L’amour des trois oranges 

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Voilà, il existe : son baptême a eu lieu samedi à Port-Louis à la librairire La Dame blanche (nom prédestiné car les dames blanches font partie des fées dont j’ai longuement étudié les mœurs, notamment dans la collecte de Luzel ). J’aurais dû commencer par lire l’un des textes qui illustrent la poésie du conte (qui fait l’objet de ce livre) mais j’ai été entraînée par mon périple dans le domaine du conte à la suite du tir de barrage destiné à m’interdire d’éditer les carnets de Luzel… Vaste saga. Trop vaste : nous voulions présenter la cinquième saison des éditions Mesures et nous n’avons pas pu parler assez précisément des autres livres.

Cette soirée mémorable marque, après notre première apparition au festival Rue des livres, un changement car, voilà encore quelques années, le fait de nous inviter était, en Bretagne, tout simplement impossible (ou alors héroïque et ne pas prévoir de service d’ordre revenait à s’exposer aux risques d’intrusion de hordes furieuses, d’enfarinage ou autres pratiques des militants bretons). Il faut souligner la générosité de Georges Guitton, qui avait accepté d’être présent comme modérateur et qui a accompagné toute cette rencontre. Dominique, la libraire, avait été stupéfaite de voir qu’en douze heures, la liste des réservations était pleine – et il a fallu refuser une trentaine de personnes…  

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Il ne s’agissait pas, comme en d’autres lieux, de militants venus en masse mais de lecteurs normaux, pas plus intéressés par Le Culte des racines (que je présentais aussi) que par les livres des éditions Mesures. Et de lecteurs merveilleusement chaleureux et bien intentionnés.

Enfin, comme on peut le voir, un correspondant du Télégramme était présent (alors que l’omerta était jusqu’alors de règle) et son article n’était pas à charge… 

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Rencontre à Port-Louis

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Les sonnets de Shakespeare au lycée

Poursuivant l’expérience engagée avec Les Mistoufles, David Gauchard a choisi de travailler sur les Sonnets de Shakespeare parus aux éditions Mesures : comme avec les enfants pour Les Mistoufles qui ont donné lieu à sept CD, il s’agit de faire entrer la poésie dans les classes en travaillant sur le rythme, les sonorités, les rimes – bref, de rendre la poésie vivante et de permettre aux élèves de la dire. 

Nous serons aujourd’hui au lycée de l’Aulne à Châteaulin et le 29 mars au lycée ISSAT de Redon.

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Deux protestations courageuses

Le conseil régional de Bretagne demande l’autonomie au nom des Bretons. Nul débat, opposition muselée, déluge de propagande. En Bretagne, Benjamin Morel, qui a publié La France en miettes, n’a eu droit qu’à des invectives de la part du président du conseil régional ; les diverses lettres ouvertes rédigées par des citoyens indignés n’ont reçu aucune réponse ; le libelle que j’ai publié aux éditions du Seuil sous le titre Le Culte des racines s’est heurté à l’habituelle omerta (impossible de l’emprunter dans une seule bibliothèque de Bretagne). 

Dans ces circonstances, il faut saluer le courage de Kofi Yamgnane qui ose ouvrir le débat interdit. Je vous invite à lire l’article que j’ai publié à ce sujet sur le site du Groupe Information Bretagne et à aller le soutenir si vous le pouvez vendredi prochain à 20 h à la MJC de Kerfeunteun à Quimper. 

Accoutumé aux insultes racistes en provenance des nationalistes bretons et autres, Kofi est bien le premier à être conscient des risques qu’il prend. Son mérite n’en est que plus grand – et ce d’autant que, lui qui a été ministre d’un gouvernement socialiste, se trouve face à la trahison des élus socialistes bretons. 

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Le lendemain, de 9 h 30 à 12 h 30 dans la salle Fraboulet au 17 rue de Penthièvre à Saint-Brieuc, il sera possible d’écouter une conférence d’un autre courageux, Daniel Quillivic, qui, lui, a osé protester contre l’adoption du « Bro goz » comme hymne de la Bretagne. Les Bretons n’ont jamais été consultés non plus au sujet de l’adoption de cet hymne ridicule, plagiat dû à un druide antisémite, collaborateur des nazis, comme Daniel Quillivic le démontre dans son essai.  

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Rue des livres

Cette année, pour la première fois, je suis invitée au festival Rue des livres qui se tient à Rennes depuis seize ans. Ce sera l’occasion de présenter la nouvelle saison des éditions Mesures puisque la librairie Le Failler me reçoit tout le samedi et le dimanche après-midi pour que je puisse rencontrer mes lecteurs. 

De plus, dimanche à 15 heures, je suis invitée à lire pendant un quart d’heure des textes extraits des Enfants de la guerre tout en projetant les photographies d’Yvonne Kerdudo qui sont à l’origine de ce livre (présenté pour la première fois à Rennes, à la librairie Comment dire). 

Les organisateurs du festival ont choisi ce livre dans la rubrique « coup de cœur » au titre de la poésie mais, selon moi, il ne relève pas du tout de la poésie : il cherche, tout au contraire, à fuir le domaine de la poésie, précisément grâce au biais de l’image et des regards croisés sur une réalité indicible, sauf à sortir du lieu commun en franchissant un barrage intérieur. C’est bien ce qu’avait fait Yvonne Kerdudo et c’est bien pourquoi mes textes existent comme prolongement de son travail (le miracle est qu’il s’agit d’un prolongement, d’une part, du travail de la photographe et, d’autre part, de textes que j’avais écrits, pour certains, bien avant de les voir).

Il est heureux que ce livre puisse ainsi trouver quelque écho car (comme je l’avais fait observer l’an passé lors de ma rencontre aux Archives départementales des Côtes d’Armor – et, je l’ai vérifié à cette occasion, la situation n’a pas changé depuis –, il est absent de toutes les bibliothèques de Bretagne (y compris celles qui ont mission de recueillir un fonds breton, comme les Champs libres et le CRBC de Brest, y compris celles qui concernent le patrimoine du Trégor et y compris celle de Plouaret où a vécu et travaillé Yvonne Kerdudo pendant un demi-siècle). 

Des amis lecteurs m’ont signalé qu’ils avaient demandé le livre dans telle ou telle bibliothèque – sans succès. 

Cette petite brèche dans la censure est donc plus importante qu’on ne pourrait penser. 

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Navalny est mort, Yves Rocher gagne de l’or

Alexeï Navalny est mort hier, assassiné par le pouvoir russe grâce à Yves Rocher. 

C’est la fausse plainte pour escroquerie du groupe Yves Rocher qui a permis d’arrêter Navalny et de l’envoyer au goulag. 

En 2021, j’avais ici même rédigé un article qui avait été relayé par André Markowicz sur facebook. Non seulement  Yves Rocher avait fait traîner les frères Navalny devant les tribunaux russes en reconnaissant pourtant n’avoir subi aucun préjudice, mais, alors même que la Cour européenne des Droits de l’Homme avait jugé les décisions des tribunaux russes « arbitraires et manifestement déraisonnables », il continuait de narguer Navalny en France et de prospérer en Russie. 

Alexeï Navalny et son frère, ayant porté plainte pour dénonciation calomnieuse contre Yves Rocher, étaient venus en Bretagne avec leur avocat, Me Bourdon, puisque leur affaire devait se plaider à Vannes. Quelle chance avaient-ils face au tout-puissant groupe Yves Rocher, fondateur du Club des Trente, membres de Produit en Bretagne, lobby fondé par l’Institut de Locarn ? À Vannes, puis en appel à Rennes, Yves Rocher a triomphé pendant que Navalny, arrêté sitôt rentré en Russie après son empoisonnement par les services secrets poutiniens, poursuivait son combat depuis le bagne. 

En 2021 une vidéo résumait les faits. 

Ouest-France (membre de Produit en Bretagne) titre ce jour « Navalny mort, les juges n’auront plus à statuer sur l’affaire qui l’opposait au groupe Yves Rocher ». Ouf, quel soulagement : la Bretagne respire ! Bris Rocher, clamant son entreprise « innocentée », se présente comme victime d’une « affaire qui a beaucoup nui à l’image du groupe »  

L’image du groupe n’a, en tout cas, d’après les dires de son président, pas du tout souffert en Russie où il compte 423 points de vente et, comme l’argent n’a pas d’odeur, 86 points de vente en Ukraine. 

Ce même président rappelle que son entreprise vient d’obtenir le statut d’« entreprise à mission » garant de son éthique. À la journaliste qui, pour lui permettre de se dédouaner, lui demande  : « Vous avez fait le choix de rester en Russie. Votre statut de société à mission n’est pas incompatible avec cette décision ?» , il répond que pas du tout : la guerre, il la « condamne fermement » et il « salue la résilience et le courage des populations » qui continuent d’acheter les produits Yves Rocher. Comme il aime ses gens, il s’est « focalisé sur les gens » qui avaient besoin de lui en Russie. Il faut toutefois noter qu’en Bretagne, ses gens, ils coûtent trop cher et il compte fermer en bonne partie son usine de La Gacilly pour aller chercher ailleurs des gens à favoriser de ses bienfaits. Encore une mission. 

De la mort de Navalny, pas un mot. 

William Bourdon déclare : 

« Nous considérons que la participation active d’Yves-Rocher – et selon nous de grande mauvaise foi – a été cruciale dans la criminalisation de Navalny en Russie. Aucun de ses dirigeants, compte tenu de leur connaissance historique du pays, ne pouvait ignorer l’état d’assujettissement de la justice au pouvoir politique en Russie. La moindre des choses eût été de présenter des excuses. »

Mais quelles excuses ? Allons donc ! Au moment où Emmanuel Macron reçoit Volodymyr Zelensky à l’Élysée pour signer un accord bilatéral de sécurité, les soldes d’hiver battent leur plein dans les boutiques Yves Rocher de Russie. 

Vous pouvez offrir une petite crème pour la peau, cadeau qui plaît toujours aux dames de Russie, à moins qu’elles n’y voient une allusion perfide, et faire une bonne affaire en même temps. Les dames d’Ukraine, sous les bombes russes, peuvent aussi bénéficier d’utiles soins de toilette.

Et les messieurs ne sont pas oubliés…

Un petit flacon de « Bois de sauge » pour tonifier les soldats qui partent au front ? Une manière comme une autre de poursuivre le combat poutinien pour la Grande Russie ?  

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2 mars 2024

Après avoir encensé Yves Rocher, Ouest-France célèbre en long et en large « le courageux adieu des Russes à Alexeï Navalny ». La Bretagne, c’est ça aussi : une presse à la botte mais qui célèbre le courage de ceux qui résistent… Yves Rocher peut continuer de prospérer en Russie et d’accueillir les clients à la gare de Rennes transformée à centre commercial pour shops identitaires. 

Comme tout le monde n’a pas accès à Facebook, je donne ici le PDF de la chronique d’André Markowicz à la suite des obsèques de Navalny. Une manière comme une autre de protester. 

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Le Printemps des Poètes (suite) (et fin, j’espère)

Jamais je n’avais accordé une seconde d’attention au Printemps des Poètes (oui, j’ai appris qu’il fallait aussi une majuscule à Poètes) et je n’avais aucune intention de lui en accorder une seule quand la fatale tribune contre Sylvain Tesson m’a, comme une pieuvre, attirée dans les eaux saumâtres de la poétolâtrie. 

Pensant en avoir fini, je me suis néanmoins, sans trop réfléchir, demandé qui était responsable de cette institution (car, même si j’étais loin de vouloir défendre Sophie Nauleau qui avait démissionné, je trouvais tout de même étrange le silence de sa hiérarchie et de ses collègues). Qui faisait quoi ? Qui décidait du sort des Poètes (je mets une majuscule pour distinguer les Poètes qui bénéficient du Printemps et les autres, les auteurs qui écrivent de la poésie et qui ne se pensent pas Poètes pour autant).

Bref, j’ai appris que le président s’appelait Alain Borer et qu’il était spécialiste de Rimbaud. À mon avis, Rimbaud se serait empressé de fuir comme la peste le Printemps des Poètes – c’est d’ailleurs ce qu’il a fait, fuyant à tout jamais le monde des Lettres, et j’en profite pour dire à quel point le projet de le mettre au Panthéon avec Verlaine me semble indigne. Personne ne me demande mon avis à ce sujet, pas plus d’ailleurs qu’au sujet du Printemps des Poètes, mais faire part de sa révolte est salubre, au moins pour soi, et je trouve en effet révoltant que l’État verse des sommes considérables pour promouvoir des Poètes. Pourquoi ne pas subventionner plutôt le Printemps des Plombiers ? Voilà qui, en ce moment, me comblerait. J’ai d’ailleurs toujours été sensible à la poésie de la plomberie.

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J’en étais là de ces réflexions oiseuses (alors que la plomberie m’appelle) et je m’apprêtais à quitter (sans regret) le site du Printemps des Poètes quand, par hasard, j’ai découvert que l’on m’y invitait à rejoindre l’Opération Coudrier. Oui, l’Opération Coudrier ainsi baptisée (les Poètes aiment les majuscules) en hommage au « Lai du chèvrefeuille »  de Marie de France. 

Marie de France ? 

Encore elle ? 

Déjà Sylvain Tesson m’avait indignée en l’associant à ses délires celtomanes : « J’avais Marie de France pour la beauté des dames ». La phrase la plus méprisante écrite sur cette pauvre Marie de France, victime tout à la fois de la féminolâtrie et de la poétolâtrie… 

J’ai traduit les Lais et les Fables de Marie de France, j’ai même été à l’origine de deux éditions de ces poèmes pour les collégiens et les lycéens, et jamais le Printemps des Poètes ou une quelconque organisation poétique n’en a fait mention, pas plus qu’un critique poétique ou un journaliste quelconque (à ma connaissance). J’ai republié «Le lai du chèvrefeuille » avec La Folie Tristan aux éditions Mesures en accompagnant ces poèmes d’une réflexion sur la traduction des textes médiévaux, mais tout ça s’est passé dans le plus profond silence, hors du domaine de la poésie tel qu’il est géré par les Poètes.

Or, voici ce qui était (ce qui est) dit de l’Opération Coudrier :

« Une exigence poétique affirmée » ? Comme si Marie de France avait besoin d’affirmer son exigence poétique ? Aux yeux de quels cuistres ? Et conjuguée avec « un déploiement de plus en plus vaste » ? Un déploiement où çà ? Pour aller où ? Et conjugué comment avec une « exigence poétique » consistant en quoi ? Que signifiait ce charabia ? Et un charabia destiné à des enseignants !

Puisqu’on m’invitait à découvrir l’Opération Coudrier sur la page dédiée, je suis allée sur la « page dédiée » et, là, je dois dire que j’ai été saisie d’une sainte colère – cette colère que l’on éprouve face à l’injustice, à la trahison : à l’honnêteté, à la beauté bafouées.  

L’Opération Coudrier consiste à « intensifier la transmission poétique » en amenant les collégiens et les lycéens à participer à un « concours de retraduction des douze vers les plus touchants » du « Lai du chèvrefeuille ». Cette « retraduction » est ailleurs dite « réécriture ».

Au terme du concours, trois prix sont décernés, le prix « Coup de cœur du Printemps », le prix « Le préféré des enseignants » et le prix « Le choix des jeunes ». Les lauréats gagnent… le plaisir d’avoir participé et la promesse hypothétique d’une mise en musique ou « d’autres mises en lumière inédites » de leur œuvre. 

Pour les assister dans la retraduction, le Printemps des Poètes propose à toutes les classes de déléguer des Poètes au tarif de 270 € le Poète. Pour les cent premières classes inscrites, le Poète est à moitié prix. Et si vraiment, « la somme était bloquante », le Printemps fournirait des Poètes à prix négociable. 

Pour commencer, une grande indignation m’a saisie à voir qu’il était possible de proposer à des enfants (à partir de la 6e) et des adolescents ce projet inepte de retraduire un texte – et surtout de leur laisser entendre ainsi que le texte est là, marchandise disponible, dédoublable, démarquable, produit imitable par quiconque pour peu que l’on veuille (ou doive) s’en emparer dans le but de s’exprimer, car tout le monde est poète et peut se faire le lai du chèvrefeuille comme on se fait une petite bouffe entre copains. Et cela alors que la poésie est en déshérence dans les classes et que les enfants n’ont à découvrir qu’une maigre poignée de poèmes, toujours les mêmes, écrasés sous des commentaires pédagogiques pontifiants tout faits pour vous dégoûter à jamais de la poésie. J’en sais quelque chose pour avoir mené depuis des années un combat désespéré contre cet abandon. 

Il est à noter que nulle part il n’est expliqué ce que raconte « Le lai du chèvrefeuille », ce que c’est que l’ancien français et la légende de Tristan et Iseult, et dans quel contexte s’inscrit le bout de lai à retraduire en Soi selon le principe « Moi et Marie de France ». 

Quelques explications confuses figurent dans un texte de Sophie Nauleau choisi par Sophie Nauleau pour présenter l’Opération Coudrier lancée par Sophie Nauleau. Il en résulte qu’elle voudrait qu’au matin de la Saint-Valentin dans le monde entier on lise « Le lai du chèvrefeuille » qui raconte une histoire aussi incompréhensible qu’absurde telle qu’elle la raconte : Tristan partirait en forêt graver son nom sur une baguette de noisetier pour que la reine à cheval la voie et s’arrête. Comment à cheval au milieu des arbres peut-on voir une baguette ? Autant prétendre voir une aiguille dans une botte de foin… Mais tout ça est magique, inutile de chercher à comprendre. La magie sert à ne pas lire le texte.

Suit un gros cartouche rouge :

D’où le Printemps des Poètes a-t-il tiré cette déclaration pontifiante en prose flasque ? 

Il s’agit des premiers vers du lai :

          « Asez me plest e bien le voil

           Del lai que humme nume chevrefoil. » 

Autrement dit (dans ma traduction qui simplifie un peu le texte pour respecter l’octosyllabe et la rime ) :

        « C’est mon bon plaisir que je veuille

        Dire le lai du chèvrefeuille. » 

Cette déclaration d’intention, qui semblait laisser entendre que Marie de France patronait par avance l’Opération Coudrier, était déjà passablement agaçante mais c’est quand j’ai découvert quel « Lai du chèvrefeuille » les élèves de la France entière étaient invités à retraduire que mon indignation s’est changée en colère – parce que la trahison était celle de Marie de France, du poème lui-même, et de la poésie. 

Les lais de Marie de France sont des chefs d’œuvre de finesse, de simplicité, de limpidité délicate. Du « Lai du chèvrefeuille » un morceau a été extrait n’importe comment, ce qui rend le début incompréhensible. 

Pour ce qui est de l’ancien français donné comme référence, le Printemps des Poètes (puisque c’est Lui qui se donne comme auteur) ne s’est pas cassé la tête : il a pris la version de Roquefort (1820) telle qu’on la trouve sur Wikipedia avec toutes ses fautes. 

La  « traduction inédite du Printemps des Poètes » (d’après la mention portée en bas de page) ne correspond pas au texte original tel qu’il est donné mais quelle importance, le texte en ancien français et l’enluminure ne sont là que pour légitimer la traduction destinée à servir de support aux retraductions… 

Or, le texte indique (je me contente pour simplifier de donner ma traduction car elle suit le texte vers à vers) ce que signifie le fait que Tristan ait écrit son nom sur le noisetier pour qu’Yseult au passage le voie :

TEXTE COUPÉ :

Ce que dit d’un mot cet écrit,

Ce qu’il lui mande et qu’il lui dit, 

C’est que longtemps il est resté

Attendre et patiemment guetter

Jusqu’à parvenir à savoir

Le moyen de pouvoir la voir,

TEXTE DONNÉ UNIQUEMENT EN ANCIEN FRANÇAIS :

Car sans elle il n’a pas de vie. 

Et lors tous deux sont-ils unis

TEXTE TRADUIT :

Tel le chèvrefeuille enlacé

Avec le tendre coudrier :

Tant qu’il est étroitement pris

Autour du fût où il se lie,              

Ensemble peuvent-ils durer,

Mais qu’on vienne à les séparer, 

Le coudrier mourra bientôt

Et le chèvrefeuille aussitôt. 

Or, belle amie, ainsi de nous :

Ni vous sans moi ni moi sans vous !

Le Printemps des Poètes a commencé par mixer les premiers vers de l’extrait :

« D’euls deus fu il tut autresi

Cume del chevrefoil esteit

Ki a la codre se perneit. » 

Le mélange rend le texte incohérent :

« Tous deux comme est le chèvrefeuille

qui grimpe autour du coudrier »

À en croire la version donnée à retraduire, Marie de France a « une exigence poétique affirmée » mais des problèmes d’expression. De plus, la « traduction » fausse le sens du texte car Marie écrit que les deux amants sont unis comme le chèvrefeuille au coudrier, non qu’ils sont semblables au chèvrefeuille qui grimpe sur le coudrier, exercice de grimpette pas vraiment dans le style de Marie. Mais du style de Marie, du rythme, des rimes, de la prosodie, tout est anéanti dans cette « traduction inédite du Printemps des Poètes ». 

La suite est plus fausse et plus incohérente encore :

« sitôt qu’ils se tiennent enlacés

il n’est plus de tronc ni de feuilles,

et peuvent alors vivre à jamais. » 

Non seulement ce charabia est à l’opposé de la poésie de Marie de France mais chaque vers est un contresens aboutissant à une traduction d’une stupidité jamais égalée : plus de tronc, plus de feuilles – l’amour, tel le phylloxéra, ne laisse subsister qu’une manifestation du rien, l’Amour :

« Mais si l’on veut les séparer 

du coudrier c’en est fini,

soudain du chèvrefeuille aussi. » 

Cette manifestation du rien, finalement, c’est l’image même de la poésie telle qu’elle est promue par le Printemps des poètes. 

J’aurais dû m’arrêter là, constatant que ces Poètes, pour finir, écrivaient, sans respect, sans honte, en haine de la poésie. 

Mais non, je ne sais quel esprit christique m’a poussée à boire le calice jusqu’à la lie. 

Et j’ai découvert la retraduction de la lauréate du prix « Le préféré des enseignants » — le texte n’est pas vraiment lisible, c’est vrai, mais quelle importance ont pour les responsables de l’Opération Coudrier les textes des lauréats ?

… Si vous n’arrivez pas à lire le poème d’Anaïs, alors en classe de 4e au collège Jean Moulin de Chaville, vous pouvez entendre l’ex-ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer le lire (après la pub pour Ecosia) :

Quand ce ministre a-t-il fait en sorte que la poésie soit présente dans les classes ? Quel ministre a-t-il fait en sorte que les enfants puissent découvrir et apprendre par cœur des poèmes qui leur donnent le sens du rythme, de la langue, de la beauté rendue sensible par des auteurs au fil des siècles depuis Marie de France, que l’on célèbre comme « notre première Poétesse » en la bafouant ? Aucun. 

Dans son dernier livre, Denis Podalydès raconte comment jouer une scène de Molière à l’école primaire a été à l’origine de son travail de comédien. 

Offense à la traduction, offense à la poésie, l’Opération Coudrier montre à quel point de déréliction l’institution littéraire (et l’Éducation nationale) en sont arrivés. 

La lecture du livre de Sylvain Tesson proposé par le Printemps des Poètes m’avait sidérée. L’Opération Coudrier m’a révoltée. 

Depuis 2020, personne n’a protesté, personne ne s’est interrogé sur l’outrecuidance d’un projet consistant à faire retraduire par des élèves un poème livré comme un chef d’œuvre mais traduit en charabia. 

Mépris de la poésie, mépris de la traduction : tout est lié. 

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Le Printemps des poètes et l’art d’être à l’ouest 

« Dans cette vie, tant qu’on peut, il faut faire de l’ouest. » Sylvain Tesson.      

                           « Errare humanum est » est-il écrit à la page de garde du manuel de la graineterie comparée. À quoi je me permettrai d’ajouter de mon propre chef : “Errare humanum ouest“... » Pierre Dac.

Je le précise avant tout : je n’ai jamais participé au Printemps des poètes, je ne sais pas en quoi consiste cette opération festive imaginée par Jack Lang en des temps où l’argent coulait à flots pour abreuver des gosiers secs, ni quels poètes ont choisi d’honorer quels poètes ou de se promouvoir eux-mêmes. La polémique lancée suite à la désignation de Sylvain Tesson comme parrain de cette opération m’a donc laissée totalement indifférente. Je n’avais jamais lu une ligne de Sylvain Tessson que j’ai d’abord confondu avec son père, m’étonnant de la longévité de ce journaliste que je connaissais surtout comme fossoyeur de Combat. J’ai ensuite appris qu’il s’agissait d’un auteur d’extrême droite et que des auteurs, parlant au nom de la Poésie, s’opposaient à sa désignation. 

Il m’a néanmoins fallu prendre connaissance de cette polémique car André Markowicz m’a fait savoir qu’il se sentait obligé d’écrire une chronique à ce sujet. Pourquoi ? Parce que de plus en plus de lecteurs lui demandaient son avis sur la pétition signée par 1 200 (à présent 2 000 ?) personnes pour protester contre Sylvain Tesson. Je l’ai prié de n’en rien faire mais il m’a lu cette, de fait, consternante tribune (qui se terminait par une non moins consternante apologie de la Poésie incarnée par le Printemps des poètes conclue par ces mots : « S’iels nous prennent la grâce, nous garderons la dignité. »). Sachant que rien ne l’arrêterait, je me suis contentée de lui dire que tout ça ne serait qu’une source supplémentaire d’ennuis. Et j’ai commencé à développer des arguments qui, de fil en aiguille, m’ont amenée, qui l’eût cru, piège infernal, à lire Sylvain Tesson et trouver des raisons de m’indigner à mon tour…

PÉTITION 

Pour commencer, j’ai indiqué que cette pétition n’avait aucun sens car, ce Sylvain Tesson, qu’avait-il fait sinon accepter la proposition qui lui avait été faite par la présidente du Printemps des poètes, Sophie Nauleau, l’épouse du poète André Velter, premier président du Printemps des poètes ? Sylvain Tesson aurait-il dû se retirer en avouant qu’il pensait mal (en regard des vrais poètes qui, pensant bien, sont de gauche) ? Et laisser la place à un vrai poète de gauche ? Mais comment un vrai poète de gauche aurait-il pu se donner le ridicule de célébrer « la Grâce » (car tel était le thème de ce Printemps parrainé par cet auteur d’extrême droite) ? Jusqu’alors, à ce que j’ai pu voir, les parrains du Printemps des poètes avaient tous été des acteurs et des actrices, à part un poète, Jacques Bonnafé, qui, par la suite, je l’ai découvert aussi, s’était signalé par des vociférations car il ne supportait pas de voir la poésie associée à la Garde républicaine (pour inaugurer en fanfare son règne de directrice artistique du Printemps des poètes, Sophie Nauleau avait convié la Garde républicaine). 

Mœurs étranges de ce petit monde… Comique ? Non, pas vraiment comique, j’en savais quelque chose car, Sophie Nauleau, j’avais été contrainte de la lire lorsque j’avais tenté de comprendre comment, au terme de longues falsifications des manuscrits d’Armand Robin, ce malheureux auteur avait été changé en poète maudit, en poète en pied, en Poète, lui qui avait toujours voulu fuir la poésie pour poètes. L’opération avait été bouclée précisément par André Velter qui avait réédité dans la collection Poésie/Gallimard (qu’il dirigeait) l’édition falsifiée des manuscrits d’Armand Robin. J’avais soutenu une thèse d’État, obtenu que les manuscrits de Robin soient restitués aux éditions Gallimard (avec le soutien de Robert Gallimard), prouvé qu’un manuscrit intitulé Fragments avait été démantelé pour fabriquer Le Monde d’une voix, édité les Fragments – et, pour finir, André Velter rééditait Le Monde d’une voix cependant que les Fragments passaient au pilon… Le tout au nom de la Poésie. 

Vingt ans de recherches perdus, ça n’a rien de comique, et néanmoins cette mésaventure permettait de comprendre sur quelle conception de la poésie se fondait cette fabrique du Poète. En écrivant Armand Robin ou le mythe du Poète pour tirer la leçon de cette expérience, j’ai dû lire Sophie Nauleau, c’est-à-dire sa thèse intitulée André Velter, troubadour au long cours. Mieux vaut, dira-t-on, être un troubadour au long cours qu’un troubadour au cours court (ou au court cours) mais, dans le cas qui m’intéressait, c’était un cours torrentiel, un déluge, un déversement de clichés qui, à force de s’accumuler, formaient une énorme masse, une vaste colline molle laissant surgir en ses plis la figure du Poète. Celle que le Printemps des poètes avait mission de célébrer. 

Le fait que Sophie Nauleau ait choisi Sylvain Tesson s’inscrivait dans ce contexte et n’avait donc rien de surprenant. Ce qui l’était, en revanche, c’était la manière dont chacun s’était soumis au règne du Poète, célébré sous les auspices de l’Homo festivus, et contribuant massivement à marginaliser ce qui de poésie aurait pu percer hors de cette organisation tenue d’une main de fer.

DÉMISSION

Alors même que mes arguments me semblaient tombés dans le vide, j’ai découvert à ma grande surprise que Sophie Nauleau avait démissionné. Il est vrai que le personnel, peu sensible à la hauteur poétique de ses aperçus, avait profité de l’appel d’air provoqué par la pétition pour se plaindre de ses pratiques (mais pourquoi elle et pas le président, Alain Borer, qui avait couvert l’opération, ou le parrain, qui, ne serait-ce que par galanterie, sans même parler de solidarité, aurait dû aussitôt se déparrainer ?). Elle avait démissionné en disant qu’elle ne dirait rien mais en rappelant tout de même qu’elle avait écrit « Le chêne de Goethe », un documentaire réalisé dans le camp de concentration de Buchenwald. Un pied à l’extrême droite, un pied à Buchenwald… Moi qui travaille en ce moment sur l’histoire de mon grand-oncle déporté à Buchenwald, j’ai eu comme un haut-le-cœur. 

J’en ai eu d’autres par la suite en lisant les prises de position de la droite, de l’extrême droite, de la ministre de la Culture, de Jack Lang et même de Fabien Roussel au nom du Parti communiste en faveur du tandem Nauleau-Tesson – et ce tandis que l’ultragauche se déchaînait contre ceux qui osaient critiquer les formules de la pétition, formules que bien des signataires, menés par leur souci de combattre la montée de l’extrême droite, avaient absoutes comme aimable verbiage poétique – et là est bien en fin de compte le problème que pose le traitement de la poésie par le Printemps des poètes. 

Pour finir, les critiques en place et les tenants de l’ordre ont eu beau jeu d’opposer aux élites (incarnées par la présidente du Printemps des poètes et l’auteur élu pour célébrer la Grâce) la piétaille des jaloux : une horde de 1 200 (2 000 ?) inconnus (hormis une pincée d’auteurs à renommée) assaillant l’institution – les gilets jaunes de la poésie, les indignés, les factieux, les sans-dents qui auraient mieux fait de se taire face au Grand Auteur qui honorait la Littérature française. 

En fin de compte, comme dans le cas d’Armand Robin, la polémique montrait comment l’institution prenait et reprenait le pouvoir, au service d’une idéologie qui était par tous passée sous silence, à savoir l’idéologie portée par le mythe du Poète.   

Cependant que les ventes de l’auteur martyr s’envolaient…

INTERROGATIONS

Bien loin de ce tohu-bohu qui ne se calmait pas, j’en étais à me pencher sur les manifestations des paysans en Bretagne (manifestations qui donnaient à la polémique du Printemps des poètes un côté plus dérisoire encore) lorsque un ami (qui avait signé la pétition) m’a fait parvenir quelques citations extraites du dernier livre de Tesson, Avec les fées

Allons donc, était-ce possible ? 

Un auteur qui avait été choisi entre tous pour parrainer un événement officiel, qui avait suscité une telle polémique, qui était défendu par la ministre de la Culture (et tant d’autres, ministres ou pas) pouvait-il vraiment avoir écrit de telles inepties ? 

Je me suis mise à lire Sylvain Tesson non pour savoir si les citations que j’avais reçues étaient exactes, car je ne doutais pas de la précision de mon correspondant, mais pour en avoir le cœur net : l’institution littéraire en France en était-elle arrivée là ? 

Des lecteurs, écrivains et autres, s’étaient indignés parce qu’il s’agissait d’un auteur d’extrême droite mais pas un seul n’avait pris en compte le fait qu’il ne s’agissait pas d’un auteur mais d’une sorte de sous-journaliste à prétentions promu auteur par un dévoiement de la poésie employée comme faire-valoir et cache-misère.    

Que Sylvain Tesson soit un auteur d’extrême droite ne fait aucun doute. Son attitude à l’égard du monde est celle des « hussards », ces mauvais auteurs mis en place par les héritiers de la collaboration après-guerre : il parcourt la planète en seigneur, consommateur d’espaces mis à sa disposition par une sorte de dieu dont il perçoit par instant la présence, et c’est la raison pour laquelle il se lance dans une exploration des terres celtes, vestiges sauvages, encore épargnés par la vulgarité moderne. Cette exploration est l’objet de ce livre : un banal parcours touristique en bateau présenté comme un itinéraire initiatique. « Les promontoires de Galice, Bretagne, Cornouailles, du pays de Galles, de l’île de Man, de l’Irlande et de l’Écosse dessinaient un arc. Par voie de mer j’allais relier les miettes de ce déchiquetage. Sur cette courbe, on était certain de capter le surgissement du merveilleux. »  Le merveilleux, la fée du merveilleux qui lui ouvre les yeux sur la celtitude comme approche de l’indicible : tous les vieux clichés de la celtomanie nourrie d’un culte des origines fantasmé dans la haine de l’esprit des Lumières, servent de toile de fond aux paysages revus et corrigés par ces visions mystiques de commande  : « Moi, c’est dans le paysage que je plaçais le lien des époques. Cinq millénaires conduisaient des dolmens à l’indépendance de l’Irlande en passant par la quête du Graal. Ces chapitres recelaient la même essence océanique. Cette géographie sonnait un assaut permanent : la houle sur les falaises, les oiseaux sur les roches, le vent sur la lande, les herbes sur les haies, les mèches sur les épaules, les chevaux dans les bois, les chevaliers au tournoi, les spectres dans les âmes et le lierre sur les ruines. L’Ouest est une ruée. » 

Page après page, des resucées de lectures sur les Celtes, la quête du Graal, le roi Arthur sont plaquées sur des descriptions que l’on croirait tirés de manuels de rédaction selon le principe un paysage : un couplet. 

Baie des Trépassés : surgit un Breton du cru. « Au fond de la baie des Trépassés, un homme m’avait confirmé le martyrologe naturel de tout Breton :— Je suis un Mervel. On a fait sauter le « le » à la Révolution. Pour survivre.— Et après ?— Après, mon arrière-grand-oncle achète un bateau de pêche avec ses trois frères. Un coup de vent. Tous morts. » Le « Le » perdu ? Pourquoi ? Comment ? Pour survivre à quoi ? Le nom de famille Mervel (Mourir en breton) n’existe pas, le nom Le Mervel non plus. S’agirait-il d’une confusion avec Mevel (Valet) ? Peu importe, ça fait breton, ça fait celte, la mort règne et la Révolution française est dénoncée comme origine du long martyrologe breton. 

Land’s End en Cornouailles : « Le paysage était un rêve celtique, vu par les romantiques : une suspension dans les genêts, légèrement kitch, soutenue par des orgues basaltiques.  » Le rêve celtique, de fait, relève du kitch et l’auteur laisse entendre qu’il le sait, que c’est ce faux parce qu’il est faux, ce romantisme à la gomme qui lui plaît comme un décor habillant le sarcasme. 

Stonehenge : « Édifiés dans la mystérieuse énergie indo-européenne, ces mégalithes avaient inspiré les légendes des géants celtes, alimenté la création tardive de Merlin, servi d’assise au renouveau breton, puis peuplé les poèmes du XIXe siècle. Leur ombre continuait à attirer la jeunesse biberonnée au glucose global où se mêlaient la Pachamama, les soucoupes volantes et les basses des groupes de hard metal. »  Les Indo-européens à la mystérieuse énergie passent des mégalithes au hard metal et les délires de Markale nourrissent les considérations sur la harpe, le triskell, la mer : « La mer a façonné la pensée celte » ; « la pensée atlantique vibrait d’un son de harpe » ; l’esprit celte est « une dynamique de l’être » ; mieux encore : les yeux des Bretons sont bleus parce qu’ils savent rêver face au large… 

Ce fatras que l’on dirait issu des pires revues druidiques est ressassé comme un dogme qu’il faudrait asséner contre les faits, l’histoire, la rationalité :  « L’identité celtique est une sculpture taillée il y a deux cent cinquante ans par une troupe de poètes, de marins, de paysans qui ont lancé un appel dont l’écho s’amplifia. De la Galice à l’Écosse, sonnent aujourd’hui les cornemuses d’une idée très récente, enracinée dans une mythologie très lointaine. Les esprits rationnels y voient une affabulation doublée d’une imposture. Le sentiment d’une appartenance à un espace géo-spirituel rebute les âmes techniques. Certains historiens à la triste figure dénoncent l’artifice des imageries mentales celtiques. Ces moralisateurs craignent les discours sur « l’origine commune ». Ils aspirent à une Histoire rationnelle. » 

Le mythe des origines pour alimenter le « monde comme si » du nationalisme panceltique et dénoncer la France républicaine : le comble de l’émotion est atteint quand l’auteur voit à la télévision les funérailles de la reine d’Angleterre : « Ainsi donc, les peuples des nations, stupéfaits par la magnificence des funérailles d’Élisabeth, allaient-ils se rendre compte de la nécessité de la grandeur. Bien des Français contemplant les fastes royaux et l’adhésion de tous à la splendeur d’un seul se diraient : “Qu’avons-nous fait ?” Bien sûr, quelques ricaneurs ricanèrent. Le faste les agressait comme le soleil cloue le cloporte. » 

Cloué au sol par le soleil de la monarchie, le cloporte français laisse les glorieux Celtes attendre le retour du roi Arthur et la fée qui a accompagné son périple lutter contre le mal, à savoir « le profit marchand, l’emprise technique, l’urbanisation grouillante, la folie de la foule. » Car « même si elle a perdu le combat au siècle 21, la fée incarne encore le refus d’un monde immonde gouverné par la stupidité des machines et la méchanceté des masses. » 

Ce pseudo-aristocratisme, ce nietzschéisme de pacotille, est sans cesse agrémenté de formules pontifiantes :

« L’arthurisme est une espérance. Le Celte, un homme de patience. » 

« Trempez un poète dans un lac : c’est le lieu qui se trouve béni. »

Est-ce pour justifier son parrainage du Printemps des poètes que Sylvain Tesson a consacré une page à la Grâce ou y a-t-il là une rencontre miraculeuse dans l’absolue ringardise du lieu commun poétique ? « Le merveilleux émane des choses. La grâce les surplombe. Le merveilleux est contenu dans le monde car il en est l’essence. La grâce s’en distingue car elle en est la source. Le merveilleux rayonne. La grâce ruisselle. L’un va de la chose à l’homme. L’autre du créateur à la chose. Le merveilleux irradie du réel et se diffuse au ciel. La grâce descend des nuées et inonde la terre. Le merveilleux révèle par le regard une force contenue. La grâce convoque dans le cœur une présence extérieure. Le merveilleux est le nom du génie du lieu ou, mieux, de son esprit. La grâce celui de son gardien ou, pire, de son maître. Le merveilleux part du réel pour y revenir. La grâce descend de l’abstrait pour expliquer le monde. Le merveilleux est ici et maintenant. La grâce sera toujours ailleurs. » C’est clair : elle est ailleurs. 

BOBARDISATION

La lecture du dernier livre de Sylvain Tesson était une épreuve que je ne souhaite à personne. Elle était particulièrement pénible pour moi car je ne vois que trop les dangers de l’idéologie qu’il développe avec le kit néoceltique partout désormais imposé en Bretagne et en Grande-Bretagne pour des raisons politiques qui servent, de fait, l’extrême droite via l’ethnorégionalisme.  

Ce que j’ai dénoncé dans Le Monde comme si puis dans Le Culte des racines est illustré ici avec une impudence d’autant plus grande que l’auteur sait qu’il offre au lecteur un kitch à faire oublier les banlieues : le tout est de faire semblant d’y croire et de trouver dans le rêve des origines matière à mépris – ce mépris hautain si caractéristique d’une certaine extrême droite et qui est ici d’autant plus insupportable qu’il touche à peu près à tout. 

Sylvain Tesson, qui voyage avec les fées, commence par préciser que les fées n’existent pas car, c’est triste, elles ont disparu au XIIe siècle : « Aucune fille-libellule ne volette en tutu au-dessus des fontaines. » Quel mépris pour les traditions populaires dont il ignore tout et sur lesquelles, sans même s’en rendre compte, il plaque le plus vulgaire cliché de bande dessinée américaine ! Pour avoir rendu justice aux fées des eaux sans trahir les collectes des folkloristes qui ne se souciaient pas de mysticisme panceltique, je suis à même de mesurer la profondeur de ce mépris… Les fées n’existent pas, sauf que, bien sûr, il les emporte en voyage. 

Ce qu’il écrit sur Synge (qu’il ne cesse de convoquer comme expression pittoresque de la celtitude) est, du début à la fin, imprégné du même mépris : Synge, « le dingo des îles magiques » est, d’après lui, l’auteur d’un « théâtre incompréhensible », un auteur « illisible », le « barde des îles païennes » (sic) qui y composa « sa pièce de théâtre la plus farouche, la plus absconse, au titre indépassable : Le Baladin du monde occidental. »  Titre en effet indépassable puis qu’il s’agit d’un double contresens imposé par le premier traducteur français. 

Enfin, l’invraisemblable liste de ses lectures cuistrement exposée se termine par une référence à Marie de France. « J’avais constitué une bibliothèque de licornes et de chevaliers », explique-t-il. Une bibliothèque comptant, on ne sait pourquoi, Hugo, Apollinaire, Aragon auteur de Brocéliande (très consternant poème paru en 1942 à la gloire de la Résistance), Nietzsche « pour que le soleil frappe l’écume », le cycle arthurien vu par Pastoureau, Jaufré Rudel et Michel Zink parce qu’il fallait « un troubadour et un savant ». Enfin : « J’avais Marie de France pour la beauté des dames ». Marie de France embarquée dans cette croisière virant à la croisade panceltique, non pour ce qu’elle a pu écrire et qui n’occupe pas plus de place que le théâtre illisible de Synge, mais parce que les dames sont belles, et c’était une dame. Les fées sont, elles aussi, des dames : en somme, des prostituées de l’au-delà prêtes à surgir sur commande.

Pour se remettre de ces lectures, Sylvain Tesson a aussi emporté Simenon parce que « faut pas charrier, on est content de la familiarité collante des gares du Nord après les chevauchées dans les nobles taillis. » Les chevauchées n’ont, de fait, qu’un temps, tout ça n’est que tourisme, bobards poétiques, évasion à bon compte, business genre Étonnants voyageurs, littérature…

Mais cette littérature ne dit pas rien. 

Les défenseurs de l’auteur martyr font allégeance à une propagande qui est loin d’être inoffensive et qui est loin d’avoir été diffusée sans connaissance de l’entreprise politico-commerciale en cours : la petite croisière avec les fées est une production toute faite pour servir l’interceltisme tel qu’il est mis en place par le lobby patronal breton soucieux d’échapper aux lois égalitaires de la République, ou ce qu’il en reste : rien d’étonnant si, en Bretagne, Sylvain Tesson est défendu par toute l’extrême droite nationaliste, Breizh-Infos en tête, s’appuyant sur Éléments et, bien sûr, l’Agence Bretagne Presse qui délire d’enthousiasme tant la fureur sacrée de Tesson est celte.

Le rêve celtique aidant, le livre pourrait être distribué lors du prochain Forum celte organisé par les sept « nations celtique » vouées à s’émanciper de la tutelle de la France et de l’Angleterre – ces « nations celtes » auxquelles Sylvain Tesson a donné voix : après le Printemps des poètes, il pourrait succéder à Jean-Yves Le Drian comme parrain de l’« Interceltic Business Forum » et rejoindre le clan zemmourien des auteurs promus par Bolloré pour appeler à l’indépendance de la Bretagne, les Patrick Mahé et autres, à Paris-Match qui ne manque aucune occasion de le célébrer et le défendre

Et c’est cet auteur lamentable que les «  cloportes de la République », je veux dire la ministre de la Culture et Bruno Le Maire, ministre qui se pique de littérature, encensent, imités par un chœur uniformément laudateur. 

Et les lecteurs se précipitent dans les librairies pour acheter le dernier livre de cet « auteur de grand talent » que, sans cette polémique, bon nombre d’entre eux auraient à tout jamais, comme moi, ignoré. 

Petit conseil pour finir : plutôt que de lire Sylvain Tesson, lisez l’essai de Jean-Louis Brunaux, Les Celtes, histoire d’un mythe (éditions Belin), remarquable essai, clair, précis, rigoureux, écrit, après quarante ans de recherches, par l’un de ces historiens (un archéologue, directeur de recherche au CNRS) que Tesson récuse par avance, sans les avoir lus, au motif qu’ils écrivent cette « histoire rationnelle » qu’il hait. 

Il y a plus de poésie dans les essais de Jean-Louis Brunaux que dans les divagations de Tesson et Nauleau. 

© Françoise Morvan

On trouvera ici le texte de la tribune avec les signataires.

https://francoisemorvan.com/wp-content/uploads/2024/02/TRIBUNE-LIBE-3.docx

Par la suite, j’ai trouvé une autre raison de m’indigner : l’Opération Coudrier organisée par le Printemps des Poètes pour inciter les élèves à retraduire un passage du « Lai du chèvrefeuille » de Marie de France traduit en charabia. Mépris du texte, mépris des élèves, mépris de la forme, mépris de l’histoire : tout se rejoint.

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La cinquième saison des éditions Mesures

Voici la première présentation des cinq livres de la cinquième saison des éditions Mesures. C’est à Rennes, à la librairie Comment dire où la libraire, Aliénor, nous a proposé de présenter tous les livres ensemble et non pas un à un comme nous le pensions à l’origine. 

Cette année, j’ai décidé de publier un livre qui offre une sorte de conclusion à mes recherches sur le conte. Je l’ai intitulé L’Amour des trois oranges en reprenant le titre d’un conte écrit à partir des versions que j’avais pu trouver au cours de mes recherches – une sorte de condensé de la poésie qui était (et j’ai pu enfin l’expliquer) l’objet de ces recherches – des recherches qui m’ont si longtemps occupée pour n’aboutir à rien : mon édition de Luzel en 18 volumes est devenue introuvable et la collection « Les grandes collectes » démantelée par l’éditeur a perdu tout sens. Il n’empêche qu’au bout de ce parcours, le fait de ne pas séparer conte et poésie change la perspective. Et puis, le livre répond à l’édition des Contes de Bretagne qui, grâce aux éditions Mesures, ont pu ouvrir la collecte de Luzel sur une autre approche du conte.  

J’ai aussi publié Le Dit de la grièche d’hiver et autres poèmes de l’infortune car l’humour sarcastique de Rutebeuf m’a toujours touchée — et il m’a toujours semblé que les médiévistes étaient injustes à son égard, même lorsqu’ils rendaient hommage à sa poésie (jamais traduite en respectant sa forme originale pourtant essentielle). De plus, je n’étais pas sans trouver une sorte de parenté avec ce Rutebeuf toujours lancé dans des combats voués à l’échec (mes recherches sur le conte en sont un bon exemple) et je voulais poursuivre l’expérience de traduction engagée avec La Trilogie de Pathelin (qui devrait être étudiée dans tous les conservatoires, je ne cesse de le répéter, hélas, en vain) et, aux éditions Mesures, avec La Folie Tristan.

Chose incroyable, alors qu’au cours d’une conversation j’avais dit à Christian Olivier qu’il était fait pour dire ces textes, il a choisi de les illustrer avec son complice Lionel Le Néouanic et nous avons une édition illustrée, rajeunie et comme revigorée de ces textes anciens. 

Édition illustrée aussi, celle du Roi Famineune pièce traduite par André qui lui permet de poursuivre son édition du théâtre de Léonid Andréïev – pièce incroyablement actuelle… Les images de l’édition originale sont complétées par celles, inédites, de Serge Eisenstein pour une mise en scène qui devait être interdite. Cette publication est aussi un acte politique. 

La pièce d’Andréïev (puisque nous ne voulons pas séparer prose, poésie, conte et théâtre) trouve sont prolongement dans les nouvelles d’Evguéni Zamiatine, extraordinaires nouvelles évoquant la guerre civile en URSS (suivies d’un texte sur Alexandre Blok dont nous avons publié Les Douze voilà deux ans). Les traductions d’André étaient devenues introuvables et les éditions Mesures lui ont donné l’occasion de les revoir et de les compléter (y compris par une pièce sur l’Inquisition qui a elle aussi une résonance terrible dans les circonstances actuelles). 

Enfin, traduction poursuivie depuis bien longtemps aussi, Les Élégies du nord d’Anna Akhmatova. À mon avis, c’est le plus beau de ces cinq livres mais je n’en dis rien de plus : on peut le trouver d’ores et déjà en librairie, sur le site des éditions Mesures et sur abonnement à notre petite AMAP (cinq livres numérotés, signés, dédicacés et livrés à domicile pour 100 €). 

Cette année, pour les illustrations de couverture, j’ai choisi le brun léger d’un papier kraft parce que la tonalité d’ensemble m’a semblé comme boisée, mélancolique et chaleureuse à la fois, en attente d’un avenir promis par ces protestations contre le sort. 

Publié dans ancien français, André Markowicz, Anna Akhmatova, Chats Pelés, Christian Olivier, Conte, Éditions Mesures, Evguéni Zamiatine, illustration, Léonid Andréïev, Les Douze, Littérature, Poésie, Rutebeuf, Théâtre, Traduction | Laisser un commentaire

Vigile de décembre au TNP

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