Au moment où les armées de Poutine envahissent l’Ukraine, précisément à l’endroit où se trouvait le domaine de La Cerisaie, les paroles de Trofimov incitant à ne plus aimer la Cerisaie et laisser le domaine à sa déréliction (ou à Lopakhine) prennent un étrange écho…
Je voudrais aussi rappeler, puisque personne n’en parle, que l’invasion de l’Ukraine a pour Poutine l’avantage de faire oublier le procès d’Alexeï Navalny qui va se tenir sous peu.
J’ai évoqué ici même l’an passé le rôle joué par l’entreprise Yves Rocher dans l’arrestation du principal opposant à Poutine et le soutien apporté à Yves Rocher par le lobby breton au moment même où cette affaire, largement médiatisée, faisait scandale : c’est dans les locaux d’Yves Rocher que l’association Produit en Bretagne créée par l’Institut de Locarn a tenu son assemblée générale le 12 février 2021.
L’affaire Yves Rocher s’inscrivait elle-même dans un contexte plus large et sur lequel je n’ai eu de cesse d’alerter. En 2014, le président de l’Institut de Locarn, interrogé par Charlotte Perry dans le cadre de l’émission Là-bas si j’y suis, lors de la « révolte des Bonnets rouges », faisait ouvertement l’éloge de la Russsie de Poutine, affirmant que les Ukrainiens étaient « 25 millions de clochards » qu’il fallait coûte que coûte tenir à l’écart de l’Union européenne – pour mieux commercer avec la Russie, en plein accord idéologique avec la triade sacrée promue comme mot d’ordre : affairisme, nationalisme, christianisme, le tout fonctionnant en cercle et pouvant donner lieu à une guerre qui ne soit pas seulement économique. Et uni par la haine de la France (« Notre problème, c’est la France », déclarait Alain Glon, le président de l’Institut de Locarn) et combien de nationalistes bretons d’extrême droite ont-ils trouvé une tribune en Russie…
On pourra écouter les propos du président de l’Institut de Locarn à la fin de l’émission. Ils prennent tout leur sens à l’heure actuelle.
Notons enfin que toutes nos tentatives pour alerter sont restées vaines depuis l’émission de Charlotte Perry.
Je donne aussi le PDF de l’article d’André Markowicz paru ce jour dans Le Monde.
Les commentaires postés à la suite de cet article méritent d’être lus : les seules invectives viennent de ceux qui parlent au nom de la Bretagne et considèrent que les bons nationalistes bretons n’ont rien à voir avec les méchants nationalistes russes.
*
Enfin, il est intéressant de lire la presse régionale dans ce contexte : Ouest-France, par exemple, se penche sur le cas des entreprises qui commercent le plus avec la Russie et risquent de souffrir de la guerre : l’infortuné Yves Rocher qui dispose de près de cinq cents magasins en Russie arrive en tête. On ignore généralement que le premier poste d’exportation de la Bretagne vers la Russie est représenté par les savons et les produits de toilette (pour 22,6 millions d’euros). L’agroalimentaire ne fait que suivre, mais on se penche aussi sur le sort de l’infortunée entreprise jusqu’alors si bien soutenue par la Russie où elle exporte pour dix millions de produits par mois. Et Salaün, le spécialiste breton du voyage en Russie qui va de voir se tourner vers les Émirats arabes unis, le sultanat d’Oman, Israêl et la Jordanie.
L’Oréal ferme ses magasins en Russie : Yves Rocher, tel un roc breton, demeure ferme. Au moment où des centaines d’entreprises cessent tout échange avec la Russie de Poutine, la question semble loin d’être à l’ordre du jour parmi les affairistes bretons. Mais, dans le même temps, Produit en Bretagne crée un label vertueux afin d’inciter les Bretons à être fiers d’être bretons. Ce qui ne va pas de soi.
Si j’ai omis de mentionner la parution du Grand Livre vert début novembre, c’est tout simplement que le diffuseur avait oublié de me faire parvenir mes exemplaires (il avait de même oublié les éditions MeMo et nous avons dû nous contenter d’offrir pour Noël aux enfants de notre entourage une petite carte leur promettant dans un avenir proche LeGrand Livre vert). En fait, par la suite, le livre est arrivé si tard qu’entre-temps je m’étais consacrée à L’Oiseau-loup et autres activités au théâtre…
Bref, il est paru, il est très beau. Il est d’ailleurs, à mon avis, bien plus beau que le volume original vert épinard. Surtout, ce que ne montre pas l’image, c’est la qualité du papier, doux et ivoiré, et le soin apporté à l’encrage et à la mise en page. Ah, c’est autre chose que l’édition Gallimard criarde et plastifiée. On ne se moque pas des enfants…
Le principal intérêt du livre, bien sûr, ce sont les gravures de Maurice Sendak, petits chefs d’œuvre de finesse et d’ironie… Publié en 1962, le livre compte au nombre de ceux de la grande période de Sendak : il est paru juste avant Where the Wild Things Are qui (traduit en français sous le titre Max et les maximonstres) est son livre le plus célèbre. On peut se demander d’ailleurs si Max n’a pas un peu à voir avec Jack, le personnage du Grand Livre vert. Jack, l’orphelin rebelle, découvre un livre de magie et se change en petit vieux pour faire enrager son oncle et sa tante aussi stupides que rechignés. Le principe du monde à l’envers servant à rétablir une sorte de justice est prolongé par les mésaventures du chien pourvoyeur de civets qui se voit soudain poursuivi par le lapin…
L’intérêt vient aussi du texte de Robert Graves (1895-1985), poète prolifique plus connu pour ses romans historiques et ses récits sur les mythes européens que pour ses livres destinés aux enfants.
Les éditions MeMo ont eu la bonne idée de rassembler sur un prospectus les livres de la collection « Les petits trésors de Sendak » que j’ai traduits : nous en sommes à douze.
Bizarrement, cette expérience semble être passée à peu près inaperçue. Le travail effectué par la médiathèque de Rostrenen n’en est que plus remarquable. Espérons que l’exposition pourra circuler et permettre aux enfants de s’intéresser à l’illustration, à la traduction, à l’association du texte et de l’image et à surtout l’humour qui, par les temps qui courent, fait si cruellement défaut.
L’an passé, en plein confinement, nous avions travaillé au TNP avec les étudiants de l’IRIS sur L’Oiseau-loupet la manière dont ils avaient dit ce texte avait été si juste et portée par une telle empathie que Jean Bellorini avait eu l’idée d’en faire un spectacle, qu’il a lui-même mis en scène la semaine passée.
Tandis que nous travaillions sur L’Oiseau-loup, j’avais demandé s’il était possible que des acteurs disent ma traduction de La Folie Tristan que je venais alors tout juste de finir et que je souhaitais entendre. Cette lecture m’a permis de corriger de nombreuses fautes et c’est en l’écoutant que Jean Bellorini a pensé qu’il serait intéressant de la donner à travailler aux étudiants du Conservatoire de région dans le prolongement d’Avril et de L’Oiseau-loup.
Le livre est donc paru aux éditions Mesures pour permettre aux étudiants de plonger dans ce texte du XIIe siècle qui avait de quoi les désemparer…
.
Découverte et perplexité
De fait, au début, découvrir l’ancien français, l’octosyllabe, les épisodes de la légende racontés par Tristan déguisé en fou et la langue si particulière de la traduction avait de quoi surprendre. Puis tous se sont emparés de ce texte, au point de donner l’impression qu’il devenait quelque chose comme un bien partagé, les voix se répondant, le poème devenant clair et le déroulement fluide. Nous avons alors décidé d’ajouter « Le lai du chèvrefeuille » comme un complément léger, et ce sont les élèves eux-mêmes qui ont décidé que chacun apprendrait son morceau par cœur.
Une dernière répétition, et il n’y avait plus qu’à attendre le public.
Surprise d’entendre trois élèves chanter ensemble l’une de mes chansons préférées, « Belle qui tient ma vie… », une chanson d’amour qui faisait une transition merveilleuse entre La Folie Tristan et « Le lai du chèvrefeuille », je leur ai demandé s’ils accepteraient de la chanter en scène et ils ont accepté aussitôt. Grâces leur soient rendues : c’était un moment fragile qui venait confirmer l’impression d’entendre des voix dans un chœur, se relayant, se faisant écho et participant à une œuvre faite par tous pour tous. Nous étions bien loin d’un travail d’élèves… Le public l’a bien senti et l’ovation qui a salué cette mise en voix par de si jeunes acteurs de textes si anciens n’a fait que souligner ce que chacun ressentait : remercions la spectatrice qui s’est levée pour dire qu’elle avait été bouleversée car elle percevait quel sérieux, quelle écoute et quelle finesse il avait fallu pour aboutir à ce travail choral. C’était tout simplement magnifique.
Voilà un mois que je dois annoncer la parution de L’Oiseau-loup et que je ne sais rien en dire, sans doute parce que c’est un livre auquel je tiens trop, sans doute aussi parce qu’il touche à trop de domaines. Il est pourtant paru en janvier pour accompagner le spectacle qui a été donné samedi au TNP (et qui s’est très bien passé, mais à ce sujet, là encore, je ne sais rien dire). Or, voilà qu’André Markowicz reçoit un message de Pierre Meunier, un grand acteur, un ami de longue date et un abonné aux éditions Mesures. C’est la première lettre qu’il m’ait écrite et la première lettre que je mets en ligne sur ce site – je la publie car elle justifie à elle seule l’existence de ce livre. Et le rapprochement avec les rêveries de Bachelard en dit plus long que je ne le saurais. C’est aussi l’occasion d’annoncer le spectacle autour et à partir de Bachelard…
« Cher André, merci pour ces arrivages toujours captivants de nouveaux livres à découvrir, emballés et postés par tes soins…
Je n’ai pas le mail de Françoise mais je compte sur toi pour lui transmettre ce petit mot écrit après la lecture de L’Oiseau-Loup.
Chère Françoise, je veux te dire à quel point les jours entre Noël et le 1er janvier ont été marqués pour moi par la découverte de ton si bel Oiseau-Loup. Il s’est ouvert et m’a happé, je me suis laissé faire, c’était si bon et si doux, avec le sentiment de traverser au fil des jours une contrée à la fois familière par l’attention que tu portes à la moindre des choses et sans cesse surprenante dans sa vérité humaine et sensible. Je n’ai pas pu me détacher de ce monde que tu donnes à ressentir si fortement. Comme j’aime ta liberté de choisir la forme qui te convient le mieux entre le poème, la prose, et tout cet air, ces espaces vierges entre les paragraphes et les pages, autant de respirations, de silences, de rêveries possibles pour le lecteur aux yeux brillants.
Quelle âpreté, c’est la vie à l’os, rien n’est enjolivé, la pluie glacée cingle, la boue aspire vers le bas, les cadeaux entre humains sont rares, et en même temps d’infimes notations illuminantes, intimement éprouvées, viennent constamment révéler où se tient la vraie richesse. Le lien entre l’immensité du ciel et la paume de la main d’un enfant se fait limpide, simple. Ce « simple » là, donne l’idée du travail d’écriture accompli, de l’exigence sans concession de vérité que j’ai senti tout au long du poème. Et qui en fait sa force captivante. Je te remercie du fond du cœur pour ce présent magnifique !
Bachelard aurait grandement aimé ton livre, il en aurait extrait moult citations pour ses ouvrages sur la rêverie ou les éléments, c’est sûr, c’est indéniable, c’est dommage qu’il soit parti si loin.
Nous cohabitons depuis plusieurs mois avec ses mots, jusqu’à en avoir fait un spectacle tout récemment. Il s’agit de Bachelard Quartet, avec deux grandes musiciennes, une violoncelliste et une pianiste et moi-même qui donnons à entendre sa pensée poétique autour des quatre éléments. Nous jouons au Théâtre de Montreuil du 20 au 27 janvier (sauf le 24) puis au Mans les 10 et 11 mars avant quelques autres villes dont Lorient du 17 au 19 mai. Ce serait un bonheur de vous compter parmi nous lors d’une de ces traversées !
Samedi à 16 h au TNP, première représentation au monde de L’Oiseau-loup d’après le texte qui vient de paraître aux éditions Mesures.
Nous avions déjà passé une semaine l’année dernière à travailler sur une version scénique du texte avec les étudiants de l’IRIS – merveilleux souvenir.
Cette fois, c’est une version légèrement abrégée qui est mise en scène par Jean Bellorini. Il a accompagné ce travail depuis le début en témoignant d’une attention et d’une compréhension vraiment bouleversantes, régi le son et les lumières et confié à Mélodie-Amy Wallet et Marc Plas le soin de dire le texte avec, en contrepoint, l’euphonium d’Anthony Caillet.
Vendredi à 20 h 30 au TNP, nouvelle représentation d’Avril, l’un des cinq spectacles créés aux Lieux mouvants à partir des textes de Sur champ de sable. Cette fois, comme naguère au TGP, nous bénéficions de l’aide précieuse de Jean Bellorini.
Le numéro de janvier du Matricule des anges contient un entretien au sujet des éditions Mesures à partir des questions de Philippe Savary – des questions très intéressantes qui nous ont vraiment permis de nous expliquer sur cette aventure en cours.
Par une heureuse coïncidence, tandis que le film de Vincent Jaglin La Découverte ou l’ignorance poursuit sa tournée en Bretagne à la satisfaction générale, Hélène de Günsbourg m’apprend que l’interview qu’elle m’avait demandée voilà quelque temps vient d’être mise en ligne.
Cet entretien vient à point compléter mes observations au sujet de la censure dont le film a été victime à Callac – du coup, ce petit épisode vient se placer dans un contexte plus large. Espérons qu’il appelle à réflexion.
Comme je l’ai indiqué ici dimanche dernier, le film de Vincent Jaglin, La Découverte ou l’ignorance bénéficie, après sept ans de censure, d’une tournée à travers la Bretagne. Avant-hier, salle comble à Lannion et débat passionnant ; hier, à Guingamp, soixante-dix spectateurs et débat non moins passionnant, hélas, interrompu au bout d’une heure par les interventions du codirecteur de l’association La Belle équipe qui a en charge la programmation du cinéma à Callac.
Le mois dernier, ce monsieur s’était opposé à la programmation du film au motif que j’y figure. Nul ne l’obligeait à se rendre à Guingamp puisqu’il avait bénéficié d’une copie du film qu’il avait pu regarder à loisir – et c’est donc en pleine connaissance de cause qu’il avait décidé de le censurer. Il l’a répété hier : ma présence n’aurait pas été supportée par les habitants de Callac. Mais, d’après lui, interdire la programmation d’un film ne relève pas du tout de la censure : les habitants de Callac doivent être protégés de ma fatale présence, voilà tout. C’est à des fins prophylactiques qu’il a agi.
Ce coprésident, détail qui n’est pas sans importance, est un instituteur qui a enseigné le breton en maternelle à Rostrenen, un instituteur donc payé par l’Éducation nationale. Alors que nul ne lui demandait rien, son refus ayant été acté, il est venu accompagné de quelques autres militants (méthode habituelle, j’en sais quelque chose).
Ce cas étant instructif, je vais m’attarder un peu sur les commentaires que j’ai reçus.
*
Voilà quelque temps, Inès Léraud (qui elle-même a quelque idée de la manière dont la censure s’exerce en Bretagne), apprenant que le film allait enfin être diffusé avait suggéré à Vincent Jaglin de proposer qu’il soit projeté à Callac : d’une part, ce film n’avait jamais été projeté en Centre-Bretagne ; d’autre part, c’est l’un des hauts lieux de la Résistance dont j’évoque l’histoire dans Miliciens contre maquisards, et il se trouve que Jean Miniou, le SS du Bezen Perrot qui témoigne dans le film en mentant sans vergogne, est précisément l’un des assassins dont je retrace l’itinéraire. À parution de Miliciens contre maquisards, toutes les rencontres avec les résistants qui figuraient dans ce livre ont été annulées, interdites, rendues impossibles, et ce à tout jamais puisqu’ils ne sont à présent plus de ce monde… C’était donc l’occasion ou jamais de passer outre la censure et de libérer la parole. À Callac, ni Fouéré ni le Bezen Perrot n’ont laissé de bons souvenirs…
Au terme de longs échanges, il est apparu que le film ne serait pas diffusé dans cette ville car le coprésident de l’association La Belle équipe s’y opposait. Le réalisateur s’étant étonné de ce refus, le bureau de La Belle Équipe s’est fendu d’un long communiqué justificatif : le motif initialement exposé, à savoir ma présence, était dissimulé sous une argumentation qui est une pièce d’anthologie.
J’en cite ici la conclusion :
« Notre position n’exprime aucun jugement sur la qualité, la pertinence ou l’intérêt public de la démarche du réalisateur Vincent Jaglin. Cette dernière est très forte par la tenue de son point de vue: ce cheminement intime raconté à la première personne partant d’un lourd secret familial enfin révélé. La collaboration d’une partie du mouvement nationaliste breton avec les autorités nazies pendant l’occupation est un fait. Les enjeux qui découlent de l’écriture de cette histoire sont essentiels pour comprendre ce qu’il s’est passé, mais concernant le temps présent, cela ne doit pas se résumer par une adhésion globale du mouvement breton actuel à cette idéologie, même si dans les faits quelques rares individus puissent encore y adhérer. L’histoire de la construction de l’identité bretonne au cours du XXème siècle est complexe, et ne doit pas s’écrire avec des raccourcis.
Malheureusement nous pensons que les conditions sereines d’un débat équitable et constructif ne sont pas réunies. Il ne faudrait pas qu’au-delà des qualités du film de Vincent Jaglin, sa programmation l’éclipse au profit de polémiques stériles car devenues dialogues de sourds. Et que le débat accompagnant la projection devienne le théâtre d’un règlement de comptes. Nous ne montrons pas un film pour l’instrumentaliser à des fins partisanes ou idéologiques. Nous regrettons qu’un tel climat confusionniste nous ait fait prendre cette décision. »
Voici la réponse du réalisateur :
« Force m’est de constater que les arguments que vous avancez pour justifier votre refus sont en contradiction avec les échanges téléphoniques que j’ai pu avoir avec Sylvie Lagrue. Les accusations de « raccourcis », « polémiques stériles », ne répondent pas du tout à mon film mais déplacent le problème vers un hypothétique débat que vous semblez craindre. Mais les documentaires sont faits aussi pour libérer la parole et ouvrir des débats. C’est ce qui s’est passé, et très bien passé, à Redon, comme le rappelle Inès Léraud… La « polémique », il me semble, c’est vous qui la créez avant même qu’elle n’ait lieu, en interdisant aux spectateurs de votre ville de découvrir mon travail.
D’autre part, ce que Sylvie Lagrue a exposé lors de nos échanges téléphoniques, c’est que la présence de Françoise Morvan dans mon film posait problème au vice-président, M. Philippe Le Guern. D’où ma surprise aussi à la lecture de votre long argumentaire où ce motif décisif est totalement effacé.
Je vais donc redire ici ce que je vous ai dit au téléphone et ce que j’ai dit publiquement lors du débat à Redon… Le temps de parole entre les trois historiens à qui je la donne dans le film est à peu près équivalent et cependant j’assiste depuis plus de dix ans à un véritable travail de censure autour de la seule présence de Françoise Morvan dans ce film. Censure que j’avais dénoncée dès la sortie du film en 2014-2015 (cf PJ) S’attaquer ainsi à une personne est une manière bien facile de déplacer le problème pour fuir tout débat. Débat que, de fait, vous censurez à présent et solidairement. »
J’ai trouvé extraordinaire que, pour dissimuler la véritable raison de la censure, à savoir la fatwa lancée contre moi et à laquelle tout militant se doit d’obéir, les membres de la Belle équipe se soient mis en devoir de mettre au jour les arguments qui, depuis la parution du Monde comme si, aboutissent à interdire tout débat :
1. Refus de l’histoire :
« La collaboration d’une partie du mouvement nationaliste breton avec les autorités nazies pendant l’occupation est un fait »
Le problème que pose le film de Vincent Jaglin (après Le Monde comme si) est bien que la collaboration n’a pas été le fait « d’une partie du mouvement nationaliste » mais du mouvement nationaliste breton dans sa totalité, à de très rares exceptions près, et les rebelles furent victimes de dénonciations… Ce n’est d’ailleurs même pas moi qui le dis dans ce film mais l’historien autonomiste Hamon qui, lui, a droit partout à la parole. Pas question de réfléchir aux raisons de cette adhésion massive au national-socialisme : les faits sont niés d’avance.
2. Refus de mettre l’histoire en relation avec le présent :
« Les enjeux qui découlent de l’écriture de cette histoire sont essentiels pour comprendre ce qu’il s’est passé, mais concernant le temps présent, cela ne doit pas se résumer par (sic) une adhésion globale du mouvement breton actuel à cette idéologie, même si dans les faits quelques rares individus puissent (sic) encore y adhérer. »
L’incohérence de la formulation désigne le point aveugle et maintenu coûte que coûte aveugle de l’idéologie du mouvement breton : la mise en place du kit de Breiz Atao par le lobby patronal breton est sans passé, sans lien avec l’histoire. Il y a eu quelques nazis mais ces « rares individus » ont si peu d’importance : tout ça n’est rien.
Ce refus de l’histoire est à penser en situation puisque le cinéma de Callac a récemment projeté le film à la gloire de ce militant nationaliste et authentique nazi que fut Polig Monjarret. Ce médiocre documentaire a été diffusé à Callac et dans toute la Bretagne sans susciter la moindre opposition – et il continue sa tournée.
3. Déni assumé au nom de l’« identité »
L’identité, concept creux, est manipulé de manière à en faire l’argument ultime, le deus ex machina supposé tout expliquer et tout absoudre. Le ton sermonneur sert d’abord à donner des leçons pour faire oublier le tour de passe-passe : substituer l’identité à l’histoire.
« L’histoire de la construction de l’identité bretonne au cours du XXème siècle est complexe, et ne doit pas s’écrire avec des raccourcis. »
Alors que le film apporte témoignages, documents et preuves à l’appui, le réalisateur est accusé de se rendre coupable de « raccourcis », ce qui permet de faire passer la substitution : exit l’histoire , reste « l’histoire de la construction de l’identité bretonne ».
On construit l’identité des Bretons ? Oui, et c’est positif : la sacro-sainte Identité sert à effacer l’histoire et légitimer la censure. Nous sommes dans le règne de la foi.
4. Censure prophylactique
C’est sur ce fond que s’inscrit le dernier paragraphe de l’argumentation développée pour justifier l’interdiction : les « conditions sereines d’un débat équitable et constructif ne sont pas réunies. » À en croire La Belle équipe, le débat n’aurait pu être qu’un « dialogue de sourds – entre qui et qui ? À quel sujet ? Nul sujet : il ne s’agirait que de « polémiques stériles » et de « règlements de comptes ». De règlements de comptes entre qui et qui ? Le réalisateur n’ayant aucun compte à régler avec quiconque, il aurait été supposé assister à des batailles de factieux décidés à « instrumentaliser le filmà des fins partisanes ou idéologiques ». Des fins partisanes ou idéologiques visant à quoi ?
Comme on peut le voir, le confusionnisme caractéristique du mouvement breton aboutit in fine à faire du confusionnisme la cause de la censure : vu le « climat confusionniste », les habitants de Callac ne doivent pas avoir à essayer d’y voir clair ; ils risqueraient de se poser les questions interdites.
*
Bref, le mieux pour éviter un « dialogue de sourds » est de rendre tout le monde muet.
…et, si le débat interdit peut malgré tout avoir lieu, et se déroule à la satisfaction générale, de venir le polluer par des « polémiques stériles » et des « règlements de comptes » sans objet, sauf à vouloir « instrumentaliser le filmà des fins partisanes ou idéologiques ».
Inutile de se voiler la face (même si, bien sûr, c’est leur vœu le plus cher), il faut du courage pour oser affronter les ayatollahs.
Quoi qu’il en soit, la première manière de résister à la censure est d’en mettre au grand jour les procédures. À ce titre, ce dernier exemple peut être considéré comme un progrès.