L’exposition 

L’inauguration de l’exposition a eu lieu, tout s’est merveilleusement passé, et comme André a rédigé une chronique sur Facebook à ce propos, je me contente de la reproduire ici.  

Être reçus

Il y a Trump, il y a tout ce que vous voulez, et nous, pendant qu’il y a tout, ce que nous avons fait, Françoise et moi, pendant deux semaines, c’est préparer – en deux semaines – une exposition sur nos éditions Mesures. Parce que l’invitation venait du directeur de la Bibliothèque Ceccano d’Avignon, Jérôme Triaud, – de venir lancer la Saison VI, là, ici, enfin, dans une galerie de cette bibliothèque – si ancienne, si riche, si extraordinaire (elle remonte au XIVe siècle), qui s’était abonné, à titre personnel, et qui avait demandé à abonner la bibliothèque, à toutes nos Saisons. Une exposition sur notre six années d’existence, de travail. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Comment on fait une exposition sur une maison d’édition, et surtout, sur une maison comme ça, qui, certes, est une maison, mais une maison tellement particulière, qui publie peu (cinq livres par an), n’accepte pas de manuscrits, et se diffuse en grande partie non pas seulement chez les libraires (évidemment chez les libraires !… que serions-nous sans les libraires ?) mais aussi par abonnement, par un système d’AMAP, – et c’était bien le titre de cette exposition, qui s’inscrivait dans le cadre des Nuits de la lecture, « LES ÉDITIONS MESURES, UNE AMAP LITTÉRAIRE »… 

En fait, nous ne nous rendions pas compte de ce que ça signifiait, cette invitation. De la quantité de travail que ça nous demanderait, et, surtout, surtout, de la charge émotionnelle que ça implique, puisque, ce que nous avons fait, c’est revenir sur nous, sur chaque livre (et, là encore, évidemment, nous n’avons pas parlé de tous nos livres), et d’y revenir non pas par les récits, mais factuellement, par des documents. Que faire pour faire comprendre qui nous sommes, nous, – je veux dire Françoise Morvan et André Markowicz, – quelles sont nos origines, ce que nous avons fait, en dehors de Mesures, – comment faire pour donner à sentir ce qui nous lie ? Quelles origines sociales ? Quelles origines géographiques ? C’était impressionnant de monter une vitrine, par exemple, en mettant d’un côté les photos de Françoise, – sa grand-mère paternelle (une paysanne en costume de Rostrenen) et sa grand-mère maternelle (une jeune fille de la bourgeoisie de Guingamp) – et les miennes, prises dans les photos de mes Partages publiées aux éditions inculte, – mon arrière-arrière-grand-père en juif religieux de Lituanie, et ma grand-mère et ma grand-tante, en petites filles de la petite bourgeoisie de Pétersbourg… – Oui, l’importance des grands-mères, de cette transmission par delà les générations, de ce que nous avons reçu, – et ces maisons communes, si différentes. – 

Nous avions huit vitrines à notre disposition. Je ne vais pas vous faire le parcours, – ça n’aurait pas de sens ici, – mais ce qui compte, pour nous, c’est cette sensation d’un parcours, – six ans de travail, et trente-deux livres, mais des livres qui, je ne sais pas comment dire, tous, tout différents qu’ils sont, viennent de quelque part, et font, tous, d’une façon ou d’une autre, un chœur. Parce que nous avons aujourd’hui, trente-deux livres chez Mesures, – des livres qui ne distinguent pas le théâtre, la poésie, la prose, la traduction et la non-traduction, les domaines linguistiques, les langues, les époques. Trente-deux livres qui se répondent, d’une façon, étrangement, peut-être, aléatoire et évidente, qui se construisent les uns les autres, qui sont liés, tous, les uns aux autres. Et puis, dans notre dernière vitrine, nous avons voulu rendre compte du travail sur la matière du livre, non pas les mots, mais le papier, mais la typographie, sur le travail que nous menons avec notre imprimeur, devenu notre ami, avec la Scop de Média Graphic.

Ce que nous avons aussi pensé, c’est que non seulement il fallait présenter des documents (des manuscrits, des éditions originales, des gravures, les originaux des illustrations de Françoise, plein et plein de choses), mais il fallait aussi écrire des textes pour raconter ces choses, leur donner vie pour qui voudrait venir, faire que ces choses, pour nous si importantes, deviennent vivantes pour qui voudra. Et nous nous sommes dit qu’il était important de présenter les portraits des auteurs russes que j’ai traduit, avec une courte biographie (au total, treize auteurs jusqu’à présent), et que, tous, oui, absolument tous, ils étaient liés par une chose fondamentale : chacun d’entre eux a été un homme ou une femme libre, tous, ils ont joué leur vie contre la dictature. Tous, ce qu’ils ont écrit, c’était une question de vie ou de mort. Et que c’était bien cela qui comptait, – cette lutte pour la dignité dans un pays, la Russie, où la dignité humaine est quotidiennement foulée aux pieds, une lutte pour rester libre, au prix de sa vie même, dans un pays où, la liberté, trop souvent, on la paie de sa vie. 

Dire cela, ce n’est pas revendiquer leur héritage et se placer, présomptueusement, à leur suite. C’est juste dire un fait – la Russie, ce n’est pas seulement la monstruosité de l’Empire, tsariste, communiste ou poutinien. C’est autre chose, c’est aussi une lutte contre. Et autre chose encore, – une lutte pour la beauté.

Nous nous sommes retrouvés, devant les spectateurs qui sont venus, à raconter, image par image, notre parcours, notre travail, cette nécessité où nous sommes de continuer. Et le faire dans le cadre inouï de cette bibliothèque, ce n’est pas seulement un honneur, mais une émotion dont je puis dire qu’elle est très très profonde. Nous retrouver ici, à Avignon, dans cette bibliothèque, parmi des gens, connus de nous ou inconnus, qui nous reçoivent – au sens le plus noble du terme.

Cette exposition, elle sera visible jusqu’au 15 février. Je voulais dire merci d’être reçus ainsi. Et oui, la Saison VI est aujourd’hui lancée…

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Inauguration de l’exposition sur les éditions Mesures

Aujourd’hui à 18 h à la bibliothèque Ceccano en Avignon, nous inaugurons l’exposition que le conservateur, Jérôme Triaud, a souhaité consacrer aux éditions Mesures – un geste d’amité qui nous a permis de faire le point sur cette expérience commencée voilà six ans. Et c’est aussi à la bibliothèque Ceccano que nous inaugurons la Saison VI des éditions Mesures.

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Vœux pieux

Le journal Bretagne-Île-de-France m’a invitée à présenter mes vœux aux lecteurs. J’en ai profité pour évoquer le sujet interdit sur lequel il y aurait pourtant long à dire : l’indécent appel à combler le trou sans fin creusé par Diwan (et par la Coop Breizh qui, ô miracle, dépose son bilan en septembre et publie en novembre une luxueuse revue sur papier glacé (quoi qu’elle prône l’écologie), revue brassant la propagande habituelle avec une vigueur renouvelée). 

Même mouvance nationaliste, mêmes réseaux, même milieu, même idéologie, même rôle, même art de régner en mendiant plus de subsides. Qu’est-ce qu’un petit trou de 500 000 €, si vite comblé, quand on sait qu’en dix ans le conseil régional a versé plus de 13 millions d’euros à Diwan (et près de 800 000 € à la Coop Breizh pour des projets qui disent à eux seuls le poids idéologique sans fin alourdi sur la culture et l’édition en Bretagne). Et tout ça pour quoi ? Les Bretons se contentent de ne pas mettre leurs enfants à Diwan (qui se plaint de la chute des effectifs) et de ne pas acheter les produits de la Coop Breizh (qui demande sa mise en redressement judiciaire). Et l’Éducation nationale est menacée de perdre 4000 postes… 

Je n’ai pas évoqué le fait que Diwan prépare l’ouverture de nouvelles écoles en pays gallo (où l’on n’a jamais parlé breton) et je n’ai pas mentionné l’affaire du Diwan Hell Fest : tous les ans a lieu un festival de hard rock pour soutenir l’école Diwan de Guipel (encore une fois, en plein pays gallo) et célébrer le « Nouvel an celtique ». L’an passé,  Deströyer 666, groupe raciste,  était invité. Sans les informations données par Médiapart, l’affaire serait passée inaperçue mais, sitôt l’information donnée, Diwan a vertueusement protesté. Personne ne s’est indigné du contenu habituel du Diwan Hell Fest (ou Samaïn Fest)) : propagande néodruidique, nordisme, assimilation des Bretons à la race celtique supposée plonger dans les profondeurs mystérieuses des mythes et de la magie d’Irlande…  Avec invitation de groupes indépendantistes comme les Ramoneurs de menhirs… Aucun parent n’a jamais protesté. La direction de Diwan non plus. Ni le conseil régional. Ni le rectorat.

Oui, le vœu de voir enfin régner un peu de décence est un vœu pieux mais un petit rappel à la réalité n’est jamais inutile. 

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La saison VI des éditions Mesures

Ça y est, ils sont parus, les cinq livres de la sixième saison des éditions Mesures !

Je vais juste reprendre ici le texte qu’André a publié pour annoncer le lancement de cette nouvelle saison.  

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Bonne année !

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L’Amour des trois oranges 

Un lecteur m’adresse le texte d’une jolie émission diffusée par radio Aligre. Cette émission écrite par Christine Bessi a été mise en ligne sur Facebook. Elle m’a semblé bien accordée à la période du Nouvel An, réconfortante, sensible et joyeuse. Et puis elle me donne, pour finir cette année qui a vu la parution de L’Amour des trois oranges, l’occasion de m’expliquer au sujet de ce livre qui ne ressemble à rien et qui est une manière de sortir des domaines réservés du conte et de la poésie. 

L’idée m’est venue de rassembler les contes et les poèmes que j’avais écrits quand j’ai pris conscience que toutes mes recherches sur le conte avaient disparu, soit parce que les éditeurs après les avoir exploitées les avaient laissées en déshérence (ainsi les dix-huit volumes de Luzel parus aux Presses universaires de Rennes), soit parce qu’ils avaient pilonné les volumes qu’ils m’avaient demandés (ainsi les magnifiques livres publiés par Ouest-France à partir de ma collection de livres d’Arthur Rackham, partis au pilon sans que je puisse même en acheter un exemplaire), soit parce que le business éditorial leur faisait perdre toute signification (c’est ainsi que la collection « Les grandes collectes » a été démantelée et s’est trouvée mêlée à ce que j’entendais combattre en publiant « le meilleur de la meilleure collecte » par région : il s’agissait bien pour moi de combattre les compilations à la Markale et les réécritures de contes populaires en lourde prose, criblée de clichés, tuant la poésie du conte). 

Le détournement du folklore était, pour finir, l’objet de ma thèse sur Luzel et je peux dire que j’aurais à présent de quoi en écrire une autre… mais, plutôt que de perdre mon temps, j’ai réalisé que ce qui m’avait intéressée et qui avait été à l’origine de cette longue recherche, c’était la poésie du conte. Constamment massacrée, elle donnait l’impression d’un acharnement à la faire disparaître qui, pour finir, me ramenait à la source des problèmes que j’avais rencontrés quand j’avais voulu éditer Luzel et que je m’étais heurtée aux nationalistes bretons (j’ai écrit Le Monde comme si à ce sujet) : la laideur des volumes publiés par Per Denez et ses affidés, la mocheté ringarde du style et des images, la bêtise des compilations, bref, tout un business Coop Breizh proliférant, m’a semblé exister d’abord en haine de la poésie. 

Je le dis d’autant plus volontiers qu’un lecteur vient de m’apporter un volume paru à la Coop Breizh et qui est un pillage de Vie et mœurs des lutins bretons : ce livre que j’avais publié pour montrer qu’il n’y avait aucun rapport entre les récits collectés par les érudits auprès des gens du peuple et l’exploitation celtomaniaque du lutin a été exploité précisément de manière à illustrer les pires clichés avec bretonnitude et pittoresque à la clé. Il va de soi que la poésie de ces légendes fantasques, écrasée sous l’épaisse prose de rigueur et les illustrations vulgaires a totalement disparu. 

J’ignorais ce dernier épisode quand j’ai constaté que la meilleure manière de quitter ce domaine était de rassembler les textes qui témoignaient pour moi de la poésie du conte et ainsi de les sauver car ils étaient voués à rester perdus à jamais, faute d’éditeur susceptible même de comprendre de quoi il retournait (et ne pas en faire un produit destiné à se périmer à brève échéance). 

C’est donc ce livre d’adieu qui est paru l’an passé. 

J’ai choisi pour titre L’Amour des trois oranges (titre qui, il est vrai, qui ne laisse pas vraiment deviner de quoi il retourne) car c’est à partir de ce conte que j’ai commencé, voilà bien longemps, de mettre en résonance les images du conte populaire, comme à partir des motifs des contes-types… N’entrons pas dans ces considérations : il suffit d’une lecture aussi compréhensive que celle de Christine Bessi pour voir le sentiment d’avoir changé cet adieu en partage. 

Dialogues Aligre

L’amour des trois oranges, Françoise Morvan, Editions Mesures , décembre 2023.

D’où vient cet appel à ouvrir les livres de contes, quand le soir tombe maintenant, si bienheureusement, tôt ? 

Et quel appel, si les enfants sont partis, à parler seul, à laisser aller sa voix, à DIRE le conte-près de la cheminée ou de la simple chandelle, pour restaurer là, pour soi, l’enfance toute nue ? 

Sans doute ne se languit-on plus ici des anciennes veillées où grillaient les châtaignes à l’heure du goûter ? 

Sans doute, pas davantage de cette lenteur qu’imposait la vie rustique, ni même du soin ni du temps que prend – a minima – la vie d’un foyer et, par là, le soin d’attiser le feu ?

Il est encore temps, toutefois, de se souvenir des contes aimés, lus et relus jusque tard dans l’adolescence et tout encore aujourd’hui, par et chez ces aïeux qui nous laissaient rêvasser à d’autres temps et contrées, sur le livre à la reliure au fil, grand ouvert, devant un feu quant à lui, fermé, comme muet et assourdi. 

Tout pouvait alors être remis à plus tard, tant l’urgence des devoirs que le petit goûter. 

Françoise Morvan rassemble dans l’amour des trois oranges, l’écho profond de ses poèmes qui disent à la fois le paysage mental de l’enfance, l’ombre étrange et le mystère qui y survivent toujours et l’ensemble de son travail de collecte et de traduction de contes. Ce travail, nous dirons davantage ce scrupule, dispersé en œuvres éditées par plusieurs maisons d’éditions, puis épuisées, raconté en plusieurs spectacles et œuvres radiophoniques, retrouve en très peu de pages (les toutes dernières), sinon la sensation de la poésie du conte du moins la certitude, où que l’on se trouve, d’avoir une clé-un “passe” – d’un petit royaume pour se réapproprier son enfance, la faire revivre, la sentir et la transmettre.

On relira avec douceur ce que Françoise Morvan dit de la poésie du conte et ce en quoi elle rencontre universellement tout un chacun. 

« Pour ce qui est d’expliquer en quoi consiste la poésie du conte qui a été à l’origine de cette recherche et qui, au total, malgré les apparences, me semble avoir fait qu’elle n’a pas été vaine, je déclare forfait. Je ne sais pas ce qu’est la poésie : elle est là ou elle n’est pas là. Le moins qu’on puisse dire est que, dans le conte, elle surgit toute baignée d’une étrangeté immémoriale et parfois surgit d’un fatras de clichés enlisés dans un style académique, sans que l’on puisse savoir pourquoi. Le tout, pour tenter de s’accorder à cette présence, est d’essayer de placer ces images clés dans le déroulé d’un rêve où tout serait vrai et qui obéirait à un rituel universel. C’est ce que sentent les enfants lorsqu’ils exigent que le conte soit dit et redit de la même manière. C’est aussi ce que voulait dire Andersen lorsqu’il expliquait que le conte était “ le royaume le plus étendu de la poésie” et c’est cette poésie qu’il a voulu transmettre par la prose.” »

On ne sait pourquoi ce sont les dernières pages du conte portant sur l’homme de la lune (maléfices) et le poème (l’ensorceleur) qui nous recueillent aujourd’hui, rassemblant en quelques images et paréidolies, comme par magie, un vieux chant populaire que les anciens pyrénéens chantonnaient en berceuse, pour endormir les enfants, un chant dont l’enfant reconnaît entre mille le rythme et le refrain, fier d’entonner à son tour ce qui est dit et redit, tandis que la lune descendante éclaire tout après, la nuit… 

« Une fenêtre ouverte sur la nuit

Montre en halo de lampe un peu brumeuse 

Un petit homme à profil d’aigle ou de corbeau 

C’était ainsi jadis que l’on voyait 

L’ensorceleur qui logeait dans la lune 

Tout borgne qu’il était cligner de l’œil 

En martelant ses faux écus

Captifs aussi et prêts à échanger nos rêves 

Contre un boisseau d’argent fictif

Nous avions beau défier soir après soir 

Ces yeux de fiel qui nous faisaient complices 

Nous consentions à vieillir par usure 

Laissant durcir autour de nous sans gloire

Un destin à notre effigie

Aurions-nous pu apprendre alors

Que vivre était se fondre aux ombres

Non pas descendre ainsi épuisant ses créances

Comme on usurpe un ancien deuil ?

Ici tout est resté fidèle au même emblème 

Mais le rideau qui va et vient 

Fait une ombre de faux sur la lueur. »

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« Vigile de décembre » à la Scala

Le 22 décembre à 15 h 15, à la Scala, 13 boulevard de Strasbourg, dans le Xarrondissement, je dirai avec André Markowicz des textes de Vigile de décembre

Nous avons choisi ces textes parce qu’ils étaient de circonstance en cette période de Noël mais aussi parce qu’ils venaient s’inscrire dans l’ensemble du projet de rencontres « De Russie et d’ailleurs » à la Scala cette année : une ouverture sur une autre manière d’écrire et de partager ce qui pour nous est essentiel. 

Voilà le programme des rencontres :

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Panem ? Circenses !

En ce dimanche soir, je cède à un mouvement d’indignation. 

Déjà, la, selon moi, ridicule cérémonie des Jeux olympiques organisée au moment où la France se trouvait sans gouvernement du fait du prince (qui triomphait grâce aux Jeux) m’avait irritée sans que pourtant je manifeste le moindre sentiment à ce propos ; ensuite, j’avais, poussée par je ne sais quelle curiosité masochiste, suivi la cérémonie d’ouverture, non pas des Jeux, mais de Notre-Dame-de-Paris : il n’avait pas suffi de voir cette pauvre cathédrale dépouillée de tout son mystère, privée à tout jamais de cette présence du temps qui en faisait un reliquaire, et d’entendre célébrer à tout instant la « blondeur des pierres », il avait fallu encaisser comme une insulte la trogne renfrognée de Trump et la présence des milliardaires bénis par leurs offrandes au culte célébré par des évêques déguisés en perroquets : rouge, jaune, bleu, vert, les vêtements liturgiques signés Jean-Charles de Castelbajac avaient dû coûter bien cher quand l’art français du vêtement liturgique qui avait si longtemps triomphé comme un modèle était flanqué à la poubelle, profitant du bienheureux incendie (bienheureux puisque voulu par Dieu, ce que les hymnes de remerciement au Ciel qui se succédaient passaient bizarrement sous silence). Et j’ignorais encore que des vitraux sauvés de l’incendie allaient être déposés pour être remplacés à grands frais par des horreurs modernes… La crosse de l’évêque avec sa pierre bleue imitée du plastique était comme le symbole ultime du toc qui, pour finir, triomphait, assurant la fin d’un catholicisme auquel plus personne ne pouvait adhérer.

Quelle extraordinaire image que celle de Donald Trump, Emmanuel Macron, Michel Barnier, Premier ministre sans l’être depuis quelques heures, salués par cet homme déguisé tenant sa crosse comme un bâton magique… Au milieu de tout, et plus faux, plus jésuitique que le reste, le discours du pape, qui avait pris soin d’être absent : mielleux, plein de cette onction haineuse qui semble avoir été depuis les origines le chrême de la religiosité, le discours était lu quand chacun savait que, dédaignant Notre-Dame-de-Paris, symbole de la France, le Pape allait se rendre, ultime offense, en Corse. 

Pourquoi en Corse ? Mais parce que la Corse, colonisée par l’État français, fait, aux yeux du Vatican, partie de ces régions périphériques où il s’agit de faire resurgir la vraie foi – contre, bien sûr, la laïcité à la française : le pape n’a pas manqué de sermonner la France qui devrait en finir avec une laïcité « statique et figée » et de prôner (ou promouvoir) une laïcité « à la corse ». Nationalisme et religion, tout s’unit dans le culte des racines.  Et puis, du Vatican à Ajaccio il n’y a qu’un pas. Et surtout, Dieu a donné au monde un Basque, devenu évêque de Corse, et qui sera peut-être un jour pape, le cardinal Bustillo, ouvertement autonomiste. Ne déclarait-il pas en début d’année que « la Corse doit retrouver sn autonomie et sa liberté » ? 

Le voyage du pape en Corse, concocté par Bustillo, est un voyage politique, et le message d’amour un message de haine, une haine doucereuse, enveloppée de bons sentiments et d’autant plus dangereuse. Ce sont les presses de Bolloré qui ont publié le livre du cardinal, Le Cœur ne se divise pas. À voir se dresser la haute silhouette maigre du cardinal photographié pour la presse d’extrême droite, on se dit que cette maxime aurait pu être celle du Grand Inquisiteur. 

Le président de la République s’est docilement rendu en Corse et a rencontré le pape et Siméoni. 

Mon indignation vient du sentiment d’avoir vu les valeurs de la République trahies par un pouvoir qui ne se rend présent que pour être plus absent. 

Il est vrai qu’il n’y a là plus rien que d’ordinaire. 

Quoique, bien sûr, le voyage du pape soit très extraordinaire – et c’est à qui célèbrera cet incroyable, ce miraculeux voyage d’un pape qui, malade, impotent, a tenu à honorer la Corse, pour la première fois au monde, de sa présence.

Et qui a très bien parlé corse.

Mais pas français.

En 2018, Emmanuel Macron avait présenté Jean-Yves Le Drian au pape en expliquant que « les Bretons, c’est la mafia française ». Il n’a pas eu besoin de présenter qui que ce soit en Corse.

*

Et, comme par hasard, au même moment, l’Union démocratique bretonne) appelle à un changement de Constitution dans le but de faire éclater la France en régions autonomes (en attendant l’indépendance). 

Corses et Bretons, même combat : en 2022 Gérald Darmanin, sans la moindre consultation, étant allé proposer l’autonomie à la Corse, le conseil régional de Bretagne, aligné sur les positions de l’UDB, avait immédiatement exigé, sans plus de consultation, un régime identique d’autonomie. 

Dans Ouest-France, l’annonce est faite sous gwenn-ha-du,  un immense gwenn-ha-du, symbole de la nation bretonne, et sur un ton apologétique :

« Face à la crise institutionnelle qui secoue actuellement la France, l’Union démocratique bretonne (UDB) prône une réforme de la Constitution  permettant des autonomies régionales. Nous souhaitons que la Bretagne, mais aussi d’autres territoires s’ils le souhaitent, puisse voter des lois et lever des impôts, sans mendier systématiquement à Paris une autorisation qui ne vient pas, ou trop tard. » 

Rien ne pourrait plus attiser les ardeurs des nationalistes que la déréliction du pouvoir. 

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Les fables de Marie de France

Je viens de recevoir les actes du colloque Marie de France fabuliste colloque placé sous la direction de Jeanne-Marie Boivin et Baptiste Laïd et qui m’avait donné l’occasion de poser le problème de la traduction de la poésie médiévale. C’est ce que résume joliment Jeanne-Marie Boivin en introduction à ma communication (qui clôt le volume) :

« Le choix de traduire le vers par le vers permet de respecter nombre de qualités du texte en ancien français : musicalité, brièveté, humour, rapidité, clarté, là où les traductions en prose comme celle de Ch. Bruckner proposent un texte très littéral qui a son utilité, mais dont disparaît une grande part du travail original. »  

C’est, à ma connaissance, la première fois que cette méthode de traduction, jugée hérétique au point que ma traduction des Lais et des Fables n’existe tout simplement pas aux yeux des universitaires, bénéficie d’une reconnaissance officielle. Il faut d’abord saluer l’ouverture d’esprit de Jeanne-Marie Boivin qui a fait partie des hardies pionnières à l’origine de la découverte des fables de Marie, longtemps si décriées. 

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Le dernier maquisard des Côtes d’Armor

Âgé de cent ans, mon oncle René était, d’après Pierre Martin, le président de l’ANACR (que l’on voit sur l’image avec un coussin portant des médailles), le dernier maquisard des Côtes d’Armor. 

C’est lui qui, lorsque j’étais allée l’interroger au moment où j’écrivais Miliciens contre maquisards, avait, au détour d’une réponse à une question portant sur un tout autre sujet, confirmé la présence du Bezen Perrot à Garzonval. Je me suis souvenue de ce bref échange, qui en disait pourtant si long :

« Est-ce que, pour toi, la langue dans les maquis, c’était plutôt le français ou le breton ? 

– Le breton ? Les paysans parlaient tous français avec nous, même dans le Morbihan qui passait pour arriéré. La pire preuve de mépris, c’était de leur parler breton, sous prétexte qu’ils ne pouvaient pas comprendre autrement. À Garzonval, tiens, juste après le massacre de nos copains, un paysan qui conduisait une charrette sur la route a été pris à partie par les SS… Ils remontaient sur Plougonver et ils lui ont crié en breton : « Gare-toi de là ou t’es fait ! ». C’est le paysan lui-même qui nous l’a dit la première fois qu’on est allé à Garzonval après la guerre… Des SS qui parlent breton pour se faire obéir d’un plouc, supposé incapable de comprendre le français… il n’en revenait pas. 

Les SS sous uniforme allemand qui parlent breton, ça ne peut être que les miliciens du Bezen Perrot, et pourtant les historiens prétendent que le Bezen n’était pas à Bourbriac. 

— En tout cas, ceux de Garzonval parlaient breton. Et ce qui est grave est qu’on réhabilite maintenant des collabos comme l’abbé Perrot… » 

C’était un témoignage tout simple – un condensé de vérité allant de soi pour lui, et pour moi d’autant plus sidérant qu’il énonçait ce que la propagande avait enlisé, submergé, interdit : mon oncle, bretonnant de naissance, disait ce qui pour lui, comme pour les jeunes maquisards autour de lui, était une évidence, à savoir que les échanges se faisaient naturellement en français, que le fait de parler breton à un paysan pouvait être la marque d’un manque de considération et que les nazis étaient allés jusqu’à se servir du breton comme offense. Que ces nazis aient été des nationalistes bretons ne lui était pas venu à l’esprit : c’étaient des SS, voilà tout. Et ça en disait long sur la défense du breton par les nationalistes…

La présence de ces SS à Garzonval, elle est désormais effacée, passée sous silence. 

Il serait heureux que Pierre Martin et l’ANACR, lors de la prochaine cérémonie de Garzonval, se souviennent de ce témoignage. Ce serait un bel hommage à rendre au dernier maquisard des Côtes d’Armor. 

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