
La Saga des petits radis vient de paraître en chinois !
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La Saga des petits radis vient de paraître en chinois !
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Et voici l’autre album de Sendak, paru ce mois-ci — une fable mélancolique qui était toute faite pour me plaire car elle raconte l’histoire d’un petit garçon qui s’enfuit de chez lui (enfant, j’avais tendance à pratiquer l’art de la fugue). Je ne vais pas raconter l’histoire mais comme les éditions MeMo n’ont pas conservé la note de l’éditeur américain, la voici :
« MAURICE SENDAK a reçu en 1964 la médaille Caldecott pour Max et les maximonstres. Il a aussi reçu en 1970 la médaille Hans Christian Andersen de l’illustration, et il était le seul Américain à avoir reçu cette distinction internationale ; il a reçu en 1983 le Prix Laura Ingall Wilder de l’Association des libraires américains, et, en 1996, la médaille nationale des arts. En 2003, il a reçu le premier Prix du Mémorial Astrid Lindgren, prix international de littérature jeunesse créé par le gouvernement suédois. »
Very Far Away est paru en 1957. Il s’agit du deuxième album de Maurice Sendak, et il est très intéressant de le comparer avec La fenêtre de Kenny (album paru chez MeMo en juin dernier).
Un article paru sur ce livre mentionne la traduction, chose peu courante, surtout dans le domaine de la littérature dite pour enfants.
Grâce au catalogue des éditions Little Urban, nous disposons d’images préparatoires (et qui, à mon avis, sont plutôt complémentaires) qui montrent le héros du livre découvrant l’horrible bébé qui vient de faire son apparition chez lui.
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Ah, quel souvenir que l’arrivée de l’intrus !
Merveilleuse image aussi que celle du petit garçon qui se venge en dessinant…
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Et qui décide de s’enfuir en s’étant nanti d’une moustache et d’un chapeau…
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Il rencontre un moineau, un chat et un cheval qui ont aussi décidé de partir loin, très loin… J’aime particulièrement l’image du moineau qui regrette l’heureuse époque où il picorait les miettes de personnes si distinguées…
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Hélas, la bonne entente ne dure pas.
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Les LeL
Ces dessins préparatoires rendent le texte plus présent et lui donnent une profondeur mélancolique. Ils forment d’ailleurs à eux seuls une sorte de livre parallèle qui éclaire la version définitive.
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Je viens de recevoir le premier exemplaire du deuxième album de Maurice Sendak que j’ai traduit pour les éditions MeMo (le premier, c’était La fenêtre de Kenny, qui est paru juste avant l’été).
Cette fois, il s’agit d’un petit album, très soigné, très joli, qui, en fait, à mon avis, n’est pas d’abord un livre mais un outil pour amener les grandes personnes à poursuivre l’expérience et faire elles-mêmes leur album avec les enfants de leur entourage : Ruth Krauss a demandé à des enfants de choisir un objet ou un sujet quelconque et de le définir par son usage.
Exemple : « Un trou, c’est pour… ? »
Elle a gardé les définitions qui lui semblaient les plus percutantes, les plus poétiques, les plus inattendues, et Maurice Sendak a illustré l’ensemble en lui donnant une tonalité joviale qui m’a rappelé les livres que je trouvais dans le grenier de ma grand-mère : on pourrait croire d’ailleurs que ces petits personnages sortent de son carnet de devinettes. Ils ont une présence revigorante.
Un universitaire a consacré un article assez drôle à cette expérience.
Si vous croyez que c’est facile à traduire, essayez un peu…

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Je suis en résidence à la maison Julien Gracq. Personne ne m’a demandé de lire ou relire Julien Gracq mais c’est une sorte d’envie qui s’impose, et lire un auteur à l’endroit même où il a pu rêver, et devant la Loire qui a été pour lui plus qu’un personnage, donne une nouvelle compréhension de son œuvre : j’ai surtout été frappée par cet itinéraire qui mène du Château d’Argol aux Eaux étroites, autrement dit du cliché romantique à cette poésie de la géographie remémorée qui rend ses dernières œuvres, ni roman ni poésie, si passionnantes pour moi.
Il est par ailleurs très curieux de voir à quel point la Bretagne le ramène irrésistiblement au stéréotype — pas seulement la Bretagne mythiquement conventionnelle d’Argol, même la Bretagne visitée, vue par un géographe venu d’ailleurs. Il serait intéressant d’essayer de voir pourquoi.
J’avais beaucoup aimé La Littérature à l’estomac — pamphlet contre la foire aux prix littéraires qui n’a pas beaucoup vieilli — et j’ai redécouvert Le Rivage des Syrtes en me souvenant que j’avais été reçue à l’agrégation grâce à (ou à cause de) Julien Gracq… Au moment de partir en Bretagne, les vacances enfin arrivées, nous avons eu l’idée de nous arrêter au Quartier latin pour voir à tout hasard si j’étais admissible — ça ne faisait qu’un petit détour… Et oui, j’étais sur la liste. Plus de Bretagne : il fallait savoir en quoi consistaient les épreuves de l’oral. J’avais suivi tout ça de très loin mais des amies normaliennes étaient sur le chantier de l’aube à la nuit.
— Ah, mais, me dit l’une d’elle, tu es admissible mais tu n’es pas allée tirer un numéro.
— Un numéro ?
— Un numéro de passage.
— Mais, me dit l’autre, si, je crois que quelqu’un a pris un numéro à ta place.
Eh oui, j’avais un numéro. Et, par chance, je commençais par l’épreuve libre, autrement dit l’épreuve qui ne demandait aucune révision : il fallait juste expliquer un texte pris au hasard. C’était Le Rivage des Syrtes.
Ça se passait à Paris, dans un lycée tout écrasé de chaleur, et, après l’épreuve, comme le concierge passait les murs au jet pour rafraîchir la cour, je m’étais installée sous une fenêtre. De là, j’ai entendu le jury délibérer sur mon cas. Le Rivage des Syrtes m’a donné le courage de continuer au lieu de partir respirer l’air pur de la forêt de Duault.
J’ai tenté de relire Le Rivage des Syrtes mais je passe aux Lettrines et j’ai l’impression que Gracq a trouvé sa voix en sortant du genre romanesque.
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Même averti, je veux dire habitué, on est surpris par la manière dont s’exerce la censure en Bretagne : hier avait lieu l’unique représentation d’Incandescence, un spectacle qui m’a été demandé pour le 14 août et que j’ai écrit comme un paysage sonore à partir des images de l’Assomption à Rostrenen. Tout s’est bien passé et, alors même que les textes me semblaient si difficiles pour un public de personnes qui venaient des fermes alentour, pas de difficulté, au contraire, et il était très touchant pour moi de voir des personnes venir partager leurs souvenirs à partir d’images des poèmes. En fait, c’est un encouragement à continuer d’écrire à partir d’images flottantes, sans personnages, qui vaut mille avis de critiques autorisés. Et j’ajoute qu’il était stupéfiant de voir trois cents personnes rester sous un soleil de plomb écouter des poèmes, chantés ou pas.
La libraire n’avait pas apporté de livres ; nous avons dû aller chercher des exemplaires d’auteur qui traînaient à Rostrenen ; elle m’a expliqué qu’apporter Le monde comme si et Miliciens contre maquisards ne lui avait pas semblé opportun, vu les événements de Guingamp. Ce sont néanmoins des livres qui se passent autant dire sur place et qui pouvaient intéresser les personnes présentes — comme les Anciennes complaintes de Bretagne dont j’avais extrait « La sorcière », d’ailleurs traduite par moi, et dite dans la version que j’ai écrite pour ce livre. Mais inutile d’insister : la censure commence par le simple, tout banal, souci de ne pas déplaire à ceux qui risquent de faire régner la terreur, et qui, donc, de fait exercent le pouvoir sans même avoir besoin d’élever la voix. C’est une illustration plus probante que de longs développements parce qu’elle est désormais admise. Les quelques exemplaires du Monde comme si que j’avais apportés ont été immédiatement achetés, comme d’ailleurs tous les livres de la collection Coquelicot, et les échanges sur la poésie à partir de ces livres étaient passionnants.
Et voici maintenant le compte rendu de l’événement dans le journal Ouest-France :
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La rédaction du Télégramme a préféré s’abstenir, ce qui illustre bien la démonstration que j’avais menée à la suite de l’intrusion des militants bretons lors de la conférence sur Armand Robin à Guingamp. Ouest-France avait publié mon droit de réponse, mais censuré. Le Télégramme s’était dispensé de respecter l’exercice du droit de réponse. Rien que de banal depuis la parution du Monde comme si. Encore n’est-il pas inutile de le montrer à partir d’exemples précis.
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Véronique Hotte a consacré un bel article à l’événement. Quel plaisir de lire ces pages !
Du coup, j’ai mis les textes du spectacle en ligne, pour répondre aux spectateurs qui me les avaient demandés. Et j’ai créé sur ce site un chapitre Poésie où j’ai commencé de rassembler des textes. La poésie est aussi une forme de résistance.
.La poésie est

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Nous répétons pour la représentation unique d’Incandescence, un spectacle que j’ai écrit à partir de textes sur ce point culminant des vacances qu’était l’Assomption. Les forains arrivaient et avec eux cette attente du moment où toute la ville monterait dans la nuit vers la colline où s’allumerait l’immense feu… étoiles crépitantes, odeur du sucre brûlé, tirs et lumières… C’était aussi le moment où le temps des vacances basculait vers sa fin, et cette angoisse donnait plus de prix à cette nuit de joie. Puis les forains partaient et, nous aussi, nous allions partir…
J’ai écrit tout un cycle de textes sur ces jours d’enfance à Rostrenen, et nous en avons pris six en les mettant en relation avec le paysage sonore de la haute Cornouaille : un chant de berger pour le début du jour, ces matins calmes de l’été où les voix se répondent ; un chant d’amour plein de promesses ; une formule de rebouteux pour chasser le feu ; la gwerz de la sorcière puis un chant à danser… J’ai voulu construire le spectacle comme je l’avais fait pour D’un buisson de ronces mis en scène par Madeleine Louarn : quelques moments d’une journée donnés à entendre par le chant, une journée d’Assomption ouverte sur l’étrangeté du monde, ce que disent aussi les poèmes de Pasternak écrits dans le courant de l’été brûlant de 1917.
La voix d’Annie est plus belle que jamais, tout est très simple, et la contrebasse d’Hélène lie ces poèmes comme une traduction lointaine. C’est aussi cette impression d’éloignement que je voulais donner : placer au cœur du 14 août l’écho de ce temps hors du temps, enfui comme l’enfance et prêt à revivre sous forme d’échos épars, juste pour une heure.

Voici paru le premier des livres de Maurice Sendak à ce jour inconnus en français, La fenêtre de Kenny. Sendak a écrit et illustré l’histoire mélancolique d’un petit garçon solitaire. Entre le rêve et la réalité, se développe comme un conte d’Andersen (où, d’ailleurs, les soldats de plomb donnent leur avis).
J’ai accepté de traduire Sendak parce qu’il n’est connu en France que par Max et les maximonstres…
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.. qui est un chef d’œuvre, c’est certain, mais qui laisse ignorer tout un travail étrange, beaucoup plus fragile, et que j’aime bien. Ces traductions s’inscrivent d’ailleurs dans la suite de la collection Coquelicot, en attendant les volumes suivants, qui donneraient une cohérence à cette expérience de poésie pour enfants, traduite ou non. Certains livres de Sendak sont des poèmes illustrés.
Petite observation annexe au sujet du travail de traduction : qui a traduit Max et les maximonstres ? Vous pouvez chercher : le livre a connu un succès considérable et a connu de nombreuses éditions ; jamais l’éditeur n’a cru devoir même mentionner le nom du traducteur.
Ici, la fondation Sendak a interdit que le nom du traducteur vienne polluer la couverture — il faut fouiller à l’intérieur pour le trouver ; même en quatrième de couverture, pas ombre de mention. Mais, il y a tout de même un progrès, il figure en page de titre intérieur.


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Première du Songe d’une nuit d’été au Théâtre du Peuple à Bussang. Le Théâtre du Peuple a été créé par Maurice Pottecher pour faire jouer ses pièces et bien d’autres par des acteurs des Vosges — par le peuple et pour le peuple, comme le disait Romain Rolland, qui suivait l’expérience avec passion. La caractéristique du théâtre est le fait que le mur du fond peut s’ouvrir et faire de la montagne le décor de la pièce quand le metteur en scène le veut — moment magique, attendu par tous les spectateurs (et l’autre miracle est que, chaque été, des dizaines de milliers de spectateurs viennent assister à la nouvelle pièce).
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Le Songe d’une nuit d’été est, sans jeu de mots, la pièce rêvée pour un tel lieu, un un tel décor, un tel public. C’est un grand bonheur de penser que notre traduction a pu résonner sur la scène de cet endroit sacré.
Nous l’avions faite il y a déjà longtemps à la demande de Madeleine Louarn, et j’avais alors rédigé une adaptation sous le titre Le Jeu du songe (il fallait un texte plus simple pour les acteurs de Catalyse, des acteurs à la mémoire légère, susceptible à tout moment de demander une assistance, ce qui, d’ailleurs, s’accordait bien avec les jeux de miroir, les ruptures, les blancs de la mémoire et les incertitudes qui font le charme tragique de la pièce).
En l’occurrence, Guy-Pierre Couleau, qui a mis en scène plusieurs de mes traductions de Synge et grâce à qui Désir sous les ormes a pu enfin être publié, a, lui, tout au contraire, pris le parti de respecter l’intégralité de la pièce, sans une coupe, en tablant sur le fait que le public de Bussang ne serait pas désemparé par ce texte complexe. Et il ne l’est pas. Au contraire, le rythme du décasyllabe blanc donne l’impression de porter les acteurs, unit et rassemble comédiens professionnels et amateurs (certains d’entre eux, comme l’acteur qui joue le rôle de Thésée, montant sur les planches pour la première fois). Extraordinaire moment de partage voir un public jeune, et parfois très jeune, applaudir à tout rompre…
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Du coup, je me rends compte que je n’ai pas consacré une seule ligne sur ce site aux traductions de Shakespeare qui ont été l’occasion de tant de rencontres, de réflexions et de débats (notamment sur Le Songe que nous avons mis huit ans à mettre au point, après Le Jeu du songe). Je vais réparer cet oubli.
Et voilà ! Ç’a été l’occasion pour moi de retrouver non seulement le dernier exemplaire du Jeu du songe mais un article publié dans Mouvements sur ce qui n’était pas encore une traduction du Songe…

© Richard-Max Tremblay
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Pour en finir avec l’affaire Monjarret à Guingamp, et après avoir mis en ligne le dernier épisode du feuilleton, je ne voudrais tout de même pas omettre de signaler que ce qui rend particulièrement indécente l’insistance des autonomistes à exiger que le nom de Paul (dit Polig) Monjarret soit donné à une rue de cette ville est le fait qu’en 1995 est mort à Guingamp un authentique héros de la Résistance, Joseph (dit « Hervé ») Monjaret (oui, avec un seul r).
Le radio de Jean Moulin est mort dans l’indifférence générale et nul ne pense à lui rendre le moindre hommage.
Un ami photographe québécois, Richard-Max Tremblay, m’a fait parvenir une photo prise par lui à Cadérousse au n°1 de la rue Hervé Monjaret, où ce résistant a effectué les premières liaisons radio avec Londres.
Le témoignage de Joseph Monjaret a été recueilli et mis en ligne sur le site du Centre d’histoire de la Résistance et de la Déportation, mais, comme il est très difficile à lire, j’ai pris le parti de lui consacrer une page sur ce site, page qui sera à compléter. C’est déjà un début, et l’occasion de rappeler que, pendant que les uns vendaient la presse nazie au son du biniou, les autres risquaient leur vie.
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Un lecteur m’adresse une copie d’un article qui vient à point clore le petit feuilleton que j’ai intitulé Parole interdite : en effet, les militants qui entendent interdire que l’on m’accorde le droit de m’exprimer sur le sol breton, quel qu’en soit le sujet, parlent au nom de la Culture bretonne qu’ils estiment incarner (je mets une intentionnellement une majuscule au mot Culture ; je pourrais aussi, comme eux, en mettre à « bretonne », mais inutile d’outrager l’orthographe). De fait, il s’agit de la Culture bretonne officielle, la vraie Culture bretonne, la Culture bretonne officiellement promue sous la forme d’un Centre culturel breton, qui a pignon sur rue et même vaste enseigne dominant le site de la mairie de Guingamp.
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Lorsque je suis arrivée à Guingamp pour l’inauguration de l’exposition à la médiathèque (elle-même placée sous la direction d’un fils et petit-fils de militant nationaliste breton, et l’accueil fait à l’exposition a été conforme à ce qu’il fallait en attendre), deux ou trois personnes qui se rendaient au théâtre étaient là, le nez levé, s’étonnant du spectacle qu’offre cette façade. Pour ma part, je me souvenais d’un Centre culturel breton Roparz Hemon qui avait été débaptisé, à la grande fureur des militants nationalistes niant obstinément la gravité des textes antisémites de Roparz Hemon et sa fuite avec les SS du Bezen Perrot.
Il me semblait que cette culture s’était discréditée elle-même et n’avait plus sa place dans une ville où la gauche l’avait emporté. Or, tout au contraire, ce que je découvrais, c’était un vaste bâtiment arborant un drapeau national breton, dit « gwenn-ha-du », et une fresque de style néoceltique au sens pour le moins hermétique mais dont le message essentiel était assez clair : nous autres Celtes ne sommes pas français et n’avons donc, fût-ce sur le sol de la mairie de Guingamp, aucun autre drapeau à faire flotter que la bannière de notre ethnie.

Par la suite, j’ai pu mieux décrypter la fresque car, avouant que « pour le non initié, il n’est pas aisé de comprendre la signification des dessins, ni leur origine », son auteur a pris la peine de s’expliquer longuement : le nom du kreizenn, dit-il (bien que le nom kreizenn soit normalement féminin, mais nous ne sommes plus à ça près) est écrit en onciale, c’est-à-dire en caractères non pas bretons mais irlandais ; de part et d’autre, se voient deux dragons rouges, considérés comme symboles de l’évêché du Trégor (pour cette raison que « Trégor » pourrait, selon l’une de ces étymologies fantasmatiques si chères à la celtomanie, venir de « dragon ») ; à gauche, se voit le chaudron, motif celtique essentiel, frappé d’un(e) triskell et portant un arbre de vie, autre symbole celtique irlandais. Bref, un symbole celtique, portant un symbole celtique, portant lui-même un autre symbole celtique, le tout signifiant que la Bretagne est celtique, ou plutôt que du chaudron de la celtitude sortira la Bretagne revivifiée, nettoyée, fidèle à ses gènes, plus française, plus bretonne non plus, mais celte. Si l’on remplaçait les symboles celtiques par des symboles aryens, on aurait une exhibition qui ferait peur.
Cette fresque et ce drapeau sont un condensé de la culture qui entend s’imposer, non pas seulement comme culture officielle (puisqu’elle l’est déjà) mais comme seule autorisée à occuper tout le terrain, et je n’ignore pas qu’en s’opposant à ma présence, c’était aussi à la présence de l’association GwinZegal que les militants bretons entendaient s’opposer. Il ne s’agissait là que d’un épisode de plus dans une guerre menée contre une culture libre, je veux dire étrangère à tout enrôlement identitaire. Et je ne voudrais pas omettre de signaler que cette action s’inscrit dans un contexte plus large qui a vu, au même moment, la mise à mort du centre d’art contemporain le Quartier à Quimper, le maire (de droite) favorisant l’identitaire breton en ses pires productions. Poujadisme et régionalisme ont toujours fait bon ménage.
Or, c’est bien le président du Centre culturel breton, un certain Kerhervé, qui est intervenu ès-qualités pour faire savoir par voie de presse qu’il interdisait qu’il me soit « offert une tribune si minime soit-elle ». C’est lui aussi qui, à la tête d’un commando, a tenté d’empêcher que la conférence sur Armand Robin puisse avoir lieu et soit remplacée par un éloge de Polig Monjarret. Il était soutenu par un nommé Kerlogot, représentant le conseil départemental, et tout à la fois la fédération Kendalc’h qui regroupe les cercles celtiques. Nous avions donc bien là les représentants de la Culture bretonne officielle.
Nul ne les obligeait à mener combat au nom d’un collaborateur des nazis jamais repenti : Roparz Hemon s’était enfui avec les SS du Bezen Perrot mais il n’avait tout de même pas organisé sa fuite avec le SD ; il avait publié des textes antisémites mais il ne s’était pas battu en tête des Bagadoù Stourm ; il avait écrit, bien longtemps après, que sous l’Occupation, la Bretagne avait connu une période de liberté, mais il n’avait pas défendu jusqu’au bout, comme Monjarret, l’existence d’une « race bretonne » ; enfin, il n’avait pas milité au MOB de Fouéré, autre fasciste non repenti, lui aussi partisan d’une Europe des ethnies. Voilà quelques années, le Centre culturel Roparz Hemon de Guingamp était débaptisé, comme le collège Diwan. Exit Roparz Hemon, surgit Polig Monjarret.
Hemon a imposé sur ordre des Allemands l’orthographe surunifiée, Monjarret a imposé par le biniou le culte de l’interceltisme. Leurs combats étaient complémentaires : pour l’un, il s’agissait de faire d’une « langue abâtardie » une langue celtique épurée ; pour l’autre, il s’agissait de faire d’une « musique abâtardie » une musique celtique épurée ; et, pour les deux, de mettre cette reconquête au service de la nation bretonne destinée à prendre sa place dans le concert des nations celtiques. L’Europe des races où le panceltisme rejoignait la pangermanisme est devenue cette Europe des ethnies promue par le « zh » et et le « bagad » que des militants mettent en œuvre comme culture officielle.
Ce sont des militants de gauche (ou qui, comme Kerlogot, peuvent passer de la gauche à la droite) aussi bien que des militants d’extrême droite ou d’extrême gauche qui promeuvent cette idéologie : en effet, l’UDB avait réussi à imposer le nom de Monjarret au conseil municipal jusqu’à ce que des protestations se fassent jour. Et voici l’ancien terroriste Gaël Roblin, fondateur du parti indépendantiste Breizhistance (0,64% de voix aux élections régionales de 2015) qui entre dans l’équipe du Centre culturel breton. Tel est l’article d’Ouest-France que m’a fait parvenir un lecteur trégorrois.

Ce lecteur précise que, peu auparavant, ce même Gaël Roblin s’était signalé par l’invitation au Dibar de Plougonver d’un terroriste d’Action directe, Jean-Marc Rouillan, sous le coup d’une procédure pour avoir trouvé « courageux » les terroristes islamistes auteurs des meurtres du Bataclan (comme le rapporte le site nationaliste Breizh infos).

Gauche autonomiste, extrême-gauche indépendantiste, unies pour des actions communes…

Une certaine porosité se voit, en effet, dans les actions menées pour défendre la Culture bretonne et, pour s’en tenir à l’exemple qui nous a valu de découvrir le Centre culturel breton, la promotion de Monjarret fédère, comme on a pu le remarquer, gauche, droite, extrême gauche et extrême droite sur une même base idéologique : nous sommes Celtes et partisans d’une Europe des ethnies, l’« Europe aux cent drapeaux » de Fouéré (comme de Monjarret). C’est cette culture qui est subventionnée sur fonds publics. Et qui, bien sûr, se présente sous un jour tout à fait apolitique, comme le rappelle un article d’Ouest-France dressant le panorama des activités du Centre culturel breton : d’abord, bien sûr, enseignement du breton, et enseignement de l’histoire bretonne (pas n’importe quelle langue et pas n’importe quelle histoire), puis enseignement du dessin celtique, du kan ha diskan, de la danse bretonne, stages de crêpes, stages de kig-ha-farz, stages de découverte (en breton) du camélia et du rhododendron, participation à la redadeg (course visant à rapporter de l’argent à Diwan) et découverte de la Vallée des saints. Le tout accompagné de conférences sur des sujets choisis… La Fondation Fouéré a, par exemple, invité l’indépendantiste Y. Mervin à faire une conférence sur son dernier livre au Centre culturel breton. Mervin trouve que la Résistance a fait plus de mal à la Bretagne que les nazis : bel exemple d’histoire à promouvoir en même temps que Monjarret.
Un Guingampais soucieux d’apprendre à faire le kig-ha-farz (pot-au-feu léonard) peut ainsi se trouver amené à découvrir tout un ensemble de productions qui l’amèneront à s’enrôler dans un combat nationaliste présenté sous le jour aimable d’un combat culturel.
Telle est la culture à laquelle il convient de faire allégeance pour avoir le droit de s’exprimer.
La conférence sur Armand Robin en a donné une illustration qu’il aurait été dommage de ne pas développer jusqu’au bout.
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19-20-21 août 2016
Reçu d’un lecteur pour montrer l’instrumentalisation des combats écologistes par les nationalistes : au Dibar de Plougonver, qui invitait Jean-Marc Rouillan… la lutte contre les projets miniers permet de tout soumettre à la « cause bretonne ».

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Enfin, Jean-Marc Rouillan ayant été condamné à huit mois de prison, les commentaires de ses défenseurs du collectif de Guingamp peuvent être lus en ligne.
Ainsi le nationalisme breton s’exprime-t-il.