dans l’original mais un tour récurrent et donc un motif à transposer d’une pièce à l’autre avec le plus de rigueur possible. La phrase complète est, en effet, « une volonté de prosaïsation, d’alourdissement, de surenchère, qui amène souvent la traductrice à rendre comme marqué un tour qui n’est pas nécessairement marqué dans l’original (avec des calques syntaxiques du genre ; “le plus drôle des hommes sur pied que j’ai mis les yeux dessus”) ».

Or, Synge écrit :

« PEGEEN. I’m thinking you’re an odd man, Christy Mahon. The oddest walking fellow I ever set my eyes on to this hour today.  »

L’expression se retrouve ensuite en miroir dans la pièce :

 « CHRISTY (clinging to Pegeen). Oh, glory ! It’s late for knocking, and this last while I’m in terror of the peelers and the walking deads.  »

La bonne traduction, à en croire mon censeur, serait pour  « the oddest walking fellow I ever set my eyes on »  « l’être vivant le plus étrange sur qui j’aie posé les yeux », ce qui fait parler la fille du bistrotier comme une bourgeoise du XVIe arrondissement, et pour « this last while I’m in terror of the peelers and the walking dead » «ça fait un moment que j’ai la terreur des gendarmes et des morts qui marchent » (ce qui, de toute façon, est une traduction fausse car les peelers ne sont pas des gendarmes et this last while ne veut pas dire ça fait un moment).

En conséquence, si je reprends cette phrase et si je tiens compte du rythme, c’est à dire de la structure profonde du texte qui relève de la poésie, je pense avoir donné un équivalent de la phrase de Pegeen :

« I’m thinking you’re an odd man// Christy Mahon. // The oddest walking fellow // I ever set my eyes on // to this hour today. »

« J’ai idée que vous êtes un drôle d’homme, // Christy Mahon. // Le plus drôle de tous les hommes sur pieds // que j’ai mis mes yeux dessus // jusqu’à l’heure d’aujourd’hui. »

C’est ce que j’aurais pu entendre au café du Lion d’or à Rostrenen ou dans n’importe quel bistro de village aux alentours, et c’est une langue qui correspond à ce que cherchait Synge — comme en témoigne une actrice que Synge avait guidée pendant les répétitions au Théâtre de l’Abbaye : « Les paroles avaient une sorte de rythme musical, absolument différent de tout ce que j’avais pu entendre auparavant… J’ai découvert que je devais couper les phrases — qui étaient inhabituellement longues — en sections, les scandant, lentement d’abord, puis plus vite au fur et à mesure que les mots me devenaient familiers. » C’est exactement de cette façon que les comédiens se sont approprié la traduction chaque fois que j’ai travaillé avec eux.

Bref, si mes modestes efforts pour transposer l’anglo-irlandais se sont heurtés depuis tant de temps à tant d’hostilité, c’est qu’il y a là une expérience qui dérange, comme celle de Synge dérangeait, et je suis très heureuse qu’il m’ait été offert une occasion de m’expliquer enfin à ce propos.

Je me suis beaucoup amusée à traduire Synge, auteur totalement réfractaire à la cuistrerie, et je suis en train de rédiger un essai sur son théâtre qui m’amène à faire toutes sortes de trouvailles pleines de charme.

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Fervent hommage à un SS breton

 

 

 

Avec Jean, dit Yann, Miniou disparaît, à 95 ans, l’un des derniers membres du Bezen Perrot, formation regroupant des nationalistes bretons sous uniforme de la Waffen SS. Le Bezen Perrot fut créé en 1943 après l’exécution de l’abbé Perrot (autre nationaliste fanatique) par la Résistance.

Je me suis trouvée amenée à suivre l’itinéraire de Miniou (alias « Braz »), car, comme je l’ai montré en travaillant aux archives, il faisait partie du groupe du Bezen qui, à Bourbriac, puis à Scrignac, fut chargé d’assister les nazis : Jean Miniou compta, entre autres, au nombre des SS responsables de l’assassinat de sept jeunes gens à Garzonval. Il fut donc l’un des tristes héros de Miliciens contre maquisards.

Le personnage est représentatif de ce que le mouvement breton a pu produire de pire au nom de la Bretagne et de la foi : un tortionnaire défendu par les bons pères, prêt à tout, et toujours plein d’une onction jésuitique. Il a servi de caution aux nationalistes les plus engagés dans la collaboration, et surtout aux pires assassins du Bezen car, alors même qu’il avait été parfaitement identifié parmi les SS en opération à Scrignac et avait été condamné à mort par contumace en janvier 1946, puis s’était enfui en Allemagne avec le Bezen et avait alors fait partie d’un commando chargé de revenir faire de l’espionnage en France, arrêté par hasard à Rennes en août 1946 avant d’avoir pu gagner l’Irlande, il bénéficie du soutien efficace des prêtres de sa paroisse et des magistrats : sa condamnation à mort est transformée en six ans de travaux forcés… Son dossier contient des lettres interceptées par les gardiens : « J’espère que Papa pourra s’arranger avec les magistrats», écrit-il, par exemple, et il prend bien soin de mentionner son ami Bouëssel du Bourg dont le père est un magistrat sympathisant ; ainsi, bien assisté, parvient-il à se faire passer pour un pieux jeune homme, hélas trop timide, entraîné par de mauvais camarades dans une formation dont il ignorait tout (lui qui avait fait partie du dernier quarteron des acharnés regroupés en Allemagne pour continuer le combat contre la France).

Grande victoire pour les nationalistes qui purent clamer partout, comme Yann Fouéré, que les membres du Bezen condamnés à mort étaient d’innocentes victimes du jacobinisme français : certains étaient injustement condamnés à mort alors qu’ils méritaient tout au plus quelques années de travaux forcés, le cas Miniou le prouvait. Et les nationalistes bretons, alertant les nationalistes gallois et irlandais, entreprirent de dénoncer les exactions de l’odieuse France contre les Celtes persécutés.

Miniou joue donc un rôle plus important qu’on ne pourrait le penser : comme les autres, il reprend immédiatement le combat. On le trouve au nombre de ceux qui militent à la Mission bretonne, à Ker Vreizh, aux côtés des Louarn, Delalande et autres collaborateurs des nazis exilés pour indignité nationale : après les scouts Bleimor rattachés aux scouts d’Europe, ce sera Diwan…

Interrogé en 2012 par Vincent Jaglin pour son film La découverte ou l’ignorance, Miniou assurait que le Bezen avait été une manière de défendre la culture bretonne. Un brave vieillard, un militant dévoué à la cause si chère au cœur des Bretons, jurant qu’il n’avait participé à aucune action militaire, juste gardé quelques camions sans trop savoir ce qui se passait dans les environs…

Enfin, il est intéressant parce qu’il nous permet de comprendre comment le mouvement breton a réussi à réécrire son histoire. Nous disposons d’un tout récent spécimen de novlangue produit à son sujet par l’indépendantiste Mervin qui, en 2009, lui a fait rencontrer Georges Ollitrault, un ancien maquisard, afin de démontrer que miliciens et maquisards pouvaient communier dans la même vision œcuménique du combat breton. En ce temps-là, Mervin dissimulait Miniou sous le nom de code BF3 ; désormais il le nomme et son éloge funèbre nous offre un bel exemple du double langage pratiqué par le mouvement breton.

 

 

Pour ne pas être accusé d’être antibreton et de voir des nazis partout (car un SS breton n’est pas un nazi), ne dites pas :

« Jean Miniou fut un militant nationaliste fanatique enrôlé par les frères de l’école catholique de Guiscriff dans une nouvelle chouannerie contre la France républicaine, ce qui amena ce futur séminariste à militer au PNB nazi ».

Dites :

« Jean Miniou fait partie de cette génération à qui l’Éducation nationale française a interdit de parler sa langue maternelle à l’école. Si tous furent meurtris, Jean Miniou fut de ceux qui ne l’acceptèrent jamais. »

Ne dites pas :

« Jean Miniou s’engage sous uniforme SS dans la formation dite Bezen Perrot pour combattre la Résistance et exécuter les basses œuvres des nazis, information, infiltration des maquis, tortures et assassinats. »

 Dites :

 « Jean Miniou s’engage dans une unité militaire bretonne qui cherche à protéger les nationalistes bretons contre diverses agressions. »

Ne dites pas :

«Jean Miniou participe aux exactions du Bezen Perrot en divers points de la Bretagne, notamment à Bourbriac, où sept jeunes gens sont emprisonnés, puis torturés avant d’être assassinés ; il avoue avoir participé à plusieurs opérations et s’être enfui en Allemagne avec le Bezen Perrot pour faire de l’espionnage radio contre la France… »

 Dites :

 « Jean Miniou a l’occasion de demander au chef du Parti national breton (PNB) s’il serait possible de se rapprocher des Alliés pour éviter de combattre un jour des cousins gallois. »

Ne dites pas :

« D’abord condamné à mort, Jean Miniou bénéficie d’une étrange clémence de la part des magistrats et n’est condamné qu’à six ans de travaux forcés, ce qui ne l’empêche pas de devenir un redoutable affairiste et de reprendre le combat en embauchant des militants bretons. »

Dites :

« Après la Libération, et quelques années de travaux forcés, Jean Miniou retourne à la vie civile et, assez rapidement, crée une entreprise de travaux publics et de promotion immobilière en région parisienne. Mais il n’est pas motivé par la réussite matérielle. Selon une devise « discrétion et efficacité”, Jean Miniou préfère venir en aide aux associations bretonnes, en particulier celles qui œuvrent pour la langue bretonne, comme les écoles Diwan.»

Ne dites pas :

« Il milite à la Mission bretonne, pépinière de nationalistes, et se signale lors de la sinistre affaire du presbital kozh à Landeleau par une rapacité qui provoquera une action en justice . »

 Dites :

« Il participe à l’aménagement des nouveaux locaux de la Mission bretonne » et a « très largement contribué à la restauration du manoir de Landeleau. »

Ainsi, vous aurez le portrait d’un vrai chrétien, d’un bon Breton et d’un ami de la Résistance, pour peu qu’elle soit représentée par un vaillant FTP prêt à copiner avec un aimable SS.

Et vous aurez l’un des héros de la nation bretonne telle que les militants s’emploient à la faire advenir.

 

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